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Edito : Les robots humanoïdes vont-ils nous remplacer au travail ?

Il a y maintenant plus d'un siècle, en 1920, le terme "robot" était inventé par l’écrivain tchèque Karel Čapek, qui imaginait, dans une de ses pièces de théâtre de science-fiction, des machines à apparence humaine remplaçant les ouvriers dans les usines, et portant ce nom venant du mot tchèque robota, qui signifie "travail". En 1940, le grand visionnaire russo-américain Isaac Asimov (1920-1992) publia le premier roman d'un long cycle de presque un demi-siècle qui allait faire sa gloire, "Les Robots". Dans cette vaste fresque littéraire, devenue un grand classique de la Science-Fiction, Asimov imagine qu'une invention de rupture, le « cerveau positronique », permet de construire des machines humanoïdes dotées à la fois d'intelligence et de sensibilité.

Il fallut cependant attendre 1959 pour que le premier robot industriel, baptisé "Unimate", soit conçu aux États-Unis, par George C. De Vol, et Joseph Engelberger, puis fasse discrètement son entrée dans les usines de General Motors à Trenton (New Jersey) en 1961. En 1973, des chercheurs japonais de l'Université de Waseda (Japon), furent à l'origine du premier robot bipède (jambes artificielles), capable de marcher et de saisir des objets. P1 fut le premier robot humanoïde digne de ce nom, créé par le japonais Honda en 1993. Il sera suivi en 2000 du fameux robot Asimo, bien plus évolué, adroit et autonome (1,20 mètre pour 43 kg) qui ne cessa de se perfectionner au fil des années et fut pratiquement sans rival pendant deux décennies. Asimo fit ses adieux officiels en avril 2022.

Créée en 1992 par Marc Raibert, professeur au prestigieux Institut de technologie du Massachusetts (MIT), l'entreprise américaine Boston Dynamics (BD), soutenue activement par la Darpa, l'Agence recherche et développement de l'Armée américaine, a permis aux Etats-Unis de revenir dans la course aux robots humanoïdes de nouvelles générations et de venir défier le Japon sur un terrain où il est resté longtemps dominant. Racheté par le constructeur automobile sud-coréen Hyundai, Boston Dynamics se concentre à présent sur la production de quatre robots, dont un humanoïde de grand avenir, baptisé "Atlas", conçu, selon BD, pour « travailler avec les humains pour réduire les risques, améliorer la productivité et la qualité de vie de chacun ». Depuis son lancement, il y a dix ans, Atlas a fait des progrès phénoménaux et cette machine (1,50 m pour 89 kilos) a notamment été filmée en train de se déplacer dans un environnement de chantier du bâtiment, très encombré, et de manipuler et lancer des cartons, tout en évitant habilement les obstacles.

Depuis quelques mois, l'incroyable montée en puissance de l'IA et notamment de ChatGPT et OpenAI, a donné à la robotique un nouveau souffle et a relancé la perspective d’un robot humanoïde autonome et polyvalent, capable de s'adapter à une vaste variété de situations et d'intervenir dans de multiples domaines d'activités , industrie, sécurité, santé, aide à la personne, pour seconder efficacement les Humains, notamment dans les tâche pénibles et dangereuses.

Ce nouvel eldorado attise évidemment la compétition entre les acteurs de ce secteur hautement stratégique de la robotique à visage humain. Le cabinet Boston Consulting Group prévoit en effet que la marché mondial de la robotique sera multiplié par six d'ici 2030 et atteindra alors 260 milliards de dollars. Mais pour Global Data, ces prévisions sont trop pessimistes et ce cabinet réputé prévoit un marché mondial à 500 milliards de dollars en 2030 et à 1000 milliards de dollars vers 2040.

Une jeune société américaine, "Figure", fondée par des transfuges de Tesla, Boston Dynamics et Apple, vient ainsi de présenter son premier robot humanoïde. Baptisée "Figure 1", cette machine humanoïde mesure 1,68 m de haut pour 60 kg. Elle dispose d'une autonomie de 5 heures, peut porter jusqu’à 20 kg et marcher à 4 km/h. Ce robot, qui se veut clairement le concurrent direct d'Optimus, son homologue de Tesla, est dotée d'un logiciel d'IA très sophistiqué et se destine à l’assistance des humains dans de multiples domaines, à commencer par l'aide à la personne, d'abord en milieu hospitalier, puis à domicile.

Mais l’entreprise qui fait le plus parler d’elle en robotique aujourd’hui reste Tesla. Le constructeur automobile, dirigé par Elon Musk, a présenté en 2021 Optimus, un prototype de robot humanoïde. Si le développement n’en était encore qu’à ses débuts, il démontre l’intérêt porté par Musk et ses ingénieurs pour ce secteur (Voir Youtube). Il y a quelques jours, à l'occasion du Cyber Roundup 2023, l'événement de Tesla dédié aux actionnaires, Elon Musk a donné des nouvelles d'Optimus, son robot humanoïde. Ce robot est désormais capable de marcher de manière plus assurée et d'effectuer quelques tâches simples, mais on est encore loin du robot autonome et polyvalent promis par Elon Musk.

Et Tesla va avoir fort à faire dans ce domaine, face aux nouveaux compétiteurs qui arrivent et présentent des machines étonnantes. C'est par exemple le cas de SanctuaryAI, une firme établie à Vancouver, au Canada. Cette jeune société s’est fixé une mission ambitieuse : développer une IA mimant de manière convaincante l'intelligence globale humaine et l'intégrer dans des robots universels capables de réaliser une grande variété de tâches avec la même souplesse que l’Homme (Voir Sanctuary AI).

En mars dernier, la firme a divulgué l’implantation réussie de ce type de robot dans une boutique. Pendant une semaine, un robot universel a évolué dans un environnement commercial réel, accomplissant 110 tâches allant de la recherche de produits, à l’emballage de marchandises, en passant par le rangement, le nettoyage et l’étiquetage. Il y a quelques jours, Sanctuary AI a partagé une avancée remarquable avec le dévoilement de Phoenix, son robot polyvalent de sixième génération, doté d’un système de contrôle par intelligence artificielle innovant, appelé Carbon, conçu pour exécuter des centaines de tâches. La puissance de Carbon réside dans sa capacité à utiliser les technologies d’IA pour transposer le langage naturel en actions concrètes dans le monde réel, et interagir comme ChatGPT. Geordie Rose, co-fondateur et PDG de Sanctuary AI, proclame : « Nous avons conçu Phoenix pour qu’il soit le robot humanoïde le plus riche en capteurs et physiquement capable jamais construit, et pour permettre à l’intelligence en croissance rapide de Carbon d’effectuer le plus large éventail de tâches de travail possible ».

La stratégie de développement de Sanctuary AI repose sur le concept d'"utilisation générale". Le robot doit être capable de s’adapter à n'importe quel environnement, en toute circonstance, et d'accomplir son travail de la même manière qu’un humain, en disposant du niveau de réflexion que cela implique. Ce type de robot apprend chaque tâche identifiée dans un contexte de travail spécifique, grâce à l’expérience d'un opérateur humain qui communique avec lui par des outils de réalité virtuelle. Progressivement, le robot se construit son propre répertoire d’actions spécifiques pour chaque tâche, jusqu’au moment où il devient capable de se débrouiller de manière autonome. Sur le terrain, le robot saura puiser dans son vaste répertoire de données, et combiner si nécessaire ces tâches autonomes en séquences plus longues, pour faire face à des situations imprévues.

Phoenix mesure 170 centimètres de haut pour 70,3 kilogrammes, et peut se déplacer à une vitesse maximale de 4,8 kilomètres par heure. Il peut soulever une charge utile maximale de 25 kilogrammes, selon l’entreprise. Phoenix possède des mains robotiques extrêmement agiles offrant 20 degrés de liberté de mouvement, lui permettant de manipuler des objets de la même manière qu’une main humaine. Ces mains intègrent une technologie haptique qui imite le sens du toucher. Pour Geordie Rose « Nous envisageons un futur où les robots à usage général sont aussi omniprésents que les voitures, aidant les gens à réaliser le travail qui doit être fait, dans les situations où il n’y a tout simplement pas assez de personnes pour effectuer ce travail ».

De son côté, Engineered Arts développe son robot humanoïde Ameca, capable de générer des expressions faciales extrêmement réalistes, grâce au modèle de langage ChatGTP-3. Pour interagir avec le public, le robot intègre des microphones, des caméras binoculaires montées sur ses yeux, une caméra thoracique et un logiciel de reconnaissance faciale. Ce robot incroyablement expressif est parvenu, quand on converse avec lui, à un niveau inédit de simulation des émotions humaine, ce qui est un élément très important en matière d’acceptabilité sociale et culturelle. Il s'agit en effet d'éviter que les futurs robots, qui seront présents en grand nombre dans notre vie quotidienne, ne provoquent des sentiments de rejet ou de méfiance, à cause de leur froideur et de leur manque d'empathie et de délicatesse... (Voir Youtube).

Il y a un an, le cabinet Forrester a publié une étude retentissante qui prévoit que jusqu'à un tiers des emplois en Europe pourraient être supprimés par l'automatisation au cours des 20 prochaines années (Voir Forrester). L'étude précise que 12 millions d'emplois pourraient disparaître d'ici 2040 dans les cinq principales économies européennes (France, Allemagne, GB, Espagne, Italie) à cause de la robotisation accrue. L'étude note que d'ici 2050, l'Europe comptera 30 millions de personnes en âge de travailler de moins qu'en 2020 et que les entreprises, confrontées à la fois à cette contraction inexorable des actifs et à une stagnation de leur productivité, vont devoir accélérer considérablement leur automatisation robotique.

Reste que les effets réels sur nos économies développés de la robotisation et de l'automatisation sont bien plus complexes que prévu, comme le montre très bien l'excellent rapport Mc Kinsey publié il y a deux ans et intitulé "L'avenir de l'emploi après la pandémie de Covid-19". Ce rapport prévoit, certes, qu'il serait théoriquement possible qu'un quart de la population active américaine (environ 45 millions de personnes) perde son emploi d'ici 2030 à cause de l’automatisation et de la robotisation. Mais l'étude s'empresse d'ajouter que ce qui est techniquement réalisable n'est pas toujours, loin s'en faut, économiquement intéressant et rentable pour les entreprises ou les administrations.

A cet égard, l'économiste et politologue américain Kevin Carey fait remarquer que la multiplication des distributeurs automatiques de billets aux États-Unis, à partir de 1980, n'a pas fait diminuer le nombre d'employés de banque car les banques ont ouvert plus d'agences, pour pouvoir vendre plus de nouveaux produits à plus de nouveaux clients... Ce spécialiste des mutations technologiques souligne également qu'il est possible techniquement de fabriquer un robot très sophistiqué qui puisse distribuer les prospectus de promotions commerciales dans les boîtes aux lettres, mais qu'on ne le fera pas de sitôt, car un tel robot coûterait au bas mot plusieurs centaines de milliers de dollars, alors qu'on peut très facilement trouver un chômeur qui va remplir très efficacement la même tâche (en s'adaptant à touts les variétés de situation sur le terrain), pour seulement 10 dollars de l'heure...

Le rapport McKinsey a pris en compte ce facteur capital lié aux avantages comparatifs de compétitivité réelle entre l'homme et le robot, en estimant le coût du développement de nouvelles technologies d'automatisation, le coût du travail qu'elles remplaceraient et le temps qu'il faudrait pour qu'elles se généralisent. Cette étude souligne que, dans ce scenario, les prévisions de pertes réelles d'emplois sont bien moins importantes que celles prévues en 2013 par l'Université d'Oxford, qui avait conclu un peu vite que l'automatisation allait détruire la moitié des emplois aux USA d'ici 2030. McKinsey prévoit donc que sur les 49 millions de personnes qui verront leur emploi remplacé par l'automatisation, 34 millions conserveront le même métier et que seuls 15 millions devront changer radicalement d'activité, soit seulement 9 % des actifs.

En France, la population active, qui est passée de 23 à 31 millions de personnes depuis 1970, devrait stagner dans les années à venir, avant de commencer, comme la population globale, son déclin inéluctable vers 2040 : les plus de 65 ans représenteraient alors 30 % de la population contre un cinquième aujourd'hui et il y aura alors un retraité pour deux actifs. Quant au nombre de ménages, il devrait passer de 30 à 36 millions d'ici 2050, car, selon l'Insee, la taille des ménages va continuer à diminuer et, dans trente ans, un ménage français sur deux ne sera constitué que d'une seule personne.

Comme un nombre croissant d'économistes, Kevin Carey pense qu'il faut bien distinguer l'automatisation, qui peut être réalisée par des systèmes numériques ou des automates relativement simples, de la robotisation intelligente, qui suppose la mise au point de robots humanoïdes très autonomes, polyvalents et capables d'autoapprentissage et d'initiative face à des situations imprévues. Entre les deux, l'avenir proche va également voir apparaître en grand nombre, des robots « d'accompagnement » spécialisés, peu onéreux et capables de remplir correctement seulement quelques tâches précises.

Cela ne veut pas dire que des robots humanoïdes autonomes ne seront pas présents avant longtemps dans notre environnement, mais ces robots, en raison de leur coût et des freins culturels et éthiques qui les accompagnent, ne seront utilisés, dans un premier temps, que dans certains domaines particuliers caractérisés à la fois par une pénurie chronique de main d’œuvre et par un besoin de compétences variées et très techniques. C'est typiquement le cas du secteur de la santé, de l'hébergement des seniors et du service à la personne où ce type de robot très évolué et polyvalent pourra, sous la supervision d'un tuteur humain, démultiplier la productivité, tout en améliorant la qualité de service et de relation avec les clients ou les usagers.

On estime que dans seulement vingt ans, le nombre total de robots mobiles de toute nature évoluant dans notre environnement aura été multiplié par vingt et qu'il y aura probablement un robot pour dix habitants. Nous ne ferons sans doute même plus attention à ces machines de plus en plus nombreuses, sophistiquées, autonomes... et humanisées, qui sauront se rendre aussi discrètes qu'indispensables et nous aider dans l'ensemble des activités que nous effectuons, tant au travail qu'à la maison ou pendant nos loisirs. Nous devons dés à présent veiller à ce que cette mutation technologique, sociale et culturelle majeure se passe dans les meilleurs conditions et serve à la fois à améliorer la productivité et l'efficacité de nos économies, à générer de nouveaux emplois plus qualifiés et à transformer la qualité de vie de nos concitoyens, à commencer par les plus fragiles et les plus âgés qui devront tous pouvoir bénéficier de ces nouveaux compagnons robotiques...

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

e-mail : tregouet@gmail.com

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