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Edito : Les robots vont changer le destin de nos anciens

Bonjour, chers lecteurs de RT Flash,

La petite équipe de RT Flash prend quelques jours de repos. Si vous avez la chance de pouvoir en prendre, nous vous souhaitons de bien vous reposer pendant ces congés de fin d'année. Le prochain numéro sera mis en ligne le Vendredi 4 Janvier 2019.

René TRÉGOUËT

 

D’ici 2050, on prévoit que la population mondiale des personnes âgé de plus de 65 ans doublera pour atteindre 1,6 milliard d’individus, soit 16 % de la population totale. Quant à celle des plus de 80 ans, elle sera multipliée par quatre d’ici le milieu de ce siècle. La France comptera, quant à elle vingt millions de personnes âgées à la même échéance, soit plus d’un quart de sa population. Parmi ces seniors, il y avait 2,1 millions de personnes de plus de 85 ans en France début 2018. L’Insee prévoit qu’elles seront 4,2 millions d’ici 2050.

Aujourd'hui, 1,3 million de personnes sont en état de dépendance, c’est-à-dire qu’elles ont besoin de l’aide d’une tierce personne pour accomplir les gestes essentiels de la vie quotidienne comme se déplacer, s’habiller, se laver, se nourrir. Mais ce nombre, sous l’effet du vieillissement inexorable de notre population, devrait atteindre au moins 2,4 millions en 2050, selon l’hypothèse moyenne de l’Insee.

Il faut également rappeler qu’en 2050, seul un Français sur deux sera en âge d’être actif, ce qui permet de mieux comprendre l’équation redoutable à laquelle notre société va être confrontée : de moins en moins d’actifs qui vont devoir, d’une façon ou d’une autre, prendre en charge un nombre de personnes très âgées, fragiles ou dépendantes, qui va doubler au cours des trente prochaines années…

Aujourd’hui, plus de 700 000 personnes âgées sont déjà en maison de retraite en France et beaucoup d'entre elles sont dépendantes et prises en charge dans des établissements médicalisés, les EHPAD (Établissement d’Hébergement pour Personnes Âgées Dépendantes). L'âge moyen des résidents de ces établissements (au sein d'hôpitaux publics ou privés) est de 85 ans, et près d'un quart d'entre eux souffre de la maladie d'Alzheimer ou apparentée.

L’une des conséquences de cette augmentation inexorable du nombre de personnes âgées est que les établissements de retraite ont de plus en plus de mal à recruter : plus d’un sur trois peine à trouver le personnel dont il a besoin pour fonctionner correctement. Pour faire face à cette situation, tous les pays développés réfléchissent à la mise en œuvre conjointe de trois niveaux d’accompagnement et d’assistance des seniors : le premier consiste à rendre les structures d’accueil et les logements intelligents et réactifs, de manière à pouvoir prévenir et détecter les anomalies et problèmes qui peuvent affecter les personnes âgées ; le deuxième niveau, complémentaire du précédent, consiste à équiper les personnes âgées de nombreux dispositifs portables intégrés dans les vêtements, qui vont pouvoir surveiller en permanences, de manière non-intrusive et transparente, les principaux paramètres biophysiques du porteur et donner l’alerte aux intervenants compétents, si cela s’avère nécessaire. Enfin le troisième niveau, le plus récent et le plus riche de promesses, est de mettre à la disposition des seniors tout un ensemble de robots, allant des plus simples aux plus sophistiqués, qui vont pouvoir non seulement s’assurer du bien être des personnes âgées mais également dialoguer avec elles et, le cas échéant, agir de manière pertinente et autonome si la personne âgée se trouve brusquement confrontée à un problème qui met en péril sa sécurité.

A Roubaix, une nouvelle résidence intergénérationnelle comporte 71 logements qui sont occupés par des personnes âgées. Soucieux de proposer aux occupants de nouveaux services, le bailleur SIA Habitat s’est associé à la start-up Ôgénie et à l’association La Sauvegarde du Nord pour mettre en place un site réservé aux habitants seniors de la résidence. Sur cette plate-forme numérique, les seniors peuvent trouver des informations sur les activités du quartier comme sur les démarches administratives les concernant, s’inscrire aux animations qui leur sont proposées au sein de la résidence, poser des questions, s’échanger des messages, poster une invitation à un événement qu’ils souhaitent organiser dans l’une des deux salles communes…

Les locataires qui le souhaitent peuvent également demander l’installation d’une box, reliée à la plate-forme et comprenant trois gros boutons. Un premier permet de recevoir des messages, qu’il s’agisse d’un rappel des activités de la journée ou de conseils en cas de canicule par exemple. Le deuxième appelle directement le service clientèle du bailleur qui gère les problèmes techniques. Et le troisième permet d’appeler directement son aidant. Par ailleurs, un détecteur de mouvements près des lits allume automatiquement la lumière la nuit pour éviter les chutes. Un autre capteur d’ouverture de porte est posé sur le réfrigérateur : si celui-ci n’est pas ouvert de la journée, le gardien ou l’intervenant de La Sauvegarde du Nord peut vérifier si tout va bien.

Dans le Rhône, Rhône Métropole et le bailleur social Dynacité souhaitent également développer cette plate-forme Ôgénie au sein du quartier prioritaire de la ville de Rillieux-la-Pape. Après une phase de diagnostic et de consultation des habitants seniors, Dynacité va mobiliser des volontaires pour qu’ils construisent la plate-forme, définissent les services qu’ils souhaitent voir développés.

Les maisons de retraite sont également en train de vivre leur mutation numérique afin d’offrir à leurs résidents une multitude de nouveaux services qui participent à la fois à mieux prévenir les problèmes de santé et à maintenir l’autonomie sociale et cognitive des seniors. C’est ainsi qu’au Danemark, une maison de retraite à Aalborg propose des chambres équipées de matériel d’aide au déplacement et de détecteurs de chutes. Les salles de bain, également, sont pourvues de toilettes nettoyantes et séchantes. Mais la maison de retraite du futur ne se soucie pas seulement de mieux surveiller la santé de ses résidents ; elle est également conçue de manière à favoriser le plus possible les échanges sociaux et cognitifs et à prévenir les effets néfastes de l’isolement. Les résidents d’Aalborg ont ainsi à leur disposition des tablettes électroniques pour envoyer des mails ou passer des appels en visio. À partir de ces terminaux, les pensionnaires peuvent consulter en temps réel le calendrier des activités et des événements et également formuler des demandes et faire remonter des informations utiles.

En France, de nombreux acteurs, qu’ils soient privés ou institutionnels, essayent de développer des solutions simples, souple et ingénieuses qui favorisent le maintien à domicile des personnes âgées, sans qu’elles aient un sentiment d’intrusion liée à la présence trop visible d’éléments technologiques. A la fin de l’année dernière, EDF a par exemple décerné son prix « EDF Pulse » à différentes startups dont Howz, une jeune entreprise anglaise qui développe des solutions très innovantes à destination des seniors.

Cette petite société britannique propose un remarquable système interactif qui repose sur l'analyse des consommations électriques et sur des capteurs de mouvements, déployés chez l'habitant. Ce dispositif simple, fiable et peu intrusif, permet de s'assurer que l'activité du résident est normale. Le boîtier est équipé d’un logiciel capable d’apprendre les habitudes de vie des personnes âgées (heure du lever, activité en journée, moments des repas), ce qui permet de détecter efficacement les anomalies ou incidents de vie. Si le système repère un problème, les proches en sont immédiatement avertis et peuvent entrer en contact avec le retraité pour savoir si tout va bien. Un ensemble de capteurs reliés à cette box permet également de contrôler à distance l’éclairage, le chauffage ou la bonne fermeture de la porte d’entrée et des fenêtres. Selon la startup britannique, "Howz a été conçu pour s’adapter aux seniors et n'est pas un objet de luxe réservé à quelques-uns mais un outil simple et fiable accessible au plus grand nombre".

Complément indispensable de ces nouveaux systèmes communicants et interactifs, bien moins complexes et coûteux que les premières installations domotiques, le smartphone permet également de faciliter le maintien à domicile des plus âgés, en prévenant proches ou personnel médical de toute anomalie, y compris d'une éventuelle chute. À l’occasion du dernier Congrès mondial de la téléphonie mobile (MWC) organisé à Barcelone, tous les constructeurs et fabricants y sont allés de leur solution et applications mobiles destinées à faciliter la vie des seniors.

La jeune entreprise anglaise Voltaware a ainsi développé un système fonctionnant grâce à l'installation d'un capteur dans le disjoncteur du domicile. Celui-ci, via le Wifi, transmet les données de consommation électrique au serveur virtuel de l'entreprise, qui les analyse. Si une personne âgée change ses habitudes, par exemple ne se lève pas le matin ou n'allume pas sa machine à café, le système détecte ce changement et envoie immédiatement un SMS aux proches. Ce service simple et fiable est déjà disponible dans certaines régions britanniques, via deux distributeurs d'électricité au Royaume-Uni.

La société israélienne Vayyar, spécialisée en imagerie 3D, propose pour sa part un capteur d'ondes radios, afin de détecter dans quelle pièce se trouve une personne. Originalité de ce dispositif, il n’a besoin que d'un seul capteur situé au centre du domicile. Il peut aussi repérer dans quelle position se trouve la personne âgée et s’assurer qu’elle respire. Si cette dernière fait une chute ou cesse de respirer, une alerte automatique par SMS est immédiatement envoyée aux différents services d'urgence enregistrés.

Les Japonais qui, on le sait, sont à la pointe de l’innovation en matière d’outils numériques pour l'assistance aux seniors, font également feu de tout bois sur ce marché en pleine expansion. Un système nippon, le DFree, présenté au dernier salon high-tech grand public à Berlin, utilise par exemple des ultrasons qui détectent la taille de la vessie et mesurent ainsi son remplissage de manière indolore et préventive et ce sans danger. Ce dispositif envoie une alerte par mail et SMS au personnel de surveillance lorsque le taux de remplissage devient critique et qu'il est temps de prévoir un passage aux toilettes...

Autre innovation majeure qui est en train de transformer la vie des seniors, les vêtements intelligents et communicants. Il y a quelques mois, la maison mère de Damart a par exemple annoncé la création, à Lille, d’E-Wear Solutions, une startup spécialisée dans les vêtements connectés pour seniors. Les solutions proposées reposent sur des ensembles de capteurs particulièrement miniaturisés qui sont insérés dans les vêtements ou sous-vêtements au moment de leur fabrication. L’idée est de capter une multitude de données physiologiques et de les transmettre en temps réel aux différents acteurs concernés, afin qu’ils puissent être alertés immédiatement en cas d’anomalie ou de graves problèmes de santé.

Autre initiative intéressante, celle mise en œuvre par le groupe Mulliez-Flory, dans le cadre des PIAVE (Projet industriel d’avenir). Baptisée « Autonotex », ce projet, résolument transdisciplinaire, vise à concevoir des vêtements et autres textiles autonomes en énergie grâce à des fibres capables de transformer l’énergie mécanique et les mouvements de l’utilisateur en électricité. De tels vêtements, associés aux nouvelles générations de capteurs à très faible consommation, permettrait notamment aux seniors de ne plus avoir à se soucier de changer régulièrement les piles ou batteries qui alimentent ces dispositifs portables.

Mais on peut aller encore plus loin et imaginer des vêtements « à puissance augmentée » qui vont permettre aux seniors les plus fragiles de bénéficier, lorsqu’ils en ont besoin, d’un surcroît ponctuel de force musculaire pour accomplir un geste ou une action particulière. Une telle combinaison réactive est déjà en cours d’expérimentation. Baptisée « Aura », elle a été conçue en collaboration avec la société de robotique Superflex. Le vêtement, fabriqué à partir d’un tissu léger et souple, vise à fournir à la personne âgée un niveau de force plus élevé grâce à une série de moteurs couplés à des capteurs et logés dans des cosses hexagonales réparties au niveau des principaux muscles du corps. Grâce à un puissant logiciel utilisant l’intelligence artificielle, ce dispositif portable à « force augmentée » peut réagir aux mouvements naturels du corps et ajouter, si nécessaire, de la puissance musculaire pour aider le porteur à se lever, s’asseoir ou rester debout. Dans le même esprit, une équipe d'ingénieurs de l'Université Vanderbilt aux Etats-Unis a développé un sous-vêtement intelligent et mécanisé qui utilise la science de la biomécanique pour prévenir les maux de dos. La version actuelle du système permet déjà de réduire l'activité des muscles du bas du dos de 15 à 45 % pour chaque tâche. Conçu pour être utilisé uniquement en cas de besoin, ce dispositif portable n’est pas considéré comme contraignant par les utilisateurs.

Parmi la panoplie de plus en plus large de systèmes et d’outils numériques et électromécaniques à destination des seniors, les robots de toute taille et de toute nature figurent également en bonne place. L'un des plus populaires et des plus utilisés est le robot Paro. Se présentant sous la forme d’un petit phoque blanc, ce robot est capable de manifester et de communiquer plusieurs types d’émotions, comme la joie, la surprise ou le mécontentement, lors d'un contact avec une personne. Grâce à ses différents capteurs et un puissant algorithme de traitement, il peut réagir à ses interlocuteurs et s’adapter en temps réel à certaines modifications de son environnement. Un très intéressant rapport présenté en octobre dernier à la Mutualité française et portant sur 18 mois d’expérimentation dans 11 résidences mutualistes de Loire et Haute-Loire, montre que ce robot est bien plus qu’un gadget et permet, à condition d’être utilisé à bon escient et dans un cadre d’accompagnement approprié, d’obtenir des effets très positifs en matière de lien social d’humeur, et de prise en charge de la douleur. L'étude précise également que l'utilisation du robot Paro apparaît "particulièrement utile à un personnel soignant expérimenté, au sein de petites unités de vie".

Mais il faut bien comprendre que l’arrivée et la diffusion massives de ces différents outils numériques et robotiques au service du seniors ne pourront être pleinement efficaces qu’à condition d’être accompagnées et favorisées par un cadre politique, social et institutionnel adapté. C’est précisément ce qu’essaye de faire le Japon, pays où les seniors représente déjà 27 % de la population, taux qui pourrait dépasser les 38 % à l'horizon 2060 (contre 18 % en France à l'heure actuelle et 27 % en 2060).

Confronté à ce défi du vieillissement accéléré de sa population, le Japon a commencé à modifier profondément son système de protection sociale. Une assurance sociale pour les personnes dépendantes, créée en l'an 2000 et financée conjointement par l’Etat et les communes, prend en charge 90 % des frais liés à la prévention et aux soins à domicile ou en établissement. D'ici à 2025, le Japon lancera un système de « parcours de vie intégrée » permettant aux personnes dépendantes d'accéder à des soins médicaux et à des activités associatives dans un périmètre limité à trente minutes. L'objectif avoué du gouvernement japonais est de permettre aux aînés de vivre jusqu'à la fin de leurs jours en conservant leurs habitudes dans un cadre familier, même lorsque des soins importants sont nécessaires.

Mais le Japon veut aller encore plus loin et prépare déjà l’ère des robots autonomes d’assistance personnelle. Concrètement, il s’agit de concevoir et de proposer aux seniors les plus fragiles, ainsi qu’aux établissements qui les accueillent, une nouvelle génération de robots humanoïdes autonomes, puissants et polyvalents, capables de devenir de véritables « auxiliaires de vie » et de remplir une grande variété de tâches, particulièrement les plus pénibles et les plus fastidieuses.

C’est tout l’enjeu du nouveau robot développé par le Centre de collaboration RIKEN-SRK pour la recherche sur les robots à interaction homme-humain à Nagoya. Baptisé ROBEAR, ce robot est plus léger que son prédécesseur, ne pesant que 140 kilogrammes par rapport aux 230 kilogrammes du RIBA-II. Mais la grande nouveauté de cette étonnante machine réside dans le fait qu’elle est capable d’exercer une puissante force, avec un rapport de démultiplication très faible, permettant aux articulations de se déplacer très rapidement et avec précision, grâce à l’utilisation conjointe de trois types de capteurs, capteurs de couple, capteurs tactiles et capteurs capacitifs. Cette solution technologique permet au robot d’utiliser sa force en effectuant des mouvements doux et mesurés, comme saurait le faire un être humain particulièrement musclé… ROBEAR peut ainsi soulever délicatement une personne de son fauteuil pour l’allonger sur son lit ou encore relever avec précaution une personne âgée qui aurait fait une chute. ROBEAR donnera une impulsion à la recherche sur la création de robots pouvant compléter le besoin du Japon de nouvelles approches en matière de soins (Voir RIKEN).

Confrontés au double défi de la forte augmentation des personnes âgées et de la pénurie chronique de personnel soignant, les chercheurs japonais veulent mettre au point, au cours des cinq prochaines années, cette nouvelle génération de robots autonomes, puissants et polyvalents, capables en outre d’évoluer parfaitement dans les espaces exigus qui caractérisent les habitations japonaises.

Même si la situation de nos aînés est moins critique en France, je reste convaincu que nous devons également préparer notre cadre social, médical et institutionnel à l’arrivée de ce nouveau type de robot qui pourrait permettre, déployé de manière intelligente et concertée, d’améliorer considérablement la qualité de vie des personnes âgées en perte d’autonomie en permettant notamment leur maintien à domicile jusqu’au terme de leur vie, ce que souhaite l’immense majorité de nos concitoyens.

Bien entendu, va se poser la question-clé de la répartition de la prise en charge financière du coût important que représentera la généralisation de ces outils numériques et robotiques à destination des seniors. Mais cette question n’a de sens que si on la met en perspective avec celle d’une maîtrise de la prise en charge hospitalière et institutionnelle en établissement. Il nous appartient de réfléchir tous ensemble aux moyens politiques, sociaux et humains à mettre en œuvre pour que demain l’ensemble de nos aînés puisse avoir accès à ces nouveaux outils, quels que soient leurs revenus et leur lieu de résidence. Le défi n’est pas mince mais, si nous parvenons à le relever, nous aurons gagné à la fois sur un plan collectif, en parvenant à maîtriser les dépenses globales de notre société liée à la dépendance et au vieillissement, et sur un plan individuel, en permettant à tous nos aînés d’avoir jusqu’au terme de leur vie une existence autonome, riche et digne.

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

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