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Edito : Télécommunications : le cuivre va définitivement laisser sa place à la fibre et à la 5G
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René Trégouët
Sénateur Honoraire
Créateur du Groupe de Prospective du Sénat
Rédacteur en Chef de RT Flash
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EDITORIAL :
Télécommunications : le cuivre va définitivement laisser sa place à la fibre et à la 5G
Apparu en France en 1879, seulement trois ans après son invention par Graham Bell, le téléphone mit plus d’un siècle à se répandre sur l’ensemble de notre territoire, à se généraliser à l’ensemble de nos foyers, et à fonctionner de manière fiable et moderne. Il fallut en effet attendre 1970 pour que notre pays se dote de son premier central électronique, et 1979 pour que les opératrices disparaissent définitivement et que le téléphone soit entièrement automatique partout en France. Quant à la transition numérique et optique, toujours inachevée aujourd’hui, elle commença il y a un demi-siècle et fut notamment marqué par le lancement du minitel, en 1981, de la première liaison optique Lannion-Perros, en 1983, et du Réseau Numérique à Intégration de Services (RNIS) en 1987. Une nouvelle étape majeure commença en 1989, avec l’ouverture du Web au grand public et l’intégration progressive, mais inexorable, des multiples services de télécommunications, mais aussi des programmes de télévision, à la sphère de l’Internet. On mesure mieux le chemin parcouru quand on rappelle qu’en 1970, il y à peine plus d’un demi-siècle, moins d’un foyer sur dix en France avait une ligne de téléphone, et qu’en 2020, le nombre d'abonnements au service de téléphonie fixe en France était de 37,7 millions, soit au taux d’équipement des ménages de l’ordre de 110 %... Quant aux mobiles, le taux d’équipement a augmenté bien plus rapidement, puisqu’il est passé de seulement 5 % des ménages en 1996… à 110 % en 2020.
Parmi les nombreuses conséquences inattendues qu’ont eues les confinements liés à la pandémie de Covid-19, l’une d’entre elles a été la redécouverte du bon vieux téléphone fixe par nos concitoyens. C’est en tout cas ce que nous apprend le récent rapport de l’Arcep qui montre que le volume des échanges téléphoniques par le fixe a atteint au deuxième trimestre 2020 un record depuis 20 ans : 72,2 milliards de minutes, soit une augmentation de 28 % en un an contre – 2 % un an auparavant. De ce fait, la consommation mensuelle moyenne des détenteurs d’un abonnement téléphonique sur réseaux fixes en voix sur large bande (2 h 17 par mois), qui était en baisse de 20 à 30 minutes par an et par abonnement, a progressé de près d’une demi-heure en un an sur le réseau téléphonique commuté – RTC – reposant sur des infrastructures en cuivre.
Pourtant, comme cela s’est passé avec la télévision hertzienne qui est passée au numérique avec la TNT, et avec la radio, qui est train de faire sa transition de l’analogique au DAB (Diffusion audio Numérique), la téléphonie fixe est appelée à basculer de manière progressive, mais inéluctable, sur l’internet et sur les réseaux en fibres optiques. Depuis le 15 novembre 2018, les offres de téléphonie fixe classique (RTC) ne sont plus commercialisées et Orange a annoncé en 2016 qu’il allait progressivement fermer, puis démonter, au cours des dix prochaines années, son immense réseau-cuivre en France.
Il est vrai que l’entretien de ce réseau-cuivre vieillissant est pour Orange un lourd fardeau. Cet opérateur y consacre 500 millions d’euros par an, notamment parce que les interventions deviennent plus nombreuses et plus complexes, alors que les compétences des techniciens se font au contraire de plus en plus rares sur ce type de réseau. Orange, en tant qu’opérateur historique, est cependant tenu d’entretenir correctement le réseau cuivre et de maintenir la qualité de service, qui ne cesse de se dégrader. Fin 2018, l’Arcep, saisie par des collectivités, avait même mis en demeure Orange de rétablir la qualité du « service universel », sous peine d’une amende d’un milliard d’euros. Mais fermer et démanteler le réseau-cuivre est d’autant plus compliqué pour Orange que l’opérateur doit aussi développer, en parallèle, le réseau fibre et les réseaux mobiles, 4G et 5G. Pour faciliter cette complexe transition, l’Arcep a accepté d’augmenter légèrement le tarif de dégroupage, c’est-à-dire le prix payé par mois et par ligne à Orange par SFR, Bouygues Télécom et Free pour utiliser son réseau cuivre. Il va passer de 9,46 à 9,65 € pour la période 2021-2023, et pourrait encore augmenter, l’objectif étant que notre pays bascule au plus vite vers un réseau entièrement optique.
Et le moins qu’on puisse dire c'est que ce chantier pharaonique qui s’ouvre ne sera pas de tout repos, surtout quand on sait que les lignes téléphoniques parcourant toute la France reposent sur 18 millions de poteaux et relient les 14.000 centraux de commutation, avant de desservir 21 millions d’abonnés. Au total, Orange estime qu’il faudra extraire 110 millions de kilomètres de « paires de cuivre » - les deux fils qui arrivent dans les foyers, jusqu'à la « prise en T ».
Ce démantèlement du réseau-cuivre est, on s’en doute, un sujet économique et politique sensible, et fait l’objet d’une attention particulière de la part des pouvoirs publics et des autorités de contrôle. L’Autorité de la concurrence a par exemple demandé à l’Arcep de veiller à ce que les mesures prises n’avantagent ou ne désavantagent pas indûment certains opérateurs, et n’affaiblissent pas le contexte dynamique concurrentiel actuel. Le gouvernement souhaite évidemment, en concertation avec les collectivités locales, garder la maîtrise sur cette transition longue et délicate, ce qui passe par l’établissement d’une « feuille de route », concertée et précise, portant sur le calendrier des travaux nécessaires et de la bascule progressive des abonnés du cuivre vers la fibre. L’Autorité de la concurrence a également approuvé la proposition de l’Arcep de n’autoriser une fermeture du réseau de cuivre qu’avec un délai de prévenance de deux mois pour les offres généralistes et de six mois pour les offres spécifiques des entreprises, dans les zones déjà desservies par la fibre, afin de ne pas porter préjudice aux clients, qu’ils soient particuliers ou professionnels.
En mars dernier, Laure de La Raudière, la nouvelle présidente de l'Arcep, a profité de sa première audition parlementaire devant la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable du Sénat, pour rappeler que « Beaucoup de Français utilisent encore le cuivre pour téléphoner ou accéder à Internet. Ils doivent donc avoir une bonne qualité de service tant qu'ils ne basculent pas vers la fibre ». Cédric O, secrétaire d’État chargé de la Transition numérique et des Communications électroniques, n’a pas été en reste, insistant sur le fait que « Le maintien de la qualité du réseau cuivre n’est pas seulement un défi technique de grande ampleur, c’est avant tout une responsabilité humaine de ne pas abandonner les Français qui dépendent du réseau historique ».
Le 21 mai dernier, Orange a dévoilé son plan d’action visant à organiser dans les meilleures conditions la sortie du cuivre pour 2030, et il a bien compris les différents messages qui lui ont été adressés. Dans ce plan, Orange s’est engagé à consacrer 500 millions d’euros par an pour maintenir la qualité de service du réseau cuivre (10 millions d’euros supplémentaires seront en outre alloués à 17 territoires prioritaires). En cas de dysfonctionnement, Orange s’engage également à fournir une solution de secours en 24 heures maximum à partir du signalement de l’incident, sous réserve d’une couverture mobile. A défaut d’une couverture mobile, pour les cas d’interruption de service collective sur une portion de réseau, une solution de téléphonie satellitaire sera mise à disposition en mairie.
Le 26 novembre dernier, à l’occasion du « Trip d’automne » de l’Avicca, le PDG d’Orange, Stéphane Richard, a confirmé qu’il est impossible d’imaginer que l’on garde deux réseaux fixes durablement, soulignant le fait que le chantier de la fibre optique avance plus vite que prévu. Il a rappelé que la France, longtemps à la traîne en matière d’infrastructures numériques, dépassait à présent les autres pays européens. Il est vrai qu’avec, aujourd’hui, 14 ans après le lancement officiel de la fibre optique « grand public » par France Télécom en 2007, plus de 70 % de foyers raccordables à la fibre (27 millions de locaux desservis), la France est loin devant l’Italie (42 %), ou l’Allemagne et le Royaume-Uni, avec 14 % de foyers raccordables. L’ensemble des opérateurs télécoms comptent à présent 14 millions d’abonnés à la fibre. Quant à Orange, il reste leader sur la fibre optique, avec 5,6 millions d’abonnés « tout fibre » (FTTH). En 2020, 3,3 millions de Français ont souscrit à un abonnement à la fibre, quand 2,5 millions d’entre eux ont résilié leur abonnement cuivre (DSL1). Basculement symbolique, depuis juillet dernier, 51 % des abonnements au Web (sur le fixe) sont en très haut débit (THD), selon les derniers chiffres de l'Arcep. Notons cependant que les abonnés ADSL, même si leur nombre diminue régulièrement, sont encore 7,7 millions en France…
Mais pour Orange, comme pour les autres opérateurs, l'abandon du réseau cuivre est à présent inexorable, même s’il doit être organisé, progressif et contrôlé par l’Etat, de façon à garantir à tous nos concitoyens un accès à l’internet et au service universel de télécommunications. D’ici la fin de cette année, 10 millions de foyers, raccordables à la fibre optique, ne devraient plus avoir l’accès à l’ADSL. A partir de 2023, Orange ne commercialisera plus de forfaits ADSL dans l'Hexagone et commencera également les travaux de démantèlement de son réseau-cuivre, dans les zones déjà couvertes par la fibre. En raison de sa grande complexité, Orange ne pourra mener seul ce chantier et souhaite l’aide des collectivités, au contact direct des utilisateurs du réseau cuivre. « On ne pourra réussir cette opération si sensible pour les populations qu’en associant étroitement tous les autres opérateurs, les pouvoirs publics, les collectivités locales et l’Arcep » a souligné Mr Richard.
Deux nouvelles instances seront donc créées pour renforcer la coordination entre Orange et les collectivités locales : d’une part, des comités de concertation locaux à l’échelle départementale, qui rassembleront les représentants des élus et les opérateurs, sous la présidence des préfets, afin de traiter des sujets de connectivité fixe et mobile. D’autre part, un comité de concertation national sur le plan d’action d’Orange qui rassemblera, en plus de l’opérateur, des représentants de la commission supérieure du numérique et des postes (CSNP), des représentants des associations de collectivités territoriales et les services de l’État.
Cette montée en charge de la fermeture des lignes devrait se faire de manière progressive d’ici à 2026, avec environ 1,5 million de lignes concernées, avant d’accélérer le rythme et de passer à 6 millions de lignes éteintes chaque année. Ce chantier colossal doit s’achever dans une bonne dizaine d’années, le temps de régler les innombrables problèmes d’accès aux sections de ce réseau-cuivre enfouies sous les routes ou dans les propriétés privées. Quant au coût final de cette opération, hors norme, de démontage, il se chiffrera sans doute en dizaines de milliards d’euros, surtout si l’on intègre les nouvelles exigences en matière de pollution et de respect de l’environnement. Orange de dit prêt à prendre en charge l’essentiel de ces coûts, mais pas la totalité. L’opérateur historique estime que la fermeture du réseau-cuivre devra également faire l’objet de financements spécifiques, dont la révision des tarifs du dégroupage.
Patrick Chaize, sénateur de l’Ain et président de l’Avicca (Association des Villes et Collectivités pour le Communications électroniques et l’Audiovisuel), a néanmoins rappelé récemment que la dépose du réseau cuivre offrira de nouvelles recettes pour Orange et demande à ce que soient bien examinées toutes les conséquences financières du chantier. Cet élu a notamment rappelé qu’un kilo de cuivre correspondait à 200 mètres d’une paire de cuivre et que le prix du cuivre avait grimpé de 60 % depuis 5 ans, atteignant aujourd’hui 8 320 euros la tonne.
Bien qu’Orange affirme que, pendant cette période de transition d’environ 10 ans, il n’y aura pas « d’abandon du cuivre » et que le réseau sera entretenu et maintenu à un niveau de qualité suffisant, il est très probable que cette transition historique du cuivre vers l’optique nécessitera un nouveau cadre législatif et réglementaire, notamment pour redéfinir clairement le service universel garanti à tous les abonnés, qu’ils soient encore sur le réseau-cuivre ou, de plus en plus nombreux, sur le réseau optique, en THD. Ce nouveau cadre législatif devra également définir les droits et obligations des clients qui voudront rester jusqu’au bout des utilisateurs irréductibles du cuivre. Mais la fin du réseau-cuivre n’en reste pas moins acté, et 10 millions de foyers n’auront plus accès à l’ADSL, dans quelques jours, d’ici fin 2021. En 2023, non seulement Orange cessera de commercialiser des forfaits ADSL, mais il commencera sur le terrain le démantèlement de ce réseau dans toutes les zones déjà couvertes par la fibre.
Reste que les autres opérateurs, et notamment Free, le grand concurrent d’Orange, verraient bien une transition vers le « tout optique » plus rapide et plus volontariste. Xavier Niel, le patron de Free réclame une “migration pro-active” du cuivre à la fibre optique. Selon lui, Orange, qui est chargé d'entretenir le réseau cuivre, doit arrêter le plus vite possible “de réparer les accès cassés” du réseau cuivre, dont les coûts de maintenance ne cessent d’augmenter au fil des années. Free se prononce donc, logiquement, pour une feuille de route plus serrée, prévoyant un arrêt immédiat de la commercialisation de l’ADSL dans les zones totalement fibrées. Sur cette question essentielle de l’égalité d’accès de nos concitoyens et des territoires au très haut débit, sur ses différentes firmes, l’Etat, en étroite concertation avec nos collectivités locales, devra être particulièrement vigilant et veiller, tout en accélérant autant que possible la couverture optique généralisée de notre pays, à ce qu’Orange continue de garantir un niveau et une qualité de service suffisant sur son réseau-cuivre, qui restera pendant encore au moins dix ans indispensable à la bonne desserte numérique de nos territoires ruraux.
On le sait, l’objectif fixé par notre pays, en 2013, est une couverture optique de 100 % du territoire en 2025. Dans cette perspective, l’Etat, dans le cadre du plan de relance, a décidé un effort supplémentaire de 570 millions pour accélérer le déploiement de la fibre, notamment dans les régions rurales les moins denses, et les moins rentables pour les opérateurs, à cause du coût moyen plus élevé du raccordement jusqu’à l’utilisateur final. Et cette aide supplémentaire ne sera pas de trop, quand on sait que le coût final de la couverture optique complète en THD de la France, initialement estimé à 20 milliards, a été réévalué à 35 milliards par la Cour des Comptes.
Il faut enfin souligner que la généralisation du très haut débit à l’ensemble de notre territoire ne se réduit pas au déploiement de la fibre optique vers tous les foyers et toutes les entreprises. Elle intègre également une autre rupture technologique majeure, dont on ne mesure pas encore l’immense portée, la 5G. Les opérateurs commencent enfin à déployer massivement cette nouvelle technologie de très haut débit sans fil sur la bande des 3,5 GHz, qui permet un véritable bond en avant en matière de débit. Pour l’instant, le réseau 5G d’Orange permet, là où il est ouvert, un débit descendant de 142 Mb/s en moyenne, mais ce débit devrait atteindre 2,1 Gb/s en 2025, puis, dans les conditions les plus favorables, 10 Gb/s en 2030. Selon le calendrier des pouvoirs publics, l’accès à la 5G devra être possible des 2025 pour deux tiers de la population, et le réseau mobile devra avoir entièrement basculé en 5G d’ici 2030.
Il est évidemment très important que le déploiement du très haut débit optique, d’une part, et de la 5G, d’autre part, s’effectue de manière coordonnée, car, selon les prévisions récentes du cabinet d’Arthur D Little, la 5G va bouleverser l’ensemble de notre économie et de notre société, à commencer par cinq secteurs d’applications majeurs : l’industrie 4.0 (automatisation, pilotage à distance des machines), les transports (véhicules communicants, gestion du trafic), l'énergie et l'eau (gestion en temps réel, détection d'anomalies), la santé (télémédecine, soins à domicile) et l’agriculture (robotique, satellites). La complémentarité et la synergie entre le réseau optique à très haut débit et la 5G vont en outre permettre, avec la montée en puissance du protocole IPv6, un basculement du Web vers l’Internet des objets. Selon différentes études prospectives récentes, le nombre total d’objets connectés dans le monde pourrait passer de 38 milliards, en 2021, à 75 milliards en 2025, avant de dépasser les 200 milliards en 2030. En France, 63 % des foyers déclarent posséder au moins un appareil connecté chez eux, selon une récente étude réalisée par OnePoll.
On le voit, la fin annoncée du réseau-cuivre de télécommunications, après un siècle et demi de bons et loyaux services, sera symboliquement très forte. Elle marquera à la fois la fin d’une longue aventure technologique qui nous ramène à l’invention du télégraphe, puis du téléphone, et le début d’une nouvelle ère « d’ubiquité communicationnelle totale », porteuse d’immenses potentialités, dans laquelle les échanges d’informations s’inscriront dans un nouveau triangle dynamique et synergique : communication interhumaine, communication inter-objets et communication entre les hommes et l’ensemble des objets qui forment son environnement…
René TRÉGOUËT
Sénateur du Rhône
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat
e-mail : tregouet@gmail.com
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