Edito : Les puces à ADN vont devenir l'outil royal de la médecine de demain
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Moins de 10 ans après son apparition, la puce à ADN est en train de bouleverser les méthodes de travail de tous les acteurs du secteur de la santé. Avant la fin de cette décennie, ce bijou de technologie pas plus grand qu'une boîte d'allumettes, qui combine les avancées des technologies de l'information et les acquis des sciences de la vie, permettra de diagnostiquer en un temps record, de quelques heures à quelques instants, la prédisposition ou le développement de maladies génétiques chez des patients. Il deviendra alors possible de prévoir l'évolution de leurs "fondamentaux héréditaires" (tendances à l'obésité, calvitie, etc.) mais aussi de détecter la présence de virus dans l'eau, dans l'air, dans les aliments ou bien l'intrusion des fameux organismes génétiquement modifiés (OGM) dans les produits issus de l'industrie agroalimentaire. Le matériel de fabrication de cet outil qui est en train de révolutionner la médecine et la santé ressemble à celui des classiques semi-conducteurs de l'informatique, mais en lieu et place des circuits, les puces sont "gravées" avec des morceaux d'ADN, le support du programme génétique humain. Réservées pour l'instant aux chercheurs des grands laboratoires pharmaceutiques qui travaillent sur la détection des gènes et la préparation de nouveaux médicaments, les puces à ADN seront dans dix ans d'un usage banal dans les hôpitaux et cabinets de médecins. Le PDG d'Affymetrix, Steve Fodor, a fait le choix de puces à "high density" ADN et aujourd'hui il ne le regrette pas : "Nos puces permettent de repérer en une seule fois non pas quelques gènes, mais des milliers (actuellement près de 12.000 sur les puces les plus performantes). C'est capital, car nous répondons ainsi au souci de la génétique moderne qui considère le génome comme une association de milliers de gènes. Cette nouvelle étape de la révolution génomique s'appuie sur une ancienne découverte de la biologie moléculaire : la complémentarité des deux longs filaments en double hélice de l'ADN. Ceux-ci sont composés de quatre "bases" (oligonucléotides) fonctionnant par paires : les bases d'adénine (A) d'un brin de l'ADN s'apparient avec les bases de thymine (T) de l'autre brin, les bases de guanine (G) avec les bases de cytosine (C). Et vice versa. Dans sa collection de produits déjà commercialisés, Affy propose aussi la puce G11O qui "travaille" sur les séquences génétiques les plus couramment impliquées dans divers cancers humains. Ou encore une puce qui permet de détecter les mutations du gène P53 (un suppresseur de tumeurs) actives dans de nombreux cancers. En France, Affy s'est associé avec BioMérieux, filiale de Pasteur-Mérieux, engagé avec la Lyonnaise des eaux dans un programme d'analyse microbiologique de l'eau. A terme, BioMérieux voudrait lancer des puces capables d'identifier des myco-bactéries et divers germes pathogènes. Depuis quelques années, la recherche sur de nouveaux types de biopuces s'emballe. Une équipe de la Purdue University, dans l'Indiana, affirme avoir mis au point une puce à base de silicium sur laquelle s'accrochent des milliers de protéines. Avantage par rapport aux puces à ADN classiques : les protéines interagissent avec des molécules spécifiques. Le champ d'investigation s'en trouve donc beaucoup plus précis, et ces puces deviennent l'outil idéal dans la chasse aux bactéries. D'après les universitaires associés au projet, le système est fiable. Michael Ladisch, un des concepteurs, envisage des dizaines d'applications possibles : d'abord le diagnostic médical de maladies communes. Mais aussi la détection d'agents bactériens présents dans divers environnements. En dehors du secteur médical, trois secteurs industriels majeurs offrent des débouchés aux biopuces :
-* L'agro-alimentaire : le suivi des bactéries productrices de ferments lactiques, détection des séquences provenant d'organismes génétiquement modifiés dans les semences.
-* L'environnement : l'analyse bactérienne de l'eau de consommation, la détection des agents infectieux dans l'alimentation, l'air ou l'eau (Salmonella, Listeria, Legionnella).
-* La guerre bactériologique ou chimique : en déterminant par avance les modifications du fonctionnement génétique des cellules immunitaires occasionnées par des agents toxiques, on peut identifier rapidement les produits chimiques (mercure, dioxine...) ou bactériologiques (bacille du charbon ou de la diphtérie...) disséminés par un éventuel agresseur. Lors d'un conflit militaire, des capteurs, éparpillés sur le champ de bataille, donneraient l'alerte en cas d'attaque chimique ou biologique. A la lumière des nouvelles et graves menaces terroristes d'attaques chimiques ou biologiques, on mesure l'importance de pouvoir disposer d'un outil rapide et fiable, capable de mesurer très précisément la présence d'un agent toxique. Le même dispositif, recyclé sur des exploitations agricoles, permettrait d'enrayer dès leur apparition diverses infections bactériennes touchant les animaux.
Les essais de la Purdue Biochip se poursuivent en laboratoire. Première application concrète annoncée : la réalisation de capteurs destinés à détecter très tôt la présence dans les aliments de listeria, cause de nombreux décès. D'abord prise de vitesse, la recherche française tente de rattraper son retard. Le Commissariat à l'énergie atomique (CEA) pilote un projet de puce différent de la technique Affymetrix. Ce type de puce ne pourra plus seulement dire si " oui " ou " non " la séquence génétique recherchée est présente, mais en quelle quantité elle est présente. Par conséquent, le CEA s'engage aussi sur la voie du robot pour faire de la synthèse de sondes in situ. Le travail de cet automate sera couplé à la technologie d'adressage électrochimique que le CEA a déjà développée pour la puce MICA. Dans ce cas, le support de la puce est en silicium et les brins d'ADN sont fixés sur des plots qui sont en fait des électrodes d'or. La place des sondes est déterminée par le passage d'un courant électrique. Récemment, les biopuces ont franchi une nouvelle étape. Des chercheurs irlandais de Cork ont en effet annoncé qu'ils avaient développé une biopuce, d'un volume inférieur à celui d'une boîte d'allumettes, qui permet la détection instantanée des cellules cancéreuses chez l'animal. Le Professeur Abraham P. Lee, conseiller technologique à l'Institut National du Cancer de Bethesda, dans le Maryland, est persuadé que cette nouvelle génération de puce permettra, avant 10 ans, de reconnaître immédiatement la signature moléculaire spécifique des cellules cancéreuses. Il prévoit même que ces puces seront implantées dans le corps des patients pour assurer une détection précoce et infaillible d'un cancer dès son apparition. On pourra alors mettre en oeuvre un traitement anti-cancéreux personnalisé en fonction du profil génétique spécifique de la tumeur détectée. Ces différents développements ne sont que quelques exemples de puces à ADN dont les performances ne cessent de s'améliorer. Tous les biologistes en sont persuadés, la puce à ADN ouvre des perspectives extraordinaires en matière de prévention et de détection des grandes pathologies du XXIe siècle, cancer, maladies cardio-vasculaires, maladies virales, maladies neuro-dégénératives. Ce nouvel outil, qui ouvre la voie vers une médecine personnalisée et des traitements sur mesure, sera demain à la biologie ce que le microprocesseur est à l'informatique.
René TRÉGOUËT
Sénateur du Rhône
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