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Edito : Réduire à 50 % la part du Nucléaire dans notre production électrique : quand cela sera-t-il possible ?
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Cette semaine, j’ai voulu revenir sur les conséquences considérables pour notre avenir de la loi du 7 août 2015 relative à la transition énergétique, qui a fixé comme objectifs la réduction de la consommation d’énergie, la "décarbonation" de la production d’énergie et une diversification du mix électrique. Cette loi fixe notamment à 50 % - contre 73 % aujourd’hui - la part du nucléaire dans la production d’électricité en 2025.
Mais le Premier Ministre Edouard Philippe a annoncé le 5 septembre dernier que cet objectif de baisse de la part du nucléaire à 50 % dans le mix électrique français était reporté à horizon 2035. Si l’on examine la réalité complexe de notre paysage énergétique, on ne peut que se féliciter de cette décision à la fois lucide et réaliste.
Il faut en effet rappeler que la France consomme environ 274 Mteps par an (milliards de tonnes-équivalent pétrole) d’énergie primaire, dont 47,6 % de combustibles fossiles (pétrole, gaz et charbon), 42,5 % d’électricité d’origine nucléaire et enfin 9,4 % d’énergie d’origine renouvelable. S’agissant de l’électricité, notre pays produit chaque année environ 530 TWH et en consomme 475 (la différence correspond aux différentes pertes liées à la distribution et à la transformation) et il faut souligner que cette consommation d’électricité a été multipliée par presque trois en quarante ans.
Actuellement, notre parc nucléaire produit environ 384 TWh par an, soit environ 72 % de notre électricité produite (un TWH est égal à un milliard de kWh). L'énergie hydraulique produit en moyenne 53 TWH par an (environ 10 % de notre électricité). Les énergies fossiles (centrales thermiques au gaz et au fioul) assurent environ 46 TW par an, soit 8,6 % de notre production électrique. Enfin, l'éolien et le solaire, malgré une forte progression depuis 10 ans, ne produisent encore que 30 TWH par an (20 TWH pour l’éolien et 10 TWH pour le solaire), soit environ 6 % de notre consommation électrique.
Pour réduire la part du nucléaire de 72 % à 50 %, il va falloir trouver 119 Twh d'énergie par an dans d'autres sources que les énergies fossiles (fortement émettrices de CO2 et participant au réchauffement du climat). Il reste donc cinq grandes sources exploitables d'énergies renouvelables, peu émettrices de CO2 : l'énergie hydraulique, l'énergie des mers, la biomasse, l'éolien et le solaire.
Pour l'hydraulique, le potentiel de croissance est relativement faible car la plupart des sites rentables sont déjà équipés et la part de l'hydraulique dans notre production d'électricité est d'ailleurs stable depuis des décennies (autour de 10 à 12 %). Néanmoins, en modernisant les installations existantes et en construisant sur des sites rentables de nouveaux équipements, il serait possible de gagner environ 10 TWH par an d’électricité hydraulique à l’horizon 2030, de quoi alimenter 4 millions de Français supplémentaires (soit les agglomérations de Lyon et Marseille réunies).
La France possède un potentiel d'énergie marine exploitable d'environ 65 TWH par an (40 TWH par an avec l'énergie des vagues et 25 TWH par an avec l'énergie des courants et des marées) mais les spécialistes s'accordent sur le fait qu'il sera difficile de produire plus de 30 TWH par an d'énergie marine d'ici 2040, compte tenu des difficultés techniques et du coût de développement propres à ces formes d'énergie.
On pourrait, en théorie, utiliser une partie de la biomasse exploitable pour produire directement de l'électricité mais, en pratique, ce n'est pas très intéressant et très coûteux (grosses installations, mauvais rendement, systèmes complexes de filtrage). Il est donc préférable de mobiliser la biomasse disponible pour produire plutôt du biogaz et de la chaleur, utilisables pour le chauffage et l'eau chaude sanitaire.
Notre pays va donc devoir produire 79 TWH par an de plus (119 TWH moins les 30 TWH nouveaux issus des énergies marines et les 10 nouveaux TWH issus de l’hydraulique) uniquement en recourant au solaire et à l'éolien, est-ce possible ? En théorie oui, mais pas sur une échelle de temps inférieure à 20-25 ans, pourquoi ?
Parce que si l'on veut produire nos 79 TWH de plus par an pour moitié par le solaire et pour moitié par l'éolien, cela représente, pour la partie solaire, environ 276 km² de panneaux solaires à installer, ce qui n'est pas rien. Une telle surface solaire est en effet équivalente à 110 fois celle de la récente centrale solaire mise en service à Pessac, la plus grande d'Europe (2,5 km²) ; elle nécessiterait un investissement total de l'ordre de 40 milliards d'euros, au coût actuel de ce type d’installations solaires photovoltaïques.
Pour l'autre moitié (les 39,5 TWH à produire par l'éolien) et en supposant qu'on décide de miser surtout (pour les 3/4 de ces 39,5 Twh) sur les éoliennes marines (plus performantes, moins visibles et moins nuisibles), cela représente 1 422 éoliennes marines géantes, qu'il faudra compléter par au moins 1 777 éoliennes terrestres géantes, soit 3 199 machines de très grande puissance -10 MW chacune - et de très grande taille (200 à 250 mètres de haut).
Actuellement, le coût moyen du MW éolien installé est d'environ 2,5 millions pour un MW terrestre et 5 millions pour un MW marin. Il faudrait donc investir au moins 44,5 milliards d'euros (éolien terrestre) et 71 milliards d'euros pour l'éolien marin (hors coût d'adaptation du réseau et hors coût de stockage massif par stations de pompage, batteries géantes ou transformation énergétique).
Remplacer les 79 TWh que ne produirait plus le nucléaire en utilisant pour moitié le solaire et pour moitié l'éolien coûterait donc environ 115,5 milliards d'euros. On remarque au passage que le coût moyen du TWH produit est trois plus élevé (en moyenne) par l'éolien (avec un mix terrestre et marin) que par le solaire : il faut investir environ un milliard d'euros pour produire un TWH par des centrales solaires dernier cri, alors qu'il faut environ 3 milliards d'euros pour produire (avec un mix 3/4 marin et 1/4 terrestre) en moyenne un TWh éolien par an.
On peut donc se demander s’il ne serait plus judicieux (à la fois d'un point de vue financier et en matière de nuisances, d'impact sur l'environnement et d'impact esthétique) de miser beaucoup plus massivement sur le solaire, complété par de l'éolien marin, et d'abandonner le développement de l'éolien terrestre qui risque de susciter - on le voit déjà dans nos campagnes - des oppositions de plus en plus fortes de la part des riverains… A cet égard, il est intéressant de souligner que le ministère français de la Transition écologique et solidaire a annoncé le 6 novembre dernier avoir sélectionné 16 projets de centrales solaires photovoltaïques - pour une puissance totale de 200 MW - plus compétitifs que les projets éoliens déposés, dans le cadre de l'appel d'offres multi-technologique pour les énergies renouvelables.
Il me semble irréaliste et irresponsable de prétendre que notre pays peut parvenir, en moins de 20-25 ans, à réaliser en même temps la fermeture de 17 de nos 58 réacteurs nucléaires (pour un coût de démantèlement qui pourrait atteindre les 22 milliards d’euros), à prolonger la durée de vie des autres centrales nucléaires (pour un coût d'au moins 100 milliards d'euros selon la Cour des Comptes, et peut-être bien plus) et, dans le même temps, à investir 115 milliards d'euros pour produire l'électricité manquante du nucléaire avec l'éolien et le solaire.
Quant à une sortie totale du nucléaire en France, on peut, certes, la considérer comme souhaitable pour des raisons liées à la sécurité et au danger que représentent le stockage et la gestion des déchets à longue vie radioactive, mais elle me semble impossible avant au moins 40 à 50 ans, notamment en raison à la fois du coût et de la durée des opérations très complexes de démantèlement et de décontamination des centrales.
Il est regrettable que nombre de nos élus et responsables politiques de tout bord n'aient pas eu, pendant très longtemps, le courage d'admettre cette vérité et aient maintenu la fiction d'une possible sortie rapide du nucléaire. Mais nous découvrons aujourd’hui que les lois de la physique ne sont ni modifiables, ni négociables !
Il serait plus honnête d’expliquer à nos concitoyens que, si une sortie complète du nucléaire doit être un jour démocratiquement décidée, elle ne sera pas possible avant la seconde moitié de ce siècle, à la fois en raison des difficultés techniques considérables à surmonter et du coût faramineux de ce démantèlement, mais aussi à cause du coût supplémentaire que représente la montée en puissance des énergies propres qui devront bien se substituer, pour une large part, au nucléaire.
Bien sûr, on peut aussi faire le pari que notre société parviendra à réduire globalement sensiblement ses besoins en énergie et notamment en électricité, mais cette hypothèse est loin d’être assurée. Il faut en effet rappeler qu’actuellement nous consommons environ 475 TWH par an et il est vrai que cette consommation tend, depuis une dizaine d’années, à se stabiliser. Elle pourrait même descendre à 448 TWh en 2030 (- 6 %) selon le scénario « croissance faible » de RTE, mais je doute qu’elle puisse se réduire massivement, car cette diminution globale, au demeurant modeste, risque d'être en partie compensée par la montée en puissance des véhicules électriques, qui s'annonce plus rapide que prévue et pourrait représenter environ 15 TWH de consommation électrique supplémentaire d’ici 2030.
Il faut enfin rappeler, même si cette vérité dérange, qu'en dépit de sa volonté politique et de son effort économique gigantesque en faveur des énergies renouvelables, l'Allemagne, selon les propres chiffres de l’Office européen des statistiques, continue à émettre par habitant 11,4 tonnes de CO2, contre 8,7 en moyenne dans l'UE et 7,1 pour un Français, soit 46 % de plus... (Voir Eurostat).
Quant à la seule production électrique de l'Allemagne, pourtant de plus en plus assurée à partir de sources renouvelables d’énergie, elle émet dix fois plus de CO2 (560 grammes d'émissions de CO2 par kWh en moyenne) que la production électrique française (58 grammes d'émissions de CO2 par kWh, en moyenne). Ces chiffres avérés méritent d’être médités et montrent que le monde n'est pas simple et qu'il est très difficile de sortir à la fois rapidement du nucléaire (comme l'a décidé l'Allemagne en 2011) et de réduire massivement ses émissions de CO2 pour lutter contre le réchauffement climatique...
Il faut enfin souligner qu'un récent sondage montre que les Français sont à présent majoritairement favorables à une sortie du nucléaire (53 %) mais qu'ils sont également 71 % à souhaiter attendre le temps qu’il faudra la fin de vie des centrales, sous le contrôle de l'Autorité de sûreté nucléaire, pour réduire à 50 % la part du nucléaire dans la production électrique. Cela montre bien que les Français ont compris que le nucléaire serait là encore pour longtemps. Ce même sondage montre également que les deux priorités pour une majorité de Français sont le développement des énergies renouvelables et la lutte contre le changement climatique, loin devant la sortie du nucléaire...
On le voit, les questions liées à la transition énergétique et à la sortie éventuelle du nucléaire s'annoncent bien plus complexes qu'on veut bien le dire. Elles ne se laissent pas enfermer dans des grilles de lecture idéologiques binaires et simplistes et méritent un vrai débat démocratique, honnête et complet.
Heureusement, les Français ont à présent bien compris que la sortie complète du nucléaire, si elle doit avoir lieu, serait très longue, très difficile et très coûteuse et, qu'en plus, elle n'était pas la priorité par rapport à la lutte contre le changement climatique, même s'ils ne croient pas non plus que le nucléaire puisse constituer à long terme un moyen de lutte efficace et acceptable (en raison des risques indéniables inhérents à cette technologie) contre le réchauffement climatique. Souhaitons que sur cette question de la transition énergétique, si fondamentale pour notre avenir, nos dirigeants sachent faire preuve du même bon sens et de la même lucidité que la majorité de nos concitoyens…
René TRÉGOUËT
Sénateur honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat
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