Edito : La réalité virtuelle ouvre la voie vers de nouvelles dimensions créatrices
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Dans quelques jours, deux parmi les plus grands pianistes de tous les temps, Glenn Gould et Alfred Cortot, donneront un concert à Raleigh, en Caroline du Nord. Le premier jouera les « Variations Goldberg » de Bach et le second un « Prélude » de Chopin. Ce concert est d'autant plus étonnant que ces deux musiciens exceptionnels sont morts depuis plusieurs décennies. Cette résurrection repose sur un procédé numérique qui permet de reproduire sur un piano Midi (Yamaha Disklavier Pro) géré par ordinateur les oeuvres de pianistes enregistrés sur disque.
La société Zenph Studios, qui mène ces recherches, est en effet parvenue à reproduire le toucher exact des musiciens grâce à un logiciel capable de distinguer sur les vieux enregistrements toutes les notes, y compris celles jouées en polyphonie. Les ingénieurs ont ainsi pu créer un programme musical capable d'actionner dix pistons simulant parfaitement les doigts de l'artiste sur le clavier. Lors du concert de Raleigh, les spectateurs auront donc l'illusion musicale d'entendre Gould et Cortot jouer en live les deux morceaux enregistrés autrefois. Si ce surprenant concert d'outre-tombe est convaincant, l'expérience pourrait être reproduite avec de nombreux autres grands artistes, aujourd'hui disparus. Cette irruption remarquée de la réalité virtuelle dans la musique classique était en fait assez prévisible et ne fait qu'étendre le champ de la réalité virtuelle à un nouveau domaine artistique.
Il y a en effet plusieurs années, plus de 20 ans en fait, que la réalité virtuelle a peu à peu envahi le cinéma, les jeux vidéo et la publicité. Beaucoup de spécialistes considèrent que « Tron », film-culte des studios Disney, sorti en 1982, constitue le début du cinéma virtuel. Tout le monde se souvient également d'un film publicitaire remarquable qui avait, il y a quelques années, ressuscité numériquement le regretté Steeve Mac Queen pour lui faire conduire une voiture de sport récente.
Au fil des années, et à mesure que la puissance de calcul informatique explosait, le cinéma et les jeux vidéo n'ont cessé de nous surprendre avec des effets spéciaux, puis des personnages numériques, de plus en plus réalistes.« Final Fantaisy », « Shrek », ou, plus récemment, le « Seigneur des Anneaux » ou « Spiderman » nous ont émerveillés par la beauté et le réalisme de leurs images et de leurs personnages crées pourtant de toute pièce par la magie de l'informatique. Dans le deuxième épisode du Seigneur des anneaux, les deux tours, le personnage Gollum est virtuel. Mais il reproduit les mouvements de l'acteur Andy Serkis, qui a réellement tourné toutes les scènes, 25 caméras enregistrant ses mouvements sous tous les angles afin de donner ensuite « vie » au personnage virtuel. L'avenir du cinéma passe assurément par l'utilisation accrue de personnages virtuels. Des « synthespians », comme les ont appelés Jeff Kleiser et Diana Walczak, précurseurs en matière d'images de synthèse. La même chose est-elle faisable avec des personnages humains ?
Est-il possible qu'un jour nous confondions acteurs réels et personnages virtuels, même en gros plan dans une salle de cinéma ? Oui, sans aucun doute, explique Jeff Kleiser, dont la société a produit les effets numériques de Spider-Man et X-men. Selon ce spécialiste incontesté, l'arrivé d'acteurs virtuels indiscernables des acteurs en chair et en os est l'affaire de quelques années, au rythme où progresse la technologie numérique. En attendant ces comédiens numériques, la Broadcast Film Critics Association, principal regroupement des critiques professionnels de cinéma outre-Atlantique, leur a déjà dédié un prix, destiné à récompenser la « meilleure performance d'un acteur numérique ». Il a été décerné en 2004 au personnage Gollum. En 1998 a été créée NoDNA, la première agence de mannequins et d'acteurs virtuels. Cette agence se concentre sur les licences de personnages virtuels. Elle développe ses propres personnages ou en acquière les droits auprès de designers du monde entier.
Ces personnages peuvent être utilisés en temps réel par le cinéma et la télévision mais aussi pour des événements variés, jusqu'à des applications sur l'internet. Au Canada, le projet Darwin, initié par des chercheurs québécois en 2001, a pour objectif de créer une agence de casting d'acteurs virtuels, soit une base de données qui contiendra des centaines de morphologies humaines et d'acteurs dynamiques « clefs en main», à partir desquelles il sera possible de créer des personnages. A présent, la nouvelle étape de la réalité virtuelle en cours vise à donner sensibilité et subtilité de jeu à ces acteurs virtuels. Il s'agit de leur apprendre à jouer eux-mêmes leurs scènes et se comporter de manière non prévisible, comme le ferait un humain ! Cette technique a été utilisée dans certaines scènes du film le Seigneur des anneaux, les deux tours. La scène de l'attaque du château fait appel à une multitude de personnages virtuels créés par Massive, un logiciel très sophistiqué. Ces « agents » sont largement autonomes et évoluent sans intervention humaine, leurs interactions étant gérées de façon automatique par l'ordinateur, via des processus d'intelligence artificielle.
Mais demain, en combinant IA et "réseaux neuronaux", on pourra créer des personnages d'une complexité émotive et psychologique équivalente à celle d'un être humain, du moins pour le spectateur qui les verra au cinéma. Il y a quelques semaines, le Théâtre du nouveau Monde à Montréal a donné une version très remarquée de la célèbre pièce de Skakespeare, « La tempête ». Le décor et les éclairages étaient époustouflants de réalisme, grâce à une utilisation massive du multimédia et de la réalité virtuelle. En outre, d'excellents comédiens réels donnaient la réplique à des comédiens virtuels, ce qui conférait à ce chef d'oeuvre de Skakespeare une nouvelle dimension, que n'aurait sans doute pas reniée le maître de Stratford, qui, en son temps, était à l'affût des dernières innovations en matière scénique ou dans le domaine de l'éclairage. La prochaine étape de cette aventure humaine et technologique pourrait être une mise en scène virtuelle du « Hamlet » de Shakespeare dans laquelle le personnage principal, évidemment joué par un comédien virtuel, prononcerait la fameuse réplique « être ou ne pas être, telle est la question ». Une interrogation métaphysique qui, dans la bouche d'un comédien numérique, prendrait une singulière dimension !
René Trégouët
Sénateur honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat
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