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Edito : La preuve en est faite : la durée de vie est liée à la qualité de l’alimentation
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On sait depuis presque un siècle que le fait de réduire l’apport calorique global chez les mammifères permet d’allonger sensiblement leur durée de vie, sans qu’on n’en comprenne exactement toutes les raisons. De nombreuses études chez l'animal ont montré qu'une restriction calorique allonge la durée de vie mais il restait à démontrer que ces mêmes effets se retrouvent également chez l’homme.
C’est dans ce but que des scientifiques américains ont réalisé le premier essai clinique randomisé contrôlé destiné à mesurer les effets de la restriction calorique chez des personnes non obèses. Baptisée « Calerie »(Comprehensive Assessment of Long-term Effects of reducing Intake of Energy), cette étude, publiée le 3 avril dernier, a été réalisée au centre de recherche Pennington de Baton Rouge (Louisiane) sur 53 personnes en bonne santé, âgées de 21 à 50 ans, qui étaient de poids normal ou en surpoids ; 19 participants servaient de témoins, tandis que les 34 autres devaient manger moins pendant deux ans (Voir Science Direct).
Dans ce protocole de recherche, l’objectif visé consistait à réduire progressivement de 25 % l’apport calorique journalier. Finalement, les participants n'ont pas atteint cet objectif mais ils ont réussi à réduire de 15 % leurs calories sur deux ans. Et le moins que l’on puisse dire est que cette réduction de la part alimentaire a eu des effets très bénéfiques sur les sujets observés. Alors que les sujets du groupe témoin ont pris entre 1 et 2kg, les personnes qui ont réduit leur apport calorique ont perdu entre 8 et 9 kg en moyenne sur deux ans. De plus, leur dépense énergétique a diminué. Observation importante, aucun effet indésirable, tel que l'anémie, ou une perte osseuse excessive, n'a été noté.
Mais surtout, les chercheurs ont pu observer que, non seulement la restriction calorique a amélioré de 10 % l’efficacité du métabolisme des participants, mais a également permis de réduire sensiblement des dommages cellulaires liés au stress oxydatif, comme l’a montré l’analyse rigoureuse de nombreux biomarqueurs présent dans le sang et l'urine.
Commentant ces résultats, Leanne Redman, qui a dirigé ces travaux, précise « Nos travaux confirment qu'à chaque fois que nous générons de l'énergie dans le corps, nous générons des sous-produits, et notamment des radicaux libres qui finissent par s’accumuler dans l’organisme et causent avec le temps des dommages aux cellules et aux organes. Le fait de parvenir à améliorer le rendement du métabolisme humain en réduisant l’apport calorique semble donc bénéfique car la réduction du stress oxydatif et les processus inflammatoires qui en résultent retardent le vieillissement cellulaire et entraînent une diminution sensible et visible des risques de pathologies, telles que le cancer, les maladies cardio-vasculaires, le diabète et probablement certaines maladies neurodégénératives comme Parkinson ou Alzheimer ».
Forte de ces résultats probants, cette équipe de recherche américaine veut à présent étendre ses investigations et suivre tout au long de leur vie, de la naissance à la mort, une population de plusieurs milliers d’individus acceptant de se soumettre à une restriction calorique.
Il faut rappeler que de précédents travaux, notamment chez des macaques -qui vivent une quarantaine d’années en moyenne- avaient déjà démontré des effets bénéfiques sur l'incidence de pathologies liées au vieillissement. Toutefois, les effets bénéfiques d’un tel régime sur la longévité des primates et des humains restaient controversés.
Mais il y a quelques jours, le 5 avril dernier, des chercheurs du CNRS et du Muséum national d’Histoire naturelle, ont publié une étude très intéressante dont les résultats semblent tout à fait complémentaires à l’étude américaine réalisée sur l’homme, dirigée par Leanne Redman.
Dans ce travail, ces chercheurs se sont intéressés au microcèbe, un petit primate qui vit en moyenne une douzaine d’années. Ce lémurien, physiologiquement proche de l’homme, constitue en effet un excellent modèle pour étudier le processus de vieillissement (Voir Nature).
Ces microcèbes ont donc été soumis à une restriction calorique chronique modérée (30 % de calories en moins que ce que consomment habituellement leurs congénères) depuis l'âge adulte et pendant toute leur vie. À l’issue de cette expérience, les scientifiques ont été très surpris de constater que le groupe de lémuriens sous restriction calorique présentait une durée de vie moyenne augmentée de près de 50 %, par rapport au groupe témoin qui avait mangé normalement. Observations encore plus surprenantes : ces scientifiques ont observé que la longévité maximale était également augmentée : plus d'un tiers des animaux restreints sont encore vivants lors de la mort du dernier animal contrôle à 11,3 ans.
Sans surprise, ces chercheurs ont également observé une nette diminution de l'incidence de pathologies habituellement associées au vieillissement comme le cancer ou le diabète. Sur le plan neurocérébral, cette étude montre que les lémuriens soumis à une restriction calorique présentent en fin de vie une légère et inexplicable perte de matière grise (corps cellulaires des neurones), ainsi qu'un ralentissement de l'atrophie de la matière blanche, principalement composée d’axones et interconnectant différentes aires du cerveau. Ces résultats confirment que la restriction calorique chronique est sans doute le moyen le plus efficace pour allonger la durée de vie maximale et retarder le processus de vieillissement chez les primates.
Ces deux études très récentes ont donc donné des résultats convergents et confortent très sérieusement l’hypothèse qu’une restriction calorique prolongée chez l’être humain est probablement susceptible d’accroître sensiblement sa longévité mais également son espérance de vie en bonne santé.
Mais dans le domaine de l’alimentation, comme dans celui du vieillissement biologique, rien n’est simple et s’il semble probable que moins manger peut sans doute permettre de vivre plus longtemps et en pleine forme, il faut également souligner que la nature et la qualité des aliments consommés semblent également très importantes pour se maintenir le plus longtemps possible en bonne santé.
En 2013, une étude réalisée par le professeur Andres-Lacueva de l’Université de Barcelone pendant 12 ans, et concernant 807 hommes et femmes de plus de 65 ans vivant dans la région de Chianti en Toscane (Italie), avait par exemple clairement montré qu’un apport alimentaire élevé en polyphénols était associé à une forte réduction du taux de mortalité, toutes causes confondues, chez les personnes âgées. Parmi les participants de l’étude, à l’inscription ceux ayant un apport élevé en polyphénols (supérieur à 650 mg par jour) avaient un risque de mortalité réduit de 30 % par rapport à ceux qui avaient un apport plus faible en polyphénols (inférieur à 500 mg par jour).
En avril 2016, une équipe suisse de l’EPFL, dirigée par Johan Auwerx, a fait une autre découverte importante concernant les liens entre longévité et alimentation (Voir Science). Ces scientifiques rappellent que nos cellules s’usent, meurent et doivent être remplacées en permanence. Cette nécessaire substitution est assurée grâce à l'activation des cellules souches (cellules indifférenciées, capables de s'auto-renouveler et de donner différents types cellulaires). Mais ces travaux ont pu montrer qu’après un certain nombre de cycles de réparation, les cellules souches perdent progressivement leur capacité à produire de nouvelles cellules : la régénération se fait alors moins efficacement, ce qui se traduit par une dégénérescence de certains tissus ou organes.
Ces recherches ont également montré que, contrairement à ce qu’affirmait la théorie qui prévalait jusqu’à présent, les cellules utilisent bien en permanence leurs mitochondries pour trouver de l'énergie. Ces chercheurs ont enfin réussi à identifier la chaîne moléculaire régulant le fonctionnement des mitochondries et son évolution avec l'âge. Ils ont notamment observé que la concentration d’un composé présent dans la vitamine B3, le nicotinamide riboside, diminuait dans la mitochondrie de la cellule souche vieillissante.
L'équipe de l'EPFL a alors eu l’idée de faire consommer de la nicotinamide riboside à des souris âgées de 2 ans (l'équivalent de 75 ans chez l'humain). Et les résultats ont été très prometteurs : les souris ayant reçu la nicotinamide riboside ont vécu, en moyenne, une quarantaine de jours en plus, l’équivalent de quatre ans de plus pour un être humain. En outre, ces souris présentent, même en fin de vie, une meilleure tonicité et un moindre déclin cognitif que leurs congénères n’ayant pas bénéficié de ce régime de « longévité ». Commentant ces résultats, Johan Auwerx souligne que « Ces travaux donnent des perspectives très intéressantes dans le domaine de la médecine régénérative, et qu’il est envisageable de proposer une supplémentation de nicotinamide riboside aux personnes âgées, pour soutenir leurs cellules souches, notamment chez celles qui souffrent de fonte musculaire ou de déclin cognitif ».
Ces études et recherches récentes confirment l’impact considérable de l’alimentation sur la santé, mais aussi sur la longévité humaine, impact d’autant plus grand qu’il peut de mieux en mieux être prévu et optimisé grâce à de nouvelles disciplines scientifiques en pleine essor : la nutrigénétique et la nutrigénomique. Ces nouveaux domaines de connaissances ont pour objectif de nous permettre de mieux comprendre les interactions des nutriments et micronutriments avec notre génome.
Dans ce domaine, il faut évoquer les récents travaux de Patrick Borel, chercheur en micronutrition humaine à l’INRA, qui réalise avec son équipe des études cliniques destinées à repérer les variations génétiques dans notre ADN, en fonction de l’absorption des vitamines. Ce chercheur vient de montrer, dans une étude réalisée sur 40 personnes, que des variations génétiques mineures dans notre ADN peuvent entraîner de grandes différences dans notre capacité à assimiler certaines vitamines. Ces travaux montrent qu’en consommant une même dose de vitamine, chaque personne va réagir différemment, en fonction de sa capacité d’assimilation personnelle.
A terme, l’idée de Patrick Borel est de définir un score fiable et prédictif d’assimilation des nutriments, en fonction de notre ADN. Patrick Borel travaille en étroite collaboration avec Jean-François Landrier, spécialisé en nutrigénomique, une science qui étudie également les effets biologiques des nutriments et micronutriments sur nos gènes et notre organisme, et plus particulièrement l’action du lycopène (qui donne sa couleur rouge à la tomate), du bêta-carotène – qui est la source de la vitamine A – ou encore à la vitamine D.
Les scientifiques ont longtemps pensé que la vitamine D avait uniquement un rôle au niveau squelettique, en fixant le calcium sur les os. Mais depuis quelques années, on a découvert que la vitamine D semble jouer un rôle très important sur le métabolisme énergétique et le système immunitaire. Il semblerait notamment qu’un haut niveau de vitamine D exerce un effet protecteur en réduisant sensiblement les risques de certains cancers.
Une étude de l’Université de Californie publiée en 2016 précise en effet qu’un haut niveau de vitamine D réduit de 67 % les risques de cancer agressif de l’intestin et une autre étude de l’Inserm, dirigée par Françoise Clavel-Chapelon, Directrice de recherche à l'Institut Gustave Roussy de Villejuif, a montré que le risque de cancer du sein est diminué de 25 % pour les femmes ayant un niveau de concentration sérique de vitamine D élevé…
Une autre étude publiée en octobre 2016 avait également montré un puissant effet anti-vieillissement de la vitamine D chez le ver C. elegan. Ces travaux conduits par le Professeur Gordon Lithgow, du Buck Institute for Research on Aging (Novato), en Californie ont permis de découvrir que la vitamine D exerce une action puissante sur certains gènes associés à la longévité : au final, elle allonge de 33 % la durée de vie moyenne du ver C. elegans…
Mais certains aliments ou boissons très communes et largement consommées dans le monde peuvent également avoir des effets protecteurs et très bénéfiques contre de nombreuses pathologies graves. Dans une étude récente, des chercheurs japonais ont effectué un sondage de suivi auprès de plus de 40 000 personnes âgées de 40 à 79 ans. Cette étude a débuté en 1994 et porte sur le risque moyen de maladie cérébrovasculaire sur cet échantillon de personnes.
Ces chercheurs ont constaté que pour les hommes qui buvaient plus de 5 tasses de thé vert frais de bonne qualité chaque jour, comparativement à ceux qui buvaient moins d’une tasse par jour, le risque moyen de maladie cérébrovasculaire est réduit de 22 %. Chez les femmes, le risque baisse de 31 %. Mais la diminution la plus significative concerne l’infarctus cérébral qui diminue de 42 % chez les hommes et de 62 % chez les femmes !
En juillet 2017, une vaste étude européenne a par ailleurs confirmé que les consommateurs d'environ trois tasses de café par jour, y compris décaféiné, semblent jouir d'une plus longue espérance de vie que ceux qui n'en boivent pas. Selon l'étude européenne analysant les données de 521 000 hommes et femmes de plus de 35 ans, suivis par l'Enquête européenne sur le cancer et la nutrition (Epic) pendant 16 ans, les personnes buvant au moins une tasse de café par jour ont 12 % moins de risque de décéder que celles n'en buvant pas, et ce risque est même diminué de 18 % pour celles qui boivent trois tasses de café par jour (Voir ACP).
En revanche, une récente et gigantesque méta-analyse de 83 études, menées au total sur près de 600.000 participants, pourrait bien conduire la communauté scientifique et médicale à revoir ses préconisations concernant la consommation d’alcool à ne pas dépasser chez l’homme, pour ne pas subir d’effets trop néfastes pour notre santé.
Dans ce travail d'une ampleur sans précédent, les scientifiques ont calculé combien d’années en moyenne une consommation excessive d’alcool raccourcissait la vie. Ils ont pris en compte les différents facteurs liés au mode de vie (âge, sexe, exercice physique) puis ont calculé comment différents niveaux de consommation d'alcool influaient sur les risques de développer une maladie cardiovasculaire ou de décéder, toutes causes confondues. Sur les 600 000 participants, suivis en moyenne pendant sept ans et demi, 40.310 sont décédés et 39.018 ont reçu un diagnostic de maladie cardiovasculaire. Environ la moitié des participants avait déclaré avoir bu plus de 12,5 unités d'alcool par semaine.
Selon ces recherches, la vie est raccourcie en moyenne de 1,3 an pour les femmes et de 1,6 an pour les hommes, pour les sujets qui dépassent cette limite hebdomadaire. L’étude montre également qu’une consommation ne dépassant pas 12,5 unités d'alcool par semaine est associée au plus faible risque de décès, toutes causes confondues. En revanche, une consommation qui excède 37 unités par semaine augmente le risque de décès de plus de 30 %...
Il semblerait donc, à la lumière de ces résultats très robustes, obtenus sur une très vaste population, qu’il faille envisager de réviser à la baisse les recommandations internationales et nationales en matière de consommation d’alcool, de manière à limiter cette consommation à 10 verres de vin par semaine, soit un verre à chaque repas, avec deux jours d’abstinence par semaine…
Ces récentes avancées et découvertes de la biologie et de la médecine montrent de manière saisissante et convergente que l’adoption de quelques règles alimentaires simples, et de certains types de régime, complétées éventuellement, en fonction du profil génétique personnel, par une supplémentation avec certaines vitamines et oligoéléments, pourrait avoir des effets bénéfiques très importants, non seulement pour prévenir des maladies graves, comme certains cancers, les maladies cardiovasculaires, le diabète et les maladies neurodégénératives, mais également pour allonger sa longévité intrinsèque…
Il serait plus que souhaitable que l’Etat, en étroite coordination avec les chercheurs et médecins, mette en place rapidement une stratégie ambitieuse visant à permettre à tous d’apprendre, dès le plus jeune âge, les règles de la nutrition et d’une diététique équilibrée et adaptée au génotype de chacun. Même s’il faudrait probablement une génération avant qu’une telle politique produise tous ses effets, elle aurait un coût dérisoire au regard des immenses bénéfices individuels et collectifs que notre société pourrait en retirer !
René TRÉGOUËT
Sénateur honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat
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- Publié dans : Médecine
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