Edito : Le temps va devenir le bien le plus précieux pour l'Homme
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Ce sont les outils utilisés par l'Homme qui ont déterminé, depuis des millénaires, le temps réel qu'il a dû consacrer au travail. Cela est aussi vrai pour le paysan de Mésopotamie il y a 5000 ans avec l'araire, que pour le canut il y a 150 ans avec le métier à tisser, que pour l'agent de production de nos jours, assemblant une automobile sur une ligne automatisée. Ce qui est nouveau depuis quelques courtes décennies est que l'outil qui, depuis la roue, avait comme finalité de se substituer à la force musculaire, donc de diminuer l'effort physique de l'homme, a maintenant comme fonction complémentaire de conforter sinon remplacer sa mémoire et plus encore de l'aider sinon se substituer à lui pour prendre des décisions. Par ailleurs, l'outil qui fut essentiellement individuel pendant plusieurs millénaires était devenu collectif depuis plus d'un siècle avec la production de masse. De nouveau, grâce aux nouvelles technologies de l'information et de la communication, nos outils ont tendance à redevenir individuels. Cette tendance lourde de l'évolution de notre Monde et cette nouvelle approche du travail qu'elle induit ne pourra être entravée, ni même déviée, par aucun gouvernement mais, par contre, n'est-il pas dans la mission fondamentale du responsable politique de savoir anticiper sur cette mutation inexorable pour éviter que se creuse un fossé abyssal entre ceux qui bénéficieront de l'usage de ces nouveaux outils et ceux qui en seront exclus ? De plus, le rapport au travail sera très différent entre ceux dont le travail (intellectuel ou physique) sera amplifié par l'outil, en quantité produite dans un temps de référence, et de l'autre côté ceux dont les tâches ne pourront pas être accélérées par la machine. Ainsi, alors que la productivité brute (en capacité de calcul) a été multipliée par 10.000, en moins de 30 ans, par un ingénieur qui, par exemple, simule le fonctionnement d'une machine complexe et ce, pour des coûts fortement décroissants, dans cette même période, il faut toujours le même temps aujourd'hui qu'il y a 30 ans à une infirmière pour faire un pansement, à une coiffeuse pour réaliser une coupe de cheveux, à une serveuse pour servir un repas, à un chauffeur-routier pour livrer ses colis aux clients. Les classifications anciennes décrites par Colin CLARK vont laisser place à une nouvelle division du travail qui va rapidement nous faire découvrir un paysage nouveau. Ainsi, ne soyons pas surpris si dans quelques courtes années nous voyons manifester côte à côte le médecin, le carreleur et la femme de ménage. Ils ont tous comme handicap fondamental dans le monde nouveau de ne pouvoir amplifier leur " productivité " par la machine. D'ailleurs, et cela se vérifie actuellement dans tous les pays développés, ces métiers non " automatisables " connaissent partout un déficit de recrutement parmi les jeunes. Face à la montée en puissance d'un tel nouveau monde, le gouvernement français voudrait apporter une réponse singulière, qu'il est le seul dans le monde à proposer, en voulant imposer une réduction uniforme du temps de travail. Nous devrions prêter attention, devant une telle volonté politique, à un type de réponse venant des entreprises françaises, qui pourrait nous surprendre. Le défi lancé par la réduction autoritaire du temps de travail aura de telles conséquences vitales sur certaines entreprises qu'elles vont accélérer la mutation qui leur est suggérée par les nouvelles technologies. Ne pouvant, à terme, faire face à une trop forte augmentation de leur masse salariale, elles vont, beaucoup plus rapidement que dans les autres pays industrialisés, se redéployer et externaliser un nombre grandissant de tâches pour les confier à des individus connectés dont aucun gouvernement, aussi dirigiste soit-il, ne pourra heureusement contrôler la durée réelle du temps de travail. S'il en était ainsi et si ce mouvement d'externalisation d'un nombre grandissant de fonctions d'une entreprise, s'appuyant sur des individus rémunérés à la tâche, reliés les uns aux autres par les réseaux, prenait de l'ampleur, nous pourrions alors entrer dans un mouvement long mais inexorable de régression du salariat que sa jeunesse rend encore bien vulnérable puisqu'il ne compte, réellement, de façon massive, qu'un siècle d'existence dans la déjà longue histoire de l'homme. Mais dans le profond débat qui s'ouvre dans notre Pays sur la durée réelle du temps de travail, il y a une mutation bien plus fondamentale encore qui est en train d'émerger et qui va bouleverser nos sociétés. Dorénavant, dans nos pays comblés, et malheureusement marqués par un égoïsme que nous risquons de payer très cher dans quelques décennies, l'un des biens essentiels ne sera plus uniquement l'argent. C'est le temps qui va devenir le bien le plus précieux. Serait bien imprudent le gouvernement qui dorénavant ne voudrait pas parler du temps que chacun doit réserver au travail dans sa vie. Il serait même mortel pour tout nouveau gouvernement de vouloir considérer comme non avenu le débat qui, actuellement, s'ouvre dans notre Pays sur la durée du temps de travail et vouloir revenir au statu quo ante. Mais ce débat qui est un vrai débat de société mérite d'être mieux abordé qu'il ne l'est actuellement. Il ne faudra plus traiter le temps que nous devons réserver au travail à la " petite semaine " comme cela est actuellement discuté par notre Parlement mais le peser dans sa globalité sur toute une vie : c'est du bonheur de vivre des Français dont nous parlons.
René Trégouët
Sénateur du Rhône
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