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Edito : Se faire vacciner de la grippe diminuerait le risque de développer une maladie d’Alzheimer

Selon le World Alzheimer report, le nombre de personnes vivant avec une démence était estimé à 50 millions en 2018 et les projections estiment que ce nombre atteindra les 152 millions en 2050, du fait du vieillissement de la population. En France, on dénombre environ 900 malades d’Alzheimer pour 225 000 nouveaux cas par an et ce nombre de malades pourrait doubler d’ici 2050. Le Professeur Jean-Charles Lambert, spécialiste de cette maladie, souligne toutefois que la prévalence d’Alzheimer augmente, heureusement, de manière sensiblement moins forte que prévue depuis au moins dix ans, sans doute à cause d’une meilleure prise en charge des principaux facteurs de risques connus, l’hypertension, le diabète et l’obésité. On estime à présent, selon les dernières recherches, que ces facteurs environnementaux pourraient représenter jusqu’à 40 % des risque de développer cette maladie, les facteurs génétiques représentant pour leur part environ 60 % de ces risques.

Environ les deux tiers de ces démences sont des maladies d’Alzheimer, une pathologie spécifique et distincte des autres types de démence, qui se caractérise par une destruction irréversible des neurones qui partent de l’hippocampe. Cette pathologie s’accompagne de deux types de lésions, dont on ne sait toujours pas avec certitude si elles sont les causes ou les conséquences de la maladie, les dépôts amyloïdes et les dégénérescences neurofibrillaires. Chacune de ces lésions correspond à une protéine : le peptide amyloïde, associée aux dépôts amyloïdes, et la protéine tau qui correspond aux dégénérescences neurofibrillaires.

En matière de traitements, il faut bien avouer qu’en dépit des efforts de recherche considérables réalisés depuis trente ans, tant au niveau de la recherche publique que privée, les avancées thérapeutiques ont été très limitées et décevantes. Néanmoins, au cours de ces dernières années, trois nouveaux médicaments, tous des anticorps, ont fait leur apparition, mais leur efficacité reste limitée, ils ne s’adressent en outre qu’aux malades les moins atteints et présentent d’importants effets secondaires qui nécessitent un suivi très strict. Ces nouveaux médicaments sont le Leqembi (lecanemab), et l’Aduhelm (aducanumab). Le lecanemab a été le premier médicament à démontrer une réduction du déclin cognitif (de 27 %) dans le cadre d’un essai clinique. Mais il y a quelques jours, le laboratoire Eli Lilly a annoncé des résultats très encourageants pour son essai clinique sur 1200 patients. Après dix-huit mois de traitement avec un nouveau médicament - un anticorps baptisé Donamenab - les médecins ont constaté une réduction de 35 % à 40 % du déclin cognitif des patients traités, ce qui constitue un résultat sans précédent, accompagné toutefois d’importants effets secondaires chez certains patients. (Voir étude).

C’est dans ce contexte que la recherche fondamentale explore d’autres hypothèses pour comprendre cette maladie bien plus complexe que prévue. En 2016, des chercheurs de l’Inserm de l’Institut du Cerveau ont mis en lumière le rôle du système immunitaire dans un modèle murin de tauopathie, reproduisant les dégénérescences liées à la protéine Tau. Ils ont mis en évidence une infiltration de lymphocytes T pathogènes dans le cerveau de ces animaux avec des effets délétères sur les fonctions cognitives.

Rappelons qu’il existe deux types de lésions dans la maladie d’Alzheimer, les lésions amyloïdes dues à des agrégats de peptides Aβ et les dégénérescences neurofibrillaires qui sont dues à l’accumulation dans les neurones de protéines Tau agrégées (tauopathie). La protéine Tau est essentielle pour le fonctionnement des neurones mais son agrégation provoque des perturbations neuronales puis la mort des neurones.

De précédentes recherches avaient déjà montré que la maladie d’Alzheimer s’accompagnait d’une production de molécules inflammatoires, les chimiokines, par les cellules microgliales qui sont les principales cellules immunitaires du cerveau. Et ce phénomène a également été retrouvé dans le modèle murin de tauopathie. Ces nouvelles recherches ont permis de mettre en lumière une infiltration de lymphocytes T dans le cerveau des souris malades, une infiltration de lymphocytes T que l’on retrouve également chez les patients atteints d’une tauopathie génétique. Mais cette étude s’est également intéressée au rôle de ces lymphocytes T dans cette grave et irréversible pathologie du cerveau. Les chercheurs ont notamment constaté qu’en supprimant ces lymphocytes T chez l’animal, à l’aide d’un anticorps, ils obtenaient une amélioration de la mémoire des souris malades, ce qui confirme le rôle néfaste de ces cellules immunitaires sur les fonctions cognitives.

Toujours en 2016, une autre étude réalisée par des chercheurs de l’Inserm a montré qu’une molécule du système immunitaire appelée interleukine-2 (IL-2), était t capable de contrôler l’inflammation dans les cellules du cerveau qui sont impliquées dans la maladie d’Alzheimer et de rétablir des fonctions cognitives altérées. Ces travaux fondamentaux confirment l’importance des liens qui existent entre le système nerveux central et le système immunitaire. Dans la maladie d’Alzheimer, le peptide amyloïde β s’agrège dans les plaques autour desquelles viennent s’agglutiner des astrocytes réactifs et des cellules microgliales. Ces cellules contribuent à dissoudre ces plaques et secrètent des cytokines qui régulent l’intensité de la réponse immunitaire du cerveau.

Des travaux récents ont montré que les souris déficientes en IL-2 voient leurs capacités d’apprentissage et de mémoire affaiblies, ce qui rappelle le processus qui conduit à la maladie d’Alzheimer. Ces recherches ont également mis en évidence une diminution importante des taux d’IL-2 dans des biopsies cérébrales de patients décédés de la maladie d’Alzheimer. En traitant avec de l’interleukine 2 des souris atteintes d’Alzheimer, les chercheurs ont constaté une activation des lymphocytes T régulateurs dans le cerveau, ainsi qu’une diminution des plaques amyloïdes qui s’est traduite par une amélioration sensible de la fonction des synapses.

Résultat : contrairement aux souris non traitées, les souris traitées ont obtenu aux tests cognitifs des résultats comparables aux souris normales. Ces effets bénéfiques sur les plaques amyloïdes et les synapses se sont également accompagnés d’une activation des astrocytes, un type de cellules cérébrales dont le rôle protecteur a été identifié dans la maladie d’Alzheimer. Comme le souligne cette étude, « Ce travail fait la preuve de l’intérêt des immunothérapies pour le traitement de la maladie d’Alzheimer, et notamment de l’intérêt de l’interleukine-2 ».

A Toronto, le Professeur Weaver travaille également à l’élaboration d’une nouvelle théorie sur la maladie d’Alzheimer. S’appuyant sur 30 années de recherche, cet éminent scientifique a acquis progressivement la conviction que la maladie d’Alzheimer n’est pas principalement une maladie du cerveau, mais doit plutôt être envisagée comme un trouble du système immunitaire dans le cerveau. Selon cette hypothèse, la bêta-amyloïde ne serait pas une protéine produite anormalement, mais plutôt une molécule qui est une composante normale du système immunitaire du cerveau. En cas de traumatisme cérébral ou d’agression virale ou bactérienne, la protéine bêta-amyloïde jouerait un rôle clé dans la réponse immunitaire globale du cerveau.

D’après cette théorie, compte tenu de la ressemblance entre les molécules de graisse qui composent les membranes des bactéries et celles des cellules cérébrales, la bêta-amyloïde ne serait pas capable de faire la différence entre les bactéries envahissantes et les cellules cérébrales. Cette protéine se mettrait donc à attaquer par erreur les cellules qu’elle est censée protéger. Ce serait cette réaction intempestive qui conduirait à une perte chronique et progressive des fonctions des cellules cérébrales, qui aboutit finalement à la démence.

Si on la considère comme une attaque mal dirigée du système immunitaire du cerveau contre l’organe qu’il est censé défendre, la maladie d’Alzheimer se révèle être une maladie auto-immune. Dans cette hypothèse, la bêta-amyloïde contribue à protéger et à renforcer le système immunitaire, mais elle joue également un rôle-clé dans le processus auto-immun qui finit par conduire au développement de la maladie d’Alzheimer. Le Professeur Weaver se dit convaincu que c’est en ciblant d’autres voies de régulation immunitaire dans le cerveau que l’on obtiendra des avancées thérapeutiques majeures contre la maladie.

Et c’est justement ce que cherche à faire l’équipe du Professeur Weiner, au Brigham and Women's Hospital de Boston, qui teste depuis la fin 2021 chez l’homme un vaccin nasal thérapeutique contre Alzheimer. Résultat de vingt ans de recherches, ce vaccin nasal vise à détruire les plaques amyloïdes qui s’accumulent dans le cerveau des malades et agit en stimulant le système immunitaire et en activant les globules blancs dans les ganglions lymphatiques, ce qui va favoriser l’élimination des plaques bêta-amyloïdes dans le cerveau (Voir brigham and women's hospital).

Cette implication forte du système immunitaire dans la maladie d’Alzheimer a reçu une autre confirmation spectaculaire en 2022, quand une étude américaine a fait grand bruit en montrant, pour la première fois, que le risque de maladie d’Alzheimer était réduit de 40 % en cas de vaccination régulière contre la grippe.

Dans ce travail d’une ampleur considérable, les chercheurs ont analysé de 2009 à 2019 les données provenant d’une vaste population d’adultes de 65 ans et plus (plus de 2 millions d’assurés) aux États-Unis pour tenter d’établir la corrélation entre vaccination antigrippale et risque de développer un Alzheimer. L’étude a permis de montrer que 5,1 % des patients vaccinés contre la grippe et 8,5 % des patients non vaccinés contre la grippe ont développé un Alzheimer au cours de ce suivi de dix ans.

Cette étude a également révélé que la vaccination antigrippale était associée à une diminution considérable, de 40 % du risque sur 4 ans, de développer un Alzheimer chez les patients de 65 ans ou plus. Pour l’auteur principal, Paul E. Schulz, il ne s’agirait pas d’un effet protecteur spécifique du vaccin, mais d’une cause indirecte sur le système immunitaire. Les vaccins rendraient les défenses immunitaires plus sensibles et réactives, ce qui diminuerait les dommages causés par le développement de la maladie d’Alzheimer, dont ceux liés à l’apparition de plaques amyloïdes.

Enfin, il y a quelques semaines,  le docteur Christophe Trivalle, chef du service de gériatrie de l’hôpital parisien Paul-Brousse et auteur du livre “101 conseils pour être bien dans son âge et dans sa tête”,  a rappelé que, si l’on connaît bien à présent plusieurs  facteurs de risque qui permettraient de réduire de 40 % les cas de maladie d’Alzheimer (pollution de l’air, déficience auditive, traumatisme crânien, l’hypertension artérielle, consommation excessive d’alcool, obésité, tabagisme,  dépression, ’isolement social, inactivité physique et diabète), on ne souligne pas assez à quel point les vaccins les plus courants et les plus administrés dans le monde sont en mesure d’offrir une forte protection contre la maladie d’Alzheimer.

Le Docteur Trivalle évoque notamment une vaste méta-analyse de 17 études, portant au total sur un millions de personnes, conduite par des chercheurs chinois, qui montre de manière étonnante, mais très convaincante, que le fait d’être vacciné, quel que soit le vaccin, diminuait de 35 % le risque de pathologie démentielle. Selon cette étude publiée en 2022, tous les vaccins semblent concernés et le fait d’avoir reçu au moins deux vaccins différents semble augmenter la protection. Parmi les vaccins qui ont un fort taux de protection, l’étude identifie le vaccin diphtérie-tétanos-coqueluche, le vaccin zona et le vaccin contre la grippe, dont le pouvoir protecteur avait déjà été révélé par l’étude américaine que j’ai évoquée ci-dessus (Voir étude).

Pour le Docteur Trivalle, plusieurs hypothèses, par ailleurs compatibles entre elles, pourraient expliquer cet effet protecteur important. En premier lieu, ces vaccins offriraient une protection directe contre les infections (virus ou bactéries) pouvant favoriser la démence par le biais d’une inflammation chronique au niveau cérébral. En second lieu, certains vaccins pourraient actionner des mécanismes spécifiques, comme le vaccin contre la grippe, qui diminue le risque d’AVC et de démence vasculaire. Enfin, il est tout à fait possible, compte tenu de la forte composante immunitaire d’Alzheimer, que la vaccination agisse par un mécanisme encore inconnu, intervenant directement sur le processus biologique qui déclenche cette maladie.

Le Docteur Trivalle souligne avec force que, compte tenu de la prévalence croissante de cette maladie, de sa gravité et du fait qu’il n’existe pas encore de traitement à la fois efficace sur les formes avancées et dénués d’effets secondaires sévères, il serait dommage de se priver d’un moyen simple, peu coûteux et très efficace, de prévenir cette pathologie destructrice. Ce scientifique souligne que cette prévention pourrait s’inscrire dans le cadre des nombreuses vaccinations proposées aux séniors, comme le rappel diphtérie-tétanos-polio tous les dix ans, le vaccin grippal chaque année, le vaccin contre le zona (une fois entre 64 et 75 ans), le vaccin contre le pneumocoque si on est à risque, sans oublier les vaccins annuels contre la grippe et le Covid…

En s’appuyant sur l’ensemble de ces découvertes et travaux scientifiques, il serait plus que souhaitable que les pouvoirs publics et les autorités de santé, en étroite collaboration avec les médecins libéraux, mettent en place un vaste programme de vaccination ciblée des seniors qui aurait, outre la protection contre les maladies ciblées par ces vaccins, une finalité spécifique de prévention contre la maladie d’Alzheimer. Ce programme, qui devait bien sûr faire l’objet d’un suivi et d’une évaluation rigoureuse, permettrait de mesurer au bout d’une décennie l’ampleur des effets protecteurs de ces vaccins en matière de risques d’Alzheimer. Combiné à une prévention active et personnalisée des principaux facteurs de risque liés au mode de vie, je suis persuadé qu’un tel programme, ambitieux et volontariste, pourrait permettre, pour un coût collectif très modique, de réduire de manière considérable à la fois l’incidence et la prévalence de cette pathologie dévastatrice, indépendamment des avancées thérapeutiques de rupture que nous espérons tous dans les années à venir.

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

e-mail : tregouet@gmail.com

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