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Edito : Vers un vaccin universel contre le cancer ?
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En dépit des progrès considérables enregistrés dans la lutte contre le cancer, cette maladie multiforme et complexe reste la deuxième cause de mortalité dans le monde (derrière les maladies cardio-vasculaires), avec 8,5 millions de décès en 2016, soit environ 15 % de l’ensemble des décès au niveau mondial. En France, on guérit à présent plus d’un cancer sur deux et l’augmentation du nombre de décès par cancer est heureusement nettement inférieure à celle que laissaient prévoir l’augmentation et le vieillissement de la population française. En fait, depuis 25 ans, le risque de mortalité par cancer dans notre pays a régressé de 24 % et l’on observe une diminution régulière du taux standardisé de mortalité par cancer de 1,1 % par an chez l’homme et - 0,9 % chez la femme depuis 1980.
On le sait, le traitement du cancer a reposé pendant plus d’un siècle sur trois outils thérapeutiques complémentaires, la chirurgie, la chimiothérapie et la radiothérapie. Mais plus récemment, une quatrième arme particulièrement prometteuse est venue compléter cette panoplie : l’immunothérapie. Depuis une vingtaine d’années, de multiples recherches dans le monde explorent cette approche qui peut s’avérer très efficace mais elle est très complexe à mettre en œuvre car elle suppose une connaissance très fine des nombreux et subtils mécanismes qui régissent notre système immunitaire, c’est-à-dire nos défenses naturelles.
L’idée de base qui inspire ces recherches est assez simple : chacun possède dans son organisme les moyens naturels de combattre ou de freiner l’avancée du cancer mais, pour de multiples raison qui commencent enfin à être élucidées, ces défenses peuvent s’affaiblir et perdre leur capacité de résistance face à cette maladie très inventive. Elles peuvent également être très habilement leurrées par les cellules malignes qui finissent par se multiplier et se propager dans tout l’organisme, entraînant la mort des malades.
Mais ce qu’ont découvert les scientifiques au cours de ces dernières décennies, c’est que ces défenses naturelles peuvent être non seulement restaurées mais renforcées et orientées de manière à repérer et à détruire ces cellules cancéreuses qui tentent de déborder notre système immunitaire. C’est ainsi qu’au cours de ces dernières années et de ces derniers mois, plusieurs essais cliniques de vaccins thérapeutiques contre différentes formes de cancer ont donné des résultats souvent encourageants et parfois inespérés.
En juin dernier, des scientifiques allemands ont dévoilé une avancée prometteuse dans la revue Nature. Après 20 ans de recherche, ils ont réussi à développer une méthode visant à stimuler le système immunitaire pour qu'il s'attaque à n'importe quelle forme de tumeur (Voir Nature).
La méthode utilise des nanoparticules contenant de petits fragments d'ARN, une forme de code génétique, issus des cellules cancéreuses. Après avoir été modifiées, ces nanoparticules ont été injectées chez le patient afin d'interagir avec des cellules immunitaires spécialisées, les cellules dendritiques contenues dans la rate, les ganglions lymphatiques et la moelle osseuse. Les cellules vont alors reconnaître les fragments d'ARN comme des antigènes, c’est-à-dire des molécules étrangères dans l'organisme. Elles vont ensuite mobiliser vigoureusement le système immunitaire contre toutes les cellules présentant ces molécules, autrement dit contre les tumeurs. Cette technique a deux avantages majeurs : d’une part, elle permet de rendre à nouveau toutes les cellules cancéreuses immédiatement reconnaissables par le système immunitaire (alors que ces cellules malignes sont justement capables d’échapper à cette reconnaissance par nos défenses naturelles). D’autre part, elle peut, en théorie, fonctionner avec n'importe quelle forme de cancer. « Ces vaccins sont rapides et efficaces à produire et virtuellement, n'importe quel antigène de tumeur peut être encodé par de l'ARN », a expliqué le Professeur Ugur Sahin, principal auteur de l'étude de l'Université Johannes Gutenberg.
Des essais ont été menés sur des souris atteintes de différents cancers. Selon les scientifiques, l'injection du vaccin aurait déclenché une forte réponse immunitaire, permettant à l'organisme des souris de combattre les tumeurs agressives. À la suite de ces résultats, un essai clinique de phase I a été lancé sur trois patients souffrant de mélanome et ces malades ont bien déclenché une réponse immunitaire puissante.
Si ces résultats semblent prometteurs, les spécialistes restent néanmoins prudents. Comme le souligne Aine McCarthy du Centre britannique de recherche sur le cancer, « En dépit de ses résultats étonnants, ce vaccin n'a été testé que sur trois patients et des essais cliniques plus importants sont nécessaires pour confirmer que cela fonctionne et que c'est sans danger, tandis que d'autres recherches devront démontrer que ce type de vaccin peut être utilisé pour traiter d'autres types de cancer ».
Ces vaccins thérapeutiques anticancer font à présent l'objet d'intenses recherches de par le monde. A l'Université de Pittsburgh, aux États-Unis, l'immunologiste Olivera Finn teste actuellement son vaccin contre le cancer du côlon chez l’homme, après avoir obtenu de très bons résultats chez la souris. Si ce vaccin tient ses promesses, il pourrait être disponible en 2020.
Toujours aux Etats-Unis, début 2016, des chercheurs de l’Université du Connecticut ont réussi à rendre des souris résistantes au cancer de la peau après leur avoir inoculé des vaccins à base d’épitopes de cancer, c’est-à-dire de molécules antigéniques susceptibles d’être reconnues par le système immunitaire et de mobiliser ce dernier contre les cellules malignes. Là aussi, cette technique peut en théorie être appliquée à d’autres types de cancer et ces scientifiques vont prochainement entreprendre un essai clinique chez des femmes atteintes de cancer de l'ovaire.
En 2013, une autre équipe américaine de l'Université de Saint-Louis aux Etats-Unis a conçu trois vaccins, personnalisés pour trois patients atteints de mélanome agressifs (cancer de la peau). Le but de ce vaccin thérapeutique est de stimuler le système immunitaire du malade, pour le forcer à détruire uniquement les cellules cancéreuses. Pour mettre au point ces vaccins "sur mesure", les chercheurs ont analysé les tumeurs de trois patients, "souffrant de mélanomes à un stade avancé, avec un risque élevé de récidive après intervention chirurgicale", précise l'étude. L'ADN des cellules cancéreuses a été séquencé, ce qui a permis d’identifier les mutations responsables de chaque cancer. Les chercheurs ont ensuite sélectionné trois de ces antigènes qui provoquent une réaction puissante du système immunitaire.
Après trois injections du vaccin, tous les patients étaient en rémission, sans effets secondaires importants, selon les conclusions de l'essai clinique publiées en 2015 dans la revue Science. Autre observation encourageante : la puissance de la réponse immunitaire. Ce vaccin a en effet non seulement combattu efficacement les tumeurs cancéreuses mais il a en outre augmenté et diversifié le nombre de lymphocytes T dans l'organisme, des cellules essentielles du système immunitaire. Un second essai clinique est actuellement en cours sur 6 nouveaux patients. Pour les chercheurs, cette technique pourrait s'élargir à d'autres cancers qui présentent des taux élevés de mutations, comme le cancer du poumon ou de la vessie.
En Grande Bretagne, des chercheurs de l'Institut national de recherche biomédicale de Guy et St Thomas (Londres) ont commencé en mars dernier un essai clinique de deux ans sur trente patients, d'un vaccin anticancéreux qui fonctionne en stimulant les réponses immunitaires naturelles produites par l'organisme contre les infections bactériennes et virales. "La particularité de cette étude est l'utilisation d'agents supplémentaires pour stimuler la réponse de la vaccination. On espère que cela va abolir l'effet inhibiteur des cellules immunitaires présentes chez les patients, pour lesquels les traitements n'ont pas fonctionné" explique le Docteur James Spicer, chercheur principal au Centre de recherche biomédicale de Guy et St Thomas.
"Nous savons que le système immunitaire chez les patients atteints de cancer avancé est supprimé, il est donc incapable de reconnaître et de tuer les cellules cancéreuses. Dans cet essai, nous étudions une forme d'immunothérapie conçue pour activer le système immunitaire de l'organisme par l'administration d'un vaccin à base de fragments d'une protéine de cancer " précise le professeur Hardev Pandha, co-auteur de l'étude.
En France, des chercheurs et médecins du CHRU de Besançon travaillent depuis 2008 sur un vaccin thérapeutique à vocation universelle, l’UCP-VAX, qui est expérimenté pour trois ans depuis juin 2015 sur 54 patients souffrant du cancer du poumon dans les hôpitaux de Besançon, Dijon, Strasbourg et Paris. À terme, et en fonction des résultats obtenus, ce vaccin pourrait être testé sur d’autres types de cancers.
Ce vaccin français injecte un antigène présent sur la tumeur, ce qui a pour effet de renforcer de manière puissante le système immunitaire du malade, autrement dit ses défenses naturelles contre cette tumeur. S’agissant de l’UCP-VAX, l’antigène choisi et ciblé est la télomérase, une enzyme impliquée dans tous les types de cancers. Précisons cependant que ce vaccin n’a pas pour vocation de prévenir le cancer. Plus modestement, il vise, en association avec les outils thérapeutiques classiques (chirurgie, chimiothérapie et radiothérapie) à réduire très sensiblement les risques de récidives pour le malade et à empêcher ainsi le retour, toujours redouté, de la maladie.
Enfin, soulignons que depuis mai dernier, Invectys, la biotech basée à Paris et spécialisée dans le développement d’immunothérapies innovantes contre le cancer, a débuté les essais cliniques de son vaccin thérapeutique anticancéreux, INVAC-1, actuellement en fin de Phase I. Ces essais vont d'abord concerner des patients atteints de cancers à un stade avancé et se déroule dans deux centres d’investigations cliniques de l’AP-HP. Les deux premières cohortes de patients, correspondant au deux premiers paliers de dose, ont été réalisées avec succès et INVAC-1 a déjà montré un bon profil de sécurité et de tolérance aux doses administrées.
Le vaccin testé par Invectis est un vaccin thérapeutique qui cible une enzyme nommée “télomérase”, produite par toutes les cellules cancéreuses quel que soit le type de tumeur (solide ou liquide). Cette télomérase est une cible de choix car elle joue un rôle-clé dans la réplication des cellules anormales qui restent éternellement jeunes. Les premiers essais chez l’animal ont d’abord montré l’absence de toxicité, d’effets secondaires et une efficacité antitumorale du vaccin. Ensuite, l’étude de phase I chez l’homme a débuté il y a un an sur 18 patients, tous atteints de différents cancers métastasés (sein, prostate, côlon), en échec du traitement conventionnel. Chez la moitié des patients, on a observé une stabilisation de la maladie sans aucun effet secondaire.
C'est dans ce contexte d'effervescence scientifique que l'Institut Curie a ouvert, il y a quelques semaines, le premier Centre d’immunothérapie des cancers en France, qui est dirigé par l’immunologiste Sebastian Amigorena, auparavant directeur de l’unité Inserm/Institut Curie. Ce centre rassemble une centaine de médecins et chercheurs et travaille notamment sur une piste prometteuse : l'utilisation d'une cytokine, l'interleukine 2, pour orienter de manière spécifique le système immunitaire des malades contre certains cancers.
Il faut enfin évoquer une dernière voie de recherche très prometteuse qui associe de manière particulièrement ingénieuse radiothérapie et immunothérapie : la radio-immunothérapie. Cette technique de pointe, qui est expérimentée depuis trois ans par AREVA, en coopération avec le laboratoire Roche Pharma, repose sur l’utilisation d’atomes de plomb-212, un isotope radioactif émettant des particules alpha qui présentent la caractéristique unique d’émettre des radiations pendant seulement quelques heures sur une distance très courte.
Couplé à un anticorps monoclonal pour atteindre sa cible, le plomb-212 émettra une quantité suffisante d’énergie radioactive pour casser l’ADN du noyau cellulaire des cellules malignes, ce qui provoquera la mort des cellules malignes, sans endommager les cellules saines. Si les études en cours confirment leurs promesses, les premiers médicaments radio-immunothérapiques alpha pourraient être disponibles en 2020 pour traiter certains cancers difficiles.
Tous les scientifiques et la communauté des cancérologues sont d’accord pour voir dans ces remarquables résultats des nouvelles immunothérapies une véritable rupture thérapeutique qui est en train de bouleverser la prise en charge et le pronostic de certains cancers parmi les plus graves et les plus difficiles à traiter. Grâce à ces recherches de pointe, qui associent biologie, chimie, génétique, informatique et physique, la médecine devrait disposer dans le courant de la prochaine décennie d’une panoplie complète de vaccins thérapeutiques contre une grande variété de cancers.
Associés aux traitements conventionnels qui ne cessent eux aussi de progresser, ces vaccins anticancer devraient permettre de bloquer la formation de métastases distantes, souvent responsables de la mort des malades et de diminuer par conséquent de manière considérable le risque de récidive. Autre avantage décisif de cette montée en puissance de l’immunothérapie personnalisée en fonction du profil génétique du patient : elle permettra de proposer au malade des traitements bien mieux tolérés et de préserver sa qualité de vie, un objectif qui n’est jamais secondaire et doit toujours rester au cœur de la démarche médicale.
René TRÉGOUËT
Sénateur honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat
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- Publié dans : Biologie & Biochimie
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