Edito : Vers l'économie immatérielle
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Nous vivons aujourd'hui une mutation techno-économique d'une ampleur comparable à celle de la première révolution industrielle de la fin du XVIIIème siècle, ou de la Renaissance, à la fin du XVème siècle. Au niveau mondial, le secteur des nouvelles technologies de l'information représente environ 2000 milliards de dollars, soit 6% du produit mondial. Les industries des technologies de l'information ont engendré 5 % du PIB français en 1997, soit davantage que l'industrie automobile et l'énergie réunies, selon une étude publiée par l'Insee. Les entreprises spécialisées dans l'informatique, les télécommunications, l'électronique et la communication ont réalisé cette année-là un chiffre d'affaires de 828 milliards de francs (406 milliards pour les entreprises industrielles et 422 pour les sociétés de services), en hausse de 7 % par rapport à l'année précédente. En 1998, les TIC ont représenté 15% de la croissance en France, contre seulement 9% en 1997. Mais aux USA, on estime que les nouvelles technologies représentent déjà un tiers de la croissance économique. Les opportunités de réussite dans ce nouvel environnement économique sont quasi illimitées. Les marchés prennent une dimension mondiale, le savoir remplace le travail et le capital comme principal levier de création de valeur, les réseaux intelligents et les espaces virtuels relèguent au second plan les moteurs à combustion et les déplacements en avion. Andersen Consulting qualifie ce nouvel ordre économique "d'économie électronique", ou e-économie. Dans cette nouvelle économie, l'entreprise devient un réseau virtuel de compétences ayant la capacité d'échanger de la valeur - argent, biens, services, informations - par voie électronique. Ainsi, une petite librairie de quartier pourra s'équiper d'un ordinateur et d'un modem pour recevoir les commandes de ses clients fidèles par e-mail. Dans cette nouvelle économie informationnelle, la localisation géographique, les actifs corporels, et le nombre d'employés cessent d'être des critères incontournables de compétitivité. Certains économistes comme Michael Goldhaber, professeur à l'Université de Berkley, vont encore plus loin et considèrent que les lois économiques auxquelles nous nous référons depuis deux siècles sont devenues obsolètes et ne permettent pas de comprendre l'émergence et le fonctionnement de cette économie immatérielle. "Les lois de l'économie sont vraies durant une période donnée, et dans un espace déterminé" souligne Goldhaber qui établit un parallèle avec l'Europe du 15ème siècle, et la transition de l'économie féodale vers l'économie moderne. "Les caractéristiques de l'économie féodale, note Michael Goldhaber, diffèrent de manière notable du paysage de l'ère industrielle, avec ses grandes villes, ses usines fumantes et ses rails, ses canaux, ou ses autoroutes". La transition vers le Cyberspace accomplirait une révolution du même type, changeant l'économie, en bouleversant les interactions entre tous les habitants de la planète. Pour Goldhaber, nous sommes entrés dans une "économie de l'attention". On pense que la "Nouvelle Economie" est basée uniquement sur l'information, mais cette matière première ne peut pas suffire à fonder une économie, puisque toutes les économies se sont bâties sur la rareté et que, sur Internet, on souffre plutôt d'une surabondance d'informations. Mais on oublie au passage, selon Michael Goldhaber, qu'"autre chose" fait bouger Internet : l'attention. C'est vers elle -vers l'audience- que se tournent tous les sites de la Toile. Or, l'attention est, par définition, une ressource rare. Elle est donc propre à servir de "force directrice" à une nouvelle économie que Goldhaber qualifie d'"économie de l'attention". Goldhaber rejoint ici Toffler et son concept de pouvoir "supersymbolique". La dématérialisation et la désintermédiation de l'ensemble de nos activités économiques constituent donc bien un changement de nature de l'économie elle même et nécessitent l'adoption rapide de nouveaux outils d'analyse et de prospective si nous voulons penser et préparer l'avenir de notre village planétaire.
René Trégouët
Sénateur du Rhône
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