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Edito : La nouvelle génération de batteries qui arrive va bouleverser nos sociétés

Selon les prévisions du Cabinet BCG, les deux tiers des véhicules vendus en Europe, tous segments confondus (voitures, camions, bus), seront électriques en 2040. Le marché mondial des batteries pour véhicules électriques était évalué à 49,0 milliards de dollars en 2022, avec une croissance de 24 % de 2023 à 2032. Ce marché en plein essor devrait atteindre 421 milliards de dollars d’ici 2032 (Voir  The Brainy Insights) .Ce marché, très concentré, est dominé par quatre géants mondiaux, les chinois CATL (37 %) et BYD (14 %), le Coréen LG (13,5 %) et le Japonais Panasonic (7,3 %). Les ventes mondiales de voitures électriques sont passées de deux millions d'unités, en 2018, à 13 millions d'unités en 2023, et devrait continuer parallèlement à croître de 30 % par an au cours de ces prochaines années, pour atteindre 56 millions de véhicules électriques vendus en 2040 (plus d'une voiture sur deux). Dès 2025, avec 216 millions de ventes (23 %), le parc total de véhicules électriques devrait se monter à 77 millions de voitures (6 % du parc automobile mondial) et pourrait atteindre les 700 millions de véhicules en 2040, plus du tiers du parc automobile mondial à cet horizon.

Sachant qu'un litre d'essence dégage une énergie de 10 kWh, une voiture thermique de petite cylindrée va consommer environ 50 kWh pour faire 100 km, soit trois fois plus qu'une voiture électrique pour effectuer la même distance. Quant à l'empreinte carbone, on estime, selon les travaux de Carbone 4, qu'une voiture électrique qui roule en Europe a une empreinte carbone presque trois fois inférieure à la voiture thermique, sur l'ensemble de son cycle de vie, avec 12 tonnes de CO2 émis contre 33 tonnes pour un véhicule thermique. Il faut également souligner que, contrairement à une idée reçue tenace, le recyclage des différents types de batteries, y compris au lithium, est à présent bien maîtrisé sur les plans technique et industriel, avec des méthodes comme l'hydrométallurgie. Et ce recyclage ne cesse de s'améliorer : en 2023, des chercheurs de l'université technologique de Chalmers, en Suède, ont mis au point une méthode de recyclage qui utilise de l'acide oxalique et permet de récupérer 100 % de l'aluminium et 98 % du lithium contenus dans les batteries des voitures électriques.

Reste que la montée en puissance bien plus rapide que prévu des voitures électriques, si elle est indéniablement bénéfique pour le climat, l'environnement et la santé (réduction drastique des polluants), va se heurter aux limites physiques liées aux réserves mondiales économiquement exploitables de métaux comme le lithium, le nickel et le cobalt, qui restent indispensables à la production de la majorité des batteries actuellement sur le marché (une batterie de voiture électrique classique contient environ 50 kg de nickel, 7 kg de cobalt et 45 kg de carbonate de lithium). Eramet estime en effet que la demande annuelle de nickel d'ici 2030 va être multipliée par 2, à 4,8 millions de tonnes, par 5 pour le cobalt et par 6 pour le lithium, à 2 millions de tonnes. Et pour 2040, cette demande pourrait être multipliée par 20 pour le cobalt et le nickel et par 40 pour le lithium, à moins que les scientifiques parviennent à mettre au point des batteries performantes et fiables qui n'utilisent plus, ou bien moins, ces métaux.

Et justement, depuis quelques mois, les avancées spectaculaires se succèdent dans ce domaine et laissent entrevoir une arrivée plus rapide que prévue de plusieurs nouveaux types complémentaires (selon les utilisations finales) de batteries qui devrait permettre, à partir de 2030, un véritable essor de la mobilité électrique au niveau mondial, grâce à de nouvelles combinaisons chimiques, qui seront certes un peu moins performantes dans un premier temps que les batteries actuelles au lithium, mais seront à la fois plus durables, plus sûres, moins chères à produire et surtout fonctionneront sans lithium, sans nickel et sans cobalt, à partir de métaux bien plus répandus, bien moins chers et beaucoup plus respectueux de l'environnement.

Connues depuis plus de 30 ans, les batteries lithium-fer-phosphate (LFP) ont fait des pas de géant depuis quelques mois. Leur densité énergétique n'est plus, pour les dernières générations, que de 20 % inférieure à celle des batteries au lithium, mais elles coûtent 30 % moins chères à fabriquer (100 dollars le KWh), durent trois plus longtemps (plus de 20 ans) et sont en outre plus sûres, car très peu inflammables. Autre avantage, en raison d'une plus faible tension, ces batteries peuvent être complètement déchargées, puis rechargées à 100 %, sans aucun dommage, ce qui compense en partie leur plus faible densité énergétique. Même le temps de recharge de ces batteries est à présent presque équivalent à celui des batteries au lithium et elles peuvent récupérer 350 km d'autonomie en seulement 10 minutes de charge rapide. Leur autonomie (450 km pour les dernières versions) est à présent largement suffisante pour un usage urbain, mais aussi régional, et les grands fabricants de batteries, comme les chinois CATL et BYD, ainsi que les constructeurs automobiles, comme Tesla, Toyota, Ford, Volvo ou Stellantis, ont décidé d'investir massivement dans ces batteries, pour proposer à leurs clients des véhicules électriques d'entrée de gamme à la fois performants et plus abordables.

De manière révélatrice, Toyota vient d'annoncer sa nouvelle feuille de route en matière électrique, et elle est impressionnante. Le constructeur japonais veut commercialiser dès 2026 des voitures équipées de nouvelles batteries LFP 40 % moins chères que les batteries actuelles, capables de parcourir une distance de 600 km d’une seule traite. Avec cette technologie, une recharge de 80 % sera possible en 30 minutes. Et Toyota prévoit pour 2028 la grande rupture technologique et industrielle vers des batteries à électrolyte solide qui permettront de parcourir plus de 1 000 km, avec une recharge (grâce à de nouvelles bornes de recharge de 600 kwh) d'environ 10 minutes pour retrouver jusqu'à 80 % de charge.

A côté des batteries LFP, Le leader mondial de la production de batteries, le Chinois CATL, a présenté au dernier Salon de Shanghai une nouvelle génération de batteries appelée sodium-ion. L’objectif de cet accumulateur est de se passer de lithium, une ressource limitée face à l'augmentation rapide du parc de véhicules électriques. Les chercheurs se sont donc tournés vers des solutions alternatives, comme le sodium, 1 000 fois plus abondant que le lithium mais aussi meilleur marché. En dépit de sa densité énergétique, inférieure à celle du lithium-ion (impliquant une autonomie inférieure), cette technologie, comme l'approche LFP, est prometteuse, surtout en milieu urbain. CATL annonce une longévité de 800 000 km et 18 ans. Cette chimie serait aussi moins sensible aux variations de températures et notamment au froid. Elle permet également des recharges rapides : 15 minutes suffiraient pour récupérer 80 % de capacité. Mais l’argument majeur réside dans une baisse des coûts de production d’environ 20 %.

Ces batteries Sodium-ion pourraient proposer des capacités allant jusqu'à 50 kWh, ce qui permet d'atteindre une autonomie de 250 km, suffisante pour les déplacements urbains En novembre dernier, le fabricant suédois Northvolt AB a présenté une batterie sodium-ion, exempte de cobalt, de nickel, de lithium et de graphite, et reposant sur « une anode en carbone dur et une cathode basée sur le blanc de Prusse (qui ,permet un déplacement rapide des électrons) ». La cellule de batterie utilisée par Northvolt AB dispose d’une densité énergétique de 160 Wh/kg (contre 250 Wh/kg pour les batteries au lithium), ce qui permet, malgré une baisse de la densité, une autonomie de 400 km.

C’est dans ce contexte que l’équipe du Professeur Jeung Ku Kang du KAIST (Centre Sud-Coréen de Recherche Technologique) a présenté, il y a quelques semaines, une batterie au sodium à recharge rapide (Voir EurekAlert). Cette batterie dispose non seulement d'une excellente densité énergétique de 247 WH/kg mais se distingue également par sa capacité à se recharger en moins d’une minute, surpassant non seulement les autres types de batteries électriques mais égalant le temps nécessaire pour faire le plein de carburant d’un véhicule conventionnel. Cette performance est rendue possible grâce à une composition unique incluant du fer, de l’oxyde de graphène, et du sulfure de fer qui confère à la batterie une conductivité exceptionnelle.

Il y a quelques mois, des chercheurs de l’Illinois Institute of Technology (Illinois Tech), en collaboration avec l’Argonne National Laboratory, ont présenté un nouveau type de cellule Li-Air reposant sur un électrolyte solide hybride (polymère-céramique) qui conduit 15 fois mieux les ions lithium Li+ que les électrolytes liquides actuels. Cette nouvelle batterie atteint une densité massique record de 685 Wh/kg, soit trois fois plus que les cellules Li-ion NMC (Nickel, Manganèse, Cobalt, 230 Wh/kg) les plus utilisées dans les véhicules électriques d’aujourd’hui. Selon ces chercheurs, il sera possible d'atteindre, à l'horizon 2030, plus de 1 000 Wh/kg, soit des batteries Li-air 4 x plus légères que les batteries Li-ion NMC d’aujourd’hui ! Concrètement, cela se traduirait par des voitures électriques qui perdraient en moyenne 300 kg de poids et les chercheurs précisent qu'une seule mallette de moins de 10 kg de ces nouvelles batteries Lithium-Air pourrait permettre une autonomie de 100 km à une voiture électrique (Voir Illinois Tech).

Début 2024, une autre équipe américaine de la Harvard John A. Paulson School of Engineering and Applied Sciences (SEAS) a mis au point une nouvelle batterie au lithium métal très performante, qui peut être chargée et déchargée au moins 6 000 fois. Cette batterie, grâce à son anode constituée de nanoparticules de silicium peut être rechargée en quelques minutes (Voir Harvard).

Une équipe australienne de l’université Edith Cowan, en Australie, a présenté pour sa part il y a quelques mois une nouvelle batterie zinc-air constituée d’une électrode négative en zinc et d’une électrode positive à l’air. Ces chercheurs sont parvenus à surmonter les limites de longévité de ce type de batterie en utilisant une combinaison de carbone et de fer, bien moins chers que le cobalt et le lithium. « Les batteries rechargeables zinc-air (ZAB) sont promises à un grand avenir en raison de leur faible coût, de leur respect de l’environnement, de leur densité énergétique potentiellement élevée et de leur sécurité intrinsèque », souligne le Professeur Azhar qui dirige ces recherches.

D'ici 2030, les besoins en batteries devraient être multipliés par quatre et, dans cette perspective, les batteries Lithium-ion de 3ème génération à électrolyte liquide, même améliorées, atteindront leurs limites, physiques, énergétiques et écologiques. A ce titre, le projet européen ELIAS (Eléments Lithium Avancés tout Solide), dédié au développement de cette nouvelle génération de batteries à électrolyte solide, vise à accélérer la transition de rupture nécessaire vers des batteries solides moins chères, plus efficaces, à longue durée de vie et à impact réduit sur l'environnement. Ce projet, porté par la société Saft, et soutenu par France 2030, a été validé en janvier 2023 et s'étalera jusqu’en 2027. Il devrait contribuer à nous affranchir de l'écrasante et dangereuse domination chinoise dans ce domaine stratégique pour notre avenir.

Soulignons enfin l'initiative de Blue Solutions, filiale du Groupe Bolloré, représentant un investissement global de plus de 2,2 milliards d’euros. A terme, la gigafactory de Blue Solutions pourra atteindre une capacité annuelle de production de 25 GWh, soit l’équivalent de 250 000 véhicules/an, destinés aux consommateurs français et européens. Blue Solutions est aujourd’hui la seule entreprise en France à fabriquer des batteries solides Lithium-Métal à l’échelle industrielle. Cette initiative française vise également à s'affranchir de la mainmise chinoise grandissante et à conquérir notre autonomie technologique et industrielle dans la mise au point et la production industrielle des batteries solides de nouvelle génération (GEN4) qui offriront 40 % d’autonomie supplémentaire par rapport aux capacités des meilleures batteries lithium-ion. Il est en effet capital pour la France et l’Europe de retrouver leur souveraineté énergétique et d'être capables de fournir aux différents marchés de la mobilité électrique, qui sont en train de se développer rapidement, les batteries du futur plus performantes, moins coûteuses et plus respectueuses de l'environnement, qui vont contribuer de manière décisive à décarboner plus vite l'ensemble du secteur de la mobilité légère et des déplacements individuels.

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

e-mail : tregouet@gmail.com

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