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Edito : Les robots vont profondément changer nos vies

Notre planète vieillit à toute allure : d’ici à 2050, la part des plus de 65 ans dans le monde devrait passer de 9 % à 16 % de la population, selon le scénario principal des Nations Unies. En Europe et en d’Asie, la part des plus de 65 ans pourrait grimper de 18 % à 27 % d’ici trente ans, contre 8,2 % à 16 % dans les pays à revenus intermédiaires.

L’espérance de vie moyenne mondiale à la naissance a connu depuis un demi-siècle une progression sans précédent dans l’histoire humaine, passant de moins de 50 ans à 71,5 ans, et elle pourrait dépasser les 80 ans au milieu de ce siècle. En 2018, pour la première fois dans l'histoire, les personnes âgées de 65 ans ou plus étaient plus nombreuses dans le monde que les enfants de moins de cinq ans. Le nombre de personnes âgées de 80 ans ou plus devrait tripler, passant de 143 millions en 2019 à 426 millions en 2050.

En France, selon les dernières projections de l’Ined, la population devrait atteindre, en 2050, 74 millions de personnes contre 66,7 millions en 2021. Dans le même temps, l’espérance de vie devrait atteindre 90,3 ans pour les femmes en 2050, contre 85,6 ans en 2019, et 86,8 ans pour les hommes contre 79,7 ans en 2019. La France comptera, en 2050, 20 millions de personnes âgées, soit plus d’un quart de sa population. Le nombre de personnes de plus de 85 ans passera, quant à lui, de 2,1 millions de personnes aujourd’hui, à 4,2 millions d'ici 2050. Quant au ratio jeunes/seniors, il va tout simplement s’inverser, passant de 71 seniors pour 100 jeunes aujourd’hui, à 100 jeunes ayant moins de 20 ans pour 122 personnes âgées en 2050…

S’agissant de la population active (29,2 millions de personnes en 2019), elle pourrait baisser de 588.000 personnes d’ici 30 ans et, si l’on fait l’hypothèse que les critères actuels – âge légal de départ à la retraite, âge moyen d’entrée dans la vie professionnelle, restent inchangés, seul un Français sur deux sera en âge d’être actif en 2050. Mais le plus préoccupant est sans doute la forte progression attendue du nombre de personnes en perte d’autonomie, qui devrait passer de 2,5 millions aujourd’hui, à plus de 4 millions en 2050.

Selon le remarquable rapport de Dominique Libault, publié en mars 2019, il sera nécessaire, dans le cadre d’une vaste réforme du financement global de la dépendance et de l’accueil des personnes âgées, d’augmenter d’un tiers d’ici 20 ans l’effort public consacré à la dépendance (30 milliards par an au total), ce qui représente des dépenses supplémentaires de 9,3 milliards d’euros par an en 2040. Sans développement massif de nouvelles solutions de maintien à domicile pour les personnes très âgées, il faudrait, selon la DREES (Direction de la Recherche, des Etudes, de l'Evaluation et des Statistiques), augmenter de 50 % le nombre de places en EHPAD d’ici 2050, soit 300 000 places nouvelles à créer en 30 ans, et au moins 250 000 nouveaux agents à recruter, un objectif qui semble très difficile à atteindre, à la fois pour des raisons financières, et compte tenu de la contraction attendue de la population active qui va rendre de plus en plus difficile le recrutement et la formation des personnels travaillant dans ces établissements.

Dans un tel contexte, une nouvelle génération de robots polyvalents et autonomes est appelée à jouer un rôle majeur, non pour se substituer aux agents et soignants humains qui garderont toujours un rôle irremplaçable, mais pour alléger leurs tâches et en réduire les aspects pénibles et répétitifs, afin de leur permettre de se recentrer sur la dimension la plus noble de leur métier, celle qui consiste à préparer, accompagner, adapter et enrichir le parcours gériatrique individuel de chaque personne prise en charge, en établissement ou à domicile.

Depuis 4 ans, le robot ZORA, développé par l'entreprise Zora Robots, a fait son entrée dans les maisons de retraite, pour le plus grand bonheur des résidents. Ce robot humanoïde de 56 cm peut aussi proposer une large palette d’exercices cognitifs et de jeux d’observation aux personnes âgées. Il est également capable de vérifier la pertinence des réponses et de relancer le dialogue avec les seniors. Après des expérimentations positives, la totalité des Ehpad privés "Maisons de famille", soit quinze établissements situés dans toute la France, a décidé de s'équiper de ce compagnon robotique.

En mars dernier, 5 premiers robots « Nono » de téléprésence ont été livrés, à l’initiative conjointe de la Région Auvergne-Rhône-Alpes et du Département du Rhône, dans des établissements accueillant des personnes âgées situés sur les communes de Pollionnay, Anse, Villefranche-sur-Saône et Beaujeu. Ils permettent aux résidents, qui ressentent durement l’isolement lié aux mesures de protection imposés par la pandémie de Covid-19, de pouvoir échanger de manière simple et intuitive avec leurs proches. Grâce à son grand écran à hauteur réglable, sa webcam et son micro, les résidents peuvent dialoguer de manière naturelle avec leurs proches, dans leur chambre ou dans les parties communes, sans effectuer la moindre manipulation contraignante, et sans toucher le robot, ce qui limite les risques de contamination éventuelle.

Mais les robots ne se contentent pas d’aider les seniors à communiquer avec leurs proches ou de les faire participer à des jeux d’intérêt cognitif, ils peuvent aussi avoir une vraie vocation thérapeutique. C’est par exemple le cas du robot-phoque « Paro ». Recouvert d'une fourrure blanche, Paro est animé par de petits moteurs pilotés par un logiciel très élaboré d’intelligence artificielle, qui gère conjointement toute une panoplie de capteurs de sons, de pression et mouvements. Ce robot peut ainsi bouger doucement la tête ou le corps, cligner de ses yeux noirs ou pousser des petits couinements. Il réagit ainsi aux paroles des personnes qui le tiennent, en fonction de la façon dont il est tenu ou caressé.

Plus de 200 EHPAD ont déjà adopté Paro qui a montré une remarquable efficacité dans une meilleure prise en charge de l’anxiété et de la douleur. Emilie Bourrely, psychomotricienne dans un Ehpad public, confirme les effets bénéfiques surprenants de ce tendre robot. « Au contact de Paro, certains résidents qui ne communiquent presque plus forment des phrases cohérentes en lien avec la situation ». Convaincue par le réel potentiel thérapeutique de ce robot, cette professionnelle a commencé à l'utiliser dans l'unité de vie protégée de l'Ehpad puis dans l'unité d'hébergement renforcé (UHR), où les résidents présentent des troubles cognitifs et de comportement importants.

La Mutualité française a lancé en septembre 2016 une étude scientifique dans 11 EHPAD portant sur l’usage du robot PARO, auprès de résidents atteints de troubles cognitifs. Ce travail d’évaluation confirme les effets très positifs de ce robot, sur le plan social, relationnel et émotionnel. Cette étude souligne également que Paro, à condition d’être judicieusement utilisé, permet de diminuer les douleurs aiguës des personnes âgées atteintes de démence accueillies en institution. L’effet positif de PARO sur la douleur vient ainsi répondre à un réel besoin des équipes de soins dans les institutions accueillant des personnes avec démence.

Depuis trois ans, on peut également voir dans certains établissements les premiers robots autonomes d’assistance aux personnels médicaux. C’est par exemple le cas de Medi’Pep, un robot capable de communiquer avec des seniors dépendants. Capable de s’adapter de façon personnalisée et automatique à chaque personne, Medi’Pep a été développé par Softbank Robotics, en coopération entre ingénieurs, informaticiens et gérontologues. Il permet aux équipes médicales d’assurer un meilleur suivi de l’état de santé des personnes âgées, tout en proposant un accompagnement adapté à chaque résident. Il s’agit d’une machine évolutive, construite à partir de la plate-forme robotique Peper, qui est très facilement paramétrable en fonction des besoins spécifiques de chaque établissement. Selon son concepteur, Silvère Jauny, « Medipep permet de réhumaniser le travail du personnel de l’EHPAD en prenant en charge les activités mécaniques et sans valeur ajoutée ».

MediPep est capable d’identifier individuellement chaque résident, de dialoguer avec lui et de stocker les observations plus efficacement qu’un humain. Les informations précieuses ainsi recueillies sont transmises aux professionnels de santé qui peuvent ainsi anticiper de nombreux problèmes et réagir de manière plus rapide et efficace face à une situation d’urgence.

Autre exemple de robot d’assistance, Buddy, conçu par BlueFrog robotics, une société parisienne qui a obtenu la récompense de l’innovation au CES de 2018, à Las Vegas. Haut de 56 cm, pour un poids de 8kg et une autonomie de 6 heures, Buddy se veut polyvalent. Il peut rappeler l'heure d’une émission de TV ou d’une prise de médicaments à une personne âgée, lui proposer des jeux ou des exercices, la mettre directement en relation visiophonique avec ses proches et surveiller la maison en l’absence du propriétaire. Pilotable entièrement à la voix, Buddy se veut aussi un « robot émotionnel » qui réagit aux caresses et parvient, comme l’ont montré plusieurs expérimentations, à nouer une véritable relation affective avec son utilisateur.

Mais on peut aller encore plus loin et confier aux robots des tâches pénibles et délicates, comme celles consistant à transférer des personnes dépendantes de leur fauteuil à leur lit, et vice-versa. Le Japon, en pointe dans ce domaine, dispose déjà du robot "Mobiro" de Toyota, qui aide les personnes à mobilité réduite ou handicapées à se déplacer. C’est également dans ce but que les chercheurs du laboratoire japonais Riken ont développé et perfectionné depuis 5 ans leur robot-ours « Robear », capable de soulever et mouvoir des patients invalides. Ce gros mais très attentionné Nounours de 140 kg peut soulever et déposer délicatement, grâce à ses multiples capteurs sensoriels et son puissant logiciel d’IA, les personnes âgées ou malades et il est appelé, d’ici quelques années, à remplacer dans les établissements de soins japonais les humains, pour toutes les tâches pénibles et répétitives d’assistance physique qui, actuellement, prennent beaucoup de temps aux soignants et sont génératrices de pathologies musculaires et articulaires importantes pour le personnel humain.

Il y a quelques semaines, Samsung a fait forte impression en présentant, durant le CES 2021 de Las Vegas, son nouveau robot domestique, baptisé Bot Handy, qui préfigure ce que seront demain les robots domestiques, non plus seulement des interfaces numériques mobiles qui peuvent vous mettre en contact avec des tiers, vous rappeler un RV ou allumer la lumière, mais bien de véritables « majordomes » qui peuvent effectuer de nombreuses tâches complexes, y compris le rangement et le ménage et agir sur l’environnement (si vous disposez de quelques minutes, je vous invite à aller voir quelques videos, très intéressantes sur Youtube).

Bot Handy peut ainsi aider son propriétaire à mettre de l'ordre dans une pièce, ou encore lui servir son plateau-repas, ou lui apporter un magazine. Samsung précise que ce robot utilise l'IA pour reconnaître et ramasser des objets de taille, de forme et de poids différents ; il sait également évaluer le poids et la structure des objets qui l’entourent. Lors du show impressionnant de présentation, Bot Handy s’est montré capable de remplir un lave-vaisselle, de déposer du linge sale dans un bac, de mettre le couvert et de ranger les courses… Samsung est convaincu que, pour des raisons liées à la complexité de gestion et de cohabitation numérique, l’avenir de la robotique domestique appartient plutôt aux robots polyvalents qu’à l’utilisation, sous le même toit, d’une multitude de robots spécialisés qui peuvent finir par entrer en conflit d'usage.

La robotique d’assistance personnelle s’attaque également, nous l’avons vu avec le robot japonais Robear, à restituer aux seniors leur autonomie de déplacement perdue, ce qui constitue un enjeu majeur pour leur maintien dans de bonnes conditions, tout au long de leur vie. Dans ce domaine stratégique, la société Wandercraft, fondée par deux polytechniciens, Nicolas Simon et Alexandre Boulanger, s’est fixée comme ambition de redonner une véritable autonomie aux personnes qui ne peuvent plus marcher, grâce à un robot exosquelette : l’Atalante. Cet exosquelette a été conçu pour permettre aux patients de récupérer rapidement de l’autonomie. Mais Wandercraft pense déjà à l’étape suivante et travaille en vue de la mise sur le marché d’un exosquelette personnel, adapté à la circulation en milieu urbain et dans les transports en commun.

Enfin, il faut évoquer la première intervention vasculaire à distance in vivo en Europe, qui a eu lieu il y a quelques semaines. Le 8 décembre dernier, Rémi Sabatier, cardiologue interventionnel, a réalisé à distance, depuis le CHU de Caen, une angioplastie coronaire - dilatation d'une artère en vue de la pose d'un stent - sur un cochon qui se trouvait à 120 kilomètres, au centre de formation et de simulation du CHU de Rouen. Cette intervention, qui s’est parfaitement déroulée, a été réalisée grâce au robot R-One de la société Robocath et à son nouveau logiciel de télépilotage. Comme le précise Rémi Sabatier : « J'ai manipulé à distance mes instruments - guides et stents - avec la même sensation que lors d'une procédure robotique habituelle ».

Robocath souhaite à présent, en anticipant les potentialités que va offrir la 5G en termes de réactivité et de débit, faire bénéficier l'homme de cette technologie. Et l’on comprend mieux l’intérêt d’un tel outil de télérobotique chirurgical quand on sait qu'en Europe, en cas d'infarctus, 40 % de la population n'ont pas accès à une angioplastie coronaire, du fait des temps de transport trop longs vers un centre spécialisé. Cette innovation pourrait également permettre de prendre en charge plus rapidement certains AVC graves et de sauver ainsi plusieurs milliers de vie par an en France.

On voit donc, au travers de ces quelques exemples, que la nouvelle génération de robots autonomes, intelligents et polyvalents qui arrive, est appelée, surtout dans la perspective d’une diminution sensible des actifs, à jouer un rôle majeur, non seulement dans l’aide aux personnels soignants dans les établissements spécialisés, mais plus largement encore dans la télémédecine, y compris les urgences, les télésoins et le maintien à domicile des seniors de plus en plus nombreux qui seront en perte d’autonomie dans quelques années.

Je ne pense pas, contrairement à ce qu’on peut parfois entendre, que l’arrivée massive de ces nouveaux robots dans les foyers, les hôpitaux et les maisons de retraite, s’accompagnera d’une déshumanisation inévitable des soins et de la qualité de vie des patients, à condition toutefois que l’introduction de ces nouveaux outils se fasse de façon concertée avec l’ensemble des professionnels concernés et puisse s’adapter en permanence au niveau d’acceptabilité sociale et psychologique des malades et des seniors en perte d’autonomie. Il faut également insister sur le fait qu’en diminuant sensiblement la pénibilité de certaines de leurs tâches, ces auxiliaires robotiques polyvalents permettront aux agents humains de dégager un temps précieux pour se recentrer sur l’accompagnement personnel de chaque patient, dans toutes ses dimensions relationnelles, sociales et médicales.

Dans ce contexte, il est crucial que notre pays, qui a su garder une remarquable capacité d’innovation dans la conception de ces nouveaux outils robotiques d’assistance à la personne, parvienne à maintenir son niveau d’excellence dans la conception et le développement industriel de ces outils robotiques intelligents qui vont profondément bouleverser nos vies d’ici la fin de cette décennie.

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

e-mail : tregouet@gmail.com

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