Edito : La vie vient-elle de l’Espace ?
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L’événement est passé quelque peu inaperçu dans les médias mais il est pourtant considérable du point de vue scientifique : pour la première fois, des chercheurs viennent de montrer que le ribose, un sucre à la base du matériel génétique des organismes vivants, a pu se former dans les glaces des comètes. Pour parvenir à ce résultat, des scientifiques de l'Institut de chimie de Nice (CNRS/Université Nice Sophia Antipolis) ont analysé très précisément une comète artificielle créée par leurs collègues de l'Institut d'astrophysique spatiale (CNRS/Université Paris-Sud). Ces scientifiques nous proposent un scénario cohérent et réaliste de formation de cet élément essentiel pour l'apparition de la vie, qui n'avait encore jamais été détecté dans des météorites ou dans des glaces cométaires (Voir Science).
Tous les organismes vivants sur Terre, y compris les virus, ont un patrimoine génétique fait d'acides nucléiques - ADN ou ARN. La plupart des scientifiques considèrent que l'ARN aurait été l'une des premières molécules caractéristiques de la vie à apparaître sur Terre mais la question fondamentale de l'origine et de la genèse de ces molécules biologiques reste entière. Pour y apporter une réponse convaincante, un nombre croissant de scientifiques acceptent à présent l'hypothèse selon laquelle la Terre aurait été "ensemencée" par des comètes ou astéroïdes contenant les briques de base nécessaires à l'émergence du vivant.
Il est vrai qu'au cours de ces dernières années, cette thèse s'est trouvée renforcée par la découverte de plusieurs acides aminés (constituants des protéines) et bases azotées (l'un des constituants des acides nucléiques) dans des météorites, ainsi que dans des comètes artificielles, reproduites en laboratoire. On se souvient qu’en 1953, des scientifiques américains, Stanley Miller et Harold Urey, avaient bouleversé notre conception de la genèse de la vie en réussissant à reproduire dans leur laboratoire de Chicago la formation de matière organique à partir d'une "soupe primitive" composée de vapeur d'eau, d'hydrogène, d'ammoniac et de méthane, en la soumettant à des décharges électriques reproduisant les violents orages qui frappaient de manière incessante la surface de notre Terre à cette époque.
Au cours de ces expériences historiques, Miller et Urey avaient pu obtenir de nombreuses substances chimiques telles que des acides aminés. Depuis ces expériences historiques, d'autres essais réalisés à travers le monde par de nombreuses équipes scientifiques ont permis d'obtenir, en modifiant la composition de cette "soupe", des bases azotées de l'ADN et de l'ARN (adénine et guanine), de l’acide cyanhydrique et des aldéhydes. Toutes ces expériences ont eu des conséquences scientifiques majeures en démontrant que des molécules organiques pouvaient bien être produites à partir d’un milieu naturel.
Mais le ribose, l'autre constituant-clé de l'ARN, n'avait encore jamais été détecté dans du matériel extraterrestre, ni produit en laboratoire dans des conditions "astrophysiques". En simulant l'évolution de la glace interstellaire composant les comètes, des équipes de recherche françaises ont réussi à former du ribose - étape importante pour comprendre l'origine de l'ARN et donc les origines de la vie.
Dans un premier temps, une "comète artificielle" a été produite à l'Institut d'astrophysique spatiale : en plaçant dans une chambre à vide et à -200°C un mélange représentatif d'eau (H2O), de méthanol (CH3OH) et d'ammoniac (NH3), les astrophysiciens ont simulé la formation de grains de poussières enrobés de glaces, la matière première des comètes. Ce matériau a été irradié par des UV - comme cela est le cas dans le milieu interstellaire où naissent les comètes. Cet échantillon a ensuite été porté à température ambiante - pour reproduire la situation des comètes qui se rapprochent du Soleil. Sa composition a ensuite été analysée à l'Institut de chimie de Nice en recourant à un outil technologique d'une extrême sensibilité, la chromatographie multidimensionnelle en phase gazeuse, couplée à la spectrométrie de masse. Grâce à cette technologie de pointe, les chercheurs ont pu identifier vingt-six acides aminés dans la comète artificielle, parmi lesquels pour la première fois six acides diaminés, dont la N-(2-Aminoethyl) glycine. La découverte de ce dernier acide aminé a été saluée par la communauté scientifique car celui-ci est probablement l’un des composants de l’acide peptidique nucléique (APN), considéré comme l'ancêtre de l'ADN terrestre.
Plusieurs sucres ont été également détectés, parmi lesquels le ribose. Leur diversité et leurs abondances relatives suggèrent qu'ils ont été formés à partir de formaldéhyde (une molécule présente dans l'espace et sur les comètes, qui se forme en grande quantité à partir de méthanol et d'eau). En attendant de confirmer l'existence de ribose dans de vraies comètes, cette découverte est essentielle car elle comble un « chaînon manquant » très important dans la liste des "briques moléculaires" de la vie qui peuvent se former dans la glace interstellaire. Elle renforce de manière décisive la théorie selon laquelle les comètes comme source de molécules organiques ont rendu la vie possible sur Terre... et peut-être ailleurs dans l'Univers.
En mars 2012, la même équipe de recherche, comprenant les groupes d'Uwe Meierhenrich et de Cornelia Meinert de l'Institut de chimie de Nice (Université Nice Sophia Antipolis/CNRS), et de Louis Le Sergeant d'Hendecourt de l'Institut d'astrophysique spatiale (CNRS/Université Paris-Sud) avait déjà pu montrer la présence de briques moléculaires de la vie primitive dans l’espace (Voir CNRS).
L’ensemble de ces découvertes récentes confirme donc pleinement que les premières structures moléculaires de la vie ont pu se former dans l’Espace, avant de venir ensemencer notre toute jeune Terre en y étant transportées par les innombrables météorites de comètes qui se sont écrasées sur notre planète. Ce scenario cohérent qui se dessine a notamment été récemment conforté par la mission Rosetta et le robot Philae de l’Agence spatiale européenne (ESA), qui ont détecté plusieurs des composés organiques complexes nécessaires à la vie sur une comète, 67P Tchourioumov-Guerrasimenko. Malheureusement, cette mission n’était pas dotée des outils nécessaires pour détecter la présence de ribose et cette recherche « in situ » va être l’objet de deux missions en cours : Hayabusa-2 et l’atterrisseur Mascot – menée conjointement par la Jaxa, l’Agence spatiale japonaise, et l’ESA – et OSIRIS-REx de la NASA. Ces deux missions ont pour cible des astéroïdes choisis précisément parce qu’ils se sont formés dans les mêmes conditions que la Terre et qu’ils pourraient par conséquent avoir été propices à la formation de ces fameux riboses.
Il y a quatre ans, en analysant un fragment de Sutter's Mill, une météorite tombée en Californie le 22 avril 2012, des biochimistes américains avaient déjà découvert l'existence de molécules organiques complexes - les polyethers - qui n'avaient jusqu'ici jamais été découvertes dans une météorite. Cette découverte avait apporté la preuve qu’il existait déjà une grande variété de molécules complexes lorsque la vie est apparue sur Terre, il y environ 3,8 milliards d’années (Voir PNAS).
Il faut également rappeler qu’en octobre 2015, une autre équipe internationale avait détecté pour la première fois de l’alcool et du sucre sur la comète C/2014 Q2 Lovejoy, qui est passée au plus près de la Terre en janvier 2015. Le sucre en question est le glycolaldéhyde (CH2OHCHO), le plus simple des sucres. Quant à l’alcool identifié, il s’agit d’alcool éthylique (C2H5OH), plus connu sous le nom d'éthanol, que l’on retrouve dans les boissons alcoolisés.
Reste à comprendre pourquoi notre planète, qui s’est formée il y a plus de 4,5 milliards d’années, n’abriterait pas ce ribose depuis ses origines ? Très probablement, selon la majorité des scientifiques, parce que la Terre, au cours de sa prime jeunesse, a subi un bombardement massif qui a détruit toutes ces molécules fragiles. C’est donc un « ensemencement » plus tardif qui aurait pu déclencher l’apparition de la vie au cours d’une période de relative accalmie cosmique.
Depuis une vingtaine d’années, toute une série de découvertes et d’observations sont venues par ailleurs bouleverser la vision que les scientifiques se faisaient de la vie, comme phénomène très improbable, fragile et peu compatible avec des environnements extrêmes comme l’espace. En 2001, un ballon sonde de l’université de Cardiff stationnant à 41 kilomètres d’altitude, donc dans la stratosphère, avait permis de montrer la présence dans l’espace de plusieurs types de bactéries, parmi lesquelles Bacillus simplex et Staphylococcus pasteuri. Ces recherches avaient évidemment donné un sérieux crédit à la théorie déjà ancienne de la « panspermie », selon laquelle la matière présente dans la stratosphère pourrait en partie provenir d’apports extraterrestres.
En 2002, des chercheurs allemands ont embarqué à bord du satellite russe FOTON des bactéries de type Bacillus subtilis et ont pu tester leur résistance dans différents milieux. Si les bactéries restées sans aucune protection dans l’espace sont toutes mortes, celles qui ont été mélangées avec de la poudre d’argile, de roche ou de météorite ont beaucoup mieux survécu.
En 2009, l’équipe de Cardiff qui avait réalisé l’expérience du ballon-sonde a procédé à une nouvelle expérience. Un ballon de 756.000 mètres cubes a emporté seize tubes de prélèvements plongés dans du néon liquide. Exposées à l’air, ces éprouvettes ont recueilli des échantillons d’air entre 20 et 41 kilomètres d’altitude, avant d’être récupérées par parachute. L’analyse du contenu de ces tubes a montré la présence de douze types de bactéries. Fait remarquable, trois des bactéries ne correspondent à aucune espèce connue et se caractérisent par une grande résistance aux ultraviolets.
En 2010, une autre équipe internationale avait montré que des cyanobactéries prélevées dans les falaises d’un village anglais, Beer, avaient survécu 553 jours dans l'espace, à l'extérieur de la Station spatiale internationale. Ces chercheurs ont voulu vérifier si les bactéries pouvaient résister aux conditions hostiles qui sont celles de l'espace. Ils ont pu constater que ces bactéries parvenaient à survivre pendant de longues périodes à des changements extrêmes de température et à des rayonnements cosmiques et ultraviolets de forte intensité.
En août 2014, en analysant des échantillons prélevés sur les parois externes de la Station spatiale internationale (ISS), située à 350 km d’altitude, des chercheurs russes ont eu la surprise, à l’occasion du nettoyage de certains hublots de la station, de découvrir du plancton marin sur les parois extérieures de cette installation spatiale. Pour le moment, personne ne sait comment du plancton marin a pu arriver jusqu’à la station spatiale mais l’hypothèse la plus probable, selon les chercheurs, est que les micro-organismes ont été apportés par des courants d’air ascendants qui balayent la surface de la station. Le plancton aurait alors parcouru grâce à ces flux d’airs une distance de 420 kilomètres avant de s’implanter sur les parois de l’ISS. Il se serait ensuite développé malgré les conditions extrêmes de l’espace, le manque d’oxygène, les basses températures et les rayonnements cosmiques. Cette possibilité est tout à fait crédible dans la mesure où de précédentes études ont déjà démontré que certains organismes étaient capables de survivre dans l'environnement spatial.
Sur Terre également, les chercheurs ont découvert que des formes de vie de type bactérien, baptisées archées, parviennent à vivre sans problèmes dans des conditions extrêmes, qu’il s’agisse de sources d’eau bouillante ou acide. Certaines de ces bactéries sont capables de se développer au fond des océans, en l'absence de toute source lumineuse. En 2003, des chercheurs de l'Ifremer de Brest (France) ont découvert des archées dans une couche de sédiments datant de 111 millions d'années. Ces fascinantes bactéries parviennent à vivre sans oxygène et sans lumière à une température d'environ 100°C à plus de 6100 mètres en-dessous de la surface de la mer. En 2008, d’autres archées ont été identifiées dans les glace de l'Antarctique, à plus de trois kilomètres de profondeur… Encore plus sophistiquées que les archées, d’autres bactéries, de la famille du groupe étrange des Loricifères formées de plusieurs cellules ont été trouvées en 2010 en Méditerranée par le professeur Roberto Danovaro. Elles sont capables de s’adapter et de se développer dans un environnement riche en sulfures dont elles savent parfaitement tirer toute l’énergie dont elles ont besoin ! On voit donc que, contrairement à que l’on pensait il y a encore quelques décennies, la vie sur Terre est absolument partout, des grands fonds océaniques à la haute atmosphère et montre une capacité d’adaptation extraordinaire aux conditions extrêmes et aux environnements les plus hostiles.
Dans notre système solaire, il n’est pas non plus exclu que la vie existe sous des formes rudimentaires ailleurs que sur Terre. Aujourd’hui, outre la planète Mars sur laquelle des traces de vie sont activement recherchées par les différentes missions d’exploration qui se succèdent, trois autres planètes de notre système solaire pourraient abriter la vie : Encelade, une lune de Saturne et surtout Europe et Ganymède, deux lunes de Jupiter. Ces trois lunes fascinantes recèlent en effet des quantités d’eau sous forme liquide tout à fait considérables mais également des sources de chaleur internes dues à leur activité tellurique, deux conditions indispensables, à défaut d’être suffisantes, à l’éclosion de la vie.
Enfin, si l’on considère notre galaxie et ses 150 milliards d’étoiles, il est également tout à fait possible, sinon probable, que la vie y soit apparue en plusieurs endroits. En 2013, des astronomes américains des universités de Californie et d’Hawaï avaient estimé à environ 9 milliards le nombre de planètes potentiellement habitables dans notre galaxie, sur la base de l'analyse des données recueillies durant quatre années par le télescope spatial Kepler. Mais de nouveaux calculs effectués en 2015 par des chercheurs de l'Australian National University (ANU) et s’appuyant sur la loi de prédiction orbitale de « Titus-Bode » estiment désormais que les planètes "habitables" de notre galaxie pourrait désormais se compter en centaines de milliards (Voir Cornell University Library).
S’il existe un si grand nombre de planètes habitables dans notre Voie Lactée et que la vie peut être véhiculée dans l’espace par les météorites et les comètes, comme semble le montrer ces récentes découvertes, on doit alors en conclure que la vie, loin d’être un phénomène unique qui ne se serait produit que sur notre Terre, est peut-être beaucoup plus répandue dans l’Univers qu’on ne l’imagine et qu’elle est même assez banale à l’échelle cosmique…
Longtemps conçus et présentés par la science comme incompatibles et étrangers l’un à l’autre, la vie et l’espace, la biologie et la physique, l’inerte et l’animé semblent bien en fin de compte intimement et étrangement liés depuis la formation de notre galaxie, aux tous premiers âges de l’Univers.
Dans ce nouveau et troublant paysage cosmique qui se révèle, il est toujours possible de croire, comme Démocrite et plus près de nous, comme Jacques Monod, que « tout ce qui existe dans l’Univers est le fruit du hasard et de la nécessité » mais on peut aussi être troublé par le fait qu’il aurait suffi, on le sait à présent, d’une infime modification des lois extraordinairement précises qui régissent la nature et l’Univers pour que la vie et la conscience ne puissent pas émerger.
Gageons que la découverte de la vie ailleurs que sur notre Terre, perspective à présent considérée comme probable par un nombre croissant de scientifiques, relancera ce débat aussi vieux que la science et que la raison…
René TRÉGOUËT
Sénateur honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat
ERRATUM : Dans mon dernier édito intitulé "La physique va révolutionner le traitement du cancer", j'avais par erreur attribué à Pierre Levy la création de Nanobiotix. Naturellement, c'est de Laurent Levy dont je voulais parler. Je lui demande de m'excuser pour cette erreur. Je présente la même demande à tous les lecteurs de RT Flash et les invitent à se rendre sur le site www.nanobiotix.com. Vous y constaterez combien cette start-up donne une image dynamique de la Recherche française.
René TRÉGOUËT
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- Publié dans : Vivant Santé, Médecine et Sciences du Vivant
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