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Edito : Les trous noirs remodèlent l'Univers et pourraient aussi lui insuffler la vie...

Prévus par il y a plus d'un siècle par la théorie de la relativité générale d’Einstein et formalisés par le cosmologiste belge Georges Lemaître, les trous noirs ont commencé à prendre une consistance théorique en 1939, quand le grand physicien américain Robert Oppenheimer (le père de la bombe atomique) a proposé un modèle d’effondrement d’une étoile massive. Il a cependant fallu attendre 2016 pour que l'existence des trous noirs soit enfin validée par des preuves expérimentales, avec la première observation directe des ondes gravitationnelles. Le10 avril 2019, les premières images d'un trou noir furent publiées ; il s'agissait du trou noir supermassif M87, situé au centre de la galaxie du même nom. Enfin, en 2022, la communauté scientifique découvrait des images provenant de Sagittarus A, le trou noir situé au centre de notre galaxie, la Vie Lactée.

Après avoir très longtemps été considérés comme des curiosités cosmologistes, les trous noirs, ont révélé, il y a seulement quelques années, leur rôle de plus en plus important dans la structure du cosmos et son évolution. Une série de découvertes intervenues au cours de ces derniers mois est venue conforter la place considérable et peut-être fondamentale que jouent ces étranges et fascinants objets dans notre Univers. Deux études publiées en février 2023 semblent en effet indiquer que les trous noirs pourraient être à l’origine de la mystérieuse énergie sombre ou énergie noire (découverte en 1988 par Saul Perlmutter et Adam Riess) qui expliquerait l’expansion accélérée de notre Univers depuis au moins 8 milliards d'années (Voir IOP et IOP).

Cette force répulsive semble contrebalancer la force attractive de la gravitation (l'une des 4 grandes forces de l’Univers), qui tend à attirer les masses les unes vers les autres. Selon les cosmologistes, cette énergie noire représenterait environ les deux tiers de ce que contient l’Univers. Le reste serait constitué de la non moins mystérieuse matière noire, représentant plus du quart de l'Univers, et, enfin, de seulement 5 % de matière "baryonique", c'est-à-dire la matière ordinaire, constituant les étoiles, planètes objets célestes et êtres vivants. Les trous noirs naissent de l’explosion cataclysmique de grosses étoiles en fin de vie. Contrairement à ce qu'on a longtemps pensé, il en existe de toute taille, certains étant microscopiques, d'autres absolument gigantesques, comme le monstre TON618, situé à 10,4 années-lumière de la Terre (heureusement pour nous), qui fait 66 milliards de fois la masse de notre Soleil et est 30 millions de fois plus grand que la Terre. Les trous noirs peuvent grossir de plusieurs façons, soit en avalant littéralement des corps célestes (planètes ou étoiles) qui passent trop près d'eux, soit en fusionnant avec d’autres trous noirs, dégageant alors des vagues d'ondes gravitationnelles, à présent détectables, qui vont modifier la texture de l'espace-temps.

Selon une étude publiée en 2022, il existerait au moins 40 milliards de milliards de trous noirs de toute taille dans l'univers observable (Voir IOP) et ceux-ci représenteraient au total environ 1 % de la matière totale. Ces étranges objets auraient une durée de vie qui défie l'imagination, allant de 100 milliards d'années pour ceux de taille moyenne, à 1000 milliards de milliards d'années pour les plus gros, qui mettent un temps presque infini à s'évaporer... Une équipe de chercheurs de l'université de Californie à Irvine a calculé en 2017 qu'il pourrait y avoir environ une centaine de millions de trous noirs rien que dans notre seule galaxie, soit environ un pour trois étoiles... (Voir Arxiv).

De manière très convaincante, ces deux étude publiées il y a un an ont analysé des données couvrant neuf milliards d’années d’histoire cosmique, et ont montré que certains trous noirs continuaient de grossir alors qu’ils étaient situés dans des galaxies devenues inactives, qui ne produisent plus d’étoiles ou d’objets célestes depuis des milliards d’années. L'étude souligne que « Les trous noirs d’aujourd’hui, dans les galaxies dormantes, sont 7 à 20 fois plus grands qu’ils ne l’étaient il y a neuf milliards d’années, alors qu'ils n'ont pourtant plus rien à absorber ». Comment cela se fait-il ?

Pour expliquer ce mystère, ces scientifiques de l'université d’Hawaï proposent l'hypothèse hardie, mais finalement logique, que les trous noirs sont la source de l'énergie noire. Selon eux, cette énergie noire est produite lorsque la matière normale est comprimée lors de la mort et l'effondrement de grandes étoiles. Cette étude soutient qu'il existerait un "couplage cosmologique" entre trous noirs et énergie noire, ce qui voudrait dire que la croissance des trous noirs au fil du temps serait en fait liée à l’expansion de l’Univers lui-même. Ils augmenteraient leur masse à mesure que l’Univers poursuivrait son expansion. Ces scientifiques pensent qu'il est possible pour les trous noirs de fournir la quantité d’énergie du vide nécessaire pour rendre compte de toute l’énergie noire que nous mesurons dans l’Univers aujourd’hui. « Si cette hypothèse s'avère correcte, cela expliquerait non seulement l’origine de l’énergie noire dans l’univers, mais nous ferait également repenser radicalement notre compréhension des trous noirs et leur rôle dans le cosmos », concluent les auteurs Chris Pearson et Dave Clements.

Notre Système solaire subit également les nombreuses conséquences liées à l'activité d'un trou noir situé à quelque 25 000 années-lumière, au centre de notre galaxie. Notre Voie Lactée abrite un trou noir de taille modérée, qui s'alimente de façon régulière et sans excès. Elle a donc bien plus de chances d'avoir une zone « tempérée », épargnée par les rayonnements cosmiques, qu'une galaxie dotée d'un gros trou noir. Nous savons à présent que si les trous noirs sont trop actifs, la formation de nouvelles étoiles et d'éléments nécessaires à la vie risque d’être très faible. Si, au contraire, les trous noirs sont trop peu actifs, les jeunes étoiles explosives risquent d'être trop nombreuses et le milieu interstellaire ne sera pas assez recomposé pour favoriser l'apparition de la vie. Il semblerait donc que, sans cet équilibre subtil, et cet effet régulateur de notre trou noir, l'apparition de la vie sur notre Terre (et peut-être ailleurs dans notre galaxie) aurait été bien plus improbable.

Le cosmologiste américain Paul Mason pense qu’il est probable que la vie complexe sur des planètes habitables, comme la Terre, ait pu être grandement favorisée par des trous noirs. En 2016, ce professeur à l’Université d’État du Nouveau-Mexique à Las Cruces, a présenté ses travaux lors de la réunion de l’American Astronomical Society à Kissimmee, en Floride. Selon lui, en favorisant l'expansion des galaxies et de l'Univers, les trous noirs auraient pu jouer un rôle important pour diminuer l'intensité néfaste des rayons et radiations cosmiques, permettant ainsi le développement d'une vie de plus en plus complexe sur notre Terre et peut-être sur d'autres planètes. « Nous comprenons à présent à quel point le rythme d'expansion de l'univers joue un rôle important pour les chances d'apparition de la vie » souligne Paul Mason (Voir IFL Science).

Il y a quelques mois, l'équipe de Martijn Oei, chercheur à Caltech, en Californie, a observé la plus grande irruption de jets énergétiques de trous noirs jamais enregistrée à ce jour (Voir Nature). Ces jets se propagent sur une distance inimaginable de 23 millions d'années-lumière de longueur, soit l'équivalent de 140 galaxies comme la nôtre, mises bout à bout. Ce jet incroyable a été baptisé Porphyrion, en référence à un géant de la mythologie grecque. Situé à 7,5 milliards d'années-lumière de la Terre, il date d'une époque où notre Univers était bien plus jeune et n'avait que 6,3 milliards d'années. Cette découverte conforte l'hypothèse selon laquelle ces jets géants pourraient avoir eu une influence majeure sur la formation des galaxies. « Si des jets lointains comme ceux-ci peuvent atteindre l'échelle du Cosmos, alors chaque endroit de l'univers a pu être affecté par l'activité des trous noirs à un moment donné du temps cosmique », explique Martijn Oei.

On sait, depuis 2015, que des jets de trous noirs peuvent transporter une énergie 10 milliards de fois plus grande que celle rayonnée par le soleil. Ces flux d'énergie sont si puissants qu'ils peuvent empêcher la condensation de gaz qui conduit à la formation de nouvelles étoiles et modifier l'évolution des galaxies (Voir Arxiv). Une équipe internationale a notamment pu observer que les jets de trous noirs pouvaient accélérer le milieu interstellaire en observant la galaxie IC5063, située à 160 millions d’années-lumière de la Terre. Cette galaxie a une particularité rare : son jet est étendu dans l’espace et il est presque aligné avec son disque de gaz. Grâce à cette configuration particulière, un groupe de chercheurs regroupant des scientifiques américains, français et grecs, dont la professeur Françoise Combes (Observatoire de Paris), a découvert que ce jet incroyablement puissant engendre des vents d'hydrogène moléculaire d'une vitesse inouïe (1200 km/seconde), susceptibles de remodeler cette galaxie et d'influer sur la création de nouvelles étoiles.

Il y a un an, une autre étude internationale a montré, grâce au télescope spatial à rayons X XMM-Newton de l'ESA, que les trous noirs et les galaxies qui les abritent influencent fortement leur évolution respective. Des scientifiques ont en effet observé qu’un trou noir très actif et très vorace renvoyait de puissants jets gazeux très loin dans son environnement, empêchant la naissance de nouvelles étoiles, au centre de Markarian 817 (Voir Arxiv), une galaxie qui se trouve à 430 millions d'années-lumière de notre Terre, dans la Constellation du Dragon. Incapable de produire de nouveaux soleils, cette galaxie est contrainte de modifier sa structure. Toutes ces récentes études montrent que les trous noirs et leurs galaxies hôtes interagissent et modifient leur évolution respective et que de nombreuses galaxies, dont notre Voie lactée, présentent de vastes régions autour de leur centre dans lesquelles très peu de nouvelles étoiles se forment. Il y a quelques semaines, une autre étude de l'université de Tokyo laisse penser que les trous noirs pourraient bien également être à l'origine de la mystérieuse matière noire, qui représente environ un quart du contenu de l'Univers.

Permettez-moi d’évoquer pour terminer ce trop rapide tour d'horizon sur les trous noirs, la fascinante hypothèse des “trous blancs”, défendue avec conviction par le grand physicien Carlo Rovelli. Celui-ci souligne que la relativité générale échoue à elle seule à répondre à une question pourtant simple : que devient la matière qui tombe au cœur d'un trou noir ? Selon les équations d'Einstein, la densité de matière qui s'accumule au centre des trous noirs finit par produire une singularité, un point où la densité d'énergie et la courbure de l'espace-temps deviennent infinies.

Pour essayer de supprimer ce problème, la gravitation quantique à boucles, défendue par Rovelli, suppose que l'espace lui-même est soumis à la physique quantique. Concrètement, cela signifie que l'espace n'est pas divisible à l'infini mais est constitué de grains élémentaires, des quantas, minuscules d'une taille infime mais finie de 10-35 mètre. Dans ce nouveau cadre quantique, le problème de la singularité disparaît : quand la matière en effondrement sur elle-même atteint ces échelles de taille, la géométrie de l'espace-temps s'inverse et génère une force répulsive qui provoque un rebond de cette matière. Résultat, la matière contractée est brusquement expulsée et les trous noirs se transforment en trous blancs. Ce scenario quantique permet également de surmonter le problème récurrent de la singularité des trous noirs et d'éliminer le fameux paradoxe d'Hawking portant sur la violation du principe de conservation de l'information, lorsqu'un objet est absorbé par un trou noir.

Mais alors, pourquoi n'observe-t-on pas un peu partout des trous blancs ? Pour une raison simple, précise Rovelli qui souligne que, pour la plupart des trous noirs, de tels événements se produisent sur des échelles de temps si grandes que nous n'avons pas encore pu les observer. Mais ce n'est pas le cas pour les très nombreux petits trous noirs qui s'évaporent bien plus vite et pourraient déjà avoir entamé leur transformation en trous blancs. Dans cette hypothèse, la transformation de ces minuscules trous noirs en trous blancs s'accompagnerait d'une forte éjection de photons gamma, portant une signature particulière (à cause du décalage spectral vers le rouge) et donc théoriquement décelable à l'aide d'instrument suffisamment sensibles. Si de futures observations confirment que ces fameux trous blancs existent réellement, cela démontrerait qu'il faut compléter le cadre de la relativité générale et que les lois fondamentales qui régissent notre univers doivent inclure la physique quantique à toutes les échelles spatiales et temporelles...

En tout état de cause, il est troublant de constater que ces trous noirs, qui sont les objets les plus destructeurs du Cosmos et les plus proches du concept de néant que nous puissions imaginer, semblent également jouer un rôle considérable, voire déterminant, dans la formation décisive des conditions physiques très précises et très particulières permettant l'émergence de la vie et son évolution vers une conscience réflexive capable en retour d’appréhender l'ordre caché et l'étrange beauté de notre Univers...

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

e-mail : tregouet@gmail.com

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