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Edito : Le stockage massif de l’énergie devient enfin un enjeu de société
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En 2023, selon le rapport ember-climat (Voir EMBER), la part des énergies renouvelables dans la production mondiale d’électricité a atteint 39 %. Cette part devrait atteindre 60 % en 2040 et au moins 80 % en 2050, pour ramener les émissions mondiales de CO2 de 40 à 20 gigatonnes par an, niveau considéré comme absorbable par les sols, les forêts et les océans et compatible avec une limitation de l’augmentation des températures de l’ordre de deux degrés. Mais cette décarbonation massive, à marche forcée, de la production électrique suppose de multiplier par dix d’ici 2050 la production solaire et éolienne d’électricité. Or ces deux sources considérables d’énergie sont et resteront par nature intermittentes et non entièrement prévisibles, ce qui suppose le déploiement de nouveaux moyens très importants et variés de stockage massif de l’énergie, afin d’être en mesure d’emmagasiner efficacement les pics de production éolienne et solaire, de lisser les importantes fluctuations des réseaux de distribution et d’ajuster en permanence l’offre et la demande d’énergie.
Dans cette perspective, BloombergNEF estime que les capacités de stockage d’électricité mondiale pourraient être multipliées par 30 d’ici 2030, pour atteindre 1877 GWh d’ici fin 2030. En France, EDF estime qu’il est possible de couvrir jusqu’en 2035 les besoins en flexibilité du système électrique français en combinant les trois principaux moyens que sont les Stations de Pompage Turbinage (STEP), la gestion intelligente des réseaux et le renforcement des interconnexions avec nos voisins pour nous aider à lisser les besoins. Le problème est que, selon les sources de production d’énergies renouvelables, les besoins de flexibilités sont différents. Les batteries électro-chimiques, Lithium-Ion principalement, ne peuvent être utilisées plus de six heures par jour car, au-delà, leur coût serait alors prohibitif. Les 6 STEP dont dispose la France représentent une puissance cumulée d’environ 5 GW, lesquelles restituent 6 TWh/an. Dans un rapport de 2013 pour la Commission européenne, Marcos Gimerno-Gutierrez et ses collègues ont estimé que le potentiel réalisable en termes de capacité de stockage en France était de l’ordre de 5 TWh, c’est-à-dire équivalent au projet du lac Onslow en Nouvelle-Zélande. Pourtant, la loi de programmation de l’énergie ne prévoit que peu de nouvelles STEP, avec des nouvelles capacités de stockage de seulement 1,5 GW d’ici 2035. Ce qui reste insuffisant par rapport aux besoins croissants que va générer la part prépondérante des énergies renouvelables dans notre mix énergétique à partir de 2030.
C’est dans ce contexte que la Nouvelle-Zélande a lancé le projet "New Zealand Battery Project", sous l’égide du Ministry of Business, Innovation and Employment (MBIE). Compte tenu de sa géographie, ce pays compte principalement développer le pompage-turbinage. Il s’agit du principal outil de stockage massif d’énergie dans le monde qui consiste en une installation reliant deux bassins d’eau situés à deux altitudes différentes et connectées par un tunnel où se trouvent des turbines réversibles. Lorsque l’on veut fournir de l’électricité au réseau, les turbines laissent passer l’eau du bassin supérieur vers le bassin inférieur, générant ainsi de l’électricité comme dans une installation hydroélectrique classique. Lorsque de l’électricité est disponible en surplus sur le réseau, ces turbines fonctionnent inversement en mode pompe, et remontent l’eau du bassin inférieur vers le bassin supérieur. A nouveau rempli, ce bassin supérieur pourra alors générer de l’électricité plus tard.
Pour installer une gigantesque STEP, la Nouvelle Zélande a retenu le site du lac Onslow, situé dans l’Île du Sud, dans la région d’Otago, à proximité de la ville de Roxburgh. Ce site exceptionnel devrait permettre de disposer à terme de 5 TWh de capacité de stockage, l’équivalent de la capacité totale de stockage de la France. Ce projet pharaonique devrait être achevé vers 2040, pour un coût prévu d’environ 9 milliards d’euros. Si le prix de cet investissement public peut sembler élevé, il est en fait rentable car ce type d’installation, entretenu et modernisé, peut produire de l’électricité pendant des siècles pour un coût unitaire absolument imbattable, de l’ordre de deux centimes d’euros du kWh, soit cent fois moins que le coût unitaire actuel des batteries géantes, comme celle du projet de Manattee en Floride.
Une étude de l’Université Nationale Australienne (ANU) a réalisé un atlas en ligne de tous les sites potentiels où implanter des Step. Leurs estimations se basent sur un algorithme capable de les identifier en fonction de l'altitude, du climat, de la topographie, du volume du réservoir d'eau requis, ou encore de la taille du barrage à construire. Ils ont ensuite calculé le stockage possible pour chacun. Au total, 530.000 sites ont été trouvés, totalisant 22.000 TWh, soit un cinquième de la consommation énergétique mondiale pour une année entière. Selon ce travail, il suffirait d’environ 5000 nouvelles STEP, soit à peine 1 % des meilleurs 530.000 sites, pour couvrir et assurer la stabilité de distribution d'une production électrique mondiale essentiellement issue des différentes énergies renouvelables.
Cette étude est à rapprocher d’une autre recherche dirigée par le chercheur Mark Jacobson, de Stanford, qui montre à nouveau, après une autre étude de 2015, que 145 pays pourraient couvrir la totalité de leurs besoins en énergie grâce aux énergies éolienne, hydraulique et solaire ainsi qu’au stockage massif et diversifié de l’énergie. D’après cette étude, dans tous les pays analysés, le faible coût de l’énergie produite pourrait permettre d’amortir en seulement six ans les 60 000 milliards d’euros d’investissements nécessaires à cette transition énergétique mondiale car le nouveau système électrique utilisant uniquement des énergies renouvelables pourrait générer des économies annuelles de 11 000 milliards à l'échelle mondiale. De manière remarquable, ce travail montre également que la combinaison intelligente "Win, Water, Sun" (WWS), c’est-à-dire éolien-hydraulique-solaire pourrait en outre réduire de plus de la moitié, 56,4 %, la consommation d’énergie finale et de 92 % les coûts sociaux annuels liés à l’énergie (de 80,5 à 6,4 milliards d’euros par an). Ce concept de production éolien-hydraulique-solaire réduit en effet sensiblement l’écart entre besoins de production et énergie finale consommée (Voir Royal Society of Chemistry).
Si les STEP connaissent, en raison de leur coût de stockage imbattable, un nouveau souffle au niveau mondial, d’autres modes de stockage massif de l’énergie sont en train d’émerger et de se développer rapidement, en s’appuyant sur de récentes ruptures technologiques. En Suisse, dans les Alpes tessinoises, un projet innovant vise par exemple à stocker de l'électricité pour toute une ville dans un tunnel désaffecté. Des chercheurs de l'Ecole polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ) ont mis au point un système qui permet de stocker l'énergie renouvelable excédentaire en comprimant de l'air à l'intérieur de cette galerie longue de 120 mètres Une fois comprimé, cet air atteint 550 degrés Celsius avant d'être refroidi et la chaleur est stockée dans un échangeur. Pour récupérer l'énergie, il suffit d’inverser le flux et d’extraire l’air de la caverne afin qu’il actionne une turbine qui produit de l'électricité.
Selon le Dr Giw Zanganeh, docteur en génie mécanique de l'EPFZ, « Le potentiel de cette technologie est énorme et il n'y a pas de limite technique dans la taille d'une installation ; les critères sont plutôt économiques. Une centrale comme celle-ci pourrait alimenter en électricité la ville de Lugano durant 12 à 24 heures ». Ce système de stockage de chaleur atteint une efficacité de 70 %, bien supérieure aux autres accumulateurs à air comprimé construits dans le monde et, surtout, le coût du stockage par KWh devrait être de 25 % inférieur à celui des installations de pompage-turbinage, considérées jusqu’à présent comme les plus rentables.
En matière de stockage d’énergie, un autre pays fait feu de tout bois, la Finlande. Ce pays a décidé de réutiliser l’ancienne mine de cuivre et de zinc de Pyhäjärvi pour y implanter son premier système de stockage gravitaire. Le système retenu est celui de la société écossaise Gravitricity. Ce concept consiste à mettre en place un système de masses suspendues à l’aide de treuils dans le puits auxiliaire de la mine, d’une profondeur de 530 mètres. Quand la production électrique est excédentaire, les poids seront hissés dans le puits auxiliaire à l’aide de ces treuils. Dans la situation inverse, en cas de besoin en électricité, il suffit de laisser descendre les poids, ce qui permet de générer jusqu’à deux MW d’l’électricité. Les avantages de ce mode de stockage sont multiples. Il permet de produire instantanément, pour un faible coût, de l’énergie. Il nécessite en outre peu d’entretien car il suffit de remplacer périodiquement les câbles pour qu’il puisse fonctionner pendant des décennies. L’Institut international d’analyses des systèmes appliqués estime que cette réaffectation des mines désaffectées, comme moyen de stockage d’énergie, possède un énorme potentiel de stockage d’énergie à faible coût.
Par sa situation géographique, son climat et son économie, la Finlande est devenue un pays pionnier en matière de solutions innovantes de stockage d’énergie issue de l’éolien et du solaire, énergies par nature intermittents. La société Polar Night Energy expérimente depuis 2022 un dispositif à base de sable pour conserver sous forme de chaleur l’excédent d'énergie produite. La batterie géante au sable qui devrait être construite sera capable de restituer 100 mégawattheure (MWh), une puissance suffisante pour alimenter la ville de Pornainen, située à 50 kilomètres d'Helsinki, pendant une semaine. Cette batterie est constituée d’une cuve en acier qui contient 500 tonnes de sable, une matière première dont le coût de production est bien moindre que celui du cobalt ou le lithium. Selon ses concepteurs, ce système pourrait conserver l’énergie sous forme de chaleur pendant plusieurs mois. Le système est simple et utilise un processus appelé chauffage résistif, par lequel la chaleur est obtenue par la friction créée grâce au passage d’un courant électrique à travers un matériau. L'air chaud est ensuite diffusé dans le conteneur via un échangeur de chaleur. Le sable peut stocker la chaleur à environ 500°C pendant plusieurs mois. Cette chaleur peut être restituée à la demande et va alors réchauffer l'eau du réseau de chauffage urbain.
Aux Etats-Unis, la construction de la plus grande batterie au monde, commencé en 2021, dans le désert de Mojave, en Californie (États-Unis), vient de s’achever et l’opérateur du projet Edwards & Sandborn (E&S) a mis en service cette installation hors normes qui occupe une superficie de 2 000 hectares de panneaux solaires photovoltaïques et de batteries et compte 1,9 million de modules solaires, complétés par 120 000 batteries, pour une capacité totale de stockage gigantesque de 3 287 MWh. Cette installation unique au monde peut alimenter l’équivalent de 238 000 foyers américains. Elle permet une réduction annuelle de 320 000 tonnes d’émissions de dioxyde de CO2.
En Chine, la société suisse Energy Vault vient de mettre en service la première batterie géante gravitaire. Celle-ci fait la taille d’un immeuble de 40 étages et permet de conserver pendant plusieurs heures l’électricité produite par un parc éolien grâce à la force de la gravité. Ce système est couplé avec le parc éolien voisin, et permet de stocker massivement et à faible coût l’énergie excédentaire produite par les éoliennes situées à proximité. Lorsque les éoliennes sont en excédent de production, le surplus d’électricité actionne des grues qui hissent des blocs de béton, accumulant de l’énergie cinétique. Il suffit, en cas de demande d’énergie, de faire retomber ces blocs pour produire par gravité d’électricité. Dans un contexte de développement considérable de l’éolien, la Chine a jugé judicieux d’intégrer ce nouveau mode de stockage simple et peu onéreux dans son système énergétique. Ce système gravitaire permet également de mieux lisser les fluctuations du réseau électrique.
La société Antory energy mise pour sa part sur ses batteries thermiques, constituées de blocs de roches de graphite portées à très haute température. Ce système, de la taille d’une petite maison, est fait de blocs de roches chauffés à une température d'environ 1 600°C, grâce à des panneaux solaires. En cas de besoin, il est possible d'utiliser cette chaleur directement ou de produire de l'électricité via la génération de vapeur. Antora Energy dédie son outil aux grands sites industriels, comme les aciéries ou les cimenteries, qui ont besoin d’une grande puissance d’énergie en permanence.
Mais à côté de ces nouveaux et prometteurs outils de stockage massif de l’énergie, un autre processus, quoiqu’encore naissant, pourrait bien venir changer la donne en matière de stockage et de distribution de l’énergie : le microstockage de l’énergie dans les batteries des véhicules électriques ou les batteries domestiques. Appelé Vehicle-to-Grid (V2G) ou Vehicle to Home (V2H) le principe de ce mode de stockage est simple : les batteries qui équipent nos voitures électriques et qui équiperont demain nos habitations sont appelées à devenir autant de microstations énergétiques bidirectionnelles, qui peuvent non seulement être rechargées, mais également renvoyer et redistribuer l’électricité stockée, dans les véhicules ou les habitations, vers le réseau. Grâce à ce concept en plein essor, fortement soutenu et encouragé par les grands constructeurs automobiles, nous devrions assister à la montée en puissance inexorable d’un moyen de stockage d’électricité aux capacités gigantesques, capable de réguler et lisser à grande échelle les fluctuations importantes des réseaux qui seront majoritairement alimentés par des énergies renouvelables d’ici une vingtaine d’années. A cet égard, plusieurs études ont montré qu’à partir d’un taux de seulement 12 % de connexion sur le réseau, les batteries de voitures électriques auront un impact important sans doute dès 2030 en matière de capacités mondiales de stockage d’énergie à court terme.
Selon les calculs du chercheur Chengjian Xu, de l'université de Leyde aux Pays-Bas, si l’on admet les dernières hypothèses revues à la hausse, tablant sur plus de 200 millions de voitures électriques dans le monde en 2030, les batteries de ces véhicules pourraient offrir une capacité allant jusqu’à 62 térawatts d'ici 2050, soit plus que les besoins en stockage estimés par l'Agence internationale pour les énergies renouvelables. Précisons que ces prévisions intègrent la réutilisation des batteries usagées, qui à partir de 30 % de perte d'autonomie sont considérées comme insuffisantes pour les voitures. Selon le Pr Xu, « L'utilisation des voitures électriques pour stocker l'électricité va probablement faire baisser rapidement la demande globale en stockage d'énergie dès 2030, ce qui créera une spirale vertueuse qui augmentera à son tour la flexibilité du réseau électrique et l'intégration des énergies renouvelables ».
On le voit, la forte montée en puissance et la synergie entre ces nouveaux moyens de stockage de masse et le microstockage à grande échelle sur batteries va permettre d’accélérer la transition énergétique mondiale en facilitant considérablement l’intégration des énergie renouvelable dans le mix énergétique mondial, en réduisant les coûts de production de l’énergie et en améliorant l’efficacité globale de nos systèmes énergétiques, c’est-à-dire en augmentant la quantité d’énergie finale disponible, par rapport à la production brute d’énergie. Il faut enfin souligner avec force que la puissance publique, tant au niveau local que national, aura un rôle-clé à jouer en matière de recherche et d’innovation mais aussi de financement et d’incitation au développement de cette transition énergétique sans précédent. L’Etat et les collectivités locales devront notamment repenser complètement les politiques d’aménagement du territoire, de transports, d’urbanisme et de logement, de manière à les réorienter en fonction de ces nouveaux objectifs énergétiques et climatiques impérieux dont dépend l’avenir de l’humanité…
René TRÉGOUËT
Sénateur honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat
e-mail : tregouet@gmail.com
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