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Edito : Transition énergétique : la mer doit être notre nouvel horizon !
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En 2009, la consommation d'énergie réellement utilisée dans le monde a atteint près de 8,4 milliards de tonnes d’équivalent pétrole (d'après Key World Energy Statistics 2011, AIE). Mais pour permettre la consommation réelle de ces 8,4 milliards de tonnes d’équivalent pétrole, il a fallu « produire » plus de 12 milliards de tonnes d’énergie, comprenant notamment l’énergie utilisée pour transformer les ressources initiales.
Au cours de ces 20 dernières années, cette consommation mondiale d’énergie a augmenté de 40 % et la Chine, exemple des nouveaux pays industrialisés, a vu sa consommation d’énergie plus que tripler depuis 1990. A ce rythme, cet immense pays qui consomme à lui seul plus de la moitié du charbon de la planète, consommera le cinquième de l’énergie mondiale avant la fin de la décennie et la consommation énergétique d’un Chinois est maintenant égale à la consommation énergétique moyenne d'un terrien. Il en va de même en matière d’émissions de gaz polluants et de gaz effet de serre et la Chine est devenue le plus gros pollueur de la planète, devant les États-Unis et l’Union Européenne.
En 2030, la consommation d’énergie réellement utilisée par l’humanité devrait atteindre au moins 15,3 gigateps, selon l’AIE, soit une progression de 27 %. Mais il faut également souligner que cette consommation d’énergie, en dépit des progrès effectués en termes d’efficacité énergétique, progressera également même si on la calcule par habitant puisqu’elle devrait atteindre 1,9 tonne par an et par terrien en 2030, contre environ 1,5 aujourd’hui. Quant à la consommation mondiale d’électricité, elle devrait passer, toujours selon l’AIE, de 22 000 TWh par an aujourd’hui à 34 292 TWh en 2030, soit une augmentation de 56 % !
Dans ce contexte d’explosion de la demande mondiale d’énergie, liée et l’on peut s’en réjouir, au développement économique sans précédent de vastes régions du monde mais également à l’évolution corrélative des modes de vie et du niveau moyen de confort, le dernier rapport du GIEC, publié le 13 avril dernier, rappelle qu’une véritable « révolution économique » est nécessaire pour avoir une chance de limiter à deux degrés l’augmentation de la température moyenne du globe. L’effort international devra à la fois porter sur la recherche d’une meilleure efficacité énergétique et sur une utilisation accrue de l’ensemble des énergies à faibles émissions de carbone, qu’il s’agisse des énergies renouvelables « classiques » (éolien, solaire, biomasse), des énergies propres encore expérimentales (énergies des mers) ou du nucléaire de prochaine génération.
Le rapport « REmap 2030 » de l’Agence internationale des énergies renouvelables, publié le 20 janvier 2014 à l'occasion de son assemblée générale à Abu Dhabi (Emirats arabes unis), va dans le même sens que le GIEC et souligne que les énergies renouvelables pourraient représenter jusqu’à 36 % du mix énergétique mondial en 2030, contre seulement 16 % aujourd’hui, et ce, sans aucun coût supplémentaire.
Aujourd’hui, la demande d’énergie primaire mondiale reste satisfaite à environ 80 % par les énergies fossiles. Le pétrole reste la première source d’énergie, assurant 30 % des besoins mondiaux, suivi par le charbon (27 %) et le gaz (21 %). Les énergies renouvelables satisfont quant à elles 16 % de la demande, dont 9 % pour l’hydraulique. La part du nucléaire dans la consommation d’énergie primaire est d’environ 5 %.
Mais pour arriver à cette part de 36 % d’énergies renouvelables, soit 5,5 gigateps, dans le mix énergétique mondial en 2030, il faut bien comprendre que, compte tenu de la progression de la consommation en valeur absolue, cela suppose, à production hydraulique et nucléaire constante, de produire au moins 4 gigateps à cet horizon uniquement à partir de quatre grandes sources d’énergie renouvelable : la biomasse (terrestre et marine), l’éolien, le solaire et l’ensemble des énergies marines (énergie des marées, des courants marins, des vagues et énergie thermique des mers).
Traduite en production électrique, et sachant que la demande électrique mondiale va augmenter sensiblement plus rapidement que la demande globale en énergie, cela signifie qu’il faut parvenir à produire en 2030, 12 350 TWh par an à l’aide des énergies renouvelables précitées (hors hydraulique et nucléaire), ce qui représente, nous allons le voir, un objectif très ambitieux mais nullement hors de portée de l’Humanité.
Imaginons en effet que, pour atteindre cet objectif planétaire des 36 % d’électricité décarbonée, on se fixe l’objectif suivant : 15 % de l’électricité mondiale produite par l’éolien, 15 % par le solaire et le solde (6 %) par les énergies marines, il faudrait, dans l’état actuel des performances technologiques de ces énergies (calcul volontairement prudent car ces performances et rendement vont très probablement sensiblement progresser d’ici 15 ans) installer 18 500 km2 de panneaux solaires (soit à peine plus de 3 % de la surface de la France) et 62 000 éoliennes géantes marines de 10 MW, pour produire cette part d’électricité propre.
Le solde de 741 TWh (6 %) pourrait être produit grâce à l’ensemble des énergies marines (hors éolien). Il faut en effet rappeler que le potentiel exploitable des énergies marines au niveau mondial est estimé, dans les hypothèses les plus prudentes, à environ 14 000 TWh par an, soit 63 % de la production totale d’électricité dans le monde en 2013. L’Agence Internationale de l’Energie estime pour sa part le potentiel mondial des énergies marines à au moins 20 000 TWh par an, ce qui représente 90 % de la production mondiale actuelle d’électricité…
À cet égard, il faut bousculer quelques idées reçues et rappeler que les énergies marines ne se limitent pas à l’énergie marémotrice (utilisée par la France dans la centrale de la Rance depuis 1967), ni à l’énergie des courants marins, en cours d’expérimentation. Bien que ces deux formes d’énergie des mers représentent respectivement un potentiel exploitable d’environ 400 TWh par an, selon Jean-François Dhédin, chef de projet des énergies marines à EDF, le potentiel énergétique de la mer est également présent, dans des quantités bien plus importantes, sous trois autres formes beaucoup moins connues du grand public mais riches de promesses : l’énergie houlomotrice, produite par le mouvement des vagues (avec un gisement mondial d’au moins 2 000 TWh par an ), l’énergie osmotique, qui repose sur les différences de salinité entre les eaux douces et les eaux salées (avec un gisement mondial d’au moins 1 700 TWh par an) et enfin l’énergie thermique des mers (ETM) qui exploite les différences de température entre les eaux de surface et les eaux profondes et représente un gisement énergétique exploitable colossal d’au moins 10 000 TWh par an.
Il est vrai que pour l’instant, seule l’énergie marémotrice est exploitée à un niveau industriel mais les sites rentables susceptibles d’être équipés sont rares de par le monde et le développement massif de cette forme d’énergie se heurte également à des problèmes de respect de l’environnement. L’énergie des courants marins est en revanche sur le point d’être développée à un niveau industriel, notamment par la France qui a la chance de disposer d’un gisement exceptionnel.
Dans ce domaine, notre pays possède un potentiel de production de l’ordre de 14 TWh/an, soit l’équivalent de deux réacteurs nucléaires de dernière génération. Le premier projet de ferme hydrolienne est bien avancé et comporte l’installation dans les mois à venir de quatre hydroliennes au large de Paimpol et de l’île de Bréhat (Côtes-d’Armor). Au large de la Manche, au raz Blanchard, quatre fermes, comprenant entre 4 et 10 machines, devraient être installées en 2015 et un peu plus tard deux fermes sont prévues au large de Brest sur le site du Fromveur. D’ici 2025, plus de 200 de ces machines pourraient être installées dans nos eaux territoriales et couvrir la consommation électrique de plus de 200 000 foyers.
L’énergie houlomotrice, véhiculée par le mouvement des vagues reste en revanche une curiosité de laboratoire mais son potentiel n’en reste pas moins tout à fait considérable : rien qu’en Europe, il a été estimé à 150 TWh/an (l’équivalent du tiers de la consommation électrique totale de la France), avec une puissance moyenne sur la côte atlantique de 45 kW par mètre linéaire de front de vague au large. La France métropolitaine pour sa part pourrait tirer au moins 40 TWh par an de cette énergie des vagues, soit une production électrique comparable à celle de six réacteurs nucléaires…
Le parc éolien marin mondial reste aujourd’hui modeste, en comparaison de l’éolien terrestre qui fournit déjà chaque année plus de 500 TWh d’électricité (l’équivalent de la consommation totale de la France) mais l’éolien marin, qui représente un potentiel mondial d’au moins 10 000 TWh par an selon les dernières estimations, est appelé à un développement considérable : en 2018, le parc éolien marin mondial devrait atteindre 28 000 MW installés, selon l’Agence Internationale de l’énergie.
Plus généralement, l’EWEA (European Wind Energy Association) estime le potentiel mondial de l’éolien offshore à 3 000 TWh/an : ce qui serait suffisant pour couvrir la consommation européenne en électricité ! Actuellement, le cap des 2 000 éoliennes offshore installées et des 6.500 mégawatts en fonctionnement a été franchi fin 2013 et l’objectif européen de produire 23 % de son électricité à l’aide des énergies renouvelables d’ici 2020 ne pourra être atteint qu’en développant massivement l’éolien marin.
En 2013, 418 nouvelles éoliennes ont été raccordées (dans 12 parcs marins), pour une capacité totale de 1.567 mégawatts, soit 34 % de plus qu'en 2012. Mais l’éolien marin n’est est encore qu’à ses débuts car Siemens prévoit un parc marin européen de 70 000 MW à l’horizon 2030, ce qui correspond à une production annuelle d’au moins 250 TWh, ce qui permettrait de couvrir plus de 5 % des besoins en électricité de l’Europe dans 15 ans !
Il est vrai que notre continent a la chance d’être une des régions du monde les plus adaptées au développement de l’éolien offshore. Son espace maritime est généralement peu profond, en particulier dans les mers du Nord et Baltique qui disposent d’un gisement de fort potentiel en vent et qui plus est, proche des grands centres urbains et industriels d’Europe du Nord.
La France grâce à ses larges façades maritimes, dispose également d’un considérable potentiel énergétique pour l’éolien marin : environ 150 TWh par an, contre seulement 50 TWh pour l’éolien terrestre. A l’horizon 2030, c’est donc plus du tiers de notre production prévisible d’électricité qui pourrait être assurée par le seul l’éolien marin.
Il faut par ailleurs bien comprendre que pour devenir rentable et compétitive par rapport aux énergies fossiles, l’éolien marin dispose de deux avantages décisifs : il peut exploiter des vents plus forts et plus réguliers que l’éolien terrestre et peut recourir à des machines gigantesques (qui dépasseront sans doute les 200 mètres de haut), dont l’installation serait impossible ou très difficile à envisager sur terre, en raison de leur impact sonore et visuel notamment. Chacune de ces éoliennes marines géantes de prochaine génération pourra produire chaque année assez d’électricité pour alimenter plus de 12 000 foyers. Concrètement, cela signifie qu’il suffira d’une cinquantaine de ces machines extrêmement performantes, grâce aux nouveaux matériaux, à l’électronique et à l’informatique, pour alimenter en électricité (hors chauffage), les 600 000 foyers de la ville d’Hambourg…
Mais les énergies issues de la mer ne sont pas seulement liées au mouvement de l’air et de l’eau ni aux propriétés physico-chimiques des océans. La biomasse marine et notamment les algues constituent également une prodigieuse source potentielle d’énergie. Il existerait plus d’un million d’espèces de microalgues dont certaines, cultivées dans des conditions appropriées, peuvent accumuler les trois quarts de leur poids en acide gras. Certaines de ces variétés d’algues peuvent en outre être cultivées avec une productivité très grande, par rapport à la surface occupée et ne nécessitent pas le recours à des pesticides. Enfin, dernier avantage mais non le moindre, ces aquacultures industrielles d’algues n’entrent pas en compétition avec les terres agricoles.
Depuis trois ans, la France s’est enfin décidée à développer de grands programmes de recherche dans ce domaine, comme Greenstars qui regroupe une cinquantaine d’industriels et d’importants organismes de recherches publiques et privées.
Notre pays est également en pointe dans un projet particulièrement novateur présenté il y a quelques semaines et baptisé « Purple Sun », qui associe sept partenaires industriels et scientifiques et vise à la production conjointe d’algocarburants et d’électricité photovoltaïque. L’objectif de ce projet unique au monde, basé à Sophia-Antipolis, est de combiner la production de biomasse issue des algues et d’électricité en utilisant sélectivement la lumière. Concrètement, il s’agit de mieux utiliser les différentes longueurs d’onde de la lumière solaire de manière à éclairer avec le maximum d’efficacité, en termes de rendement énergétique, à la fois des microalgues et des cellules photovoltaïques.
Si cette expérimentation actuellement confinée à un laboratoire était transposée à la surface d’un terrain de football, il serait possible, selon les calculs des chercheurs, de produire environ chaque année 50 tonnes de biomasse, soit 15 tonnes de biocarburant, et 200 mégawatt-heures d’électricité solaire. Mais ce concept de serre photovoltaïque pour micro algues pourrait également être étendu à d’autres types de culture, selon Christine Poncet, directrice adjointe de l’Institut Sophia Agrobiotech qui souligne qu’il existe dans le monde plus de 4 millions d’hectares cultivés sous serre…
On le voit, la mer constitue un gisement gigantesque et inépuisable d’énergies de toute nature mais, malheureusement, jusqu’à présent, faute d’un intérêt réel des Pouvoirs Publics et de programmes de recherche sur le long terme, beaucoup de ces formes d’énergie marine sont restées peu exploitées.
Dans ce tour d’horizon des énergies marines, il faut enfin évoquer le potentiel absolument colossal que représentent les hydrates de méthane dont nous avons déjà eu l’occasion de parler à plusieurs reprises dans cette lettre. Ces composés d’origine organique sont naturellement présents au fond des océans et se présentent sous la forme de glaçons dont la stabilité est assurée par la forte pression et la faible température qui règne au fond des mers. Selon les estimations les plus prudentes, les hydrates de méthane représenteraient un potentiel énergétique deux fois supérieur à celui que représente l’ensemble des réserves mondiales de gaz, de pétrole et de charbon réunis…
Au cours des trois dernières années, plusieurs projets de recherche américain et japonais ont montré la faisabilité d’une exploitation à grande échelle, respectueuse de l'environnement, de certains de ces gisements d’hydrates de méthane en employant une nouvelle technique révolutionnaire qui consiste à récupérer des hydrates de méthane en injectant un mélange de dioxyde de carbone (CO2) et d'azote pur dans un puits très profond creusé dans le pergélisol. Les premiers essais de cette nouvelle technique semblent montrer qu’elle permettrait de récupérer efficacement et de manière propre de grandes quantités d’hydrates de méthane piégés en profondeur. Cette nouvelle et prometteuse source d’énergie marine constitue évidemment un atout stratégique majeur pour notre pays qui a la chance de posséder un vaste domaine maritime de plus de 11 millions de kilomètres carrés.
Il y a quelques jours ont été publiés les 10 plans de la « Nouvelle France Industrielle » qui concernent la transition énergétique que souhaite effectuer notre pays (Voir Ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie). Il est pour le moins étonnant qu’aucun de ces 10 plans ne concerne explicitement la recherche et le développement dans ce domaine, pourtant si important pour notre avenir, concernant l’extraordinaire potentiel énergétique des mers et des océans.
Pourtant, si notre pays veut satisfaire à ses obligations européennes en matière de transition énergétique et même aller plus loin et prendre la tête de l’indispensable transition énergétique mondiale qui va devoir s’opérer au cours des 30 prochaines années pour éviter une catastrophe climatique de grande ampleur et produire plus de la moitié de son énergie de manière propre et décarbonée d’ici le milieu du siècle, nous devons dès à présent commencer à exploiter massivement l’ensemble très diversifié des différentes formes d’énergie marine.
Dans cette perspective, il faut souhaiter que nos responsables politiques prennent clairement conscience des enjeux économiques scientifiques, technologiques et industriels que représentent le développement et l’exploitation à grande échelle de ces énergies marines et mettent en œuvre un grand Plan Energétique Marin - PEM -, sur au moins 10 ans, associant partenaires publics et privés et doté de moyens budgétaires suffisants.
Souhaitons que notre pays, qui possède à la fois un immense espace maritime et les compétences humaines, scientifiques et industrielles nécessaires, sache prendre la tête de cette transition énergétique mondiale inévitable et se tourne vers le grand large pour réussir à construire cette nouvelle économie qui saura enfin exploiter, pour le plus grand bien de toute l’Humanité, les prodigieuses ressources énergétiques inépuisables, renouvelables et propres que nous offrent nos océans.
René TRÉGOUËT
Sénateur Honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat
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tebruc
24/05/2014article très intéressant. Mais le transport de cette énergie marine vers l’intérieur des pays continentaux comme la Chine ou la Russie va poser de gros problèmes d'infrastructures.
et même en France, l'alimentation de Nice est déjà un problème.