On se souvient que le 19 septembre dernier, la publication dans une revue réputée « Food and Chemical Toxicology » des résultats de l’étude du Professeur Séralini avait créé un grand choc dans l’opinion publique en affirmant que la consommation régulière de maïs transgénique NK603 augmentait sensiblement le risque de tumeurs cancéreuses chez la souris.
Depuis cette date, une vive polémique scientifique s’est engagée et une partie de la communauté scientifique ainsi que plusieurs organismes officiels, dont le Haut Conseil des biotechnologies (HCB), l'Agence de sécurité sanitaire française (Anses) et l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) ont émis de vives réserves sur les conclusions de cette étude et ont critiqué ses faiblesses et lacunes méthodologiques.
En outre, fait rarissime, six académies scientifiques ont publié un communiqué commun dans lequel elles dénoncent les faiblesses et insuffisances méthodologiques de cette étude et contestent ses conclusions (Voir communiqué).
La communauté scientifique reconnaît néanmoins la nécessité de réaliser des études à long terme, qui seraient menées par les laboratoires ou organismes totalement indépendants des groupes industriels concernés, afin d’évaluer de manière rigoureuses et incontestable les effets biologiques précis de la consommation régulière d’OGM par des animaux ou des êtres humains.
Sur ce dernier point, il est urgent, pour dissiper les doutes en matière de conflits d’intérêt et lever les incertitudes scientifiques, que notre pays dispose au plus vite d’une autorité d'évaluation indépendante qui réalise des études sur les effets à long terme de la consommation d’OGM.
Il faut toutefois rappeler que les plus hautes instances internationales et notamment l’OMS et le Conseil International Pour la Science, qui regroupent les meilleurs scientifiques de la planète, ont publié des avis confirmant que, dans l’état actuel des connaissances, les OGM cultivés dans le monde ne présentaient pas de dangers connus et scientifiquement démontrés pour la santé humaine, tout en précisant qu’il fallait poursuivre et approfondir les recherches sur ce sujet.
On le voit, la question des OGM et de leur impact sur notre santé et sur l’environnement préoccupe de plus en plus l’opinion publique et est devenue depuis quelques années un enjeu scientifique, social, politique et idéologique majeur. C’est pourquoi nous devons essayer d’éclairer toutes les facettes de ce débat et de le recadrer dans sa dimension planétaire.
Il faut d’abord rappeler qu'en France, la culture d'OGM commerciale est totalement interdite depuis 2008 et qu'elle reste limitée en Europe : les surfaces cultivées en maïs transgénique en Europe sont de l’ordre de 115 000 hectares (moins de 0,1 % de la surface agricole européenne).
Seul le maïs MON 810 de Monsanto est autorisé et cultivé en Europe mais plusieurs pays européens, dont la France, ont interdit cette culture transgénique sur leur sol en invoquant la clause de sauvegarde et le principe de précaution. Néanmoins, plusieurs OGM sont importés de pays extérieurs à l’Europe et sont utilisés sur notre continent pour l'alimentation animale mais également pour la fabrication de produits alimentaires pour l'homme.
La réglementation européenne fait obligation de signaler sur les produits la présence d’OGM, dès lors que ceux-ci dépassent 0,9 % de la quantité totale ; le consommateur est donc informé de la présence de ces OGM dans les produits qu’il achète.
Le problème c'est que même si toute culture OGM était interdite en Europe, nous vivons dans une économie ouverte. Il serait donc très difficile, voire impossible, sauf à enfreindre les règles du commerce international et à s’exposer à des mesures de rétorsion de la part des pays exportateurs, d’empêcher totalement les importations extra-européennes de produits contenant des OGM.
La question des OGM est donc devenue mondiale et il suffit, pour s’en convaincre, d’observer qu’au niveau planétaire, les surfaces cultivées en OGM ne cessent d'augmenter : elles ont presque été multipliées par trois en 10 ans, passant de 59 millions d’hectares en 2002 à 170 millions d’hectares en 2012, ce qui représente plus de 10 % des terres cultivées du monde ou encore l’équivalent de l’ensemble de la surface agricole de l’Union européenne !
Qu’on le déplore ou non, il faut bien admettre que les cultures transgéniques progressent partout dans le monde. En 2011, elles ont ainsi progressé de 12 millions d'hectares, comme le montre le rapport annuel de l'ISAAA (International Service for the Acquisition of Agri-biotech Applications).
Cette étude très complète révèle par ailleurs que dans les pays en voie de développement, cette progression des cultures OGM est en moyenne deux fois plus rapide que pour l’ensemble du monde : elle atteint 11 % par an et concerne 8 millions d'hectares dans ces pays émergents, contre 5 % par an et 4 millions d'hectares dans les pays développés. Les pays émergents et notamment le Brésil, la Chine, l’Inde et l’Afrique du Sud, représentent désormais plus de la moitié de la croissance mondiale des cultures OGM et vont dépasser en 2013 les pays industrialisés en termes de surfaces cultivées.
Au Brésil, les cultures OGM dépassent les 30 millions d'hectares et ce pays en pleine croissance augmente de 20 % par an ce type de productions agricoles. En Inde, le coton transgénique couvre à présent 11 millions d’hectares et en Chine, il représente environ 4 millions d’hectares (70 % de la production chinoise de coton) qui se répartissent entre 6,5 millions de petits agriculteurs. A cet égard, il faut souligner les résultats d’une étude très intéressante publiée en juin 2012 dans la célèbre revue « Nature ».
Cette étude réalisée par des chercheurs publics de l’INRA montre qu'en Chine, depuis la mise en production en 1997, de plusieurs types de coton OGM résistants aux insectes parasites, on constate une remarquable amélioration de la biodiversité qui s'étend jusqu’aux cultures voisines conventionnelles (Research Letter et INRA).
Cette étude montre que, contrairement aux insecticides chimiques à large spectre d'action, la toxine Bt ne détruit que les larves de papillons qui s’attaquent au coton. L’étude montre également que l’utilisation de ce coton transgénique a permis de réduire considérablement le recours aux insecticides chimiques, ce qui contribue également au maintien d’une bonne diversité biologique.
Cette étude va donc à l’encontre des discours alarmistes et catastrophistes véhiculés par les opposants irréductibles à toutes formes de cultures OGM et montre que, lorsqu’ils sont utilisés dans de bonnes conditions, les OGM peuvent à la fois entraîner un progrès économique et écologique.
Il est également, dans ce débat, intéressant d’écouter la position de Mankombu Sambasivan Swaminathan, généticien indien et Président d'une fondation de recherche pour l’amélioration de l’agriculture indienne.
Cette éminente personnalité indienne considère que le recours encadré aux OGM peut avoir des effets très positifs pour les pays en développement, tant en matière de sécurité alimentaire que d’environnement. Il rappelle que plus du quart des récoltes indiennes est détruit chaque année par des prédateurs naturels et souligne que l’utilisation avisée des OGM peut permettre d’améliorer le rendement agricole, sans affecter de nouvelles terres à l’agriculture, et peut également contribuer à réduire la consommation d’eau, d’engrais et de pesticides chimiques.
Néanmoins, Monsieur Swaminathan souligne qu’il appartient aux Etats et aux populations concernés de veiller à ce que la diversité génétique en matière de productions agricoles soit préservée et ne soit pas contrôlée par quelques grands groupes mondiaux. Il évoque également l’exemple de l'Etat indien d'Orissa, dans l’est de l'Inde, où les habitants et paysans sont associés dans l’inventaire, la conservation et la valorisation de cette biodiversité agricole. Ce point de vue intelligent et équilibré d’un spécialiste mondialement reconnu mérite d’être médité.
Autre exemple d’utilisation encadré et concerté des OGM : celui du Burkina Faso qui a autorisé certaines cultures OGM mais à condition de garder le contrôle des variétés de semences et de plantes OGM.
A présent, le coton transgénique représente plus de la moitié du coton cultivé dans ce pays. Le paysan qui cultive ce coton OGM ne fait que deux traitements de ses champs aux pesticides, contre au moins six pour le coton conventionnel, ce qui représente un bénéfice sensible sur le plan économique et écologique. Quant à la productivité de ce coton OGM, elle est liée à la taille des exploitations agricoles : elle reste identique chez les petits producteurs mais elle augmente en moyenne de 20 % chez les gros producteurs.
La majorité de la communauté scientifique considère aujourd’hui qu’il n’est pas réaliste de vouloir nourrir toute la population mondiale en 2050 en pratiquant uniquement l’agriculture biologique, même si ce type d’agriculture doit être encouragé et est amené à prendre une part de plus en plus importante dans la production agricole mondiale. En effet, de nombreuses études montrent qu’il est très difficile, voire impossible d’atteindre en cultures biologiques les mêmes rendements qu’en agriculture classique. Dès lors, pour nourrir une large partie de la planète grâce à l’agriculture biologique, il faudrait augmenter considérablement les surfaces cultivables mondiales.
Problème : cette extension ne pourrait se faire que des deux façons : prendre ces terres agricoles sur les forêts qui jouent un rôle essentiel contre le changement climatique ou réaffecter à l’agriculture une large part des terres dévolues à l’élevage, ce qui suppose une diminution mondiale massive de la consommation de viande.
Dès lors, plusieurs questions se posent. La première est simple : alors que nous allons devoir nourrir 9 milliards d’hommes dans 40 ans, pourquoi devrions-nous refuser les progrès que peuvent offrir les biotechnologies et considérer, a priori, que toute culture OGM est, par principe, à proscrire et ne peut avoir que des effets négatifs sur la santé et l’environnement ?
Autre question sans réponse : pourquoi les OGM ne cessent-ils de gagner du terrain dans le monde et notamment dans tous les pays émergents s’ils n’offrent aucun intérêt ni aucun avantage pour les paysans qui les utilisent et les pays qui les autorisent ?
Enfin, pourquoi faudrait-il opposer, dans une vision simpliste et manichéenne du monde, le développement nécessaire des productions agro-écologiques et le recours aux cultures OGM, à condition qu’elles soient issues de la recherche publique, répondent à un véritable besoin agricole, associent les populations locales concernées et bien entendu, qu’elles fassent l’objet d’une évaluation scientifique indépendante et incontestable.
Faut-il rappeler que, dès le début de la révolution néolithique, il y a plus de 11 000 ans, les hommes n’ont cessé de se battre contre la nature pour arrêter de subir ses caprices et améliorer leur sort. Ils n’ont cessé de transformer et d’améliorer les productions agricoles et animales, d’abord de manière empirique, par croisement et sélection d’espèces puis, plus récemment (à partir du XIXème siècle), par hybridation et enfin, depuis une vingtaine d’années, grâce aux OGM.
La plupart des variétés de fruits, de légumes et de céréales que nous consommons actuellement sont issues de cette inventivité humaine qui a permis à l’homme, combinée aux progrès technologiques et agronomiques, d’améliorer sans cesse la productivité, la qualité et la diversité de ses productions agricoles en dépit de l’augmentation de la population mondiale et de la raréfaction des terres cultivables.
Grâce à cette extraordinaire révolution agraire, de vastes régions du monde sont sorties de la misère absolue et ont éloigné le spectre des grandes famines récurrentes et endémiques en devenant autosuffisantes pour leurs productions vivrières et souvent même exportatrices nettes de produits agricoles, comme l’Inde. Peut-on sérieusement croire qu’une telle évolution en si peu de temps aurait été possible en conservant les méthodes ancestrales de l’agriculture traditionnelle et en refusant tous les progrès agronomiques et technologiques ?
Le temps est, me semble-t-il, venu d’ouvrir un débat serein, global et honnête sur cette question des OGM en nous libérant des grilles idéologiques réductrices qui dénaturent ce débat, en sortant de notre cadre de raisonnement franco-français et en acceptant enfin de considérer la complexité de cette question dans toutes ses dimensions.
René TRÉGOUËT
Sénateur Honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat