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Edito : Les vaccins à ARN n’ont pas fini de révolutionner la médecine et la santé….
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Il y a plus de 61 ans, en mai 1961, deux immenses scientifiques, François Gros (1925-2022) et François Jacob (1920-2013), Nobel de Médecine en 1965, découvraient de manière indépendante mais au même moment, l’ARN messager, en utilisant des outils de marquages très courts de bactéries en croissance avec du phosphate marqué au phosphore radioactif. Ils étaient loin d’imaginer qu'un demi-siècle plus tard, les premiers vaccins à ARN allaient être à l’origine d’une nouvelle et incroyable révolution scientifique et médicale, dont la lutte contre la pandémie mondiale de Covid-19 ne constitue que le premier épisode.
Elaborés en un temps record, les vaccins ARN contre le Covid-19 ont incontestablement permis de limiter considérablement l’impact médical et sanitaire de cette pandémie sans précédent depuis la fameuse « grippe espagnole » de 1918-1919, qui avait tué au moins 50 millions de personnes. Une étude d’une ampleur inédite, publiée en juin dernier, a permis d’évaluer à 20 millions le nombre de vies sauvées dans le monde grâce à ces vaccins ARN très efficaces, ce qui veut dire que ces vaccins ont permis de réduire d’au moins 60 % le nombre total des décès constatés depuis 2021… (Voir The Lancet).
En 2021, Moderna a vendu 807 millions de vaccins anti-Covid. La même année, Pfizer a de son côté écoulé 3 milliards de doses de vaccins, avec des prévisions à 4 milliards pour l’année 2022. L’Europe dispose depuis septembre dernier de trois nouveaux vaccins bivalents à ARN, un qui cible la souche originale et le variant Omicron BA.1, puis le vaccin de Pfizer BioNTech qui, lui, cible la souche originale et les variants Omicron BA.4 et BA.5. En France, le sous-lignage du BA.5 le plus répandu est le BQ.1.1. Ce dernier représente maintenant la moitié des cas de diagnostic positifs, selon les dernières données de Santé Publique France. Heureusement, le variant BQ.1.1 ne semble pas plus virulent que les autres variants d’Omicron, et n’entraîne pas une augmentation de la sévérité de la maladie. Néanmoins, ces nouveaux vaccins semblent moins efficaces contre le sous-variant BQ.1.1, en pleine expansion, ce qui explique l’apparition et le développement de la « 9ème vague » de la pandémie. Il faut toutefois rappeler que ces nouveau vaccins bivalents protègent bien contre les formes les plus graves du Covid-19 et notamment les fameux « Covid longs », qui toucheraient un malade sur six et s’accompagnent de nombreuses séquelles neurologiques, cardiovasculaires ou digestives…
Il y a quelques jours, emboîtant le pas à Moderna, les géants Pfizer et BioNtech ont annoncé le lancement conjoint d’essais cliniques concernant un nouveau vaccin ARN ciblant à la fois la grippe et le Covid (Voir Pfizer). Comme le souligne Annaliesa Anderson, directrice scientifique chez Pfizer, « Nous croyons que ce futur vaccin combiné à ARN, contre les virus de la grippe et du Covid, pourra améliorer et simplifier de manière significative les pratiques de vaccination contre ces deux agents pathogènes respiratoires, conduisant potentiellement à une meilleure couverture vaccinale pour les deux maladies ».
Drew Weissman, de l’Université de Pennsylvanie, un des pionniers dans la technologie des vaccins à ’ARN messager, travaille pour sa part à l’élaboration d’un vaccin universel, qui pourrait protéger contre toutes les souches virales de coronavirus. Son équipe essaye de trouver des séquences d’épitope très stables, qui ne peuvent pas muter facilement, sous peine de détruire le virus du Covid-19. « C’est une tâche difficile, mais nous avons bon espoir de disposer d’un vaccin universel dans deux ou trois ans, ce qui permettra alors d’avoir toujours une longueur d’avance sur le virus », précise Drew Weissman (Voir France 24).
Il y a quelques semaines, les premières doses d’un vaccin contre le virus du sida utilisant la technologie de l’ARN messager ont été administrées chez des patients, ont annoncé l’entreprise américaine de biotechnologie Moderna et l’organisation International Aids Vaccine Initiative. Il s’agit d’une avancée majeure contre ce virus qui possède une capacité inédite à muter et continue, malgré les progrès dans les traitements, de tuer plus de 600 000 personnes dans le monde. Cet essai de phase 1 va concerner 56 adultes en bonne santé et séronégatifs. Il s’agit de vérifier si ce vaccin ARN parvient bien à stimuler la production d’anticorps (bnAb), capables de détruire les nombreux variants en circulation du VIH. Il y a quelques mois, l’essai d’un vaccin expérimental similaire, mais n’ayant pas utilisé l’ARN messager, avait permis de montrer une bonne réponse immunitaire contre le VIH, chez plusieurs dizaines de participants.
D’ici quelques années, nous devrions également disposer d’un vaccin antigrippal universel, efficace contre toutes les variantes humaines connues (Voir Science). Des chercheurs de l’Université de Pennsylvanie ont en effet injecté aux rongeurs un vaccin expérimental visant 20 souches différentes de grippe et les souris ont effectivement développé des anticorps luttant contre toutes les souches, à un niveau d’efficacité qui est resté stable pendant plusieurs mois. Jusqu’à présent, les vaccins antigrippaux traditionnels sont fabriqués à partir de virus inactivés, ou atténué, qui vont déclencher une réponse immunitaire contre le virus. Cette approche bien rodée reste cependant assez longue à mettre en œuvre. Elle suppose en effet de faire incuber les virus grippaux dans des œufs de poule, avant de les extraire et de les neutraliser. A contrario, l’utilisation de l’ARN messager est bien plus simple et moins onéreuse. Il suffit d’utiliser un brin d’ARN (des molécules de ribonucléotides qui recopient et transcrivent les informations contenues dans l’ADN) qui contient le code génétique d’un fragment du virus cible. Cet ARN de synthèse est alors injecté sous forme de vaccin et va délivrer à nos cellules le « mode d’emploi » qui va leur permettre de reproduire cette portion de virus et de déclencher la réponse immunitaire spécifique contre cet agent pathogène.
Si cet outil ARN a révolutionné la production des vaccins, c’est parce qu’il suffit de connaître le génome d’un virus pour produire un vaccin efficace. Et quand de nouveaux variants de ce virus apparaissent, les chercheurs analysent les mutations génétiques correspondantes pour adapter l’ARN, ce qui permet de produire très rapidement un nouveau vaccin modifié, intégrant ces nouvelles souches. S’agissant du virus de la grippe, les scientifiques de l’Université de Pennsylvanie ont réussi à cibler 20 souches de grippe simultanément…Ces chercheurs soulignent néanmoins que ce futur vaccin antigrippal universel ne pourra pas nous protéger contre toutes les nouvelles variantes du virus qui apparaîtront dans le futur. Mais ce vaccin aura le grand mérite de délivrer une immunité de base à toutes les personnes âgées ou fragiles.
Les vaccins à ARNm trouvent également une nouvelle application prometteuse dans la lutte difficile contre le paludisme, une maladie provoquée par le Plasmodium, un parasite complexe et retord, transmis à l’homme par les piqures de moustiques. Une équipe d’immunologues de l’Université George Washington a montré que la technologie ARNm pourrait contribuer à concevoir et fabriquer des vaccins plus efficaces que les vaccins antipaludéens classiques disponibles, et à mieux combattre ce fléau qui touche encore, selon l’OMS, plus de 240 millions de personnes, chaque année, dans le monde et en tue 630 000 (Voir Research Gate). Heureusement, une équipe américaine vient de mettre au point 2 candidats vaccins à ARNm très efficaces pour réduire à la fois l'infection et la transmission du paludisme. Ces 2 vaccins expérimentaux, testés chez l’animal, induisent une réponse immunitaire puissante.
Ces recherches ont montré que ce vaccin provoque non seulement une forte mobilisation d'anticorps protecteurs lors de la transmission de parasites à des moustiques sains, mais réduit également et considérablement la charge parasitaire chez les moustiques, ce qui rend beaucoup plus difficile la transmission du paludisme. Les chercheurs ont en outre constaté que l’administration conjointe des deux réduit encore plus efficacement l'infection et la transmission de la maladie. L’arrivée de ces vaccins ARN pourraient donc marquer une étape décisive dans la lutte et la prévention mondiales contre le paludisme.
Ces nouveaux vaccins ARN sont également en train de bouleverser les perspectives de lutte contre les cancers. L’idée consiste à présenter au système immunitaire les antigènes spécifiques à chaque type de cancer. Il devient alors possible d’activer les cellules immunitaires qui reconnaissent ces antigènes du cancer visé. La firme BioNTech travaille activement à la mise au point de toute une panoplie de vaccins ARN anti-cancer, qui pourraient être disponibles d’ici la fin de cette décennie. Ceux-ci visent notamment les tumeurs solides, dont le mélanome, le cancer de la prostate, de l’ovaire et du poumon. La stratégie retenue consiste à orienter les antigènes vers le système lymphatique où les lymphocytes T sont concentrés. Cette approche prometteuse est également celle de la Tufts School of Engineering (Etats-Unis), qui vient de publier des résultats très intéressants (Voir Tufts Now) concernant leur vaccin ARN sur des souris atteintes d'un mélanome métastatique : 40 % des souris ont montré une rémission complète, sans tumeurs et sans récidive à long terme. En outre, ce vaccin a entraîné une excellente mémoire immunitaire, qui bloque la formation de métastases chez les souris en rémission complète.
Il y a quelques semaines, les laboratoires Merck et Moderna, qui collaborent depuis 2016 pour l'arrivée d’un vaccin contre le cancer, ont annoncé avoir trouvé un accord pour développer et commercialiser leur vaccin à ARN messager contre le mélanome. Actuellement en essai de phase 2, ce vaccin est testé, combiné avec un médicament anticancéreux. Dans le cadre d’essais cliniques de phase 2, 157 patients atteints d’un mélanome, un cancer de la peau, ont reçu des vaccins personnalisés, en association avec un médicament d’immunothérapie (Keytruda) du laboratoire Merck. Si ces essais sont positifs, les vaccins seront testés à une plus grande échelle auprès de milliers de patients.
En France, de nombreuses équipes travaillent également à la mise au point de ces futurs vaccins ARN anti-cancer. Citons notamment celle d’Olivier Adotevi (Inserm UMR1098, Université de Franche Comté, Etablissement Français du Sang, Besançon), qui travaille à la vaccination thérapeutique contre le cancer colorectal en ciblant des antigènes de rétrovirus endogènes au moyen d'ARN messagers véhiculés par nanoparticules. On peut aussi évoquer les recherches de l’équipe de Sébastien Campagne (Inserm U1212, CNRS UMR 5320, Bordeaux), qui utilise deux petits ARN thérapeutiques capables de tuer les cellules leucémiques en ciblant une protéine spécifique via deux mécanismes distincts. L’équipe de Marie-Dominique Galibert (CNRS UMR 6290, Université de Rennes, Institut de Génétique et Développement de Rennes), travaille, pour sa part, sur le traitement des mélanomes cutanés grâce à de petits ARN thérapeutiques ciblant l'activité de certains oncogènes. Enfin, l’équipe de Palma Rocchi (Inserm U1068, CNRS UMR 7258, Univ. Aix-Marseille U105, Centre de recherche en cancérologie de Marseille) cherche à mettre au point un traitement innovant, associant ARN antisens et radiothérapie interne pour améliorer la prise en charge des cancers de la prostate résistants.
Cette technologie ARN ne se limite pas aux applications médicales sur l’homme et pourrait également révolutionner l’agronomie et l’agriculture. La firme américaine GreenLight Biosciences travaille ainsi sur un spray à ARN qui vise rien moins qu’à « vacciner » les pommes de terre contre le terrible doryphore, qui entraîne chaque année des pertes de production considérable et devient de plus en plus résistant aux produits chimiques. L’enjeu humain et économique de ces recherches est majeur, quand on sait qu’un tiers de la production agricole mondiale est perdue chaque année à cause des ravageurs, selon la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture). Cette organisation précise que les maladies des plantes coûtent à l'économie mondiale 200 milliards d’euros par an et que ces pertes considérables de productions agricoles représentent de quoi nourrir un milliard de personnes… GreenLight Biosciences espère faire homologuer par les autorités sanitaires américaines, dès 2023, sa technologie à ARN destinée à remplacer les pesticides chimiques pour détruire de manière ciblée, biologique et sans résidus les doryphores qui ravagent de manière récurrente les cultures de pommes de terre. Il est important de préciser que ces sprays ARN fonctionnent sur la base d’une technologie de biologie moléculaire qui ne peut en aucun cas entraîner de modification génétique des plantes concernées.
Ce rapide tour d’horizon des nombreuses recherches en cours montre que cet outil ARN constitue une révolution scientifique et médicale immense, qui ne fait que commencer, et va permettre à la fois de se substituer aux méthodes existantes, pour produire les vaccins actuels de manière plus rapide et plus souple, et de concevoir de nouveaux vaccins comblant d’immenses besoins préventifs et thérapeutiques, notamment dans le vaste champ du cancer, mais également contre d’autres fléaux comme le Sida ou le paludisme. Il faut espérer que, dans cette nouvelle compétition scientifique et industrielle majeure, la France, qui s’est brillamment illustrée au siècle dernier en découvrant le fonctionnement de l’ARN, et continue à exceller dans ce secteur de recherche, se donne tous les moyens de déployer une ambitieuse stratégie de recherche à long terme dans ce domaine global des ARN (ARN messagers et interférents) qui va bouleverser nos vies et notre santé.
René TRÉGOUËT
Sénateur honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat
e-mail : tregouet@gmail.com
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- Publié dans : Médecine
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