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Le nourrisson se perçoit comme sujet
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La série d'expériences passionnantes qui vient d'être menée par des chercheurs du Centre d'étude du bébé et du jeune enfant de l'université Emory à Atlanta (Géorgie, Etats-Unis) risque de remettre en cause pas mal de certitudes en matière de psychologie du bébé. Dans l'une de ces expériences, un bébé de 3 mois a les jambes vêtues de chaussettes rayées noir et blanc. Il lui est impossible de les observer directement : assis dans un fauteuil incliné, il est trop petit pour pouvoir se redresser et voir ses jambes. Mais il peut les regarder à loisir sur l'écran de télévision placé au-dessus de sa tête, qui reproduit l'image filmée par la caméra située derrière lui. Plus il bouge, plus l'image s'agite sur l'écran, et plus la situation l'intéresse...
Ces expériences tendent à démontrer que les nourrissons, dès l'âge de 3 mois, sont conscients de leur corps en tant qu'entité dynamique et organisée. Les recherches menées depuis une vingtaine d'années ont déjà montré qu'un nouveau-né, âgé d'à peine quelques heures, imite les expressions faciales et fait la différence entre des expressions de joie, de colère ou de tristesse. A peine âgé de quelques jours le bébé est, en outre, capable de reconnaître sa langue maternelle entre toutes les autres. Mais cela ne nous dit pas comment émerge la conscience de soi chez le jeune enfant. Jusqu'à présent, l'opinion majoritaire voulait que cette conscience de soi apparaisse vers 18 mois, au moment du fameux « stade du miroir », quand l'enfant, par ses réactions, montre clairement qu'il se reconnaît comme sujet en s'observant dans un miroir. Mais ces expériences américaines tendraient à prouver que cette prise de conscience de soi est bien plus précoce.
Dans l'expérience des chaussettes noir et blanc, le jeune enfant est confronté à deux images simultanées de ses jambes à rayures. L'une est produite par une caméra placée derrière sa tête, correspond à une vue "égocentrique" du corps (la vue qu'a le bébé lorsqu'il observe ordinairement ses jambes). Tandis que l'autre, semblable à celle qu'aurait un observateur placé en face du bébé, renverse la perspective ainsi que la direction dans laquelle les jambes bougent sur l'écran. Les résultats montrent clairement qu'à partir de 3 mois, les nourrissons préfèrent d'une façon marquée la vue de l'observateur de leurs jambes présentée à la télévision plutôt que la vue égocentrique", ce qui prouve que le bébé, dès cet âge, différencie ce qui correspond à sa propre expérience corporelle et ce qui n'y correspond pas.
De manière encore plus étonnante : en effectuant sur des nouveau-nés de moins de 24 heures des tests visant à estimer leurs sensations tactiles, les chercheurs ont constaté qu'ils distinguaient parfaitement les autostimulations des stimulations externes. "Le bébé ne naît pas dans un état de confusion entre ce qui relève de lui et ce qui relève du monde qui l'entoure, conclut Philippe Rochat. Dès les premiers jours, il a un sens implicite de son propre corps, qu'il vit et meut comme une entité active, organisée et différenciée des choses dans l'environnement." Il semble donc que, confronté au monde extérieur, le bébé soit très vite capable d'en arriver au raisonnement « j'agis, donc je suis », ce qui rejoint de nouveaux cadres théoriques comme celui de Damasio qui tente d'inscrire les émotions et les sentiments dans un continuum biologique.
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