Edito : Passer à l’économie circulaire : l’autre défi climatique
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Le 30 mars dernier, prolongeant son plan d’action pour une économie circulaire de mars 2020, la Commission européenne a présenté un ambitieux "paquet" législatif, à négocier avec le Parlement et les États membres, qui vise à rendre durables, réparables et recyclables, à l’horizon 2035, la quasi-totalité des biens physiques présents sur le marché de l'UE. Le nouveau cadre réglementaire européen qui se dessine se veut en cohérence avec les récentes initiatives législatives françaises en matière d’économie circulaire, comme la loi anti-gaspillage et économie circulaire de 2020, ainsi que la loi climat et résilience, de 2021. Ce passage accéléré à l’économie circulaire, en France et en Europe, s’inscrit dans la perspective de la nécessaire neutralité carbone, que visent notre pays et notre continent d’ici 2050, pour essayer de contenir le réchauffement climatique en dessous de deux degrés. D'ici à 2030, le nouveau cadre pourrait permettre d'économiser, selon la commission, 132 Mtep d'énergie primaire, soit environ 150 milliards de m³ de gaz naturel, ce qui équivaut pratiquement aux importations de gaz russe par l'UE.
L’Europe veut étendre le cadre existant en matière d'écoconception, dans deux directions : d’une part, en incluant la plus large gamme possible de produits ; d’autre part, en élargissant le champ d'application des exigences auxquelles doivent satisfaire ces produits, notamment en ce qui concerne leur efficacité énergétique, l’objectif étant que cette efficience énergétique accrue contribue à réduire de moitié notre consommation finale d’énergie d’ici 30 ans. Depuis quelques mois, cette volonté politique forte, au niveau national et européen, conjuguée au volontarisme des entreprises et leurs efforts accrus en matière d’innovation, portent ses fruits. Quatre secteurs stratégiques, parmi beaucoup d’autres, se distinguent dans cette transition vers l’économie circulaire, les énergies renouvelables, les matériaux de construction et d’emballage, le textile et enfin les transports du futur.
Contrairement aux idées reçues, les éoliennes sont déjà recyclables à 85 %, sauf pour les pales, fabriquées avec un mélange de résines époxy et de fibres de verre ou de carbone, un composite très difficilement recyclable. En collaboration avec Olin, leader de l’époxy, et l’Institut de technologie danois, Vestas, l’un des géants de l’éolien, travaille sur une technique de séparation des composants. Il a lancé le programme CETEC (Économie circulaire pour les composites époxy thermodurcissables, traduit de l’anglais), visant à permettre, en 2025, le recyclage complet des pales par fracturation chimique. De son côté, le fabricant de pales LM Wind Power, dans le cadre du projet européen ZEBRA, a conçu et fabriqué deux prototypes de pales utilisant la résine recyclable Elium d’Arkema. Il y a quelques semaines, l’usine LM Wind Power à Ponferrada en Espagne, a présenté la plus grande pale d’éolienne au monde 100 % recyclable en composite thermoplastique qui fait appel à cette résine Elium
S’agissant des panneaux solaires, il faut également tordre le cou aux affirmations tenaces qui prétendent que ces éléments de production propre d’énergie ne sont pas recyclables. En réalité, leur taux de recyclabilité atteint déjà 94 % et devrait encore s’améliorer dans les années qui viennent. Quant à leur "amortissement" carbone, il est descendu à 3 ans pour les dernières installations, un chiffre à comparer à la durée de vie de ces panneaux, qui ne cesse de s’accroître et atteint à présent 30 ans. La start-up grenobloise Rosi Solar (Return of Silicon) vient de signer le bail actant la création de sa première usine de traitement des déchets de l’industrie photovoltaïque. Le site sera implanté à La Mure, en Isère, et devrait ouvrir courant 2023. Cette installation-pilote permettra de valoriser 3 000 tonnes de panneaux chaque année, et de récupérer 3 tonnes d’argent et 90 tonnes de silicium. Pour parvenir à ce résultat, cette entreprise va combiner des procédés de recyclage physiques, thermiques, et chimiques. Sachant qu’il va falloir recycler 50 000 tonnes par an de panneaux photovoltaïques en fin de vie, d’ici 2030, d’autres usines du même type devront être construites en France pour valoriser de façon durable ces panneaux photovoltaïques.
Toujours dans le domaine de la production d’énergie propre, Veolia, le Collège de France, le CEA et le SIAAP (Syndicat interdépartemental pour l'assainissement de l'agglomération parisienne) se sont regroupés pour développer une technologie de capture et de recyclage du CO2 à la sortie des stations d’épuration. L’objectif de ce projet est de transformer ce dioxyde de carbone en acide formique, puis en méthane et méthanol. L’intérêt est double : ce processus de recyclage chimique permet à la fois de réduire l’empreinte-carbone des stations d’épuration et de produire une énergie utilisable localement. La ville de Cannes vient, quant à elle, de lancer une expérimentation sur six mois, visant à évaluer la faisabilité du recyclage des déchets alimentaires domestiques et de leur transformation en biogaz. A terme, Cannes souhaite monter sa propre usine de production de méthane vert afin de recycler tous les déchets organiques des habitants de son agglomération, forte de 160 000 habitants.
Dans le domaine des matériaux de construction, une nouvelle étude réalisée conjointement par l’Université de Genève (UNIGE) et le Sustainable Minerals Institute (SMI) de l’Université du Queensland, vient de montrer qu’un changement radical dans le traitement des minéraux pourrait réduire considérablement les déchets miniers – le plus grand flux de déchets au monde – tout en créant une source durable de sable (Voir The University of Queensland). Appelé "ore-sand", ou "sable de minerai", ce matériau se compose de petites particules minérales et pourrait largement se substituer au sable naturel, extrait en quantité phénoménale des mers, plages, lacs, rivières et carrières de roche. On estime que 50 milliards de tonnes de sable sont utilisées chaque année dans le monde et cette demande a triplé depuis 20 ans, en raison de l’urbanisation et de la croissance démographique.
Cette extraction massive de sable a des conséquences de plus en plus néfastes sur le plan environnemental et sociétal. Elle entraîne notamment l’érosion des berges des rivières, ce qui augmente considérablement le risque d’inondation. L’étude souligne que l’ore-sand peut permettre de réduire considérablement la quantité de sable prélevée dans le milieu naturel. Daniel Franck, responsable de ce projet au sein du SMI, estime que ce sable de minerai pourrait permettre de relever simultanément deux défis mondiaux en matière de durabilité, d’une part, réduire considérablement le volume des déchets générés ; d’autre part, créer une source de sable responsable. Ces recherches montrent qu’une grande partie du flux de matériaux qui se retrouvent dans les résidus miniers peut être utilisée comme substitut du sable de construction, à l’instar du béton recyclé.
La cartographie fine des sites miniers du monde entier, associée à la modélisation de la consommation mondiale de sable, a montré qu’un tiers des sites miniers peut trouver au moins une demande d’ore-sand dans un rayon de 50 km, de quoi réduire d’au moins 10 % le volume de résidus générés sur chaque site. Par ailleurs, ce travail montre que la moitié du marché mondial du sable, en volume, pourrait trouver une source locale de sable. En outre, l’analyse du cycle de vie de ce substitut montre que le remplacement du sable d’origine naturelle par ce nouveau matériau peut entraîner une réduction considérable des émissions de carbone pendant la production du sable.
Dans le domaine de la production des matières plastiques, qui a plus que triplé en 20 ans (passant de 150 à 350 millions de tonnes par an), des avancées majeurs sont également en cours, tant en matière de plastiques biosourcés que de recyclage durable des plastiques existants. En France, la firme Lactips a par exemple développé un plastique biosourcé, qui peut être associé à des fibres de papier ou de carton, ce qui donne un produit final entièrement recyclable et compostable. La société Lactips a été créée en 2014 par la plasturgiste Marie-Hélène Gramatikoff et un enseignant-chercheur de l'Université de Saint-Étienne, Frédéric Prochazka. La ligne de production de cette société se trouve à Saint-Paul-en-Jarez, à environ 40 km au sud de Lyon. Elle offre des solutions de production d'emballages en papier sans plastique ni d’ailleurs aucune autre substance néfaste pour l’environnement. Pour parvenir à produire de manière industrielle ce plastique qui ne provient pas du pétrole ou du gaz naturel, Lactips a développé un procédé unique au monde qui repose sur l’emploi d'une protéine naturelle : la caséine, qui constitue la majeure partie des composants azotés du lait des mammifères. Ce plastique biologique est non seulement réutilisable mais également soluble dans l'eau. Pourtant, ce matériau de Lactips reste un véritable plastique sur le plan chimique, puisque sa structure moléculaire est bien celle d’un polymère. Mais, à la différence des autres plastiques issus de matières fossiles, ce bioplastique écologique est intrinsèquement non-polluant et totalement biodégradable.
Une autre entreprise française fait beaucoup parler d’elle, la société clermontoise Carbios, qui a réussi à s’imposer comme le leader mondial du développement de solutions enzymatiques dédiées au retraitement des polymères plastiques et textiles. En partenariat avec la société thaïlandaise Indorama Ventures, spécialiste de la production de PET (Polyéthylène téréphtalate), Carbios va construire, sur son site de production de Longlaville en Meurthe-et-Moselle, une usine de retraitement unique au monde, d’une capacité de traitement de 50 000 tonnes de déchets PET par an, soit l’équivalent de 2 milliards de bouteilles. Rappelons qu’en juin 2021, le Consortium, réunissant Carbios, L’Oréal, Nestlé Waters, PepsiCo et Suntory Beverage & Food Europe, avait créé l’événement, en produisant avec succès les premières bouteilles en PET, de qualité alimentaire, entièrement fabriquées à partir de plastique recyclé par voie enzymatique. Le procédé tout à fait remarquable de catalyse biologique mis au point par Carbios, en coopération avec le CNRS et l’Université de Poitiers, est le seul au monde à permettre un recyclage à l’infini de tous types de déchets en PET ainsi que la production de produits PET 100 % recyclés et 100 % recyclables, sans perte de qualité. Grâce à l’ensemble de ces innovations récentes, et au nouveau cadre européen très volontariste qui se met en place, le taux de recyclage du plastique, qui est aujourd'hui d'à peine 25 % en France, devrait rejoindre dans dix ans celui du papier-carton, environ 70 %.
Dans le domaine du textile, un secteur dont la production a doublé depuis 20 ans (100 milliards de vêtements vendus par an), et qui émet 1,2 gigatonne de CO2 chaque année, la société Evrnu vient d’annoncer le lancement de son premier matériau lyocell recyclable haute performance, entièrement fabriqué à partir de déchets textiles de coton. Cette fibre utilise les déchets textiles de coton comme seule matière première. Elle se veut une alternative viable aux matériaux cellulosiques et plastiques et ouvre la voie à une recyclabilité massive et rentable des produits. Non seulement cette fibre utilise des déchets textiles de coton qui finiraient autrement à la décharge, mais elle peut remplacer directement 90 % des fibres textiles actuelles, y compris le coton, les fibres cellulosiques artificielles, le nylon et le polyester. L'Europe a présenté, fin mars, sa stratégie qui vise à rendre les textiles plus durables, réutilisables et recyclables d'ici 2030 et à réduire drastiquement la production de déchets textiles qui représentent plus de 6 millions de tonnes chaque année, soit l'équivalent de 11 kg par personne. La Chine a également bien compris l’enjeu économique et commercial que représente le recyclage du textile. Elle vient d’annoncer, il y a quelques jours, qu’elle allait passer de 20 à 25 % de taux de recyclage pour ses fibres textiles (22 millions de tonnes par an), dès 2025, à la fois en développant la production des textiles écologiques à faible empreinte-carbone, et en améliorant son vaste réseau de recyclage existant.
Dans le domaine des transports et de la mobilité, Continental est le premier fabricant de pneus à avoir lancé, fin 2021, la production de fil de polyester recyclé obtenu à partir de bouteilles en plastique PET selon un nouveau procédé. Le nouveau matériau haute performance sera d’abord utilisé pour les pneus été Contiental PremiumContact 6. Ce nouveau matériau recyclé remplacera complètement le polyester conventionnel dans la carcasse des pneus sélectionnés. Les bouteilles utilisées par Continental sont triées et nettoyées mécaniquement. Après le broyage mécanique, le PET est ensuite transformé en granulés et finalement filé en fil de polyester. Fort de ce succès, Continental vise à présent 100 % de pneus recyclables et durables en 2050.
Dans le domaine en plein essor des véhicules électriques, Eramet a développé, avec Suez, un procédé innovant de recyclage des batteries lithium-ion. Le groupe français va démarrer la construction d’une usine pilote à Trappes (Yvelines), avant de passer à la production industrielle. Grâce à son nouveau procédé, Eramet peut à présent récupérer le cobalt, le lithium et le nickel des batteries des véhicules électriques. Le substrat obtenu après le broyage des cellules de batteries sera traité par hydrométallurgie dans le centre de recherche d’Eramet Ideas à Trappes (Yvelines). Depuis trois ans, le groupe minier collabore avec Suez et BASF pour mettre au point un procédé innovant afin de recycler en boucle fermée le nickel, le cobalt, le manganèse et le lithium contenus dans les batteries lithium-ion des véhicules électriques. Ce projet de recherche ReLieVe, s’est achevé fin 2021 avec succès. Les industriels ont annoncé qu’ils étaient parvenus à extraire et purifier les métaux critiques à un niveau de pureté compatible avec une réutilisation dans de nouvelles batteries automobiles. Eramet compte à présent installer une usine pilote à Trappes, sur le site de son centre de recherche, afin de tester à l’échelle pré-industrielle à partir de 2023 son procédé de raffinage.
Alors que la durée de vie des batteries est estimée entre 10 et 15 ans, et tend à s’allonger, l’Europe devrait pouvoir utiliser les rebuts de la trentaine de gigafactories européennes prévues à l’horizon 2026 pour alimenter cette nouvelle filière performante de recyclage qui va s’inscrire dans le nouveau cadre de la directive européenne, actuellement en cours d’adoption, qui fixe des objectifs de collecte et de réemploi des matières recyclées dans les batteries électriques à partir de 2025. Avec cette nouvelle réglementation, l’UE souhaite que le poids de la batterie recyclée passe de 45 % à 65 % en 2025, puis 70 % en 2030. Cela suppose un taux de récupération de 90 % du cobalt, du manganèse et du nickel des cathodes…
Outre-Rhin, le constructeur allemand Mercedes a annoncé récemment la mise en place d’un processus de recyclage des batteries de ses voitures électriques et la récupération d’au moins 96 % des matériaux. Mercedes a lancé un ambitieux programme concernant le recyclage des batteries. La marque construit actuellement une usine pour récupérer les métaux précieux des batteries lithium par hydrométallurgie. Mercedes veut construire sa première usine de recyclage de batteries sur le site de Kuppenheim. Pour développer à l’échelle industrielle ses nouvelles techniques de recyclage, Mercedes collabore étroitement avec l’Institut de recherche de Karlsruhe et les Universités de Clausthal et de Berlin. Cette usine de Kuppenheim devrait être opérationnelle en 2023 et sera d’abord dévolue au recyclage des batteries, puis au traitement hydrométallurgique des matériaux des batteries pour récupérer les métaux précieux et les terres rares. L’usine aura une capacité annuelle suffisante pour produire plus de 50 000 modules destinés aux futures voitures de la famille EQ.
On le voit, c’est bien une transition majeure vers l’économie circulaire, à production continue de valeur ajoutée tout au long du cycle de vie des biens et produits, qui est en train de se mettre en place, bien plus vite que prévu, dans de multiples secteurs d’activités, énergie, matériaux, textiles, transport.
D’ici une vingtaine d’années, cette économie circulaire se sera généralisée au niveau planétaire et deviendra la norme en matière de conception, de production et de réutilisation. A l’horizon 2050, cette économie de la valorisation et de la transformation intelligentes, moteur très bénéfique et puissant d’innovation et d’amélioration de nos conditions de vie, permettra à la fois de diminuer de moitié la quantité de matière de d’énergie nécessaire pour "alimenter" nos économies, de multiplier par deux l’efficacité productive et de diviser par quatre nos émissions globales de gaz à effet de serre, objectif plus que jamais indispensable pour l’Humanité, si nous voulons contenir le changement climatique en cours dans des limites supportables pour les générations futures…
René TRÉGOUËT
Sénateur honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat
e-mail : tregouet@gmail.com
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- Publié dans : Climat
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