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Edito : Le repositionnement généralisé des anciens médicaments offre un immense potentiel
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René Trégouët
Sénateur Honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat
Rédacteur en Chef de RT Flash
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EDITORIAL :
Le repositionnement généralisé des anciens médicaments offre un immense potentiel
Depuis quelques années, les extraordinaires progrès en matière de bioinformatique et d’IA (Intelligence Artificielle) ont fait du repositionnement des médicaments existants une nouvelle stratégie sans cesse plus efficace pour proposer plus rapidement, et à un coût moindre, de nouvelles solutions thérapeutiques à de nombreuses et graves maladies. Il faut rappeler que le coût de développement moyen d’un nouveau médicament est d’environ trois milliards d’euros et que, sur 10 000 molécules criblées, seules une dizaine feront l’objet d’un dépôt de brevet et une seule parviendra à surmonter les nombreuses étapes de tests et d’essais cliniques pour devenir un médicament autorisé à être commercialisé…
De la même manière que l’électronique a, depuis 1965, sa loi de Moore, qui prévoit que le nombre de transistors intégrés sur une puce double tous les deux ans, la recherche pharmaceutique a sa loi « EROOM », mais qui va hélas en sens inverse, et prédit que le nombre de nouveaux médicaments approuvés par milliard de dollars dépensé en R&D a été réduit de moitié tous les 9 ans depuis 1950. Cette diminution tendancielle de la productivité de la recherche a deux conséquences majeures : d’une part une augmentation des prix des médicaments lorsqu’ils arrivent sur le marché, comme on le voit par exemple pour certains traitements de pointe contre le cancer et, d’autre part, une difficulté d’accès croissante pour les patients aux nouveaux médicaments innovants dont ils ont pourtant grand besoin.
Face à cette évolution scientifique et économique, le repositionnement des anciens médicaments est devenu, depuis quelques années, un nouvel axe stratégique majeur de recherche et les résultats sont plus qu’encourageants ! A Lyon, le laboratoire VirPath, en collaboration avec Signia Therapeutics, s’est lancé dans une entreprise unique de repositionnement de médicaments pour de nouvelles indications thérapeutiques anti-infectieuses. Ce laboratoire a montré chez l'animal l’intérêt du Diltiazem, un antihypertenseur utilisé dans le traitement de l’angine de poitrine, pour son repositionnement comme antiviral à large spectre, dans le cadre d’un essai clinique concernant des patients atteints d’une grippe sévère en réanimation. Cette équipe a également montré le mode d’action antiviral du Diltiazem contre plusieurs virus respiratoires, dont le SARS-CoV-2. Enfin, plus récemment, ces chercheurs ont montré que la combinaison de la molécule Remdesivir, utilisée dans le traitement d’Ebola, et de l’antihypertenseur Diltiazem, était susceptible de permettre une amélioration décisive chez les patients atteints de Covid-19 (Voir Science Direct).
Il y a quelques mois, des chercheurs du Centre d’Infection et d’Immunité de Lille (Inserm U1019, CNRS ERL9017), de l’U1177 à l’Institut Pasteur de Lille et de la société Apteeus ont réalisé un criblage de grande ampleur des banques de médicaments, dans le but d’identifier des molécules antivirales efficaces contre le Covid-19. Les scientifiques ont découvert que le Clofoctol (Octofene), un vieil antibiotique indiqué pour traiter les infections bactériennes des voies respiratoires, et vendu en France jusqu’en 2005 sous le nom d’Octofène, réduisait fortement la réplication du SARS-CoV-2 en culture cellulaire. Ces recherches ont ensuite confirmé cet effet antiviral dans un modèle préclinique de COVID-19 et ont démontré que le clofoctol réduit également sensiblement l’inflammation pulmonaire lors de l’infection (Voir PLOS).
En juin dernier, grâce à l’utilisation de nouveaux et puissants outils de criblage et d’analyse informatique, dont une plate-forme de microscopie automatisée, l’équipe Inserm de Sophie Saunier (Laboratoire des maladies rénales héréditaires) a réussi à évaluer l’intérêt thérapeutique de 1 100 molécules sur des cellules rénales dans lesquelles le gène NPHP1 a été supprimé. Dans un premier temps, une cinquantaine de composés ont été identifiés pour leur efficacité à diminuer les anomalies ciliaires induites par l’absence de NPHP1. Poursuivant leurs recherches, ces scientifiques ont ensuite testé 11 de ces molécules sur des cellules rénales recueillies à partir des urines de patients atteints de néphronophtise, et ils constaté que l’une d’entre elles possédait une action particulièrement puissante sur la restauration des cils et la régulation de leur composition. Cette molécule, la PGE1, appartient à la famille des prostaglandines (PG), des acides gras naturellement présents dans l’organisme. Ces résultats ont ensuite été confirmés chez des souris, porteuses d’une mutation du gène NPHP1, qui ont vu leurs lésions rénales diminuées par le traitement par PGE1 (Voir PNAS).
En février dernier, une étude très commentée par la Communauté scientifique internationale, réalisée par l’Université de la Charité de Berlin (Voir Wiley), est venue confirmer l’intérêt du repositionnement des statines, pour en faire une nouvelle arme contre le cancer. Ces chercheurs allemands ont montré, sur des souris atteintes de cancer, que les statines, des médicaments contre l'hypercholestérolémie, avaient la capacité de bloquer l'activité d'un gène particulier, baptisé MACC1, bien connu pour favoriser la propagation des cellules malignes dans l'organisme et la formation de métastases. Ces travaux ont montré que les souris traitées avec ce type de médicament produisaient nettement moins de métastases que leurs congénères du groupe-témoin, n’ayant pas bénéficié de ce traitement. En outre, ces recherches, après analyse des données médicales concernant plus de 300 000 patients qui prenaient régulièrement des statines, ont montré que l’incidence des cancers dans cette population est moitié moindre que dans la population générale.
Un autre exemple remarquable de repositionnement tout à fait inattendu concerne le traitement des encéphalopathies pédiatriques d’origine génétique, une affection qui provoque de lourds handicaps moteurs et intellectuels dès la naissance. Cette maladie est notamment provoquée par des mutations sur le gène GNAO1. Il y a quelques mois, des scientifiques de l’Université de Genève (UNIGE) ont découvert qu’une mutation sur GNAO1 entraînait le remplacement d’un acide aminé par un autre dans une séquence protéique (Voir UNIGE). Cette substitution vient perturber le mécanisme d’activation et de désactivation de la protéine codée par ce gène, ce qui altère gravement la capacité des neurones à communiquer correctement entre eux.
Ces travaux ont montré que ces protéines Gαo s’activent par un nucléotide, puis se désactivent par un mécanisme d’hydrolyse. Mais, sous l’effet des mutations sur le gène GNAO1, ces protéines mutées deviennent incapables de se désactiver par hydrolyse et restent dans un état d’activation permanent qui devient pathogène. Pour essayer de rompre ce cercle infernal, ces chercheurs ont eu, cette fois encore, recours à un puissant outil de criblage à haut débit pour passer en revue des milliers de médicaments déjà approuvés, dans l’espoir d’en trouver un capable de réactiver l’hydrolyse. Et cette stratégie s’est avérée payante puisque ces scientifiques ont identifié une molécule, la pyrithione de zinc, capable de corriger cette perte de contrôle cellulaire et de réactiver l’hydrolysation de la protéine GTP. « Ce médicament bien connu est un antifongique et antibactérien utilisé sous forme de crème dans certaines maladies de peau. Il est déjà approuvé dans le traitement de la dépression légère, l’insomnie, et même dans certains cas des troubles développementaux chez les enfants », souligne le Professeur Vladimir Katanaev, qui dirige ces recherches. Cette équipe a ensuite réussi à modifier le génome de mouches drosophiles pour répliquer la mutation du gène GNAO1, en conservant, comme chez l’être humain, une copie normale du gène. Résultat, les mouches se sont mises à présenter des problèmes de mobilité et ont vu leur durée de vie réduite. Mais ces recherches ont montré qu’une supplémentation de zinc dans leur régime alimentaire permettait de réduire considérablement ces symptômes. Forts de ces résultats, ces chercheurs vont à présent passer aux essais cliniques sur l’homme.
Le repositionnement thérapeutique des médicaments existants ne cesse de s’étendre et de révéler de belles surprises. C’est par exemple le cas pour le viagra. Ce médicament bien connu, découvert il y 25 ans, est utilisé pour combattre les troubles de l’érection. Mais des chercheurs britanniques de l'Université de Southampton ont découvert que la phosphodiestérase de type 5 (PDE5), une substance chimique présente dans ce médicament, pouvait aider à réduire les tumeurs présentes dans l'œsophage. Cette découverte pourrait donc représenter un espoir de taille pour les malades car ce type de cancer reste difficile à traiter, avec environ 20 % de chances de survie au-delà de cinq ans (Voir BBC).
Concrètement, ce médicament agit sur les cellules dont la mission est de protéger les cellules malignes. « Trouver un médicament, qui est déjà prescrit en toute sécurité aux gens chaque jour, est un vrai pas en avant dans la lutte contre cette maladie difficile à traiter », souligne le professeur Tim Underwood de l'Université de Southampton, qui dirige ces travaux. Là encore, des essais cliniques sur l’homme devraient bientôt commencer pour vérifier l’action thérapeutique de cette molécule contre ce cancer à sombre pronostic.
Des chercheurs de l’IAB Grenoble ont récemment découvert qu'un anticancéreux expérimental, l'altiratinib, serait efficace contre la prolifération de parasites, comme ceux responsables du paludisme (malaria) et de la toxoplasmose. Ces recherches ont montré que l’altiratinib, développé à l’origine pour traiter le glioblastome, un cancer du cerveau très agressif, possède également une puissante activité parasiticide contre Eimeria et Neospora, deux parasites d’importance vétérinaire majeure, qui causent chaque année d’importantes pertes économiques dans les élevages de bétail. Grâce à une approche génétique de pointe, ces chercheurs ont identifié la kinase ciblée par l’altiratinib, connue sous le nom de PRP4K chez Toxoplasma, tandis que chez Plasmodium, elle est appelée CLK3.
Pour comprendre comment l’Altiratinib agit sur le parasite, les chercheurs ont réussi à montrer que sa cible principale était une kinase, une famille d’enzymes qui modifient chimiquement d’autres molécules et modulent leur activité biologique.
Autre exemple intéressant, il y a quelques semaines, des chercheurs américains de l’Université d’Arizona ont observé que le Thiazolidinedione (TZD), un médicament prescrit contre le diabète de type 2, était associé à une réduction de 22 % des risques de démence (Voir BMJ). Pour parvenir à ces résultats, les scientifiques ont observé les dossiers médicaux de 559.106 patients âgés de plus 60 ans ayant reçu le diagnostic d'un diabète de type 2. Ces chercheurs ont ensuite évalué le risque de démence chez les patients qui avaient reçu une première prescription de metformine, de Sulfonylurée ou de Thiazolidinedione. Ces travaux ont montré qu’au bout d’un an de traitement, l’utilisation du Tthiazolidinedione avait réduit de 11 % le risque de maladie d’Alzheimer et de 57 % le risque de démence vasculaire. « Ces résultats vont évidement modifier le choix des médicaments pour les patients âgés atteints de diabète de type 2 qui présentent un risque élevé de démence », souligne l’étude.
Il y a quelques semaines, une étude anglaise remarquée, conduite par le Professeur Michael David, a montré de nouvelles preuves de l’efficacité de certains médicaments du trouble du déficit de l'attention avec ou sans hyperactivité (TDAH), tels que l'Atomoxétine, le Méthylphénidate et la Guanfacine, dans la prise en charge de la maladie d'Alzheimer. Selon ces scientifiques de l’Imperial College London, ces résultats surprenants mais incontestables confirment l’intérêt du repositionnement de médicaments noradrénergiques pour traiter la maladie d'Alzheimer et certains troubles cognitifs (Voir BMJ).
Dans un autre domaine, lui aussi très important en matière de santé publique, la résistance aux antibiotiques, le repositionnement est en train de s’imposer comme un axe majeur de recherche. Une équipe de l’Université de Californie du Sud a récemment montré l’efficacité d’un antibiotique principalement utilisé pour traiter la tuberculose, la rifabutine, dans la lutte contre Acinetobacter baumannii, une superbactérie qui cause des infections nosocomiales extrêmement difficiles à traiter (Voir Nature Microbiology).
La méthode qui montre l’activité de la Rifabutine, un médicament utilisé pour traiter la tuberculose, contre Acinetobacter baumannii, pourrait également être utilisée pour tester d’autres "repositionnements" contre les bactéries résistantes aux traitements de première ligne. « La rifabutine existe depuis plus de 35 ans, et personne ne l'avait jamais testée contre l’infection à Acinetobacter auparavant », révèle l’auteur principal, Brian Luna, professeur de microbiologie et d'immunologie à la Keck School of Medicine de l'USC : « Nous pourrions ainsi identifier de nombreux antibiotiques laissés à l’abandon ces 80 dernières années ».
Il est intéressant de noter que l’ensemble de ces avancées bénéficient pleinement de la puissance des nouveaux outils de modélisation et d’IA en bioinformatique, comme l’extraordinaire outil AlphaFold de Google qui, en août dernier, a réussi à prédire la structure tridimensionnelle de 200 millions de protéines. Mais déjà d’autres outils apparaissent, comme celui développé par des chercheurs de l’Université d’Hokkaido, dirigés par Toshinori Endo. Ces scientifiques japonais veulent accélérer de manière décisive le repositionnement de médicaments. Pour y parvenir, ils ont employé une analyse prédictive en deux étapes en s’appuyant sur le machine learning (Voir Medical Xpress). Les chercheurs ont commencé par regrouper les maladies en fonction de leur expression génétique, partant du postulat que, si les expressions génétiques altérées présentent des schémas similaires, on peut en déduire que les maladies présentent des mécanismes communs. Dans un second temps, ces chercheurs ont voulu évaluer l’efficacité des médicaments disponibles, en mesurant leur capacité à corriger l’expression génétique altérée. Au final, en recoupant ces données, il devient possible d’identifier les nouvelles maladies cibles. Ces recherches ont montré que la capacité prédictive de ce nouvel outil reposant sur l’apprentissage profond était bien supérieure aux autres systèmes utilisés et pouvait améliorer sensiblement la probabilité de repositionnement des médicaments criblés.
En France, plusieurs jeunes sociétés, issues de la recherche publique, comme Iktos ou Aqemia, se sont hissées au meilleur niveau mondial en matière d’IA appliquée à la conception et au repositionnement de médicaments. La technologie d’intelligence artificielle développée par Iktos repose sur des modèles génératifs profonds. Elle permet l’identification rapide de molécules qui présentent plusieurs critères de bio-activité et de similarité. L’outil d’IA Makya d’Iktos a déjà séduit des géants pharmaceutiques comme Janssen, Pfizer ou Merck, le Japonais Ono ou le Français Servier.
Aqemia, fondée par Maximilien Lesveque, un ancien de l’ENS, s’est forgée une réputation internationale en développant de remarquables algorithmes capables de calculer à grande vitesse des énergies libres de liaison, un paramètre clé dans la recherche de nouveaux médicaments, car il permet de prédire de quelle façon une molécule va interagir avec une cible thérapeutique. Comme Iktos, cette jeune société collabore à présent avec les grands laboratoires pharmaceutiques mondiaux.
Ces nouveaux outils, dont la puissance ne cesse de s’améliorer, devraient accélérer considérablement les possibilités de repositionnement thérapeutique pour les quelque 20 000 molécules thérapeutiques utilisées dans le monde et il y a urgence car la population mondiale vieillit inexorablement et cela entraîne mécaniquement une hausse de l’incidence de multiples pathologies lourdes, comme le cancer, les maladies cardiovasculaires, le diabète, Alzheimer ou Parkinson, sans compter la multiplication des pandémies mondiales, comme celle du Covid-19 qui a déjà tué plus de 30 millions de personnes, qui nous confrontent à de nouveaux agents pathogènes (virus ou bactéries) à la fois contagieux et dangereux pour la santé humaine.
Dans ce nouveau contexte sanitaire et médical, nous avons plus que jamais besoin de nouveaux médicaments innovants, et disponibles à un coût supportable pour les systèmes de santé et les patients, quels que soient leurs lieux de vie et leurs revenus. Le repositionnement généralisé des anciens médicaments offre, dans cette perspective, un immense potentiel que nous devons explorer et exploiter plus efficacement, en sachant mieux utiliser toutes les ressources de l’IA, de la robotique et demain du calcul quantique…
René TRÉGOUËT
Sénateur honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat
e-mail : tregouet@gmail.com
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