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Vers une agriculture sans engrais grâce à la symbiose plante bactérie ?

Si l'abus de pesticides risque de réduire la croissance des plantes, comme le montre l'article précédent, l'agriculture moderne est également confrontée à un autre défi en rapport direct avec le précédent : comment obtenir des rendements agricoles satisfaisants sans déverser de grandes quantités d'engrais chimiques sur les cultures ? Afin de répondre à cette question, des chercheurs de l'IRD et leurs partenaires étudient une relation symbiotique particulière, associant une légumineuse aquatique, l'Aeschynomene et une bactérie photosynthétique du genre Bradyrhizobium. Cette bactérie, capable de fixer l'azote de l'air, provoque sur les racines et les tiges de la plante la formation de nodules.

Une fois colonisés par le microorganisme, ces nodules procurent à la plante l'azote nécessaire à sa croissance. En étudiant le génome de la bactérie, les chercheurs ont découvert qu'elle ne possédait pas les gènes nod, habituellement impliqués dans les mécanismes symbiotiques chez tous les rhizobiums connus. Ces résultats, publiés dans la revue Science, remettent ainsi en cause le dogme actuel reconnaissant l'existence d'un unique processus de nodulation. La compréhension de ce nouveau type de dialogue moléculaire pourrait permettre, à terme, d'améliorer le rendement des productions agricoles, notamment dans les zones tropicales où la pauvreté des sols en azote représente un handicap majeur.

La croissance de la plupart des végétaux dépend de la présence, dans le sol, d'azote en quantité suffisante. Cependant une famille de végétaux, les légumineuses, s'affranchit partiellement de cette contrainte en s'associant à des bactéries du sol du genre rhizobium, capables de capter l'azote présent dans l'air. Quand ces bactéries entrent en contact avec leur hôte végétal, elles provoquent au niveau des racines l'apparition de nodules au sein desquels elles se réfugient. Cette relation étroite appelée symbiose bénéficie aux deux organismes : la plante fournit des éléments nutritifs à la bactérie qui lui restitue en retour l'azote qu'elle a emmagasiné.

Ces interactions améliorent les rendements agricoles des légumineuses qui occupent une place centrale dans l'alimentation humaine (soja, pois, arachides...) et animale (luzerne, trèfle, sainfoin). De plus, la culture de légumineuses associées aux bactéries participe aux opérations de revégétalisation des sols appauvris en azote par exploitation, érosion, désertification... Le couvert végétal ainsi formé permet une restauration écologique, enrichissant les sols en azote. Toutefois, les processus symbiotiques étudiés concernent surtout les légumineuses des zones tempérées, et peu celles des zones tropicales.

L'équipe du Laboratoire des Symbioses Tropicales et Méditerranéennes et ses partenaires, prenant pour modèle une symbiose entre une légumineuse aquatique tropicale, l'Aeschynomene, et Bradyrhizobium, une bactérie de la famille des rhizobiums,viennent de mettre en évidence un nouveau mode de communication à l'échelle moléculaire entre ces deux organismes.

La bactérie de ce modèle original possède sa propre voie de photosynthèse, propriété unique chez les rhizobiums. Ce caractère particulier lui confère la capacité exceptionnelle et rare de former des nodules sur les tiges de sa plante hôte. Celle-ci acquiert ainsi la possibilité de fixer des quantités d'azote bien supérieures à celles mesurées habituellement chez les légumineuses qui ne possèdent des nodules que sur leurs racines.

Les chercheurs ont séquencé le génome de deux souches bactériennes de Bradyrhizobium, ORS278 et BTAi1, afin de connaître leur patrimoine génétique et d'identifier les gènes impliqués dans cette symbiose particulière. Ils ont ainsi découvert que ces bactéries sont dépourvues des gènes nod, indispensables à la formation des nodules. Bradyrhizobium utiliserait par conséquent des mécanismes faisant intervenir d'autres gènes. Ces résultats surprennent d'autant plus qu'ils remettent en question le modèle universellement reconnu de dialogue moléculaire provoquant la symbiose rhizobiums/légumineuses.

Ce modèle commun exige la présence de plusieurs gènes Nod permettant la synthèse d'un facteur Nod. Ce dernier est une molécule fabriquée par la bactérie qui lui permet d'être reconnue par la plante et de pouvoir rentrer à l'intérieur au niveau de poils sur les racines. Sans cette molécule signal, il ne peut y avoir de nodules conduisant à la symbiose.

Les chercheurs ont tout d'abord constaté que la bactérie pénètre dans les racines de sa plante-hôte non pas par les poils mais en utilisant des « zones de crack » que l'on peut comparer à des zones de blessures. Ils ont ensuite tenté d'identifier les gènes impliqués dans la fabrication de la molécule signal inconnue, jouant le rôle du facteur Nod. A la lumière de l'ensemble des résultats obtenus, ils ont émis l'hypothèse qu'une molécule proche d'une hormone végétale, la cytokinine, pourrait intervenir dans les mécanismes déclenchant la nodulation.

La découverte de la nature de la molécule signal elle-même, qui reste encore à déterminer, laisse entrevoir de futures applications agronomiques. En effet, de nombreux végétaux vivent en symbiose avec des bactéries, mais seul le fonctionnement d'un petit nombre de ces interactions est connu. La mise en évidence, chez certains rhizobiums, de voies alternatives capables de déclencher le signal de nodulation donne l'espoir d'associer ces bactéries à des plantes différentes des légumineuses. Il deviendrait alors envisageable d'accroître la production agricole d'un nombre plus important de plantes, notamment dans les pays tropicaux, en limitant l'utilisation d'engrais.

SG

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