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Edito : Le rôle-clé de l'épigénétique en biologie et en médecine se confirme...
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Le terme d'épigénétique a été inventé, en 1942, par l'embryologiste britannique Conrad Waddington, qui voulait étudier les mécanismes par lesquels les interactions entre les gènes et l'environnement produisent les caractères physiologiques et morphologiques de l'individu. A la fin du siècle dernier, le généticien britannique Robin Holliday proposa une nouvelle définition de l’épigénétique : l’étude des changements d’expression des gènes transmissibles au travers des divisions cellulaires, sans changement de la séquence d’ADN. En 2007, le généticien britannique Adrian Bird proposa de compléter cette définition en considérant l'épigénétique comme l’étude des adaptations structurelles des régions chromosomiques qui permettent d’enregistrer et de perpétuer des états modifiés d’activité des gènes. Les mécanismes épigénétiques permettent à un même ADN d’être utilisé différemment d’une cellule à une autre. Ils ne modifient pas les gènes eux mêmes, c'est-à-dire la structure de l'ADN, mais sont néanmoins capables d'agir comme de véritables interrupteurs qui vont venir bloquer ou au contraire activer nos gènes.
Il est à présent bien établi que notre environnement, au sens large, exerce une influence considérable sur ces phénomènes épigénétiques. On sait par exemple que de nombreux facteurs (tabac, stress, alimentation, médicaments, exposition à des bactéries, virus, pesticide, polluants…) ont un effet délétère sur nos mécanismes épigénétiques. C’est notamment le cas du vieillissement caractérisé par certaines marques épigénétiques, comme les méthylations de l'ADN qui régulent l'expression des gènes. C'est également vrai pour le tabac : les anciens fumeurs, par exemple, gardent des marques épigénétiques nocives pendant une vingtaine d’années. Ces dernières années, des recherches ont montré que cette influence, de manière remarquable, est largement réversible. Il a également été établi que les marques épigénétiques peuvent se transmettre de génération en génération, notamment pendant la grossesse, au moment du développement de l’embryon.
L'épigénétique repose sur trois grands mécanismes : la méthylation de l'ADN, la modification des histones et la régulation par l'ARN. Une analyse de la méthylation de l'ADN est souvent réalisée pour mieux comprendre l'expression des gènes. La modification des histones constitue un autre mécanisme épigénétique important qui utilise plusieurs voies : acétylation, méthylation, phosphorylation, qui vont permettre de modifier l'expression génique. Les histones sont des protéines qui, avec l'ADN, forment des nucléosomes qui vont produire la chromatine formant les chromosomes. Le troisième mécanisme, le moins connu, est la régulation par l'ARN. La voie de signalisation de l'ARN peut en effet réguler la structure de la chromatine. De nombreuses recherches tentent de mieux comprendre comment l'ARNm (ARN messager), et en particulier l'ARN non codant et les micro-ARN, régule l'expression des gènes.
En 2021, des chercheurs de l’Institut de génomique fonctionnelle de Montpellier ont pu montrer que l'ARN joue un rôle majeur en matière de cancer, au travers de l’épitranscriptome qui regroupe les modifications chimiques présentes sur les molécules d’ARN, notamment sur les ARN messagers qui servent à la synthèse des protéines. Ces modifications peuvent provoquer la production de différentes protéines, en fonction de l'environnement. Comme le souligne Alexandre David, qui a dirigé ces travaux, « Nos recherches ont mis à jour un niveau de régulation supplémentaire de l’expression des gènes, qui était invisible jusqu'à présent ».
En 2023, l'équipe du Docteur David Sinclair, professeur en génétique et co-directeur du centre Paul F. Glenn de recherche de biologie du vieillissement du Harvard Medical School de Boston, a publié une vaste étude qui a eu un retentissement scientifique mondial. A l'issue de 13 ans de travaux, ces chercheurs ont montré qu'on pouvait utiliser une thérapie génique faisant intervenir trois gènes, Oct4, Sox2, et Klf4, pour donner aux cellules l’instruction de se “reprogrammer", afin de restaurer leur environnement épigénétique d'origine. De manière remarquable, cette thérapie génique a permis l’effacement d’environ 57 % des signes du vieillissement et le rétablissement de l’état de jeunesse initial (Voir Harvard). Ces recherches se sont appuyées sur un nouveau concept prometteur, celui d'“l’horloge biologique”. Cette horloge pourrait être accélérée, mais aussi inversée, et agir de cette façon sur l’âge de toutes les cellules de l’organisme. Selon les auteurs de cette étude, ce mécanisme serait essentiellement lié à la survenue de modifications épigénétiques, indépendamment des mutations de l’ADN qui peuvent intervenir en parallèle.
Cette étude montre que l’altération des informations épigénétiques telles que l’organisation et la régulation de l’ADN cellulaire permet l’accélération du processus de vieillissement. A l’inverse, la restauration de l’intégralité de ces informations permet une réversibilité importante des signes du vieillissement. Cette étude a marqué un véritable tournant dans la compréhension des mécanismes fondamentaux du vieillissement et ouvre la perspective de pouvoir rajeunir l’organisme en utilisant ce procédé de reprogrammation cellulaire. Selon ces travaux, le vieillissement cellulaire des mammifères résulterait donc essentiellement de la perte d’instructions épigénétiques et seulement dans une moindre mesure, de l’accumulation de dommages et mutations subis par leur ADN. Ces chercheurs font valoir qu'il serait plus simple d'essayer de modifier les molécules qui contrôlent l’épigénome que de supprimer les nombreuses mutations de l’ADN impliquées dans le vieillissement. Selon ces scientifiques, Il serait donc plus pertinent de se concentrer sur l’épigénétique que sur la génétique, pour prévenir ou ralentir le processus global du vieillissement, ainsi que les pathologies qui en découlent.
Il y a un an, des scientifiques de l’université d'Algarve ont confirmé et prolongé les travaux de David Sinclair en montrant à leur tout qu'il était possible d'inverser, notamment par l’exercice et l’alimentation, des changements épigénétiques associés au vieillissement. Ces recherches ont montré que l'adoption d'une alimentation équilibrée et la pratique d'un exercice physique régulier pouvait contribuer à réduire sensiblement les modifications épigénétiques liées à l’âge, en favorisant une chromatine (le mélange d'ADN et de protéines qui forment les chromosomes) plus étroitement condensée (Voir Aging).
L'épigénétique est également devenue une nouvelle voie très prometteuse de recherche pour comprendre les causes fondamentales des cancers et proposer aux malades de nouvelles voies thérapeutiques originales, plus ciblées, plus efficaces et mieux supportées par les patients. En 2022, l'équipe de recherche rassemblant des chercheurs du CNRS et de Curie, dirigée par Céline Vallot, est parvenue à analyser cellule par cellule les variations épigénétiques acquises par les cellules tumorales au cours du traitement par chimiothérapie. Ces scientifiques ont à la fois identifié les gènes dont l’expression permet aux cellules de tolérer le traitement et repéré les modifications épigénomiques qui régulent ces gènes. Ces travaux ont montré qu'il existait bien des marques épigénomiques qui bloquaient l’expression de ces gènes en l’absence de traitement. Encore plus intéressant, ces recherches ont également confirmé qu'en maintenant le pouvoir inhibiteur de ces marqueurs épigénétiques, il était possible de prévenir l'apparition presque inévitable du phénomène de résistance aux traitements et de faire en sorte que les cellules cancéreuses restent toutes sensibles aux médicaments anti-cancéreux. Cette possibilité a d'ailleurs été démontrée par cette équipe qui a réussi à bloquer chez l'animal certains cancers, en utilisant des composés chimiques, appelés épi-drugs, qui inhibent le retrait de marques épigénétiques.
Il y a un an, une autre scientifique remarquable, Charlotte Proudhon, généticienne et directrice de recherche Inserm, a obtenu un financement européen de 1,5 million d’euros (sur 5 ans) pour accélérer les travaux de son projet EpiDetect (Detecting epigenetic biomarkers in the blood for non-invasive precision oncology), qui consiste, de manière complémentaire aux projets de biopsie liquide basés sur la recherche de mutations génétiques d'origine tumorale, à repérer des marques épigénétiques caractéristiques des cancers et de leur localisation. Cette chercheuse explique que « l’épigénétique doit être vue comme une couche d’information supplémentaire sur la séquence codante de l’ADN » qui va laisser des traces modifiant l’expression des gènes. Ce mécanisme est actif tout au long de la vie, avec des modifications qui surviennent en permanence en réponse aux changements d’état ou d’environnement. Ainsi, toutes les cellules cancéreuses portent des marques épigénétiques particulières qui sont potentiellement repérables dans le sang des patients.
Sur le plan thérapeutique, les épimédicaments sont des molécules qui agissent sur ces mécanismes épigénétiques, à savoir des processus biologiques réversibles qui influent sur l’expression des gènes sans modifier la séquence d’ADN elle-même. Ces molécules agissent par deux mécanismes principaux : ils inhibent la méthylation de l’ADN ou ciblent des modifications des histones, ces protéines qui entourent l’ADN. Certains sont déjà commercialisés, comme l'asacitidine, utilisée dans le traitement de certaines leucémies. Parmi les épimédicaments, le vorinostat est un inhibiteur des histones désacétylases (HDAC), qui peut moduler l’épigénome des inhibiteurs de marqueurs épigénétiques.
L’essai clinique PEVO de phase 2, conduit par le Professeur Le Tourneau, de l'Institut Curie, vise à évaluer une approche thérapeutique très innovante : l’association d’une immunothérapie (le pembrolizumab) avec un épimédicament, le vorinostat. Il a été mené auprès de 112 patients touchés par un carcinome épidermoïde récidivant. Les carcinomes épidermoïdes, qui représentent environ 20 % des cancers de la peau, présentent des altérations moléculaires similaires qui permettent des stratégies thérapeutiques communes. Les résultats très prometteurs de cet essai ont été présentés il y a quelques mois, à l'occasion du congrès de l’ESMO2023. Ce nouveau traitement combiné, associant un médicament épigénétique, a montré une activité antitumorale encourageante chez les malades atteints de cancers épidermoïde ORL et de cancer du col de l’utérus.
Il y a quelques jours, une étude de chercheurs français, menée par l'Institut de Génétique Humaine de l'Université de Montpellier, est venue raisonner comme un coup de tonnerre dans le monde scientifique et a créé l'événement en montrant pour la première fois qu'un cancer peut émerger sans nécessiter de mutation génétique. Jusqu'à présent, la communauté scientifique considérait que les mutations génétiques étaient la cause principale de l'apparition des cancers. Pourtant il semblerait, selon cette étude solide, que des altérations épigénétiques, qui régulent l'expression des gènes sans modifier leur séquence, puissent, à elles seules, déclencher certains cancers (Voir Nature). Ces chercheurs ont en effet provoqué des cancers chez la drosophile, simplement en réduisant le niveau de la protéine Polycomb, un dérèglement épigénétique. Et même en restaurant l'état normal des cellules, ces scientifiques ont constaté qu'une partie du génome restait dysfonctionnelle, favorisant la production de cellules malignes. Ces recherches démontrent que les mutations génétiques ne sont pas toujours indispensables à l'apparition du cancer. Cette découverte capitale éclaire également le rôle potentiel des facteurs environnementaux, tels que les polluants chimiques, dans le développement du cancer. Des substances comme le bisphénol A, les PFAS présents dans le plastique, peuvent perturber les mécanismes épigénétiques et favoriser la survenue de tumeurs.
Toutes ces avancées récentes sont passionnantes car elles montrent que la connaissance et l'utilisation thérapeutique de l'épigénétique est au moins aussi importante que la compréhension de la dimension purement génétique, dans le traitement des grandes pathologies qui affectent l'homme, à commencer par le cancer. Ces avancées montrent également que nous devons sortir de la représentation statique, fermée et restrictive que nous avons encore de l'information génétique. Cette information n'est pas gravée dans le marbre de notre ADN. Non seulement le génome doit être dupliqué pour la division cellulaire et la descendance, mais il doit également être entretenu en permanence et corrigé en cas d’anomalie, mais son expression est régulée, contrôlée tout au long de la vie de la cellule et de l’organisme.
On voit donc que, loin d'être une dimension subsidiaire du vivant, l'épigénétique s'avère aussi complexe et aussi importante que la génétique pour comprendre les mécanismes biologiques fondamentaux et imaginer de nouvelles voies thérapeutiques pour mieux prévenir et traiter les pathologies lourdes et parfois incurables, très souvent liées au vieillissement continu de notre population. On peut penser que la médecine de demain devra apprendre à combiner de manière intelligente et personnalisée les thérapies géniques, épigénétiques et cellulaires, en utilisant de manière plus large et efficace les puissants outils que sont les outils d'édition génomique (comme CRISP-CAS9 ou le Prime Editing, encore plus précis) et les ARN interférents et messagers (ARNi et ARNm).
Reste que ces traitements d'une très haute précision devront être totalement personnalisés pour produire leur plein efficacité thérapeutique, ce qui ne sera possible qu'en s'appuyant sur des outils extrêmement puissants de bio-informatique et d'IA et à condition que médecins et chercheurs disposent partout d'un accès à une puissance de calcul distribué sans doute 100 fois plus grande que celle dont disposent aujourd'hui les médecins et établissements de santé. Souhaitons que notre pays prenne bien la mesure de cet enjeu numérique en matière de médecine et de santé...
René TRÉGOUËT
Sénateur honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat
e-mail : tregouet@gmail.com
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- Publié dans : Biologie & Biochimie
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