Edito : La redécouverte des technologies préhistoriques et antiques devrait nous inciter à l’humilité
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Cette semaine, je reviens sur un sujet passionnant, qui ne cesse de rebondir à l’occasion de nouvelles découvertes, les capacités technologiques étonnantes, et parfois insoupçonnées, de nos lointains ancêtres, que ce soit pendant la Préhistoire, ou l’Antiquité. Je commence par l’une des découvertes les plus importantes de l’histoire de l’Humanité, celle du feu. Pendant très longtemps, il était admis par les paléontologues que le feu avait été domestiqué par Homo erectus, il y a environ 500 000 ans. Mais des chercheurs israéliens, à partir de l’analyse de plus de 20.000 échantillons de graines et de fruits et plus de 50.000 échantillons de bois, sur le site archéologique de Gesher Benot Ya’aqov, au nord d’Israël, ont montré que cette domestication du feu était sans doute bien plus ancienne, et remontait probablement à 790.000 ans.
En septembre dernier, l’équipe de l'anthropologue Emily Hallett, de l'Institut Max-Planck de science de l'histoire humaine, en Allemagne, a réalisé une autre découverte considérable. En explorant la grotte des Contrebandiers, sur la côte Atlantique du Maroc, ces chercheurs ont découvert et examiné quelque 12 000 fragments d'os. Ils ont ainsi pu en arriver à la conclusion que les hommes de l’époque avaient façonné 60 os d'animaux, et que ces outils avaient ensuite été utilisés pour confectionner des vêtements élaborés, il y a environ 120 000 ans, c’est-à-dire bien plus tôt qu’on le pensait jusqu’à présent.
En 2018, une autre équipe internationale, dirigée par Francesco d'Errico, chercheur au laboratoire Pacea (CNRS/université de Bordeaux), a découvert qu'en Afrique du Sud, Homo Sapiens utilisait déjà de petits arcs et des flèches à la pointe en os taillé pour chasser il y a 61.000 ans, c’est-à-dire 50 000 ans plus tôt que les traces les plus anciennes connues jusqu’à présent, qui remontaient à 10 000 ans, à la fin du paléolithique récent en Europe. Bien que peu puissants, ces arcs étaient suffisamment efficaces, selon les chercheurs, pour chasser et tuer de petites proies, sans doute en utilisant des flèches empoisonnées. Toujours en Afrique, une autre équipe a découvert à Ounjougou, au Mali, des fragments de céramiques, dont la datation à l’aide du carbone 14 et de la luminescence stimulée optiquement (OSL), a montré qu’ils dataient de 9500 ans avant notre ère, soit plus de 2000 ans avant l’apparition de la céramique au Proche-Orient. Il est également à présent bien établi scientifiquement que plusieurs cultures d'Afrique subsaharienne ont inventé et développé leur propre métallurgie du fer, et ce, dès le XIVe siècle avant notre ère, c’est-à-dire avant l’apparition du fer au Proche-Orient, vers 1200 av. J.C.
Transportons-nous maintenant en Egypte. On a longtemps cru que cette brillante civilisation, réputée pour ses extraordinaires réalisations architecturales, n’avait pas atteint un haut niveau en mathématiques et en géométrie, surtout comparé aux Grecs. On sait à présent que cette vision est erronée. L’analyse de plusieurs papyrus (dont les papyrus de Rhind, de Moscou, et d'Akhmim) a montré que les Egyptiens étaient tout à fait capables de résoudre de nombreux problèmes mathématiques et géométriques (calcul de volumes, fractions), y compris des équations du 1er et second degré.
Les Egyptiens possédaient également des connaissances en médecine et en chirurgie absolument remarquables, et qui ne furent dépassées en Europe qu’à la Renaissance. A cet égard, le fameux papyrus chirurgical Edwin Smith, datant du XVIème siècle avant J.C, et traitant des traumatismes de la face, est une véritable mine d’informations. Ce document qui nous est miraculeusement parvenu expose de nombreuses techniques pour soigner différentes blessures, et désinfecter les plaies, pour prévenir les infections. On y trouve également la première description connue des sutures crâniennes…
L’année dernière, une autre découverte majeure est venue secouer la communauté scientifique. Les mathématiciens Daniel Mansfield et Norman Wildberger, qui avaient déjà identifié une tablette babylonienne (la célèbre Plimpton 322 qui contenait la table trigonométrique la plus ancienne et la plus précise au monde), ont proposé l’hypothèse qu’une autre tablette d’argile (Si.427, qui date de l’ancienne période babylonienne entre 1900 et 1600 avant notre ère) contiendrait également "les triplets pythagoriciens", qui auraient donc été inventés par les Babyloniens 1000 ans avant les travaux du philosophe et scientifique grec, Pythagore de Samos (580-495 av.J.C) (Voir Springer).
A l’issue de leur étude, ces éminents spécialistes en arrivent à la conclusion que les inscriptions gravées dans l’argile appartiennent à « une étude mathématique des côtés individuels des triplets de Pythagore qui a servi à élaborer le plan d’un terrain qui aurait été vendu ». Ce terrain agricole avait été mesuré de manière très précise, puisque qu’on peut observer que, sur cette tablette, les rectangles sont parfaitement dessinés d’après leurs "côtés opposés de longueur égale". L’étude précise que l’on retrouve également sur cette tablette la combinaison la plus célèbre qui est 3-4-5 (3x3 + 4x4 = 5x5), qui permet de réaliser de parfaits angles droits, mais également 8-15-17 et 5-12-13. Daniel Mansfield explique « qu’une telle découverte n’est pas le fruit du hasard, elle répond à un problème pratique. Une fois que vous comprenez ce que sont les triplets de Pythagore, votre société a atteint un niveau particulier de sophistication mathématique qui lui permet de franchir un nouveau saut en matière d’efficacité juridique et administrative ».
Une autre découverte étonnante concerne les extraordinaires propriétés du ciment romain, un matériau dont la qualité et la longévité restent encore insurpassées depuis 2000 ans, et qui a permis aux Romains de bâtir des édifices monumentaux dont la solidité défie le temps, tel le Panthéon de Rome. Récemment, plusieurs études réalisées par des scientifiques du Département des énergies du Berkeley National Laboratory en Californie ont confirmé que les propriétés extraordinaires du ciment romain ne devaient rien au hasard, mais résultaient d’une composition savamment calculée et d’un mode de cuisson extrêmement précis.
Ces chercheurs ont pu montrer que les Romains utilisaient moins de chaux, en pratiquant une cuisson lente à seulement 900°C contre 1450°C dans les fours actuels. Pour obtenir un ciment si solide et résistant aux attaques chimiques et à l’eau, les romains mélangeaient de la chaux avec de la roche volcanique. Le mortier obtenu était déposé dans des moules en bois, puis immergé dans de l’eau de mer, ce qui provoquait une réaction chimique capitale qui se traduisait par un durcissement très rapide. Poussant plus loin leurs investigations, ces scientifiques ont constaté, en ayant recours à des outils de diffraction X en rayonnement synchrotron, qu’il serait possible de substituer de la pouzzolane, une roche naturelle, en remplacement des roches volcaniques. Ils ont même calculé que la pouzzolane, très répandue, pourrait répondre à 40 % de la demande mondiale de ciment Portland.
Comme le souligne Marie Jackson, qui a dirigé l’une de ces études au Berkeley Lab, « Au final, le béton romain était ainsi plus dur que tout ce qu'il est possible d'imaginer, et sans besoin de renforcements d'acier, contrairement à nos ciments qui sont essentiellement composés de silicates de calcium, hydraulique ajoutés à du sable et du gravier. Nous avons été stupéfaits de constater que les Romains avaient réussi à créer un béton pareil à de la roche que le contact de l'eau de mer renforce plutôt que de l'éroder, contrairement au béton moderne » (Voir Berkeley Lab).
Il faut aussi évoquer une autre découverte récente qui montre que la grue de chantier n’a probablement pas été inventée par les Grecs en 515 av. J.-C, mais probablement 150 ans plus tôt (Voir Smithsonian). Cette étude, conduite par Alessandro Pierattini de l’Université de Notre Dame, montre que les blocs de 200 à 400 kilos utilisés pour la construction des temples en 700 av.J.C, dans les anciennes villes d’Isthmia et de Corinthe, présentent des rainures jumelles le long du fond des pierres. Selon ces recherches, il est très probable que ces rainures servaient à la fixation des blocs sur des engins de levage. Reste à savoir pourquoi la grue, innovation majeure, se serait développée en Grèce, et pas dans d’autres cultures qui ont pourtant elles aussi bâti des monuments et des temples d’une dimension impressionnante. Ces chercheurs font l’hypothèse qu’à la différence de l’Égypte ou l’Assyrie, qui pouvaient mobiliser une main-d’œuvre abondante, les Grecs avaient recours à de petites équipes de constructeurs professionnels. Ce serait cette organisation du travail très particulière qui aurait favorisé des innovations de rupture et l’invention de machines plus efficaces, comme les grues.
Mais je ne pouvais pas terminer cet éditorial consacré aux fabuleuses technologies du passé, sans revenir sur l’extraordinaire machine d’Anticythère, que j'ai déjà évoquée, mais qui vient de faire l’objet de nouvelles recherches qui méritent d’être rappelées. C’est en 1900 que le scaphandrier grec Elias Stadias fit une découverte qui allait bouleverser l’histoire et l’archéologie. En explorant l’épave d’une galère romaine qui avait fait naufrage au 1er siècle de notre ère, au large de l’île d’Anticythère située entre le Péloponnèse et la Crète, il trouva 82 fragments d’un dispositif mécanique d’une incroyable complexité. Ces débris, fortement endommagés par leur long séjour dans l’eau de mer, ne commencèrent à livrer leur secret qu’en 1974, avec l’arrivée de nouvelles technologies de radiographie à rayons X.
Depuis près de 50 ans, de nouvelles avancées techniques ont permis d’en savoir un peu plus sur cet objet stupéfiant, qui aurait été fabriqué par des ingénieurs grecs au 2ème siècle avant notre ère. Ce mécanisme, qui mesure 34cm, pour 18 cm de large et 9 cm de profondeur, est un calculateur astronomique à roues dentées d’une très grande complexité. A l’origine, il semble qu’il se composait d’au moins une trentaine d'engrenages, probablement actionnés par une manivelle. Son fonctionnement repose sur une connaissance mathématique de la course des astres, et utilise la rotation d'engrenages de tailles différentes entraînant des aiguilles indiquant la position des astres à un moment donné. La face avant possède un cadran circulaire à 365 positions (représentant les 365 jours du calendrier égyptien) et deux cadrans (indiquant les positions de la Lune et du Soleil par rapport au Zodiaque). La face arrière comporte deux cadrans en spirale représentant deux calendriers astronomiques utilisés pour prédire des éclipses de la Lune et du Soleil.
Sur cet appareil, on trouve plus de 2 200 minuscules lettres grecques, gravées sur le bronze, qui ont pu être déchiffrées à 95 %. Elles forment un "mode d'emploi" de cette incroyable machine, et décrivent les cycles des planètes connues à l’Antiquité : Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne. Comme le souligne une récente étude réalisée par le Collège Universitaire de Londres (UCL), « La découverte de cette incroyable machine et la compréhension récente de son extraordinaire complexité, grâce à de nouvelles techniques de rayons X, bouleverse totalement les connaissances et la vision que nous avions sur les capacités des Grecs anciens, en matière de réalisations technologiques » (Voir Scientific American). Cette étude précise qu’il a fallu attendre le XIVème siècle pour voir apparaître, en Occident, les premières horloges astronomiques, égalant en complexité cette fabuleuse machine d’Anticythère. Reste que, comme le souligne l’article, de nombreux mystères demeurent autour de cette machine : fut-elle vraiment conçue, comme certains scientifiques le pensent, par Archimède lui-même ? Pourquoi n’a-t-on pas retrouvé d’autres machines du même type ? Pourquoi les Grecs anciens n’ont-ils pas utilisé leur extraordinaire maîtrise conceptuelle et technique pour étendre ce type de calculateur à d’autres domaines d’application, armée, commerce, comptabilité… Le fait que les Grecs aient pu concevoir et réaliser une telle machine, il y a plus à plus de 2000 ans, est la démonstration éclatante que certains sauts scientifiques et techniques majeurs ne sont pas définitifs ; ils peuvent, pour de multiples raisons, être perdus, oubliés avant d’être, parfois, redécouverts des siècles plus tard...
Et je ne serais pas étonné que ce soit notamment le cas pour les extraordinaires savoirs et techniques que maîtrisaient les Egyptiens de l’Antiquité : on ne sait toujours pas comment moins de 10 000 hommes, comme cela est à présent établi, ont pu, sans doute en moins de 20 ans, édifier avec une précision stupéfiante la grande pyramide de Khéops, toujours debout depuis 4500 ans, avec ses deux millions et demi de blocs de pierre parfaitement ajustés…
Ces merveilles techniques et conceptuelles de l’Antiquité, mais aussi des temps préhistoriques, dont nous sommes loin d’avoir percé tous les mystères, nous montrent que nos lointains ancêtres avaient une intelligence qui n’avait rien à envier à la nôtre, et possédaient un ensemble de connaissances théoriques et scientifiques bien plus avancées qu’on ne l’imaginait encore récemment. Face à ces réalisations, qui suscitent encore aujourd’hui notre admiration et notre émerveillement, et s’inscrivent dans l’éternité, nous devrions faire preuve d’un peu plus d’humilité et de sagesse…
René TRÉGOUËT
Sénateur honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat
e-mail : tregouet@gmail.com
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- Publié dans : Homme Anthropologie et Sciences de l'Homme
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