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Edito : Stockage du CO2 : comprendre et utiliser les ressources de la Nature

On sait à présent, grâce à de nombreux travaux scientifiques solides et convergents, qu’il ne suffira pas de développer massivement les énergies renouvelables et de stabiliser notre consommation énergétique pour parvenir à réduire de moitié d’ici 2050 au niveau mondial les émissions humaines de CO2, condition absolument nécessaire pour limiter à deux degrés la hausse moyenne des températures. Pour atteindre cet objectif, il va également falloir parvenir à capturer et à stoker, d’une façon ou d’une autre, au moins le cinquième de nos émissions de nos CO2, c’est-à-dire de 8 à 10 gigatonnes de CO2 par an.

Malheureusement, il faut bien admettre que les différentes technologies de capture et de stockage explorées jusqu’à présent n'ont pas tenu leurs promesses, car elles restent, pour la plupart d’entre elles, trop complexes à mettre en œuvre, pas assez efficaces en termes de rendements et trop onéreuses à déployer massivement.

C’est pourquoi, face au défi climatique, les scientifiques se tournent à présent vers un champ de recherche trop longtemps négligé : celui des potentialités immenses de l’agriculture et des forêts et des océans en matière de capture et de stockage de carbone de l’atmosphère. Selon la FAO, l’organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture, les émissions de GES (Gaz à effet de Serre) liées à l’agriculture, aux forêts et à la pêche ont quasiment doublé au cours des cinquante dernières années. En 2014, elles représentaient 10 à 12 gigatonnes équivalent CO2, soit près du quart des émissions mondiales, bien plus que le secteur des transports et pratiquement autant que celui de la production d’énergie. La première source d’émissions est l’élevage des ruminants, qui représente 15 % des émissions anthropiques de GES (7 milliards de tonnes de CO2 par an, l’équivalent des émissions des Etats-Unis). Vient ensuite l’utilisation massive des engrais de synthèse (environ 13 % de ces émissions, voir FAO).

Sachant que la production mondiale de viande a été multipliée par quatre depuis un demi-siècle et dépasse à présent les 320 millions de tonnes par an, la FAO, ainsi que de nombreuses études scientifiques, préconise une diminution importante de notre consommation de viande, qui pourrait être avantageusement remplacée par la consommation de protéines végétales qui auraient un double avantage, puisque leur culture  entraîne, à quantité égale, moins d’émissions de CO2 et que leur consommation régulière est meilleure pour la santé qu’une consommation excessive de viande. Sans vouloir imposer le végétarisme à tous les habitants de la planète, mais en diminuant de manière graduelle et raisonnable la consommation moyenne mondiale de viande par habitant  de seulement 20% d’ici 2050, il serait possible de stabiliser la consommation mondiale de viande à 300 millions de tonnes par an, ce qui aurait des effets très bénéfiques en matière de réduction des émissions de GES et de respect de l’environnement.

En outre, plusieurs études ont également montré qu’en modifiant l’alimentation des bovins et en remplaçant simplement une petite partie de leurs aliments à base de maïs, et de soja par des grains de lin cuit, riches en oméga 3, de la luzerne ou du foin, il serait possible de réduire d’un tiers leurs émissions de méthane, un gaz à effet de serre (GES) 25 fois plus puissant que le CO2. Appliquée au niveau mondial, cette mutation dans l’alimentation des bovins pourrait permettre de réduire de 8 à 10%, sans diminution du parc global, les émissions de GES…

Une étude, publiée en août 2019 par l’INRA (Institut National de Recherche Agronomique) montre de manière saisissante l’importance, largement ignorée jusqu’à présent,  des modes de productions agricoles sur la capacité de stockage du CO2 par les sols. (Voir Rapport). Cette étude rappelle qu’en France, les sols et forêts représentent 38 % du stock total de carbone ; il n’est donc pas possible d’ignorer ce puissant levier pour agir plus efficacement contre les effets du changement climatique .

Une étude canadienne, publiée en novembre dernier a montré pour sa part, de manière très étonnante,  que les rivières glaciaires sont capables d'absorber du dioxyde de carbone (CO2) plus rapidement que les forêts tropicales. (Voir Eurekalert). Cette découverte est une véritable  surprise pour les scientifiques, qui ont réalisé des prélèvements d’eau de fonte de glaciers sur l’île d’Ellesmere, dans le territoire canadien du Nunavut. Ces recherches ont montré que les rivières se trouvant dans les zones tempérées sont très émettrices de CO2 en raison de la décomposition de nombreuses matières organiques en leur sein. En revanche, les rivières glaciaires, qui, en raison de leur température, sont moins propices au développement biologique, produisent bien moins de décomposition organique et de CO2. Cette étude a également montré que les énormes quantités de sédiments finement broyés,  en provenance des glaciers, comme le silicate et le carbonate, se mélangent aux eaux de fonte et entretiennent de puissantes réactions chimiques qui absorbent de grandes quantités de CO2.

Il en résulterait que les rivières glaciaires auraient une capacité de captage et de stockage du CO2 tout à fait considérable et très sous-évaluée. L’étude précise même qu’en 2015, pendant la période de la fonte des glaces, les glaciers ont fondu trois fois plus qu'en 2016, ce qui a provoqué une séquestration de CO2 par les rivières glaciaires deux fois plus élevée que celle de la forêt amazonienne !

Une autre étude, publiée en décembre dernier mérite également d’être évoquée : ce travail, réalisé par des scientifiques participant au projet européen BiodivERsA, montre que les petits bois de moins d'un hectare stockent plus de carbone, par unité de surface, dans le sol, que les grandes forêts.(Voir Wiley). On sait, grâce aux inventaires réguliers de l’Institut national de l’information géographique et forestière (IGN), que la France possède aujourd’hui deux fois plus de forêts qu’il y a cent ans. Mais ces inventaires ne prennent pas en considération les bois, très nombreux dans notre pays, dont la superficie est inférieure à 5.000 m². Dans ce travail, les scientifiques ont analysé les données physiques, chimiques et biologiques de 224 zones boisées européennes.

Ils ont alors eu la surprise de constater qu’en dépit d’une plus faible  biodiversité, les petits bois sont capables de stocker davantage de carbone. De manière encore plus intéressante, cette étude montre que cette capacité de capture et de stockage du CO2 est d’autant plus grande que ces petits bois se trouvent situés au sein de paysages agricoles. En effet, du fait de leur taille réduite, ces espaces boisés reçoivent plus de chaleur et de lumière, et sont donc moins humides et plus chauds que les grandes forêts. Ils bénéficient en outre de ressources nutritionnelles plus grandes, grâce à leur proximité avec les terres agricoles. Du fait de ces conditions favorables, ces petits bois produisent une couverture végétale et une biomasse sensiblement plus importantes, ce qui, in fine, permet un stockage de carbone dans le sol, par le biais de la matière organique.

La troisième étude à méditer est celle publiée par le FMI en décembre dernier. Elle montre que les baleines jouent un rôle majeur dans l’absorption du CO2 présent dans l’atmosphère, en agissant comme de véritables puits de carbone dans tous les océans du globe  (Voir IMF). Ces recherches ont montré que les baleines, au cours de leur longue existence qui peut atteindre un siècle, emmagasinent jusqu’à 33 tonnes de gaz carbonique dans leur masse graisseuse, soit plus de trois millions de tonnes, pour l’ensemble de l’espèce. Compte tenu des services qu’elles rendent à la fois au climat et à l’environnement, les baleines aurait, selon le FMI, une valeur marchande individuelle de 2 millions de dollars, ce qui représente une valeur totale pour l’espèce de l’ordre de 1 000 milliards de dollars. Mais cette étude du FMI va plus loin et précise que cette estimation reste largement sous-évaluée car elle ne prend pas en compte les matières fécales des cétacés, très riches en azote en phosphore et en fer; ce qui leur permet d’alimenter la production de phytoplancton. Or, cet organisme végétal microscopique, on le sait à présent, absorbe à lui seul plus de 40% des réserves de CO2 présentes à la surface de la Terre, soit quatre fois plus que la forêt amazonienne…

Au total, ces travaux très riches d’enseignements montrent que, grâce aux baleines, et à la production induite de phytoplancton, ce sont pas moins 1,7 milliard de tonnes de CO2 qui sont enlevées de l’atmosphère chaque année, soit l’équivalent de la moitié des émissions annuelles de CO2 de l’Europe.

Partout dans le Monde, les recherches s’intensifient pour parvenir, en comprenant mieux les extraordinaires mécanismes du vivant, à capter et à stocker de manière propre le CO2 excédentaire présent dans l’atmosphère. En France, la société Arkolia a par exemple développé Arkométha, une technologie en méthanisation sélectionnée par le Programme d'investissements d'avenir (PIA). « L'innovation consiste à capter le CO2 de l'air et à produire de l'hydrogène pour, in fine, fabriquer du méthane pur, via une réaction biologique réalisée par des bactéries placées dans une cuve », explique Laurent Bonhomme, fondateur d’Arkhométha. L’année prochaine, cette technologie, qui intègre une source d'électricité renouvelable, un électrolyseur alimenté par cette source d'énergie et un dispositif de capture de dioxyde de carbone atmosphérique, sera expérimentée dans le Gard, avec le soutien de la région Occitanie.

De son côté, l'Américain Hypergiant Industries, spécialiste de l'intelligence artificielle, a développé un bioréacteur à microalgues urbain d’une efficacité inédite, grâce au recours à l’IA qui permet d’en optimiser le fonctionnement ; la société annonce que son mobilier de deux mètres de haut et 0,9 m de profondeur, serait en capacité de piéger 1,5 tonnes par an de CO2, soit l'équivalent d'une forêt de 4 000 m2.

Par ailleurs, des chercheurs américains du Salk Institute ont réussi il y a quelques mois une percée majeure dans ce domaine de la capture naturelle du CO2. Ils sont parvenus à modifier le gène de certaines plantes, pour obtenir des racines plus grandes et plus profondes, ce qui leur permet de stocker plus de CO2. D’après les scientifiques, cette technique serait applicable à près de 800 milliards d’hectares de cultures dans le monde, soit 45% des terres cultivées dans le Monde. .(Voir Cell) et permettrait, utilisée à grand échelle, d’absorber plus de la moitié des émissions humaines de CO2..

Une autre avancée scientifique tout à fait remarquable a été accomplie fin 2019 par des chercheurs de l’Institut Weizmann de Science. Ces derniers, au terme de dix ans de recherche,   ont réussi à produire des bactéries modifiées génétiquement qui peuvent vivre en se nourrissant de dioxyde de carbone, plutôt que de sucre (Voir Weizmann) (voir également Israel Science Info) . Pour contraindre ces bactéries de passer du sucre au dioxyde de carbone, ces chercheurs les ont progressivement privé de sucre (glucose), remplacé petit à petit par du dioxyde de carbone et du formate. Au bout d’un an, certaines de ces bactéries avaient totalement substitué le CO2 au sucre dans leur métabolisme, en modifiant l’expression de seulement 11 gènes. Cette avancée extraordinaire pourrait permettre de réduire la quantité de CO2 en excès dans l’atmosphère, mais également de produire des biocarburants neutres en matière de bilan-carbone.

L’ensemble des découvertes et de ces travaux scientifiques montrent qu’il est tout à fait possible de capter et de stocker de manière massive, efficace et durable des quantités considérables de CO2, à condition de savoir actionner de manière judicieuse les différents  leviers que nous offrent la Nature, par le biais des pratiques agricoles, de l’utilisation des sols, de l’exploitation des bois et forêts, de la protection  des océans, ou encore de l’exploitation à large échelle des extraordinaires capacités biochimiques des micro-organismes et bactéries.

Soyons en bien conscients, face au défi climatique immense qui est devant nous, les solutions purement technologiques ne suffiront pas, et c’est en actionnant tous ces leviers très puissants que j’ai évoqués, et en comprenant mieux ces mécanismes subtils et intriqués du vivant, qui sont à l’œuvre dans notre environnement depuis des milliards d’années, que nous parviendrons, si nous nous en donnons les moyens humains et financiers, à limiter drastiquement nos émissions globales de gaz à effet de serre d’ici le milieu de ce siècle et éviter des catastrophes aux conséquences incalculables pour nos sociétés et pour notre planète.

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

e-mail : tregouet@gmail.com

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