Edito : Les ondes lumineuses et sonores sont en train de révolutionner la science et la médecine
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Aujourd'hui, je vais brièvement évoquer une double révolution scientifique en cours, celle de la diffusion et de l'utilisation nouvelle des ondes sonores, mais aussi lumineuses, dans l'ensemble des champs du savoir, énergie, télécommunications, informatique, médecine, neurosciences. Je commence par la lumière. En 1678, le grand scientifique hollandais Christian Huygens publie sa théorie ondulatoire de la lumière, qui marque la naissance de l'optique. En 1865, James Clerk Maxwell, génial physicien écossais disparu trop tôt à l'âge de 48 ans, qui était le modèle d’Einstein (né l'année du décès de Maxwell, en 1879), intégra l’ensemble des phénomènes connus concernant les charges électriques et les champs magnétiques dans une extraordinaire théorie unifiée de l’électromagnétisme, qui allait profondément changer notre vision du monde, de la matière et de l'énergie. Cette théorie prévoit notamment qu’il est possible de créer des ondes électromagnétiques, c’est-à-dire de produire et de propager des champs électriques et magnétiques oscillant dans l’espace et dans le temps. Maxwell réussit l'exploit de calculer la vitesse de propagation de ces ondes à l’aide des constantes connues qui régissent l’électricité et le magnétisme : il trouva ainsi une vitesse proche de la vitesse de la lumière qu’avait déterminée en 1851, dans une expérience mémorable, le grand physicien français Hippolyte Fizeau. Maxwell fit l'hypothèse que la lumière était elle-aussi une onde électromagnétique qui se propageait dans l’espace, une hypothèse qui fut confirmée par les expériences d'Heinrich Hertz (qui a laissé son nom à la mesure de fréquence des ondes) en 1886.
Soixante deux ans plus tard, Arthur Schawlow et Charles Townes publiaient, en 1958, un article qui jette les bases théoriques du laser (amplification de lumière par émission stimulée de radiation). Et en 1960, un bricoleur de génie, Theodore Maiman, fabriqua dans son garage le premier laser en utilisant un barreau de rubis, sans se douter que son invention allait se diffuser dans l'ensemble des champs scientifiques et techniques. Et le fait est que le laser, après s'être imposé dans l’industrie, le numérique et les télécommunications, est devenu, plus récemment, un outil thérapeutique incontournable et polyvalent dans le domaine médical. Dans le traitement du cancer de l'ovaire par exemple, une maladie redoutable à cause du fort risque de métastases, des chercheurs du CNRS, de l'Université de Lorraine, de l'Inserm, du CHU de Lille, ont mis au point une nouvelle forme de thérapie ciblée, appelée thérapie photodynamique (PDT), pour traiter ces métastases péritonéales d'origine ovarienne (Voir Science Direct). Concrètement, il s'agit d'une molécule capable, sous l'effet de la lumière, de se fixer spécifiquement sur les métastases péritonéales et de les détruire en les oxydant.
En Suisse, des biologistes et chimistes de l’Université de Genève (UNIGE) ont réussi à mettre au point un outil qui permet de déclencher l'activation d’une molécule par une brève impulsion lumineuse. Ce procédé a été expérimenté avec succès sur une protéine essentielle à la division cellulaire et pourrait être étendu à de nombreuses autres molécules, ouvrant de grandes perspectives, tant pour la recherche fondamentale que pour la conception de nouveaux traitements contre les cancers. Le système développé par les scientifiques de l’UNIGE permet de contrôler, dans le temps et l'espace, l’activité d’une molécule dans un organisme vivant grâce à la lumière. Cette découverte devrait permettre, à l'aide d'un simple laser, d'administrer un traitement exactement à l'endroit ciblé et au moment choisi, limitant ainsi considérablement les effets secondaires (Voir UNIGE).
Aux États-Unis, des chercheurs du Penn State College of Medicine, dirigés par Nikolay Dokholyan, ont découvert récemment que, lorsqu'elles sont exposées à la lumière bleue, certaines cellules changent de forme et peuvent alors pénétrer dans les tumeurs solides pour les tuer. Ces scientifiques ont mis au point un traitement utilisant la lumière bleue, capable de contrôler la structure et la forme des cellules de notre organisme, à l’aide d’une protéine, afin de lui donner cette capacité de destruction ciblée de tumeurs solides. Testée sur des souris, cette nouvelle approche a permis aux cellules immunitaires activées par la lumière de pénétrer et de tuer les cellules tumorales en seulement une semaine (Voir PNAS).
Le professeur Stephan Chabardes, neurochirurgien à Clinatec (Grenoble), a présenté, en septembre dernier, lors du 20e congrès mondial de neurochirurgie stéréotaxique et fonctionnelle de Chicago (WSSFN), des résultats inédits, obtenus en utilisant de la lumière dans le spectre du proche infrarouge chez des patients atteints de la maladie de Parkinson. On le sait, cette maladie neurologique est causée par un déficit de production de dopamine ; ces chercheurs ont découvert que la lumière infrarouge, acheminée par fibre optique, via un boîtier laser implanté en surface du crâne, dans le cerveau, agissait sur les photorécepteurs des mitochondries des cellules de la substance noire, cellules qui sont progressivement détruites lors de la progression de la maladie. « Ces cellules semblent comme revigorées par cette énergie lumineuse, et se remettent à produire de la dopamine », explique le professeur Chabardes. L'essai clinique présenté a été effectué en double aveugle sur douze personnes au stade précoce de la maladie. La moitié des patients était stimulée par infrarouge tout en recevant un traitement oral de L-dopa, l'autre moitié ne prenait que les médicaments. Les résultats sont très encourageants et se traduisent à la fois par une stabilisation de la maladie et par une restauration partielle de la production de dopamine.
Cette maîtrise de plus en plus fine des propriétés de la lumière est également à l'origine de remarquables avancées dans le domaine d'avenir des communications spatiales de longue distance. La Nasa a réussi, il y a quelques mois, à établir une liaison laser sur une distance incroyable de 466 millions de kilomètres, soit presque le double de la distance moyenne entre la Terre et Mars. Cet essai a permis d'atteindre un débit de données en liaison descendante de 6,25 mégabits par seconde, avec un débit maximal de 8,3 mégabits par seconde. Un tel débit est bien supérieur à celui permis par un système de communication par radiofréquence sur la même distance. En fait, cet essai a montré que la transmission laser peut transporter des données à des vitesses jusqu’à 100 fois supérieures à celles des radiofréquences. Ce gain de débit considérable est un atout majeur pour les futures missions spatiales habitées, vers Mars et au-delà (Voir NASA).
Dans le domaine de la défense, et plus précisément de la défense anti-aérienne et anti-drone, un enjeu crucial, comme le montre le conflit en Ukraine où les drones de reconnaissance et de combat ont pris une importance considérable, l'armée britannique a testé avec succès, il y a quelques mois, sa première arme-laser. Baptisée DragonFire, cette arme compacte, maniable et bon marché est d’une précision redoutable et peut cibler une pièce de monnaie à un kilomètre. Au cours des essais en Écosse, les militaires britanniques ont réussi à abattre des drones avec une précision inégalée. Autre avantage de cette nouvelle arme à faisceau d'énergie dirigé, son coût unitaire est très faible, de l'ordre d'une dizaine d'euros par tir, ce qui est sans comparaison avec le prix très élevé des munitions et missiles anti-drones actuellement utilisés. Ce nouveau système de défense devrait être mis en service à partir de 2029 et équipera, dans un premier temps, les frégates les plus récentes. La France a également développé un système d'arme à faisceau d’énergie lumineuse, avec son projet HELMA-P (Laser haute énergie à applications multiples-puissance) piloté par l’entreprise française Compagnie Industrielle des LASers (CILAS).
A côté des ondes lumineuses, les ondes sonores et notamment les ultrasons de différentes fréquences, sont également en train de révolutionner de nombreux domaines, à commencer par la médecine. Rappelons que c'est Pierre Curie qui a théorisé, en 1880, la piézo-électricité permettant de générer des ultrasons à partir d’un courant électrique. En 1910, son élève Paul Langevin inventait le premier système émetteur et récepteur d’ultrasons, qui trouvera une utilisation militaire très utile pendant la Seconde Guerre mondiale : le sonar, permettant de repérer les sous-marins ennemis. En 1957, deux Britanniques, l'ingénieur Tom Brown et le gynécologue Ian Donald, inventèrent la première sonde échographique, faisant entrer les ultrasons dans le domaine médical, sans se douter que ces ondes particulières seraient, presque 70 ans plus tard, à l'origine d'une vraie révolution thérapeutique dans de multiples champs médicaux.
En août dernier, une première mondiale a été réalisée à L'hôpital Edouard-Herriot de Lyon, où des chercheurs et médecins ont présenté une technique de pointe pour soigner le cancer de la prostate. Basée sur l'utilisation d'ultrasons, cette nouvelle technologie représente une alternative aux thérapies conventionnelles, telles que la chirurgie et la radiothérapie. L'hôpital Edouard Herriot de Lyon, en collaboration avec l'Inserm et l'entreprise vaudaise Edap TMS, a conçu un outil très innovant, le Focal One. Ce système intègre trois fonctions complémentaires : IRM, échographie 3D et ultrasons focalisés. Avec le Focal One, les médecins peuvent cibler de manière très précise la tumeur, sans toucher au reste de la prostate. « Contrairement aux traitements standards où l'ensemble de l'organe est affecté, cet outil permet de ne traiter que la région de la tumeur touchée par la maladie, ce qui réduit sensiblement les risques d'impuissance et d'incontinence », souligne le Docteur Alain Gelet du service d'urologie de l'hôpital Edouard-Herriot. Une intervention avec cet outil se passe sous anesthésie locale et dure de 30 minutes à 2 heures. La tumeur est d'abord repérée avec précision, à l'aide de l'IRM et de l'échographie 3D. Ensuite, les médecins utilisent le Focal One pour procéder à des “tirs” d'ultrasons de haute intensité (entre 80 et 100°) sur la zone ciblée. Cette brusque élévation de température provoque la destruction instantanée et définitive de la tumeur.
Outre-Atlantique, des chercheurs de l'Université du Michigan ont développé un nouveau traitement à base d'ultrasons contre le cancer du foie. Baptisée histotripsie, cette technique très efficace génère des impulsions ultrasonores de forte intensité, qui vont produire des petites bulles dans le tissu tumoral. Ce mécanisme ingénieux permet de tuer les cellules cancéreuses et de réduire la tumeur. Cette nouvelle technique permet en outre de stimuler le système immunitaire et de réduire le risque de métastases. L'étude précise que « Même avec une ablation partielle, une régression tumorale locale complète a été observée chez 81% des rats traités, sans récidive ni métastase ».
En France, la société Harmonix a décidé de s’attaquer au défi que constitue l'acheminement de médicaments dans le cerveau et le contournement de la barrière hémato-encéphalique. Sous l’effet d’ultrasons, des microbulles sont générées et leurs vibrations vont permettre d'ouvrir temporairement cette fameuse barrière protectrice et d'acheminer les molécules thérapeutiques directement dans le cerveau. Comme le souligne Delphine Galezowski, cofondatrice d’Harmonix, « Les applications de cette technologie sont immenses et couvrent aussi bien les cancers du cerveau qu'Alzheimer, ou Parkinson ». Harmonix travaille sur les premiers tests afin d'évaluer l’efficacité de sa technique dans le traitement du glioblastome, une tumeur cérébrale qui reste difficile à soigner. L'idée est d'encapsuler des acides nucléiques (ASO), puis de les délivrer directement dans les régions du cerveau, touchées par la tumeur (Voir CNRS Innovation).
En Australie, à l’hôpital universitaire de la Gold Coast, des chercheurs ont développé un nouvel outil de traitement par ultrasons destiné à soigner Parkinson. Neville Waterstrom, un Australien âgé de 74 ans, est atteint de cette maladie neurodégénérative qui lui provoque des tremblements violents depuis 30 ans. Mais depuis qu'il a bénéficié d'une intervention réalisée à l'aide d’ultrasons, sa vie a complètement changé. Quelques jours après l'opération, il a pu saisir des objets quotidiens sans trembler. Cette technique, qui commence également à être utilisée en France, consiste à faire converger un faisceau d’ultrasons pour cibler une région du cerveau impliquée dans la maladie de Parkinson. Autre avantage, cette opération non-invasive se fait dans une machine IRM, sans hospitalisation (Voir Gold Coast).
La maladie d'Alzheimer, qui reste à ce jour incurable, même si de nouveaux médicaments peuvent la ralentir, pour certains malades, pourrait également bénéficier de ces nouveaux outils à base d'ultrasons. Une équipe du Rockefeller Neuroscience Institute (RNI) de l’Université de Virginie-Occidentale a montré qu'un traitement combinant des anticorps et des ultrasons permettait, au bout de six mois, d’accélérer de 32 % l’élimination de l’accumulation de plaques amyloïdes dans le cerveau des personnes touchées par la pathologie neurodégénérative (Voir The Associated Press). Ce potentiel des ultrasons contre Alzheimer a été confirmé par des travaux coréens de l’hôpital universitaire Anam, en Corée du Sud, qui ont montré que l’utilisation d’ultrasons focalisés pourrait réduire efficacement les plaques amyloïdes dans le cerveau de patients atteints de la maladie d’Alzheimer. L’étude a porté sur six femmes âgées de 50 à 85 ans diagnostiquées avec la maladie d’Alzheimer. Ces patientes ont bénéficié de trois séances d’ouverture de la barrière hémato-encéphalique à des intervalles de deux mois, à l’aide du système d’échographie focalisée de faible intensité à 220 kHz. A l'issue de cette expérimentation, les médecins ont constaté des améliorations sensibles des symptômes chez ces patientes.
En Grande-Bretagne, le service de santé britannique (NHS) a conçu une interface à ultrasons permettant de moduler l’activité cérébrale dans des zones spécifiques pour traiter des pathologies telles que la toxicomanie, la dépression ou encore les troubles obsessionnels compulsifs (TOC). Un premier essai clinique, destiné à évaluer la sécurité de ce dispositif, vient de débuter pour 3 ans et demi.
Enfin, il y a quelques semaines, des chercheurs japonais sont parvenus pour la première fois à manipuler, en générant un champ acoustique grâce à un réseau de transducteurs, un objet sans contact à partir d’une surface réfléchissante. Selon ces scientifiques, cette technique de manipulation acoustique fine, sans aucun contact, possède une grande marge de progression et pourrait permettre des avancées majeures dans les domaines des nanotechnologies, de l’ingénierie biomédicale, ou encore de l’industrie pharmaceutique.
Toutes ces récentes études et expérimentations montrent à quel point il est important, face à des pathologies complexes et graves, comme les cancers, les maladies neurodégénératives ou encore certains troubles du comportement, que la recherche élargisse son horizon thérapeutique et ne se limite pas à la seule approche chimique et médicamenteuse. On voit en effet que l'utilisation judicieuse des ondes lumineuses et sonores, connues depuis des siècles mais longtemps cantonnées au domaine de la physique et de l'optique, offre un potentiel considérable d'innovation et de progrès, particulièrement dans les domaines de la biologie, de la médecine et de la santé. Il est d'ailleurs intéressant de souligner que les effets de ces nouveaux outils, utilisant des ondes sonores ou lumineuses, font plus que s'additionner aux effets des traitements classiques par médicaments. On observe en effet souvent de véritables et surprenantes synergies entre ces approches, ce qui montre bien tout l’intérêt de les combiner de manière intelligente et personnalisée, pour pouvoir proposer, face à des pathologies comme le cancer et les maladies neurodégénératives, qui vont inexorablement augmenter à cause du vieillissement de nos sociétés, des traitements plus efficaces, plus sûrs et plus confortables...
René TRÉGOUËT
Sénateur honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat
e-mail : tregouet@gmail.com
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- Publié dans : Vivant Santé, Médecine et Sciences du Vivant
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