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Edito : Santé : Il vaut mieux prévenir que guérir
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Notre pays dépense environ 262 milliards d’euros par an pour financer l’ensemble de ses dépenses de santé (ce qu’on appelle la Dépense Courante de Santé ou DCS), et celles-ci représentent aujourd’hui plus de 12 % de notre PIB, contre seulement 7 % il y a 30 ans. Mais il est frappant de constater que les dépenses consacrées à la prévention étaient seulement de 5,76 milliards d’euros en 2015, selon la Drees, soit à peine plus de 2 % de nos dépenses de santé et nettement moins que les pays de l’OCDE qui consacrent, en moyenne, plus de 3 % de leur DCS à la prévention.
Le rapport 2016 de l’OCDE, intitulé « Panorama de la Santé » est à cet égard édifiant et révèle que la France est le mauvais élève persistant de l’Europe dans plusieurs domaines essentiels liés à la prévention, et notamment en ce qui concerne la consommation d’alcool, de tabac et de cannabis, l’activité physique des enfants et adolescents, ainsi que pour la couverture vaccinale globale, très inférieure à celle de nos principaux voisins européens…
C’est dans ce contexte que le gouvernement a dévoilé le 26 mars dernier le volet prévention de sa stratégie nationale de santé, intitulé « Priorité prévention », qui va mobiliser 400 millions d'euros pour cinq ans, et s’articule autour de cinq grands volets, correspondant aux publics ciblés : la petite enfance, les enfants et adolescents, les adultes, les personnes fragiles et handicapées et enfin les seniors.
S’agissant du premier volet, « Petite enfance », les principales mesures annoncées sont au nombre de trois : d’abord, recommander la prise systématique de vitamine B9 (acide folique) aux femmes enceintes durant au moins les deux premiers mois de grossesse, afin d’éviter les anomalies de fermeture du tube neural, à l'origine de malformations de la moelle épinière. Ensuite, augmenter la taille du pictogramme « interdit aux femmes enceintes » sur les bouteilles d'alcool. Enfin, créer d'ici fin 2018, un site Internet d'information du public sur les produits chimiques contenus dans les produits de consommation courante.
S’agissant du volet « Enfants et adolescents », on peut retenir quatre mesures importantes : la première consiste à étaler de 0 à 18 ans les vingt examens de santé de l'enfant pris en charge à 100 %, aujourd'hui prévus entre 0 et 6 ans. La seconde vise à renforcer la promotion de l'activité physique pour « réduire le surpoids et l'obésité chez les enfants ». La troisième veut instaurer des « consultations jeunes consommateurs » pour les moins de 25 ans aux conduites addictives (tabac, alcool, cannabis, écrans numériques). Enfin, quatrième mesure : former 80 % de la population aux gestes de premiers secours.
S’agissant du volet « Santé des adultes », cinq grandes mesures sont à retenir. La première vise à rembourser progressivement les traitements anti-tabac comme n'importe quel médicament. La deuxième vise à éliminer l'hépatite C à l'horizon 2025. La troisième vise à introduire un nouveau programme national de dépistage organisé, celui du cancer du col de l'utérus, qui complétera le dépistage des cancers du sein et du côlon. Quatrième mesure : permettre à davantage de professionnels de santé de pratiquer la vaccination, avec l'objectif de généraliser dès 2019 la vaccination en pharmacie contre la grippe. Enfin, la cinquième mesure veut étendre le logo Nutriscore à toutes les cantines à partir de 2020, afin de mieux informer les consommateurs sur la qualité nutritionnelle des aliments.
S’agissant du volet « Santé et handicap », ce plan prévoit de réaliser, au moins une fois par an, un bilan de santé pour les personnes handicapées, pour « repérer les besoins de soins courants dont ceux en santé bucco-dentaire ».
Enfin, s’agissant du volet « Santé des plus de 65 ans », le gouvernement veut mettre en place dès cette année un plan de 15 millions d'euros annuels pour financer des programmes de prévention en Ehpad, sachant que le nombre de personnes âgées dépendantes (aujourd’hui 1,2 million), pourrait doubler d’ici à 2040.
On ne peut que se réjouir de cette volonté politique affirmée en faveur de la prévention, d’autant plus que cette dernière va pouvoir s’appuyer sur de nouveaux outils en cours de déploiement, parmi lesquels il faut évoquer le Dossier Médical Partagé et l’Intelligence Artificielle.
Créé en 2004, le Dossier Médical Personnel (DMP) a été, il faut le reconnaître, un véritable fiasco et il a finalement été repris en main en 2016 par l’Assurance-Maladie ; il est alors devenu le « Dossier Médical Partagé ». Pour faciliter la coordination entre les professionnels de santé et le suivi santé des Français, le Dossier Médical Partagé (DMP) devrait largement se déployer sur le territoire cette année. En phase d'expérimentation dans 9 départements depuis fin 2016, il devrait enfin être généralisé à l’ensemble du territoire à l'automne 2018.
Rappelons que ce DMP se fixe quatre grands objectifs : simplifier la transmission des informations et des antécédents médicaux, éviter des examens inutiles, prévenir le risque d'interactions entre médicaments et, enfin, mieux prendre en charge les urgences.
Le changement majeur opéré dans la mise en place de ce DMP est qu’à présent la création des dossiers n'est plus à la charge des médecins mais des usagers eux-mêmes. Les caisses d'Assurance maladie le proposent aux assurés qui se rendent dans les permanences mais aussi sous forme de courriel. Pour ouvrir son DMP, il suffit de renseigner son numéro de Sécurité sociale, le numéro de série de sa carte vitale et le code personnel transmis par mail ou par courrier.
Le décret du 4 juillet 2016 fixe les contours du dossier médical partagé (DMP), qui doit « favoriser la prévention, la coordination, la qualité et la continuité des soins », et contiendra toutes les « données relatives à la prévention, à l’état de santé et au suivi social et médico-social que les professionnels de santé estiment devoir être partagées, y compris en urgence ».
Ce DMP permettra, avec l’accord du patient, la consultation par les médecins et établissements de santé des traitements prescrits, comptes-rendus d’analyses biologiques et examens médicaux. Les coordonnées du médecin traitant et des proches à contacter en cas d’urgence seront également mentionnées, ainsi que d’autres informations comme les directives anticipées ou les volontés du titulaire quant au don d’organes ou de tissus. Point très important, le patient aura non seulement un droit de regard et d’accès aux données médicales contenues dans son dossier, mais disposera également d’un « droit de masquage » lui permettant de rendre inaccessibles pour certains professionnels de santé certaines informations contenues dans son DMP. Il pourra enfin décider de supprimer à tout moment son DMP. Au rythme actuel de création, 3,5 millions de DMP pourraient être ouverts d’ici 2019 et l’Assurance-Maladie vise un objectif de 30 millions de DMP en 2021 et de 40 millions d’ici 5 ans, soit 85 % de la population adulte.
La généralisation de ce dossier médical partagé, qui intégrera à terme le dossier pharmaceutique et le carnet de vaccination, devrait constituer un outil précieux et très puissant de prévention sanitaire et médicale ; elle permettra notamment de proposer à chaque patient un véritable parcours de prévention personnalisée, intégrant une multitude de facteurs, tels que l’âge, le sexe, le poids, les antécédents médicaux, les traitements en cours, les interventions chirurgicales subies, les prédispositions génétiques connues, etc.…
Cette réorientation de la médecine vers la prévention généralisée et personnalisée va être d’autant plus forte que le déploiement du dossier médical partagé consultable en ligne va se faire en synergie avec la rapide montée en puissance des outils d’intelligence artificielle appliqués à la santé, comme le montre bien le récent rapport de Cédric Villani et le rapport connexe « La santé à l’heure de l’intelligence artificielle », publié fin 2017sous le direction de Luc Pierron et Antoine Evennou.
Ces études prospectives prévoient que d’ici à 2024, l'IA aura complètement envahi le domaine médical, et permettra non seulement de traiter avec une efficacité redoutable l’énorme quantité de données médiales produites chaque année mais également d’articuler de manière très fine ces données avec les informations médicales propres à chaque patient.
On imagine sans peine que l’arrivée de ce tryptique DMP-Intelligence artificielle et données massives va révolutionner le concept même de prévention médicale en permettant une anticipation intelligente et personnalisée des actes et stratégies médicales, notamment pour les maladies chroniques.
En permettant d'identifier et de hiérarchiser de façon individuelle une multitude des facteurs de risque pour les pathologies les plus graves, comme le cancer, les maladies cardiovasculaires, le diabète ou les maladies neurodégénératives, ce tryptique devrait décupler la capacité de prévention et de diagnostic précoce et nous faire définitivement basculer dans l’ère de la médecine prédictive.
Alors qu’il venait de présenter son rapport sur l’intelligence artificielle, Cédric Villani a d’ailleurs révélé que, pour la première fois, un système expert médical était expérimenté auprès de patients, depuis plusieurs mois, en consultation de médecine générale, avec des résultats encourageants.
Véritable assistant médical intelligent, cet outil novateur utilise une version optimisée du logiciel Watson, développé par IBM. Le projet est copiloté par l’AP-HP et une unité du CNRS de l’Université Pierre-et-Marie-Curie, qui a notamment développé l’interface homme-machine indispensable à l’interaction avec les patients.
Concrètement, le patient, avant de rencontrer le médecin en chair et en os, a une consultation avec un avatar numérique qui pratique un interrogatoire clinique très sérieux, en s’appuyant à la fois sur le tableau des symptômes décrits, les antécédents médicaux et les informations concernant le patient (comptes-rendus des médecins, analyses biologiques, examen d’imagerie).
L’ensemble de ces informations est ensuite finement analysé par les algorithmes très sophistiqués de Watson, qui a également accès aux masses de données médicales collectées par l’AP-HP au sein de ses hôpitaux, ce qui lui permet d’affiner son raisonnement.
Ces consultations numériques sont enfin validées par un médecin qui doit approuver et, le cas échéant, corriger le diagnostic et l’ordonnance. Pour l’instant, étant encore dans une phase d’apprentissage, le système se limite par prudence à proposer des traitements homéopathiques. Mais les premiers résultats sont déjà impressionnants, avec un taux de réussite moyen de plus de 90 %.
La majorité des chercheurs et experts s’accordent pour prévoir que, d’ici 5 ans, tous les services spécialisés à l’hôpital et la majorité des médecins en cabinet auront recours à ces « Assistants médicaux intelligents » pour établir le diagnostic le plus pertinent possible, proposer le traitement personnalisé le plus adapté à la pathologie du patient, mais également définir pour chaque patient, avant qu’il ne soit malade, le plan de prévention individualisé le plus adapté.
Nous allons donc, au cours de la prochaine décennie, changer de paradigme et passer d’une médecine essentiellement basée sur la réparation à une médecine qui visera d’abord à préserver et à faire fructifier de manière active le « capital-santé » de chacun. Cette mutation historique majeure de la médecine et de la santé auront des conséquences humaines et économiques considérables.
Il y a trois ans, une étude réalisée par l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT), sous la direction de l’économiste Pierre Kopp, avait, pour la première fois, proposé une estimation rigoureuse du coût global pour notre collectivité des ravages de l’alcool et du tabac.
En prenant en compte le coût des vies perdues, des pertes de production et le montant des dépenses publiques de soins entraînées par les deux millions de malades et les 130 000 morts annuels provoqués par l’alcool et le tabac, cette étude sans précédent avait estimé à 240 milliards d’euros le coût global pour notre société des dégâts sanitaires provoqués par ces deux substances.
S’agissant des « Erreurs indésirables graves » (EIG), c’est-à-dire l’ensemble des erreurs médicales, leur coût humain a été très longtemps sous-estimé et l’on estime à présent qu’elles pourraient être responsables, au total (hôpital et médecine de ville) de 60 000 morts par an et représenter un coût global allant de 30 à 150 milliards d’euros par an…
Il faut également évoquer le coût considérable pour notre pays de la sédentarité. En extrapolant une étude autrichienne à la France, le Bureau de l’économie du sport a réévalué à la hausse, il y a quelques semaines son coût humain et social réel : on estime à présent que la sédentarité entraîne au moins 21 000 décès par an en France et que son coût économique, estimé auparavant à environ 10 milliards d’euros, serait en réalité plus proche des 17 milliards d’euros par an, dont 14 milliards pour les dépenses de santé…
Si notre pays parvenait, grâce à une utilisation généralisée de ces nouveaux outils numériques, et à une politique intelligente et active de prévention, à réduire de seulement 10 %, sur cinq ans, objectif tout à fait réaliste, le coût humain et économique pharamineux pour notre collectivité (en prenant comme références les estimations les plus prudentes), lié à ces quatre causes, consommation excessive d’alcool et de tabac, sédentarité et erreurs médicales, on pourrait sans doute sauver au moins 20 000 vies par an et les économies réalisées seraient d’au moins 30 milliards chaque année, une somme équivalente au niveau actuel d’endettement de nos hôpitaux publics…
Reste que gagner cette bataille décisive de la prévention passe aussi par de profonds changements culturels et éducatifs qui doivent être initiés avec détermination et constance dès la petite enfance et poursuivis tout au long de la vie. Il nous appartient de tout mettre en œuvre pour mener de front et de manière cohérente cette double révolution : technologique et culturelle, afin que notre société puisse offrir à chacun, à commencer par les plus fragiles, le bien-être et la qualité de vie qui lui permette de s’accomplir pleinement.
René TRÉGOUËT
Sénateur honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat
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- Publié dans : Médecine
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