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Edito : Les ondes sonores : un nouvel outil incroyablement puissant qui va s’imposer partout…

Connu depuis presque un siècle, le phénomène de lévitation acoustique repose sur l’utilisation de haut-parleurs produisant des ondes sonores inaudibles à l’oreille humaine. Orientés avec précision, les haut-parleurs créent des faisceaux d’ultrasons qui interfèrent les uns avec les autres. Au centre de ce dispositif, on peut alors observer l’apparition d’un état étrange, appelé "onde stationnaire". A ce point précis, la pression acoustique peut devenir assez forte pour annuler les effets de la gravité, et soulever, puis maintenir en sustentation dans l’air, un petit objet correctement placé. Le concept de lévitation acoustique ne date pas d’hier, puisque les premières expériences de lévitation acoustique, effectuées par les chercheurs allemands Karl Buck et Hans Muller, remontent à 1933 ! En 1975, la NASA, dans le cadre de ses recherches sur la pesanteur, avait expérimenté cette technologie en générant des ondes sonores stationnaires générées par des haut-parleurs.

En 2014, des chercheurs japonais de l’Université de Tokyo (Yoichi Ochiai, Takayuki Hoshi et Jun Rekimoto) ont réalisé une avancée majeure dans ce domaine. En focalisant des faisceaux d’ultrasons, ils sont parvenus à inventer un système de lévitation acoustique leur permettant de faire entrer des particules ou des petits objets (composants électroniques) en lévitation et de les déplacer à volonté dans un espace en trois dimensions (Voir PLOS ONE).

En 2016, une équipe du CNRS a réussi, pour sa part, à utiliser la lévitation acoustique pour piéger et déplacer une bille de polystyrène d’une centaine de micromètres de diamètre via un unique faisceau ultrasonore progressif et focalisé. En 2018, l’équipe d' Asier Marzo, chercheur à l'Université de Bristol, a mis au point au point un nouvel appareil de lévitation acoustique qui a permis, en utilisant des ultrasons de 40 kHz, pour la première fois, de bloquer et stabiliser dans les airs un objet de taille significative, une balle d'environ 2 cm de diamètre.

En décembre 2019, des chercheurs du Massachusetts Institute of Technology (MIT) sont parvenus à réaliser une échographie laser en détectant à distance les ultrasons à la surface de la peau (Voir Nature). Cette nouvelle technique permet d’obtenir des images de l’intérieur de l’organisme, sans contact avec le corps, et à distance. Il suffit d’approcher la sonde à ultrasons de la surface de la peau pour générer une image du site visé. La sonde émet des ondes sonores dans les différents types de tissus, muscles, graisse, os, vaisseaux sanguins, et ceux-ci vont alors réfléchir de manière spécifique ces ondes vers la sonde, qui peut produire ainsi une image ultrasonore.

Expérimentée avec succès sur l’homme, ce système a montré que les ultrasons-laser sont sensibles aux mêmes propriétés physiques des tissus que ceux détectés par les ultrasons conventionnels. Comme le souligne Brian W. Anthony, chercheur au département de génie mécanique du MIT(IMES), « Nous commençons juste à explorer tout ce que nous pourrions faire avec l'échographie laser, et dans un futur proche, nous pourrons faire à distance tout ce que l'échographie peut faire maintenant. Concrètement, cela veut dire qu’il deviendra possible de voir les organes à l'intérieur du corps et de déterminer les propriétés des tissus profonds, sans entrer en contact avec le patient ».

En 2020, d’autres chercheurs du CNRS, associés à leurs collègues de l’Université technologique de Delft (Pays-Bas) ont démontré, en déplaçant une microbulle à l’aide d’un vortex acoustique, qu’il était possible d’utiliser ces pinces acoustiques en biologie et biomédecine, pour le largage ultra-localisé, reproductible et contrôlé de médicaments ou pour l’ingénierie de tissus in vitro à partir de cellules souches (Voir CNRS). Toujours en 2020, des chercheurs de l’Université de Washington, à Seattle ont réussi, à l’aide d’un vortex créé par un ensemble de 256 émetteurs d’ultrasons, à manipuler des billes de 3 mm dans une vessie de porc, sans dommages collatéraux.

Ces pinces optiques – qui permettent de faire léviter et de déplacer d’infimes particules sans contact, au moyen de lasers – sont déjà utilisées aujourd’hui dans le domaine des nanotechnologies et le développement de produits pharmaceutiques. Il est vrai que les ondes sonores ont un champ d’application plus étendue que celui des ondes lumineuses, car elles peuvent être utilisées sur une gamme plus large d’objets et de matériaux, de plus grande taille (jusqu’à l’échelle millimétrique). Elles sont en outre sans danger pour les cibles biologiques. Concrètement, l’objet à manipuler subit la force de rayonnement acoustique exercée par les ondes sonores, qui le déplace vers une région spécifique du champ acoustique. Mais pendant très longtemps, faute de matériau adéquat et de logiciels suffisamment puissants, il était très difficile de produire un «piège» d’ondes sonores fiable et durable et de contrôler avec précision des transducteurs à ultrasons en temps réel pour obtenir le champ acoustique adéquat.

En juin dernier, des chercheurs japonais de l’Université métropolitaine de Tokyo ont présenté une nouvelle technologie de manipulation sans contact, également basée sur les ondes sonores : leur dispositif repose sur une coupelle de 12cm qui supporte un réseau hémisphérique de transducteurs à ultrasons multicanaux. La phase et l’amplitude des ondes sonores de chaque canal est contrôlable de manière à piéger et soulever une bille de polystyrène reposant sur une surface réfléchissante (Voir IOP Science). C’est la première fois que des scientifiques parviennent à manipuler un objet sans contact à partir d’une surface réfléchissante.

Leur technique repose sur l’organisation des transducteurs en différents blocs, constituant in fine un réseau global, plus simple à contrôler que chaque transducteur pris séparément. Ces chercheurs ont donc conçu un réseau hémisphérique divisé en huit blocs et la polarité de la moitié des transducteurs de chaque bloc a été inversée. En utilisant un filtre inverse pour reproduire les sons en fonction de la forme d’onde acoustique, ces scientifiques ont pu optimiser la phase et l’amplitude de chaque canal de transducteur, de manière à produire exactement le flux d’ondes acoustique souhaité. C’est ainsi que ces chercheurs ont pu déplacer de manière très précise la bille de polystyrène piégée dans ce champ acoustique.

La grande innovation présentée par ces chercheurs réside dans l’optimisation de la phase et de l’amplitude de chaque canal, à l’aide de la méthode de reproduction sonore avec filtre inverse. Grâce à cette nouvelle approche, il est possible de créer un seul piège et il n’est plus nécessaire que le réseau de transducteurs et l’objet cible soient proches. Cette technique pourrait trouver de multiples applications dans les domaines des nanotechnologies et de l’ingénierie dans l’industrie pharmaceutique.

Il y a un an, une autre étape décisive a été franchie, quand une équipe française dirigée par Michael Boudoin et Jean-Louis Thomas, associant l’Institut d'électronique, de microélectronique et de nanotechnologie et de l’Institut des nanosciences de Paris, a réussi à contrôler la création d’une structure d'onde acoustique particulière – un vortex (des ondes sonores tournant autour d’un axe central), ce qui a permis de déplacer une à une des cellules de cancer du sein sous un microscope. Autre prouesse à relever, le dispositif produisant ce vortex a été suffisamment miniaturisé pour tenir sur une puce de 3 mm de diamètre, qui peut être facilement intégrée à un microscope standard. Il devient alors possible de manipuler et de déplacer avec une précision extrême des cellules vivantes, sans les détériorer.

Dans sa version actuelle, cette nouvelle pince acoustique produit déjà une force dix fois plus élevée qu'une pince optique, en utilisant une puissance dix fois moindre. Mais ces chercheurs pensent qu’il est possible d’améliorer les performances de cette "pince", ce qui ouvrirait la voie à des manipulations en 3D en biologie, impossibles à réaliser par d’autres techniques. À plus long terme, ces scientifiques visent rien moins que la mise au point d’un "modulateur spatial à ultrasons", calqué sur le modulateur optique, qui pourra déplacer en même temps, et toujours de manière individuelle, des dizaines de cellules. On imagine sans peine l’intérêt d’un tel dispositif pour la recherche biologique…

Début 2020, une autre équipe de l’EPFZ (Ecole Polytechnique Fédérale de Zurich), a mis a point un robot muni d’une pince acoustique, capable d’émettre des ondes ultrasoniques pour déplacer de petits objets sans les toucher (Voir ETH Zurich). Composé de deux demi-sphères renfermant plusieurs petits haut-parleurs (chacune modelée avec une imprimante 3D), ce prototype se fonde également sur l’utilisation de la lévitation acoustique. Contrairement aux robots actuels, dotés de pinces, qui sont limités par la taille et la forme des pièces qu’ils doivent saisir, ce robot Jedi présente le grand l’avantage de pouvoir déplacer des objets de toutes formes, grâce à son logiciel lui permettant d’adapter les ondes qu’il émet aux dimensions de la pièce à déplacer. Selon son inventeur, Marcel Schuck, il pourrait être utilisé par exemple pour manipuler et déplacer de manière non-destructive toutes sortes de petites pièces dans l’industrie des semi-conducteurs, ou encore des tissus ou cellules biologiques.

Ce remarquable dispositif a été développé dans le cadre du projet "Touch Robotics", dirigé par ce chercheur, et qui vise à dépasser les limites intrinsèques liées à la préhension physique et mécanique par des pinces robotisées (risques d’altération ou de contamination de l’objet, complexité liée au changement des pinces en fonction de l’objet à manipuler). Avec ce système de préhension acoustique robotisé, il n'est même plus nécessaire que le bras du robot lui-même soit d’une grande précision, car le positionnement exact va dépendre des ondes acoustiques, superposées et contrôlées par le logiciel, qui vont venir piéger l’objet, et permettre sa manipulation fine.

Ce contrôle de plus en plus fin de la lévitation acoustique a ouvert récemment un immense champ d’applications scientifiques, médicales et industrielles, qui n’est pas prêt de se refermer. Des laboratoires de l’industrie pharmaceutique développent déjà la technique de lévitation acoustique afin de créer des médicaments dits "amorphes", c’est à dire faiblement dosés, plus facilement assimilables par l’organisme et aussi efficaces que les médicaments classiques, mais avec moins d’effets secondaires. Dans ce cas précis, l’absence de contact avec l’environnement devient un avantage décisif, qui permet de créer ces médicaments amorphes sans modifier leur structure moléculaire.

Il y a quelques semaines une startup israélienne, Noveto, a créé l’événement lors du dernier Consumer Electronic Show de Las Vegas, en dévoilant ses écouteurs virtuels, qui n’ont plus besoins de supports physiques pour fonctionner et produire le message sonore. Cette innovation, baptisée Noveto N1, qui a fait sensation, fonctionne en envoyant un faisceau dirigé d’ondes ultrasonores directement autour du système auditif de l’utilisateur, qui est le seul à pouvoir entendre le message sonore ainsi véhiculé (Voir Youtube). Ce dispositif révolutionnaire est couplé à un logiciel d’IA qui gère des capteurs de reconnaissance faciale. Cet ensemble technologique peut suivre le mouvement de la tête pour adapter automatiquement la direction des faisceaux ultrasonores. Selon Noveto, l’appareil peut monter jusqu’à 85 décibels. Au-delà d’un mètre de distance autour de l’utilisateur, le volume sonore diminue de 90 %. Le système peut se connecter à d’autres appareils via une clé USB, le Wifi, ou le Bluetooth.

En 2019, une autre équipe internationale, composée de chercheurs de l’Université du Sussex, à Brighton, et de Tokyo a réussi une véritable prouesse technique, en manipulant de manière extrêmement rapide (4 m/s) et précise une petite bille blanche d’un millimètre de diamètre afin de créer des animations 3D de quelques dizaines d’images par seconde, assez rapides pour tromper l’œil humain (Voir NIH).

Enfin, en octobre dernier, une équipe internationale associant des chercheurs des Universités de Nanjing et Madrid, a présenté une nouvelle innovation majeure, le laser sonique topologique, ou Saser (Sound Amplification by Stimulated Emissions of Radiations). Il s’agit du premier laser sonore, de haute précision, doté d’un faisceau stable dans le temps et insensible aux obstacles qui pourraient surgir sur son chemin. Pour parvenir à cette prouesse, les scientifiques sont parvenus, en utilisant un treillis composés de petits cylindres imprimé en 3D et recouverts d’une gaine de nanotubes de carbone, à générer une onde acoustique cohérente. Mais il y a mieux : les chercheurs ont réussi pour la première fois à conférer à cette onde, composée de phonons (les équivalents acoustiques des photons en optique), une "protection topologique" forte, qui la rend particulièrement stable et résistante. Le secret de ce "Saser", équivalent sonore du Laser, est d’associer de manière ingénieuse le concept de protection topologique et la physique des matériaux dits "non-hermitiques", c’est-à-dire capables d’associer une onde à un flux extérieur qui va la stabiliser.

Ce Saser devrait avoir, à terme, une foule d’applications dans de multiples domaines, défense, médecine, pharmacie, industrie, loisirs…Il pourrait par exemple permettre de générer et de transmettre sur de longues distances, des faisceaux sonores ultra-focalisés qui ne seraient audibles que par leur destinataire, et seraient très difficiles à intercepter. Ce Saser devrait également permettre la démocratisation des "hologrammes haptiques", qui sont des interfaces virtuelles en 3D permettant de commander de manière simple et intuitive n’importe quelle machine, ou appareils, sans avoir besoin de les toucher physiquement, ce qui constituerait une grande avancée en chirurgie robotisée, par exemple, ou encore dans l’industrie, pour le contrôle des machines-outils, ou dans les transports, pour le pilotage intuitif des voitures, trains ou avions…

On le voit, les extraordinaires progrès accomplis depuis quelques années dans ce domaine en pleine effervescence des ondes sonores, allant de la lévitation acoustique au Saser, ouvre la voie vers des innovations de rupture qui vont apparaître avant 10 ans dans notre vie quotidienne. Nous ne pouvons que nous réjouir que la France soit en pointe dans ces recherches qui s’effectuent aux confins de plusieurs disciplines, physique, chimie, sciences des matériaux, mathématiques, informatique…Alors que la maîtrise et l’utilisation sophistiquée des ondes sonores, et de leur incroyable potentiel, est en train de devenir un enjeu technologique, industriel et économique majeur, il faut souhaiter que notre pays accentue son effort de recherche, publique et privée, dans ce domaine stratégique qui sera, avant la fin de cette décennie, un puissant moteur d’innovation et de compétitivité.

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

e-mail : tregouet@gmail.com

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