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Edito : Vers un carburant solaire à base de CO2 !
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Publiée le 18 septembre dernier dans la très sérieuse revue « Geosciences », sous le titre, « Le budget-carbone et la trajectoire pour limiter le réchauffement climatique mondial à 1,5 degré », une étude internationale mérite toute notre attention. Selon ces travaux dirigés notamment par les professeurs Richard Millar (Université d’Oxford), Jan S. Fuglestvedt (Centre international de recherche sur le Climat et l’Environnement d’Oslo) et Michael Grubb, du collège Universitaire de Londres, il est encore possible de limiter la hausse de la température mondiale à 1,5°C, comme le préconise les accords de Paris (Voir étude).
Toutefois, si cette équipe internationale souligne qu’il est encore possible d’atteindre cet objectif d’une limitation de la hausse des températures à 1,5°C, elle ajoute immédiatement qu’il faudra, pour y parvenir, réduire nos émissions de CO2 à un rythme sensiblement plus important que celui envisagé par les Accords de Paris.
L’étude rappelle que, depuis l'ère préindustrielle, la température moyenne de la Terre a déjà gagné 0,94°C. Selon ces travaux, le « budget-carbone » total de l’Humanité à ne pas dépasser pour rester dans les limites de ce degré et demi de réchauffement global serait un peu plus important que prévu, de l’ordre de 880 gigatonnes de CO2 à partir de 2015. Pour Richard Millar, chercheur à l'Université d'Oxford et principal auteur de cette étude, « Limiter les émissions de CO2 en deçà de 880 gigatonnes à partir de 2015, soit l’équivalent de 20 années d'émissions de CO2 au niveau actuel, permettrait probablement d'atteindre l'objectif de Paris de limiter le réchauffement à 1,5°C ».
Reste que pour décarboner massivement l’économie mondiale, et notamment la production d’énergie (qui reposera encore aux deux tiers sur les énergies fossiles en 2040 d’après de récentes études prospectives), la montée en puissance des énergies renouvelables et le doublement prévu de l’efficacité énergétique ne suffiront pas. Il va falloir également mettre en œuvre à une échelle industrielle de puissants moyens de capture et stockage du CO2 (CSC), cette capture se faisant à la source dans un premier temps, avant d’être complétée par des technologies encore expérimentales qui devraient permettre d’extraire d’ici quelques années le CO² directement de l’atmosphère.
Le projet de recherche Gassnova en Norvège a récemment montré que, contrairement aux idées reçues, la capture et le stockage du CO2 pouvaient être économiquement viables. Ce projet vise à capturer le CO2 émis par une cimenterie, un site d’incinération de déchets et une usine de production d’engrais et à le transporter par bateau vers la côte sud de l’Angleterre où il doit être enfoui sous les fonds marins à partir de 2020.
Mais ce CO2 récupéré dans l’air, grâce à différentes technologies complémentaires ne pourrait-il pas, au lieu d’être exclusivement voué à être enfoui sous terre ou sous la mer, être recyclé, transformé et finalement réutilisé pour produire des substances chimiques à forte valeur ajoutée, et pourquoi pas des carburants, qui deviendraient alors « neutres » dans le bilan-carbone, puisqu’ils seraient issus du CO2 qu’ils ont eux-mêmes émis lors de leur utilisation.
Depuis une dizaine d’années, plusieurs équipes de recherche de par le monde travaillent sur cette idée qui ne cesse de progresser. Depuis 2005, le Professeur Jacob Karni de l’Institut Weizmann à Rehovot travaille ainsi à mettre au point un procédé qui permet de transformer le CO2 en « syngas » ou gaz synthétique.
Cette technologie, en cours d’industrialisation par la société NewCO2Fuel, consiste à injecter à haute température (900 degrés) de l’eau et du CO2 à travers une membrane, alimentée par un courant électrique. Ce processus transforme alors le CO2 en syngas (gaz synthétique constitué de carbone et d’hydrogène) qui peut être utilisé pour obtenir du gas-oil synthétique ou produire de l’électricité.
La beauté de ce procédé à présent bien maîtrisé et qui devrait être industrialisé dès l’année prochaine, est qu’il est autosuffisant en énergie. Il permet en effet de transformer le CO2 et l’eau en combustible, en n’utilisant que l’énergie perdue par l’usine et de l’énergie solaire.
En France, l’équipe de Gilles Flamant (CNRS), travaillant sur le site du four solaire d’Odeillo, a montré en 2008 qu’il était possible de produire, grâce à l’énergie solaire concentrée, du dioxyde de carbone et hydrogène d’une part, monoxyde de carbone et hydrogène de l’autre, aptes à être transformés en hydrocarbures à longue chaîne de molécules, utilisables dans les moteurs actuels. Même si, pour l’instant, la production de cet « hydrogène solaire » a un coût plus élevé que celui de la filière traditionnelle, la baisse continue des prix des concentrateurs pourrait le rendre compétitif d’ici 5 ans.
En Allemagne, les chercheurs d’Audi, en collaboration avec Sunfire, spécialiste de la fabrication de fil à combustible, ont mis au point en 2015 un procédé qui permet d’obtenir de l’e-diesel et ne nécessite comme matières premières de base que de l’eau et du dioxyde de carbone. Cette technologie allemande utilise de l’électricité exclusivement issue d’énergies renouvelables – éolien, solaire, ou hydroélectrique – pour produire de l’hydrogène (H2) par électrolyse à haute température (800°C) L’hydrogène est ensuite mélangé avec du dioxyde de carbone (CO2) fourni par une unité de production de biogaz. Ce mélange de dioxyde de carbone et d’hydrogène est ensuite utilisé pour obtenir du monoxyde de carbone (CO), de l’hydrogène et de l’eau, éléments qui permettent la production d’un pétrole de synthèse qui n’a plus qu’à être raffiné pour devenir un e-diesel d’excellente qualité, tout à fait compatible avec les moteurs actuels.
Fin 2016, des chercheurs américains de l’Oak Ridge National Laboratory (ORNL), dirigés par le chimiste Daniel Nocera, ont pour leur part découvert une réaction électrochimique prometteuse qui permet de convertir avec un rendement de l’ordre de 60 % du dioxyde de carbone (CO2) en éthanol. La clé de cet étonnant processus qui s’amorce à l’aide d’une tension de seulement 1,2 V réside dans un nouveau catalyseur constitué de nanoparticules de cuivre incrustées dans des pics de carbone. Ce procédé simple et peu coûteux pourrait être utilisé à grande échelle dans les centrales productrices d’énergie utilisant des combustibles fossiles et pourrait également devenir un remarquable outil de stockage massif de l’énergie, en transformant une partie des pics de production issue des énergies solaires et éoliennes en éthanol.
En juillet 2016, des chercheurs de l'Institut Paul Scherrer PSI et de l'ETH Zurich ont pour leur part présenté un processus chimique permettant d'utiliser l'énergie thermique du soleil pour produire directement des carburants hautement énergétiques – méthane, essence et le diesel - qui peuvent être utilisés directement, mais aussi stockés dans des réservoirs ou être injectés dans le réseau gazier. Ce procédé repose sur l’utilisation d’une combinaison de matériaux, à base d'oxyde de cérium et de rhodium. Il permet donc de stocker l'énergie solaire sous forme chimique, sans avoir recours au procédé Fischer-Tropsch, lourd et complexe, ce qui constitue une rupture technologique majeure.
Enfin, il y a quelques semaines, une équipe de chercheurs du Laboratoire d’électrochimie moléculaire (Université Paris Diderot/CNRS), dirigée par Marc Robert et Julien Bonin, a présenté un procédé capable de transformer le dioxyde de carbone en méthane, directement utilisable pour des applications de chauffage ou de transport, à l’aide de lumière solaire et d’un catalyseur moléculaire à base de fer. Ces résultats ouvrent une nouvelle voie vers la production de «carburant solaire» et le recyclage du CO2 (Voir CNRS).
Techniquement, ce procédé consiste à remplacer les atomes d’oxygène du dioxyde de carbone par des atomes d’hydrogène. Ce résultat est obtenu en ajoutant de petites quantités d’alcool afin d’apporter les protons nécessaires. Mais pour déclencher cette réaction, il est bien entendu nécessaire de disposer d’une source d’énergie suffisante. Il s’agit dans ce cas du rayonnement solaire produit par un simulateur solaire et un filtre qui sélectionne des longueurs d’ondes supérieures à 400 nm.
Cette avancée technologique est d’autant plus remarquable que, contrairement à la quasi-totalité des catalyseurs connus, qui utilisent des métaux rares et précieux, les deux chercheurs ont développé un catalyseur à base de fer, un métal abondant, accessible et peu coûteux. Certes, d’autres catalyseurs à base de fer avaient déjà été expérimentés mais aucun n’avait permis d’aller au-delà du monoxyde de carbone et de produire in fine du méthane. L’originalité de ce catalyseur mis au point par ces chercheurs du CNRS réside dans le fait qu’il possède des propriétés s’inspirant de celle des porphyrines, des molécules transportant le dioxyde dans le sang.
En outre, ce processus fonctionne à pression et température ambiantes et n’a besoin que du soleil comme seule source d’énergie. Cette belle découverte française démontre donc qu’il est possible de stocker l’énergie solaire renouvelable en différents types de composés et carburants compatibles avec les infrastructures industrielles et les réseaux d’énergie existants.
Concrètement, il devient possible d’obtenir à l’aide de ce procédé de l’acide formique (H-COOH), un composé qui pourrait entrer dans le fonctionnement des piles à combustible des voitures du futur et présente moins de risques que l’hydrogène pur, particulièrement inflammable. Cette technique permet également d’obtenir du méthanol (CH3OH), un autre composé alcoolique indispensable à l’industrie chimique et aéronautique. Comme le souligne Marc Robert, « grâce à notre découverte, le CO2 peut enfin rentrer dans le cycle vertueux de l’économie circulaire car il est transformé en carburant, et au cours de la combustion, celui-ci libère du CO2 qui peut être à nouveau transformé en méthane ».
On comprend mieux l’engouement pour ces carburants de synthèse quand on sait que, selon une récente étude réalisée par l’équipementier Bosch, l’essor de ce type de carburant conjugué à l’électrification du parc automobile, pourrait permettre une économie de 2,8 gigatonnes de CO2 entre 2025 et 2050. Toujours selon cette étude, les carburants de synthèse pourraient représenter 40 % du total des carburants en 2040 et 100 % vers 2050.
Face à cet enjeu majeur, tant sur le plan technologique industriel et environnement que représente la production massive et propre de carburants de synthèse neutres en carbone, notre pays, qui a la chance de disposer à la fois d’une recherche scientifique de niveau mondial et d’une industrie pétrochimique particulièrement performante, doit sans tarder lancer un grand programme de recherche fédérant les compétences et les moyens publics et privés pour devenir leader mondial dans cette course technologique vers les carburants propres.
Parallèlement, l’État doit faire preuve dans ce domaine d’un grand volontarisme politique et fixer une feuille de route précise visant à mettre fin le plus rapidement possible à l’exploitation et à l’utilisation du pétrole naturel et de ses dérivés et à leur substituer ces composés et carburants du futur, qui sont appelés à devenir, dans le cadre d’une économie globale de capture, de récupération et de valorisation du CO2, l’un des leviers indispensables pour diminuer drastiquement nos émissions de CO2 et lutter contre le changement climatique dont les effets dévastateurs, comme nous avons pu le voir au cours de ces dernières semaines avec une succession de tempêtes et d’ouragans tropicaux d’une violence sans précédent, se manifestent à présent clairement et ne feront que s’intensifier si nous ne mobilisons pas toutes nos forces pour conserver une planète vivable.
René TRÉGOUËT
Sénateur honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat
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