Edito : La ville : c'est une boîte de vitesse
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Comme le proclamait dès 1991 l'urbaniste et essayiste Paul Virilio, une ville est bien une boîte de vitesse. Une ville arabe avec sa médina, où la notion de temps est totalement étrangère à la vision moderne de la vitesse, est une ville frein. Comme le fut la Rome antique, dans notre ère moderne des villes comme Paris ou New-York sont des villes accélératrices. Haussmann avait compris avant beaucoup d'autres que le sort de la ville du futur reposerait sur la capacité d'accélérer les échanges. Les urbanistes de New-York poussèrent plus loin encore l'audace en ajoutant la troisième dimension, les échanges verticaux avec les gratte-ciel aux circulations horizontales accélérées par Haussmann. De tout passé, il faut retenir une leçon : une ville est d'autant plus riche et a donc plus d'avenir dans la terrible compétition qui monte en puissance entre les principales agglomérations du monde que celle-ci est rapide. Le temps est donc venu de définir ce qu'est une ville rapide. A l'encontre de ce que voudraient nous faire croire certains urbanistes, bien en cour actuellement, je ne pense pas que les transports en commun de surface, même les plus élaborés et les plus protégés comme le tramway, soient des facteurs accélérateurs pour la ville. Pourquoi ? Parce que, globalement, les transports en commun utilisant des sites propres comme le tramway réduisent d'autant les surfaces qui restent disponibles pour les autres moyens de déplacement tels que l'automobile. Les urbanistes à la mode et les responsables politiques qui les suivent répondront à cette remarque que cette réduction de surface réservée à l'automobile a pour but d'inciter les utilisateurs de ce moyen de transport à laisser leur voiture au garage et à utiliser le tramway. C'est là que réside l'erreur fondamentale. Toutes les expériences dans le monde mettent en évidence qu'il est très difficile de convaincre, dans nos pays modernes, plus de 30 % de la population d'une cité à utiliser les transports en commun pour ses déplacements quotidiens et, pour diverses raisons sur lesquelles je viendrai dans quelques instants, ce chiffre ne progressera pas dans un sens favorable avec les moyens actuels de transports collectifs. Cela veut dire qu'avec cynisme, les urbanistes et les politiques font le choix de ralentir les déplacements de quelque 70 % des habitants de la cité : ce n'est pas ainsi que nous rendrons plus rapides, donc plus compétitives, nos agglomérations. En cet instant, ceux qui ne lisent pas mes éditoriaux depuis plusieurs années pourraient croire que je fais partie de ces « affreux » qui défendent mordicus l'automobile. Ils se trompent. J'ai aussi la certitude que si rien n'était entrepris, et maintenant les décisions qui s'imposent deviennent urgentes, inexorablement, la ville irait vers l'asphyxie dans les deux décennies qui viennent. Ce qui est nécessaire, c'est de trouver les moyens d'accélérer les déplacements, non pas de 30% de la population d'une agglomération mais de l'ensemble des résidents ou des visiteurs qui veulent s'y déplacer. Avant de reprendre des solutions que j'ai déjà suggérées dans mes éditoriaux des lettres n° 63 du 18/09/1999 et le n° 80 du 15/01/2000 (http://www.tregouet.org/lettre/index.html)
je pense qu'il est nécessaire de rappeler les diverses obligations que devront respecter les systèmes globaux de déplacement dans les grandes cités de demain. Bien que gérés par la collectivité, les transports publics ou privés devront respecter les exigences de liberté, de sécurité, de convivialité, d'efficacité mais aussi de respect de la nature et de la vie que désirent imposer nos concitoyens. La collectivité ne répond pas à ces exigences avec les moyens actuellement mis en oeuvre.
-# La liberté veut dire que chacun veut avoir la possibilité de partir d'un point précis pour se rendre à un autre point précis, dans un temps garanti et ce, au moment où il le désire, en transportant avec lui les objets qu'il veut (ne serait-ce que les courses hebdomadaires...)
-# La sécurité des personnes ne peut pas être garantie avec les moyens massifs actuels des transports en commun. Ecoutons les doléances des femmes ou des personnes âgées qui, à partir d'une certaine heure, ne veulent plus utiliser les transports en commun, pour en être convaincu.
-# La convivialité est aussi un élément déterminant pour le choix d'un mode de déplacement. Or, il suffit de prendre un métro ou un tramway à 7 heures du matin et de voir les visages fermés sinon tristes des usagers pour comprendre que l'utilitaire est là bien loin du plaisir.
-# L'efficacité, qui est un mot souvent très peu usité dans les déplacements urbains, est pourtant un facteur déterminant dans le choix du mode de déplacement. En effet, nous n'avons pas assez conscience que les Français passent quelque 20 milliards d'heures par an en temps de déplacements divers. Je crois, sans exagération, que la plupart des personnes qui se déplacent en ville, soit avec leur voiture souvent retenue dans des embouteillages monstres, soit dans les transports en commun, jugent ce temps de déplacement urbain comme du temps « perdu ». Même si le téléphone portable a su donner une certaine valeur à ce temps perdu, ces temps de déplacements stériles usent de plus en plus l'image moderniste que veut donner d'elle-même la ville.
A toutes ces exigences personnelles s'ajoute une demande collective : les déplacements dans nos grandes agglomérations devront de plus en plus respecter la nature mais aussi la vie. Il n'est plus possible que nous continuions longtemps encore à polluer par nos déplacements la grande cité : l'air pur, la lumière solaire sans filtre, les espaces verts et le silence doivent pouvoir reconquérir l'environnement de chaque citadin. Par ailleurs, l'automobile provoque par accidents plusieurs milliers de morts par an dans l'ensemble de villes de France : cela aussi ne peut plus continuer. Enfin, les déplacements urbains tels que nous les subissons actuellement coûtent non seulement beaucoup en temps, ce qui a donc des conséquences financières directes, mais ont des coûts d'usage réels (en prenant en considération la part prise en charge par la collectivité) qui sont trop élevés, aussi bien pour les transports en commun que pour l'automobile. En reprenant ces divers points d'un cahier des charges particulièrement exigeant, nous pourrions penser, a priori, que nous ne trouverons pas de réponse à une problématique aussi complexe. A mon avis, il en existe pourtant une et je porte l'intime conviction qu'elle s'imposera dans les deux décennies qui viennent. Tous les grands constructeurs mondiaux d'automobiles, avec de nombreuses années de décalage avec l'aviation, sont en train d'industrialiser des véhicules dont toutes les commandes seront électriques. Ceci veut dire qu'avant dix ans, il n'y aura plus aucun lien mécanique entre le conducteur et sa voiture, que ce soit au niveau de l'accélérateur, des freins, de l'embrayage et même de la direction. Dans un premier temps, ces commandes électriques avec leur environnement informatique ne joueront qu'un rôle d'aide au pilotage pour compenser ou corriger tous les actes « déraisonnables » de pilotage du conducteur. Dans un second temps, à un horizon que nous pouvons situer à une quinzaine d'années, quand le positionnement lié aux suivis satellitaires et radioterrestres sera devenu suffisamment précis (moins de 10 cm d'erreur) et que le véhicule sera mû par l'électricité, elle-même fournie par de l'hydrogène qui, en se mélangeant à l'oxygène de l'air, ne rejettera plus que de l'eau au lieu du sinistre CO² actuel, le pilotage de l'automobile pourra devenir totalement automatique comme l'est déjà depuis longtemps le pilotage d'un avion. A partir de ce moment, tous les pays les plus développés du monde auront intérêt à favoriser la gestion par la collectivité de ces flottes de cybercars automatiques qui sillonneront les villes. Dans leur structure, il n'y aura plus de différence entre le véhicule de transport public et le véhicule de transport privé. La seule différence : dans le premier cas, le véhicule sera la propriété de la collectivité, dans le second il sera acquis par une personne privée ou une entreprise. Ces véhicules gérés par les automates de la collectivité occuperont au mieux le territoire public, ne connaîtront plus les embouteillages, assureront les parcours demandés dans des temps garantis dès le départ, ne provoqueront plus d'accidents et répondront aux exigences de liberté, de sécurité, de convivialité, d'efficacité mais aussi de respect de la nature et de la vie que veulent imposer les habitants des grandes agglomérations. Pour la liberté, quel que soit l'endroit où vous vous trouverez dans l'aire gérée par les robots de la collectivité, il vous suffira, puisque des liens très forts vont se tisser entre le monde des télécommunications et celui de l'automobile, d'appuyer sur un bouton spécifique qui se trouvera alors sur votre téléphone portable pour qu'immédiatement vous soyez positionné au mètre près par le système de localisation et que vous entendiez dans votre téléphone l'heure exacte à laquelle un cybercar public ou votre cybercar personnel viendra vous prendre. En montant dedans, il suffira de dire à haute voix votre nom, votre numéro de code et l'adresse à laquelle vous voulez vous rendre pour que le véhicule démarre et que le système vous annonce immédiatement l'heure précise à laquelle vous arriverez à destination. Pour la sécurité, les cybercars publics (comme les cybercars privés), étant des véhicules de quatre ou six places maximum, il vous suffira de préciser, en appuyant sur une touche supplémentaire de votre portable, lors de votre appel, que vous désirez être seul dans le véhicule qui vous transportera pour que ce soit un cybercar vide qui vienne vous prendre en charge. La seule différence est que la facture mensuelle que vous recevrez alors comme vos notes de téléphone et qui vous sera adressée par la collectivité sera légèrement plus élevée. Je dis bien « légèrement » car la collectivité gérant alors 100 % des déplacements en milieu urbain au lieu des 20 ou 30 % actuels, les coûts par personne prise en charge devraient nettement baisser. Pour la convivialité, la différence sera énorme. En effet, les habitants des grandes cités pourront faire leur déplacement en famille ou entre amis dans de petits modules au lieu de grandes caisses actuelles où sont entassées à certaines heures plusieurs centaines de personnes qui ne se connaissent pas, qui souvent s'ignorent et qui, en arrivent même parfois à se disputer pour des sujets qui paraîtraient tout à fait véniels dans un environnement moins stressant. Mais c'est au niveau de l'efficacité que le bond sera le plus extraordinaire. En effet, pour les personnes qui le voudront, il n'y aura plus de temps perdu. Le cybercar du futur sera une véritable forteresse de communication. Elle sera puissamment reliée en large débit au réseau mondial de télécommunication et à Internet. Je suis convaincu, par ailleurs, que c'est dans ce mariage entre l'automobile et la télécommunication qu'il faut rechercher la « Killer application » de la future génération des portables à haut débit actuellement appelée UMTS. Le cybercar se transformera donc en bureau, en lieu de consultation de ses mails, en lieu de navigation sur Internet, en outil de développement du commerce électronique. Les agglomérations qui, les premières, feront le choix de généraliser ces nouveaux systèmes globaux de déplacement, seront celles qui auront le plus d'avenir car elles seront les villes accélératrices qui permettront de gagner du temps tout en améliorant la qualité de la vie de ses habitants. Il faut que les responsables politiques des principales agglomérations françaises comprennent, sans retard, toute l'importance du choix qu'ils ont à faire car l'avenir de nos enfants sera étroitement lié à la capacité de nos grandes villes de générer dans des temps très brefs un maximum d'échanges pour produire des richesses qui leur seront nécessaires pour gagner la bataille du futur.
René TRÉGOUËT
Sénateur du Rhône
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