Edito : Théorie de l'évolution : deux éclatantes confirmations
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Alors que la théorie de l'évolution proposée par Darwin il y 150 ans est de plus en plus remise en cause depuis quelques années, quand elle n'est pas purement et simplement niée, par des mouvements religieux fondamentalistes et intégristes qui n'ont jamais admis l'idée d'une explication scientifique et rationnelle du monde et le principe d'une longue évolution de la vie et des espèces, deux remarquables découvertes sont venues, à quelques jours d'intervalle, confirmer de manière éclatante, et difficilement contestable, la théorie de l'évolution.
La première découverte concerne un fossile humain qui vient combler la chaîne clairsemée de l'évolution humaine. Des restes vieux de 4,2 millions d'années permettent désormais aux scientifiques de mieux expliquer les bonds d'une espèce à l'autre des ancêtres de l'être humain. Le fossile de cet Australopithecus anamensis a été déterré dans la vallée de l'Awash, dans le nord-est de l'Ethiopie, où ont été découverts les restes de sept autres espèces apparentées à l'homme. Ces découvertes couvrent près de six millions d'années et trois phases cruciales de l'évolution humaine.
"Nous venons de découvrir la chaîne de l'évolution, le fil du temps", a expliqué l'un des auteurs de l'étude, Berhane Asfaw, anthropologue éthiopien. C'est la preuve de l'évolution en un endroit dans le temps. "Les résultats des travaux ont été présentés le 12 avril dans la revue scientifique « Nature".
Jusqu'à présent, les scientifiques n'avaient que des fossiles dispersés un peu partout à travers le monde. Ces découvertes dans une seule région permettent d'obtenir un portait plus précis du processus de l'évolution.
La seconde découverte, publiée dans Nature, concerne des fossiles mi-poissons mi-tétrapodes, découverts dans l'Arctique canadien, rétablissant un chaînon manquant dans l'évolution entre poissons et animaux capables de se mouvoir sur la terre ferme, il y a quelque 375 millions d'années. Les fossiles de Tiktaalik roseae, sorte de poisson-alligator plat doté de nageoires articulées capables de supporter un corps de plus de deux mètres de long, permettent de "documenter la séquence des changements évolutionnaires" qui a abouti aux tétrapodes, soulignent les auteurs de ces articles dans la revue scientifique.
Jusqu'à la découverte de ces fossiles, l'origine des principales caractéristiques des tétrapodes était restée dans l'ombre. On sait à présent que les tétrapodes, ces vertébrés qui aujourd'hui comprennent aussi bien les reptiles (dont les serpents) que les amphibiens, les oiseaux et les mammifères, se sont adaptés à la vie terrestre grâce à leurs deux paires de "membres marcheurs", issus des nageoires lobées des sarcoptérygiens (poissons primitifs).
Dans l'évolution, Tiktaalik vient après Panderichthys, poisson fossile connu pour son spiracle, un large évent à l'arrière de la tête qui semble ébaucher l'oreille interne des tétrapodes et vieux de plus de 380 millions d'années, et avant les premiers tétrapodes, Acanthostega et Ichthyostega, qui vivaient il y a 365 millions d'années et dont les membres étaient équipés de métacarpes. Les chercheurs ont établi que Tiktaalik présentait déjà des caractéristiques qui le distinguent nettement des sarcoptérygiens. L'animal est de forme aplatie, ses yeux sont placés sur le même plan que le dos, son cou est mobile, ses côtes sont solidaires de l'axe du squelette et il est doté d'une ceinture scapulaire (liaison osseuse avec le sternum) ainsi que de nageoires antérieures capables d'accomplir des mouvements complexes tout en soutenant le corps.
Tiktaalik vivait au nord de ce qui était alors le continent euraméricain, dans un climat subtropical à tropical. Il évoluait dans des eaux fluviales lentes et peu profondes. Dans cet environnement, le découplage de la tête (d'une vingtaine de centimètres de long) par rapport au reste du corps et les changements dans son mode de locomotion lui ont permis d'adapter sa façon de se nourrir, voire de respirer avec un système à mi-chemin entre les branchies et la pompe buccale, analysent les auteurs de l'article. La découverte de Tiktaalik vient donc étayer l'hypothèse selon laquelle c'est "l'habitat en eaux peu profondes dans les plaines inondables du continent euraméricain pendant le Dévonien supérieur qui a abrité la transition entre les poissons et les tétrapodes".
Au fil de l'évolution, cette lignée de vertébrés qui possédaient des branchies et des poumons pour pouvoir vivre à la fois dans et hors de l'eau a perdu ses branchies. C'est la perte de leur opercule à l'arrière de la tête qui leur a permis de la lever pour respirer occasionnellement hors de l'eau, geste rendu possible grâce à un début de cou flexible qui séparait la tête de la ceinture pectorale.
Ce nouveau fossile confirme une étape-clé de l'évolution des espèces entre les poissons et les vertébrés terrestres qui allaient sortir définitivement de l'eau pour marcher sur la terre ferme, une vingtaine de millions d'années plus tard, c'est-à-dire il y a 360 millions d'années. De la même manière qu'il y a 150 millions d'années Archeopteryx définit la transition entre les reptiles (et particulièrement les dinosaures) et les oiseaux.
En s'emboîtant parfaitement dans une case laissée vide jusqu'à présent entre les poissons et les vertébrés à quatre pattes, Tiktaalik représente bien le fameux «chaînon manquant» dont rêvaient les paléontologues.
La troisième découverte est tout aussi capitale. Des scientifiques ont en effet pour la première fois montré étape par étape le processus par lequel la nature crée une nouvelle pièce de mécanique moléculaire en modifiant des éléments existants, dans une étude publiée par la revue américaine Science du 7 avril 2006. Ces travaux confirment pleinement la théorie de l'évolution de Darwin et portent un coup très rude au principal argument de ses adversaires, défenseurs de la théorie du "dessein intelligent".
"Nous avons découvert que la complexité moléculaire évolue par transformation, par le biais d'un processus d'exploitation moléculaire, permettant à de vieux gènes, forcés par la sélection à des fonctions entièrement différentes, d'être recyclés pour de nouvelles fonctions", souligne Joe Thornton, biologiste et principal auteur de cette étude. "Notre recherche fait la démonstration de l'erreur fondamentale de l'argument de ceux remettant en question la théorie de Darwin", a encore dit ce scientifique de l'université d'Oregon.
Les adversaires de Darwin, soutiennent que les systèmes moléculaires sont trop complexes pour s'expliquer par une évolution progressive résultant uniquement du processus de sélection naturelle. Charles Darwin lui-même était conscient de cette difficulté et pensait qu'il faudrait étudier les formes ancestrales des organismes pour comprendre toutes les étapes de l'évolution.
"De nouvelles techniques nous permettent de voir comment d'anciens gènes, aujourd'hui disparus ont évolué il y a des centaines de millions d'années", a expliqué Thornton, biologiste et principal auteur de cette étude. "Nous avons découvert que la complexité moléculaire évolue par transformation, par le biais d'un processus d'exploitation moléculaire, permettant à de vieux gènes, forcés par la sélection à des fonctions entièrement différentes, d'être recyclés pour de nouvelles fonctions", souligne Joe Thornton. "Notre recherche fait la démonstration de l'erreur fondamentale de l'argument de ceux remettant en question la théorie de Darwin", a encore dit ce scientifique de l'université d'Oregon.
Ces biologistes ont pu ainsi reconstituer l'évolution du gène récepteur de l'hormone aldostérone (régulateur des reins) ayant existé 450 millions d'années plus tôt, avant que le premier animal pourvu d'un squelette n'apparaisse sur Terre.
Les expériences ont montré que ce récepteur avait la capacité d'être activé par l'aldostérone bien avant que cette hormone existe et que ce récepteur a également répondu à une hormone beaucoup plus ancienne que l'aldostérone mais de structure similaire. Le récepteur était donc "pré-adaptable" pour devenir apte à une nouvelle relation fonctionnelle avec l'aldostérone une fois que celle-ci apparaîtra. "Le processus d'évolution de la mécanique moléculaire par étape que nous avons pu reconstituer est entièrement conforme à la théorie de Darwin", a souligné Joe Thornton.
Certaines découvertes constituent des moments exaltants dans l'histoire des sciences et plus largement dans les progrès de la connaissance car elles lèvent brusquement le voile sur un mystère longtemps demeuré irrésolu et donnent à un ensemble de faits et d'observations et à leur cadre théorique de référence, une force, une cohérence, et, osons le mot, une élégance nouvelle. Nous sommes sans doute en train de vivre un de ces moments et c'est une part d'ombre sur la prodigieuse aventure de la vie qui vient de se dissiper.
A la lumière de ces trois découvertes majeures, le génie de Darwin apparaît une fois de plus de manière éclatante et sa théorie de l'évolution, sans cesse enrichie et complétée depuis plus d'un siècle par les apports de la biologie et de la génétique représente bien, n'en déplaise à ses détracteurs, la théorie la plus convaincante et la plus cohérente pour expliquer l'extraordinaire évolution de la vie depuis 3,8 milliards d'années, et l'une des plus remarquables avancées conceptuelles de tous les temps, équivalente dans le domaine du vivant à la relativité générale d'Einstein dans le domaine de la physique.
René Trégouët
Sénateur honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat
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