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Edito : Le niveau des océans peut-il monter de deux mètres d'ici la fin du siècle ?

On le sait, le dérèglement climatique de grande envergure qui touche la Terre ne fait à présent plus de doute et se manifeste déjà par des effets très concrets et de plus en plus dévastateurs, canicules, sécheresse, inondations plus fréquentes, disparition accélérée de la biodiversité qui n’a plus le temps de s’adapter à la rapidité de ce changement climatique, impact négatif sur les productions agricoles, migrations climatiques de plus en plus nombreuses et tensions géopolitiques accrues.

Dernière alerte en date, et non des moindres, celle formulée à Paris, il y a quelques semaines, par  la Plate-forme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (Voir IPBES). Cette agence de l’ONU a en effet révélé, dans le plus important rapport jamais réalisé sur cette question, que "La nature décline globalement à un rythme sans précédent dans l'histoire humaine", et qu’au rythme actuel, c’est un million d’espèces animales et végétales – soit une sur huit – qui risque de disparaître à brève échéance de la surface de la Terre ou du fond des océans.

D’après l’Organisation météorologique mondiale, parmi les quatre dernières années qui ont été les plus chaudes jamais enregistrées depuis 1850, 2018 se situe au quatrième rang, derrière 2016, 2015 et 2017. L’année dernière, on ne compte plus les records  de chaleur qui ont été battus à travers le monde. La période d’avril 2018 à mars 2019 est la séquence de douze mois la plus chaude jamais constatée au niveau mondial et en Europe.

En France, 2018 restera également dans les annales, car jamais notre pays n’avait connu une température moyenne aussi élevée : 13,9°C. Soit 1,4°C au-dessus des moyennes de la période 1981-2010. La même situation a également été observée chez nos voisins allemands, suisses et autrichiens qui ont également connu des records de température annuelle en 2018.

Depuis le début de cette année, notre planète connaît un épisode inédit de « chaleur polaire », avec des températures qui ont dépassé les 30°C en Russie, et un record absolu de 31,2°C mesuré à Koynas, une ville de 350.000 habitants, située à 65° N de latitude.

Autre indicateur alarmant, la banquise de l’Arctique n’a jamais été aussi réduite depuis 40 ans, pour un mois d’avril, 13,42 millions de km², contre 13,69 en 2017, et 14,54 millions de km² en 2015. Quant aux glaciers du Groenland, leur vitesse de fonte  a été multipliée par quatre entre 2003 et 2013, passant de 111 km³ de glace par an à 428 km³ par an, selon l’Institut technique du Danemark.

L’une des conséquences de cette fonte accélérée des banquises et des glaciers est que le niveau moyen des océans a augmenté de plus de 20 cm depuis un siècle. Mais alors que cette progression moyenne pendant le siècle dernier  a été de +1,7 mm/an, elle est déjà deux fois plus rapide depuis 25 ans, avec +3,2 mm/an. Notre pays n’a pas échappé à cette hausse du niveau des mers et océans, qui a été de 3,0 mm/an à Brest entre 1980 et 2004, de 2,6 mm/an pour Marseille sur la période 1980-2012.

Depuis le début de ce siècle, la progression de la masse globale des océans a été la première cause de l’augmentation du niveau moyen des océans : fonte des calottes glaciaires du Groenland et de l’Antarctique et des glaciers de montagne, et modifications du cycle hydrologique. La seconde cause majeure de ce phénomène est l’augmentation de la température moyenne des océans, qui entraîne la dilatation des masses d’eau océaniques.

Jusqu’à présent, les différents scenarii du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), tablaient sur une montée du niveau des océans allant de 26 à 82 cm d’ici la fin du XXIème siècle. Mais de récentes observations et recherches remettent en cause ces prévisions déjà alarmantes et montrent qu’il n’est pas exclu que cette hausse du niveau des mers puisse se compter en mètres d’ici la fin de ce siècle, ce qui aurait des conséquences dévastatrices d’une ampleur incalculable pour l’Humanité.

Cette sombre perspective, qui semblait encore relever de la science-fiction il y a 20 ans, est malheureusement devenue une hypothèse crédible, selon plusieurs travaux récents et tout à fait sérieux. Il faut d’abord évoquer une vaste étude internationale publiée en avril dernier, les 20 000 glaciers se situant dans les chaînes de montagnes du monde entier ont perdu 9000 milliards de tonnes de glace entre 1961 et 2016, soit une moyenne de 335 milliards de tonnes par an (Voir Nature). C’est beaucoup plus que les 260 milliards de tonnes estimées lors de la précédente évaluation de 2013, qui concernait la période 2003-2009.

Ces chercheurs ont pu reconstituer l’évolution de l’épaisseur de la glace de ces 20 0000 glaciers dans le monde. Avec plus de 3 000 Gigatonnes, ce sont les glaciers de l'Alaska (ALA) qui ont le plus contribué à la hausse du niveau de la mer. En cumulé, l’ensemble de ces glaciers a donc bien perdu plus de 9 000 milliards de tonnes de glace depuis 60 ans et, selon le principe des vases communicants, la montée des eaux a atteint 2,7 centimètres au cours de cette période, du seul fait de la fonte de ces derniers.

Pour arriver à ce résultat, les chercheurs ont utilisé toutes les données physiques enregistrées sur les 450 glaciers sur lesquels les chercheurs procèdent à des carottages réguliers de fin d’été. Puis ils ont croisé ces mesures avec les images satellites qui donnent des photos précises de la surface des sols à différentes dates, ce qui permet d’estimer non pas l’épaisseur des glaciers mais la variation annuelle de leur volume. Ces travaux montrent de manière instructive que cette perte de masse de l’ensemble des glaciers n’a cessé de s’accélérer depuis un demi-siècle. Cette fonte correspond à présent à la perte de masse de la calotte glaciaire du Groenland et dépasse nettement celle de l’Antarctique.

Cette étude révèle que les glaciers des Alpes européennes, du Caucase et de la Nouvelle-Zélande ont également enregistré d’importantes pertes de glace. En 2017, une étude de l’Université de Birmingham, portant sur les Alpes et les Andes sud-américaines, avait déjà montré que les surfaces de glace ont reculé de plus de moitié (54 %) depuis 1850. A ce rythme, il n’est pas exclu que ces glaciers puissent  perdre à la fin du 21e siècle 90 % de la surface qu’ils avaient en 2003 (Voir Etude).

Ces nouveaux travaux confirment que la fonte des glaciers dans le monde contribue actuellement à augmenter le niveau de la mer au rythme d’un millimètre par an et contribue désormais pour environ un tiers à la hausse de son niveau à l’échelle mondiale. « Globalement, nous perdons environ trois fois le volume de glace stocké dans l’ensemble des Alpes européennes chaque année ! », révèle Emmanuel Thibert, glaciologue à l’Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture (Irstea).

On sait également que sur le Groenland, qui enregistre un réchauffement de 3°C depuis cent ans, la fonte des glaces a été multipliée par quatre en dix ans, avec une moyenne de 280 milliards de tonnes de glaces perdues chaque année entre 2002 et 2016, selon une étude publiée en avril 2018. Ces travaux montrent que c’est bien l’ensemble de l’inlandsis qui est touché, notamment en raison du réchauffement de l’air qui fait fondre la surface de la calotte. « Le Groenland a atteint un point de basculement », souligne Michael Bevis, l’auteur principal, professeur à l’université d’Etat de l’Ohio, aux Etats-Unis (Voir Etude).

Mais dorénavant, c’est également l’Antarctique qui préoccupe les scientifiques. La débâcle des glaces y est six fois plus rapide qu’il y a quarante ans, selon une autre étude publiée en janvier dernier. Ces travaux montrent que le ce continent a perdu 252 milliards de tonnes de masse glaciaire par an entre 2009 et 2017, contre 40 milliards chaque année sur la période 1979-1990 (Voir Etude).

Les dernières études confirment que les courants sous-marins de plus en plus chauds attaquent la base des plates-formes glaciaires flottantes de l’Antarctique, qui finissent par se détacher sous forme d’icebergs. En Antarctique de l’Ouest, les glaciers de l’île du Pin et de Thwaites, exposés à ce phénomène, fondent de plus en plus vite. Or, comme le souligne Catherine Ritz, glaciologue à l’Institut des géosciences de l’environnement à Grenoble, « Thwaites est capable de vider la moitié de l’Antarctique de l’Ouest à lui tout seul ». En outre, ces récents travaux montrent également que l’Antarctique de l’Est est à présent également touché, par les effets du réchauffement, notamment la terre de Wilkes, qui contient davantage de glace que l’Antarctique de l’Ouest et la Péninsule antarctique réunis.

Ces résultats et études devraient être intégrés dans le prochain rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), qui doit paraître en septembre sur les liens entre changement climatique, océans et glace. En 2013, le GIEC évoquait, dans son pire scénario, une élévation du niveau des mers de 98 cm d’ici à la fin du siècle, toutes causes confondues. Dans le cas d’un réchauffement de 5°C, l’hypothèse la plus vraisemblable des chercheurs estime à 51 cm la montée des océans liée à la fonte du Groenland et de l’Antarctique.

Ces récents travaux et les nouvelles données accumulées changent la donne. En janvier et février 2018, les auteurs de l’étude ont alors interrogé vingt-deux experts, parmi les plus éminents connaisseurs des calottes glaciaires des pôles. Ces scientifiques réputés étaient interrogés sur trois mécanismes physiques – l’accumulation de précipitations neigeuses, l’écoulement des glaces et le ruissellement de surface – affectant le Groenland, l’Antarctique de l’Ouest et l’Antarctique de l’Est. Et ce, en fonction de deux scénarios de réchauffement : + 2°C d’ici à la fin du siècle par rapport à l’ère préindustrielle – soit le respect global de l’accord de Paris, et + 5°C, ce qui revient à poursuivre la trajectoire actuelle des émissions de gaz à effet de serre.

A l’issue de cette analyse mêlant sciences du climat et statistiques, les auteurs concluent que la fonte des calottes glaciaires, soumises à une hausse de la température mondiale de 2°C, entraînerait une élévation du niveau des mers de 26 cm pour la valeur médiane, avec un risque de 5 % de dépasser 81 cm. Dans le cas d’un réchauffement de 5°C, la montée des océans liée à la débâcle de l’Antarctique et du Groenland atteindrait le plus vraisemblablement 51 cm, sans que l’on puisse exclure une hausse de 178 cm.

Mais, en ajoutant  la fonte des glaciers de montagnes et la dilatation thermique de l’océan, qui contribueraient à hauteur de 60 cm à l’élévation du niveau des mers pour un réchauffement de 5°C, ces experts en sont arrivés à la conclusion  qu’une élévation totale de 2,38 mètres à la fin du siècle n’était pas impossible, dans la pire des hypothèses. Selon l’étude, une telle élévation du niveau de la mer entraînerait la perte de 1,8 million de km2 de terres, notamment dans des régions cruciales pour la production agricole, et provoquerait le déplacement de plusieurs centaines de millions de personnes.

Bien entendu, ce dérèglement climatique majeur, à la fois par son  ampleur et sa rapidité, a une cause principale, à présent bien identifiée et bien documentée sur le plans scientifique : l’augmentation sans précédent des rejets anthropiques de gaz à effet de serre, et notamment de CO2 dans l’atmosphère depuis un siècle. En 2018, les émissions mondiales annuelles  liées à la combustion d’énergie fossile et à l’industrie, après trois ans de pause, sont reparties à la hausse et ont dépassé les 37 milliards de tonnes de CO2, ce qui est cinq fois plus que les émissions humaines de 1920.

Résultat : alors que les scientifiques estimaient jusqu’à présent que le niveau actuel de dioxyde de carbone, un peu supérieur à 400 parties par million (ppm), n’était pas plus important que celui d’il y a 800 000 ans, des carottes de glace et de sédiments marins prélevés à l’endroit le plus froid de la planète révèlent désormais que la barre des 400 ppm a en fait été dépassée pour la dernière fois il y a 3 millions d’années, pendant le Pliocène. Les températures étaient alors 3 à 4°C plus élevées, des arbres poussaient en Antarctique et le niveau des océans était 15 mètres plus haut. Ces analyses sont corroborées par un nouveau modèle climatique développé par l’Institut pour la recherche sur le climat de Potsdam (PIK) (Voir Article).

Or, les derniers travaux du GIEC nous indiquent que les émissions mondiales nettes de CO2 (c’est-à-dire la différence entre le volume de CO2 émis et capturé) devraient être réduites d’environ 45 % à l’horizon 2030 par rapport au niveau de 2010, et de 90 % après 2050, pour espérer contenir à 1,5°C le réchauffement climatique d’ici la fin du siècle.

Qu’on m’entende bien : il ne s’agit pas de se complaire dans un catastrophisme qui aboutit finalement à l’impuissance et au fatalisme. Mais nous devons entendre et voir les signes évidents et très préoccupants que nous envoie notre planète, et comprendre enfin que nous ne pouvons pas négocier avec la Terre. Nous pouvons encore modifier le cours des choses, car l’avenir n’est jamais écrit à l’avance, mais nous devons le faire maintenant, faute de quoi la vie continuera sur Terre, mais sans l’homme…

Il nous reste 10 ans, pas plus, pour amorcer une mutation de société radicale – en transformant complètement les modes de production et d’organisation de l’agriculture, de l’énergie, des transports, de l’industrie et de l’économie numérique – de façon à nous engager de manière irréversible et résolue vers la décarbonisation massive de notre civilisation à l’horizon 2050.

C’est un objectif difficile, qui va bouleverser nos modes de vie, nos organisations sociales et nos systèmes politiques, mais il est à notre portée, car jamais dans notre longue histoire, nous n’avons eu à notre disposition autant de connaissances, de moyens technologiques et, ce qui est le plus important, de ressources humaines. Au-delà de nos différences d’opinions, d’origine et de générations, il nous appartient de nous unir pour créer la dynamique humaine irrésistible qui fera mentir les sombres prévisions qui s’accumulent et permettre à notre Humanité de poursuivre sa belle aventure en se réconciliant avec la Terre.

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

e-mail : tregouet@gmail.com

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