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Edito : Voitures électriques : les ruptures technologiques qui vont tout changer…

Selon l'AIE, il s’est vendu 10 millions de voitures électriques en 2022 dans le monde et les ventes devraient encore progresser de 35 % cette année pour atteindre 14 millions de véhicules. Cette croissance plus rapide que prévu révèle que la part du marché des voitures électriques est passée de 4 % en 2020 à 14 % en 2022 et devrait atteindre les 18 % fin 2023. Si l’on considère l’évolution du parc automobile mondial, on constate que le nombre de voitures électriques devrait, selon les dernières prévisions, passer à 230 millions en 2030, pour atteindre 575 millions d’unités en 2040. En pourcentage, compte tenu de l’augmentation du parc automobile qui devrait passer de 1,1 à 2, 3 millions d’unités d’ici 20 ans, cela veut dire que la part des voitures électriques au niveau mondial passerait de moins de 3 % aujourd’hui, à 14 % en 2030 et à 25 % en 2040. Pour la France, cette montée en puissance des voitures électriques pourrait être encore plus rapide : leur nombre pourrait en effet passer de 700 000 aujourd’hui (environ 2 % du parc national) à 14 millions en 2040, soit plus du tiers du parc automobile prévu à cette échéance…

Il est vrai qu’en juin dernier, la Commission européenne a pris une décision historique, qui vient d’être validée par la Conseil européen et le Parlement européen après d’âpres débats : l’interdiction de la vente dans l’Union européenne, dès 2035, de véhicules à moteur thermique utilisant des carburants fossiles émetteurs de CO2. Cette décision radicale qui entend traduire un volontarisme politique fort de l’UE et des états membres face au défi du changement climatique dont nous pouvons tous voir, depuis quelques semaines, à quel point il advient plus rapidement et plus fortement que prévu, va avoir pour effet une mutation économique, technologique et industrielle majeure allant vers une décarbonation accélérée du secteur des transports qui représente plus du quart de nos émissions mondiales de CO2 (soit 10 gigatonnes sur 40), sans compter les émissions de particules fines, responsables de 240 000 décès prématurés en Europe chaque année, dont 50 000 en France, et de polluants tels le dioxyde d’azote, très néfastes, à la fois pour la santé humaine et l’environnement.

Cette mutation va se traduire par deux ruptures technologiques : pour la mobilité lourde – trains, bateaux, bus et camions – l’hydrogène d’origine renouvelable va se substituer aux carburants fossiles, soit en utilisation directe dans des moteurs à combustion adaptés, soit pour alimenter des piles à combustibles fabriquant de l’électricité. Reste l’immense secteur de la mobilité légère, où le tout électrique dont le coût baisse plus vite que prévu va sans doute s’imposer. Il faut rappeler que le cout du « kW batterie » est passé, en dollars constants, de 1350 à 150 dollars depuis 15 ans, soit une diminution de 89 %.

Reste qu’en raison de la forte hausse des coûts des matières premières (Lithium, Nickel et Cobalt) et de l'énergie, ainsi que de l'inflation mondiale liée à la guerre en Ukraine, le prix moyen des batteries pour véhicules électriques a augmenté de 7 % en 2022 et les perspectives pour l’avenir restent incertaines, en dépit d’une relative stabilisation des prix de ces matières stratégiques.

Mais pour l'AIE, la part de marché des voitures électriques devrait tout de même atteindre 60 % en Europe, en Amérique du Nord et en Asie d'ici à 2030. Et, de fait, les ventes de voitures électriques ont triplé en Inde et en Indonésie l'année dernière et le directeur de l'AIE, Fatih Birol, estime que « L'émergence rapide des voitures électriques provoque une transformation historique de la construction automobile mondiale ».

Face à cette tension inquiétante sur les marchés mondiaux des matières premières, métaux et terres rares, et aux incertitudes géopolitiques qui en résultent pour l’avenir (La Chine, la Russie, l’Australie, la République Démocratique du Congo, l’Afrique du sud, le Brésil, le Chili et l’Argentine représentant à eux seuls les trois quarts de la production mondiale), partout dans le monde, la recherche publique, alliée au grands constructeurs automobiles et industriels, met les bouchées doubles pour remplacer progressivement la technologie actuellement dominante des batteries lithium-ion par de nouvelles combinaisons métalliques plus performantes, moins coûteuses et plus sûres.

Parmi ces ruptures technologiques très attendues, on trouve la batterie sodium-ion, une batterie rechargeable, comme la batterie lithium-ions. Elle repose sur l’utilisation des ions sodium pour stocker l'énergie électrique. Alcalin, tout comme le lithium, le sodium possède des propriétés équivalentes et les ions-sodium circulent entre la cathode et l’anode, produisant de l’électricité de la même manière qu'une batterie au lithium. L’avantage majeur de ce type de batterie est l'abondance du sodium, dont les réserves se comptent en dizaines de milliards de tonnes, contre environ cent millions de tonnes pour le lithium, ce qui le rend beaucoup moins rare et bien moins coûteux que le lithium. En outre, le sodium est largement réparti sur la planète, ce qui réduit les risques de tensions géopolitiques, et son extraction est beaucoup plus respectueuse de l'environnement que celle, très controversée, du lithium.

Le fabricant de batteries chinois CATL, qui détient le tiers du marché mondial des batteries, a récemment dévoilé une nouvelle batterie sodium-ion qui présente à la fois une meilleure capacité de recharge et une stabilité thermique améliorée. Pour l’instant la densité énergétique de cette batterie plafonne à 160 Wh/kg, ce qui est inférieur aux 285 Wh/kg d'une batterie lithium-ion. Mais CATL pense pouvoir améliorer la densité énergétique de ses batteries au sodium, pour atteindre au moins 200 Wh/kg d’ici deux ans, ce qui permettra de proposer, dès 2025, des véhicules électriques affichant une autonomie de 500 kilomètres, ce qui couvre les deux tiers du marché. Dernier avantage, et non des moindres, ces batteries sodium-ion sont particulièrement adaptés au stockage des pics importants d’électricité issus des énergies renouvelables, par nature fluctuantes. Elles sont donc appelées à jouer un rôle clé dans le développement à très grande échelle du solaire photovoltaïque et de l'éolien marin.

Début juin, le constructeur chinois Gotion, rival de CATL, a dévoilé sa batterie LMFP (lithium-fer-manganèse-phosphate). Baptisée "Astroinno", elle vise à être aussi performante que la technologie lithium-ions, mais pour un poids et un volume plus faibles. La production de cette nouvelle batterie devrait débuter dès 2024 (Voir Gotion). Avec une densité de 240 Wh/kg, cette batterie LMFP pourrait permettre une autonomie de 1 000 km, avec une seule charge. Et cette batterie pourra être rechargée à 80 % en moins de 20 minutes. L’Astroinno LMFP de Gotion sera produite en masse dès 2024 en Chine.

Il y a quelques jours, le géant japonais Toyota a annoncé une percée technologique, avec sa nouvelle batterie à électrolyte solide, promettant une autonomie de 1 200 km (745 miles), pour un temps de recharge de 10 minutes. Toyota affirme que le coût de production de ce nouveau type de batterie solide, qui devrait être commercialisé en 2028, sera comparable à celui des batteries lithium-ion. Cette batterie solide, qui devrait être deux fois plus compacte qu’une batterie lithium-ion, offre à la fois une densité énergétique supérieure à celle des batteries lithium-ion, une plus grande sureté et une plus longue durée de vie. La stratégie de Toyota, déjà leader pour les véhicules hybrides et à hydrogène, est de s’imposer également dans les véhicules tout électriques, avec pas moins de 30 modèles de voitures entièrement électriques d’ici à 2030 (Voir The Guardian).

De son côté, l’entreprise canadienne Electrovaya vient de dévoiler une batterie affichant une longévité record de 25 ans et destinée prioritairement aux entreprises, et plus particulièrement aux camions de livraison et de construction, ainsi qu’aux bus (Voir Electrovaya). L’entreprise précise que cette batterie, qui sera commercialisée dès la fin de l’année, utilise des cellules lithium-ion et céramique et pourra également servir au stockage stationnaire de l’énergie, comme cela est le cas pour la future batterie IBIS de Stellantis. Ainsi, il sera possible d’engranger de l’énergie pendant les heures creuses et lorsque le réseau n’est pas sous tension, puis de s’en servir ou de la réinjecter lorsque les besoins seront au plus haut par exemple. Utilisé dans une habitation, ce système devrait permettre d’optimiser la consommation domestique d’énergie et d’en réduire sensiblement le coût pour les ménages…

En Europe, Mercedes, bien décidée à s’imposer sur le marché des voitures électriques de luxe, a choisi de s’associer à Prologium, une entreprise taïwanaise qui a développé une batterie à l’état solide dotée d’une nouvelle chimie lithium-céramique. Cette technologie, dite “LLCB” (Batterie Solide Céramique-Lithium), permet de réduire sensiblement le nombre de cellules dans chaque pack de batteries, réduisant par la même occasion le nombre de connexions parallèles à l’intérieur du pack et le coût global du dispositif (Voir Bloomberg). Le géant allemand s’est allié avec l’entreprise taïwanaise ProLogium, qui a développé un accumulateur d’énergie répondant au cahier des charges de la firme allemande. ProLogium affirme maîtriser la technologie permettant la production à grande échelle de batterie à l’état solide dotée d’une nouvelle chimie lithium-céramique. Ces céramiques de lithium offrent une densité énergétique plus élevée pour un poids plus faible.

ProLogium souligne qu’à volume égal, la densité énergétique volumétrique de la batterie LLCB peut être presque doublée, par rapport aux meilleures batteries lithium-ion. En outre cette nouvelle batterie LLCB pèserait 100 kg de moins qu’une batterie au lithium. Mais l’argument décisif qui explique ce choix technologique de Mercedes est que la firme allemande n’aura pas besoin d’importer d’Asie ces nouvelles batteries, car l’entreprise asiatique s’est engagée à les produire en Europe, notamment en France, en investissant plus de 5 milliards d’euros dans plusieurs "gigafactories", pour une capacité totale estimée à 48 GWh, suffisante pour approvisionner dès 2028 le marché européen des voitures électriques.

Il y a quelques jours, le groupe Stellantis a présenté en grande pompe, sur le campus de l’université de Paris/Saclay, les fruits de son projet de recherche conjoint avec SAft et le CNRS, baptisé IBIS (Intelligent Battery Integrated System). Ce projet, lancé en 2016, vise à développer un système de stockage d’énergie plus efficace et moins coûteux. IBIS intègre les fonctions du chargeur et de l’onduleur dans les modules de batterie lithium-ion, en les remplaçant par des cartes de conversion électroniques : il libère ainsi de l’espace dans le véhicule et réduit le coût du système. Cette technologie représente une véritable rupture dans le domaine du stockage d’énergie mobile et stationnaire. Comme Mercedes, l’équipe du projet IBIS a l’intention d’intégrer cette nouvelle technologie sur les véhicules Stellantis avant la fin de cette décennie. Comme le souligne le responsable de ce projet, « Ce système est indiscutablement révolutionnaire, car il intègre les fonctions de charge et d’alimentation du moteur, grâce à un système de contrôle sophistiqué permettant de produire un courant alternatif pour un moteur électrique, directement à partir de la batterie ».

Dans le domaine du stockage d’énergie stationnaire pour les réseaux électriques et de l’intégration des énergies renouvelables, Saft, qui est associé à ce projet, proposera des installations clés en main qui permettront une utilisation optimisée de l’énergie installée.

Il y a quelques semaines, des chercheurs l'Institut royal de technologie de Melbourne (RMIT), en Australie, ont présenté une nouvelle batterie à protons qui fonctionne sans lithium. Bien que cette technologie soit en concurrence avec d'autres approches qui proposent également des batteries sans lithium, elle présente l'avantage d'être respectueuse de l'environnement, recyclable facilement et peu coûteuse à produire, puisque son composant principal est le carbone. Pendant la charge, des molécules d'eau sont séparées afin de générer des protons, ou ions d'hydrogène H⁺, qui se lient à une électrode en carbone. Pendant la décharge, l'électrode libère les protons, qui passent à travers une membrane et se combinent avec l'oxygène de l'air pour créer de l'eau et produire de l'électricité. Après 5 ans de recherche, ces chercheurs sont parvenus à atteindre une densité énergétique de 245 Wh/kg, ce qui équivaut à la capacité des batteries lithium-ion actuellement sur le marché. Cette batterie à protons peut également être rechargée très rapidement. Le RMIT vient de nouer un partenariat industriel avec la société italienne Eldor Corporation et espère pouvoir commercialiser ces batteries innovantes en 2026.

Évoquons enfin l’innovation remarquable présentée récemment par Vitesco Technologies France, l’un des principaux développeurs et fabricants internationaux de technologies de pointe pour la mobilité durable, basé à Toulouse. En partenariat avec le CEA, Vitesco Technologies France a développé une technologie de gestion intelligente et prédictive de la "batterie commutée" (SWIBA) qui améliore sensiblement la durée de vie et les performances globales de la chaîne de traction des véhicules électriques en augmentant leur autonomie et en réduisant leur temps de charge rapide. Cette nouvelle technologie SWIBA permet un contrôle électronique dynamique dans le pack batterie pour optimiser la gestion de l’énergie, mais également pour réduire son coût et son impact sur l’environnement. Le concept SWIBA consiste à utiliser de manière individualisée les cellules qui composent la batterie haute tension du véhicule électrique. Pour y parvenir, les chercheurs ont connecté ces cellules à des interrupteurs de puissance qui peuvent les contrôler. Cette approche permet une gestion fine de l’utilisation des batteries, en équilibrant en temps réel la puissance de toutes les cellules composant le pack batterie.

On le voit donc, avant la fin de cette décennie, l’ensemble des ruptures technologiques que j’ai évoquées va permettre de produire à large échelle et de commercialiser une nouvelle génération de voitures électriques qui, à coût comparable, n’auront plus rien à envier aux voitures thermiques, en termes d’autonomie, de sécurité et de performances. On peut donc prédire qu’à partir de 2030, l’électrification de notre parc automobile national va considérablement s’accélérer et, avec elle, nos besoins globaux en électricité, puisqu’en dépit des efforts de sobriété et d’efficacité énergétique que devra faire notre pays, EDF prévoit une consommation électrique de 645 TWH par an en 2040, contre environ 470 TWH aujourd’hui…

Dans le cadre de ce scenario énergétique, il est donc capital que ces futures générations de batteries solides très performantes ne soient pas seulement utilisées pour propulser plus efficacement et de manière décarbonée nos voitures (le rendement énergétique moyen d’une voiture électrique est d’environ 80 %, contre seulement 40 % pour une voiture thermique), mais permette également le stockage stationnaire à grande échelle (C’est le concept de "Power-To-Grid" de l’électricité excédentaire issue de sources d’énergies renouvelables et le "lissage" du réseau électrique. Il faut donc bien comprendre que, demain, ces futures batteries seront polyvalentes et multiusages et serviront à la fois de sources d’énergie pour la mobilité, les habitations et les bureaux. Dans ce nouveau paysage énergétique qui se dessine, la France n’a pas le droit de rater la révolution technologique, économique et industrielle qui s’annonce et doit encore accentuer son effort, dans le cadre de la politique de réindustrialisation et de relocalisation mise en œuvre par l’Etat, pour tirer pleinement tous les bénéfices de cette mutation de société sans précédent…

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

e-mail : tregouet@gmail.com

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  • dcewede

    11/10/2023

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