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Edito : Les nouvelles radiothérapies : une révolution thérapeutique extraordinaire est en marche
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Avec la chirurgie, la chimiothérapie et l’immunothérapie, la radiothérapie, sous ses multiples formes, reste un traitement incontournable dans plus de deux cancers sur trois. Il faut rappeler que ce traitement par radiations a plus d’un siècle que c’est un médecin français, Victor Despeignes, qui a réalisé le premier traitement par rayons X au monde, en 1896, c’est-à-dire à peine un an après la découverte de ces rayons par le grand physicien allemand Wilhelm Conrad Röntgen (Prix Nobel en 1901). La France joua, on le sait, un rôle pionnier dans le développement de la radiothérapie, sous l’impulsion de la grande scientifique Marie Curie (1867-1934), double Prix Nobel (1903, en médecine et 1911, en chimie), qui a découvert le radium en 1898, et du médecin et biologiste lyonnais Claudius Regaud (1870-1940), qui fut co-directeur, avec Marie Curie, de l’Institut de Radium, fondé en 1909.
Au cours de ces dernières années, une véritable vague d’innovations a déferlé sur la radiothérapie, lui donnant une nouvelle jeunesse et lui permettant de s’attaquer avec une efficacité accrue aux cancers les plus difficiles. Parmi celles-ci, il faut évoquer la radiothérapie stéréotaxique. Il s’agit d’une technique de radiothérapie de haute précision qui utilise plusieurs faisceaux convergents permettant d’irradier à plus haute dose des régions précises du corps. Cette technique permet de délivrer des doses plus fortes dans la tumeur tout en épargnant les organes sains à proximité de la tumeur. Il devient ainsi possible de mieux lutter contre des tumeurs localisées ou métastatiques, résistantes aux chimiothérapies et aux radiothérapies conventionnelles.
L’Institut Curie propose également, depuis 2021, la radiothérapie hypofractionnée qui consiste à alléger le nombre de séances pour un plus grand confort des patients. Associée à la stéréotaxie, cette approche permet, chez certains patients atteints de cancers localisés de la prostate, de réduire le traitement à seulement 5 séances étalées sur une semaine et demie (contre un traitement conventionnel de 2 mois). Pour certains cancers plus avancés, l’Institut Curie a développé une approche combinée, qui associe radiothérapie externe et curiethérapie.
Découverte en 2014 dans les laboratoires de l’Institut Curie à Orsay par l’équipe de Vincent Favaudon, chercheur radiobiologiste à l’Inserm, la technique dite "FLASH" permet une irradiation très puissante (1000 à 10 000 plus intense) en une fraction de seconde. De récentes études ont confirmé que cette approche était à la fois plus efficace et moins porteuse d’effets secondaires pour le traitement de certaines tumeurs du système nerveux central chez de jeunes patients.
Curie et Thalès se sont associés en juillet dernier pour créer la première plate-forme de radiothérapie flash par électrons à haute énergie. Grâce à cette rupture technologique, chercheurs et médecins espèrent parvenir à traiter et détruire un plus large éventail de tumeurs, y compris les tumeurs agressives et hétérogènes plus radiorésistantes, comme les tumeurs du pancréas, les grosses tumeurs pulmonaires, ou les tumeurs cérébrales.
Pour venir à bout de ces tumeurs radiorésistantes, les chercheurs de Curie ont également développé, avec la biotech française Onxeo, une nouvelle classe de médicaments : les Dbait. Il s’agit de molécules "leurres", découvertes en 2002, qui ressemblent à de l’ADN endommagé. Ces molécules vont induire en erreur les cellules malignes et leur faire croire que les dommages provoqués par la radiothérapie sont beaucoup plus élevés qu’en réalité. Les cellules cancéreuses, débordées par la quantité de dommages à réparer, vont alors déclencher un mécanisme d’autodestruction.
Autre avancée remarquable, pour les malades atteints d’un cancer de la prostate à un stade avancé, un nouveau traitement dit "Théranostique par Lutétium-177 PSMA-617". Cette thérapie est utilisée lorsque le cancer de la prostate devient réfractaire aux autres traitements disponibles. Elle consiste à associer deux médicaments administrés par intraveineuse ; d’une part, une molécule de PSMA-617, qui se fixe les cellules cancéreuses. D’autre part, un médicament radioactif, le lutétium 177, qui est transporté jusqu’à la tumeur par le PSMA-617. Ce traitement, très efficace, ne cible que les tissus cancéreux, sans léser les cellules saines. Ce nouveau traitement de radiothérapie Interne vectorisée contre le cancer de la prostate est expérimenté depuis plusieurs mois au Centre Henri Becquerel, de Rouen, sur une vingtaine de patients, âgés de 45 à 85 ans, souffrant de cancers de la prostate métastasés.
A côté de ces nouvelles radiothérapies embarquées et vectorisées, des chercheurs de l’Université du Michigan ont utilisé avec succès chez l’animal une nouvelle technique basée sur un autre type d’onde qui n’a pas fini de faire parler de lui, les ultrasons à courtes impulsions. Cette méthode, appelée histrotripsie, permet de réaliser des ablations partielles de tumeurs du foie. Les résultats sont plus qu’encourageants : 81% des rats traités sont toujours en vie, sans récidive ni métastase. Selon ces chercheurs, la destruction partielle des tumeurs a provoqué une forte réponse immunitaire qui leur a permis d’éliminer l’ensemble de la tumeur.
En France, la société THERYQ, à la pointe de l’innovation en matière de nouvelles techniques de radiothérapie, développe ses prototypes pour le traitement des tumeurs superficielles à l’Institut Gustave Roussy (IGR) ainsi qu’à l’Institut universitaire du cancer de Toulouse Oncopole (IUCT).
Un autre prototype pour le traitement des tumeurs solides profondes est en cours de développement et se fonde sur la technologie d’accélérateurs du CERN (Organisation européenne pour la recherche nucléaire), nommée CLIC, capable d’émettre des faisceaux d’électrons à haute énergie (ou VHEE pour Very High Energy Electrons). Cet outil repose sur une radiothérapie à haut débit-dose en quelques fractions de seconde.
THERYQ a été la première entreprise à mettre au point un prototype de radiothérapie flash pour la prise en charge des tumeurs superficielles. Baptisé "FLASHKNIFE", l’appareil est entré en essai clinique pour l’obtention d’une autorisation européenne. Parallèlement, THERYQ s’est associé au CHUV (Suisse) et au CERN pour développer "FLASHDEEP", une technologie de radiothérapie flash qui permet d’atteindre les tumeurs profondes grâce à des radiations 10 à 20 fois plus puissantes que celles du "FLASHKNIFE". Cet appareil exploitera, à l’horizon 2025, la technologie du CERN et pourra produire des radiations à électrons à très haute énergie (Very High Energy Electrons – VHEE) pour traiter les cancers actuellement résistants aux traitements conventionnels.
Une autre voie de recherche consiste à augmenter l’effet destructeur local du rayonnement, sans augmenter son effet au niveau des tissus sains à proximité. Pour surmonter ce défi, l’injection de nanoparticules directement dans la tumeur, bien que difficile à maîtriser, peut permettre d’amplifier de manière contrôlée l’effet local de la radiothérapie. La société française Nanobiotix a ainsi développé des nanoparticules d’oxyde d’Hafnium (NBTXR3P), qui sont les seules au monde à avoir fait leurs preuves cliniques, en matière d’efficacité dans les traitements de certains cancers, comme les sarcomes des tissus mous du tronc et des membres. En juin dernier, à l’occasion de l’ASCO 2022 (le congrès annuel de la cancérologie américaine), Nanobiotix a fait sensation en présentant ses résultats : chez 12 patients souffrant d’un cancer de la tête et du cou avancé à un stade 4, l’association de NBTXR3 à une chimiothérapie a permis d’obtenir un taux de réponse -le pourcentage de patients dont la tumeur a diminué dans des proportions définies- de 58 %. Par ailleurs, 100 % des malades inclus dans cet essai ont vu l’étendue des tumeurs se stabiliser, est ressorti, lui, à 100 %.
Il y a quelques semaines, Nanobiotix a franchi une nouvelle étape, en annonçant l'essai NANORAY-312, un essai global de Phase 3 évaluant NBTXR3 dans le traitement des patients âgés atteints d'un carcinome épidermoïde localement avancé de la tête et du cou qui ne peuvent pas bénéficier d’une chimiothérapie. L’amplificateur de radiations NBTXR3 sera évalué seul ou en combinaison avec le cetuximab.
Il faut également souligner qu’une récente collaboration entre Nanobiotix et le réputé MD Anderson Cancer Center de l'Université du Texas a montré, de manière inattendue, que l'ajout de NBTXR3 à une combinaison de radiothérapie, d'anti-PD-1 et d'anti-CTLA-4, permettait de surmonter les résistances développées par les cellules métastatiques de cancer du poumon et induisait une mémoire immunitaire antitumorale à long terme, ce qui ouvre la voie vers de nouvelles synergies thérapeutiques très efficaces, associant radiothérapie amplifiée et immunothérapies.
En 2020, le CHU de Lyon a été le premier en France à se doter d’un accélérateur couplé à une IRM dont les performances en imagerie sont supérieures aux scanners. Jusqu’à l’apparition de cette nouvelle génération d’appareils, le traitement par radiothérapie était obligatoirement précédé d’un scanner au cours duquel le patient est installé dans la position de traitement. Il s’agissait de définir la dose et la façon de la délivrer pour traiter la tumeur de manière optimale en épargnant les tissus sains alentours.
Grâce à l’intégration en temps réel des images, l’IRM-Linac Elekta Unity permet de visualiser avec une grande précision les tumeurs, où qu’elles se situent dans l’organisme. Le traitement peut être adapté et modifié à chaque séance, en fonction des changements de position et de forme de la tumeur, de la réponse au traitement, des tissus sains avoisinants. Ce nouvel outil est le seul au monde qui combine simultanément l’émission de rayonnement et l’acquisition d’images d’une qualité équivalente à celle obtenue en radiologie. Le Centre contre le cancer Léon Bérard de Lyon s’est lancé, pour sa part, dans un ambitieux programme visant à exploiter toutes les potentialités nouvelles de l’intelligence artificielle pour optimiser l’utilisation de ses appareils de radiothérapies mais aussi calculer et planifier de manière personnalisée, les doses de rayons st séances pour chaque patient.
Il y a quelques semaines, des chercheurs de l’Université Duke (Caroline du Nord), ont dévoilé une nouvelle approche de radiothérapie interne, combinée à la chimiothérapie standard, qui permet de détruire, avec une efficacité jamais atteinte, les tumeurs du pancréas chez 80 % des animaux traités. Ce nouvel implant tumoral radioactif, qui se présente sous la forme d’un gel, a permis d'éliminer le cancer du pancréas chez la souris. Cette nouvelle approche de radiothérapie interne, combinée à la chimiothérapie standard, permet de réduire les tumeurs chez 80 % des animaux modèles. Il s’agirait, selon la revue Nature Biomedical Engineering, du traitement le plus efficace jamais documenté, contre le cancer du pancréas (Voir Nature Biomedical Engineering). Ce cancer, bien qu’assez peu fréquent, reste la 3ème cause de décès par cancer. Il est très difficile à traiter car ses tumeurs ont tendance à développer des mutations génétiques agressives qui le rendent résistant à la chimiothérapie et à la radiothérapie conventionnelles. En outre, ce cancer du pancréas est souvent diagnostiqué tardivement, alors qu’il s’est déjà propagé dans l’organisme. Ce nouveau traitement, qui a permis d’éliminer les tumeurs chez 80 % des souris, pourrait changer la donne, si des résultats équivalents peuvent être obtenus au cours des essais cliniques sur l’homme.
Dans cette approche, plutôt que de délivrer le rayonnement à partir d'un faisceau externe qui traverse les tissus sains, le traitement repose sur l’implantation de l'iode radioactif 131 directement dans la tumeur par l’intermédiaire d’un gel, une substance constituée de polypeptides de type élastine (PEL), ce qui permet de mieux cibler la tumeur et de préserver les tissus sains. Ces PEL ont des propriétés très intéressantes. Ils restent à l'état liquide à température ambiante mais se transforment en gel sous l’effet de la température du corps humain. Dans ces recherches, les scientifiques ont utilisé de l'iode-131, un isotope radioactif de l'iode, qu’ils ont encapsulé dans une structure en PEL, pour l’empêcher de se diffuser dans le corps. Grâce à cette approche vectorisée ingénieuse, l'iode 131 émet un rayonnement qui diffuse dans le biogel et transmet son énergie dans la tumeur, sans toucher les tissus environnants. Ces capsules de PEL sont en outre conçues pour se dégrader dans le temps de manière contrôlée, mais cette dégradation ne survient que lorsque l'iode-131 s’est transformée en une forme inoffensive de xénon.
A Nice, le centre de lutte contre le cancer Antoine Lacassagne est un des trois seuls établissements en France à être doté d’un accélérateur de protonthérapie haute énergie à pouvoir traiter par radiothérapie par protons. Les protons permettent une irradiation très précise qui s’arrête une fois la tumeur atteinte. Cette technique permet donc de mieux cibler les tumeurs tout en protégeant les organes à risque à proximité. Cette machine de protonthérapie est couplée à un scanner 3D, qui permet de ne traiter que la tumeur. “Proteus One” évite ainsi d’endommager les organes alentour. Encore faut-il orienter le faisceau de protons avec une précision extrême. Ce rôle est dévolu à un scanner 3D et c’est cette combinaison de deux techniques de pointe que le centre Antoine-Lacassagne est le premier à utiliser en France. « Cette technologie rend possible l’irradiation de tumeurs ORL par protonthérapie en permettant de mieux protéger l’œsophage, les muscles de la déglutition, l’os et les glandes produisant la salive. Elle permet également le traitement de tumeurs mobiles, thoraciques, abdominales et pelviennes », souligne le Docteur Jérôme Doyen.
L’institut Curie travaille, pour sa part, sur les mini-faisceaux de protons, une technologie prometteuse qui permet de moduler la dose de rayonnement, contrairement à la distribution homogène de la radiothérapie standard. « En changeant la manière dont on dépose la dose, on peut également changer les effets biologiques et améliorer les traitements », souligne le Docteur Yolanda Prezado, responsable de ce programme de recherche
On le voit, grâce à ces progrès extraordinaires, accomplis en seulement quelques années, la radiothérapie a retrouvé toute sa place dans la panoplie toujours plus étendue d’armes contre le cancer. Demain, cette radiothérapie de précision permettra, en combinaison intelligente avec la chimiothérapie et l’immunothérapie, de cibler et de traiter les cancers les plus difficiles. Souhaitons que notre pays, qui a vu naître ce formidable outil de traitement, puisse rester à la pointe technologique de cette révolution scientifique et médicale qui ne fait que commencer…
René TRÉGOUËT
Sénateur honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat
e-mail : tregouet@gmail.com
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- Publié dans : Médecine
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