Edito
La génétique va-t-elle bouleverser l’approche des maladies neurologiques et psychiatriques ?
Les maladies affectant le fonctionnement du cerveau, qu’il s’agisse de pathologies neurologiques comme Parkinson ou Alzheimer ou de troubles du comportement plus complexes, comme l’autisme, la schizophrénie, constituent l’un des grands défis que va devoir relever la médecine de ce siècle, surtout quand on sait que la proportion de personnes âgées va plus que doubler dans les pays développés d’ici 2050.
Dans une étude publiée au cours du mois d’août, des chercheurs américains ont remarqué qu’un patient privé du gène apolipoprotein E, ou APOE, ne présentait aucun trouble cognitif, ni aucun désordre neurologique lié à la maladie d’Alzheimer (Voir JAMA Neurology).
Ce travail réalisé sur un unique patient, doté d’une particularité génétique rare, est très intéressant car il montre que l'absence de gène APOE dans le cerveau de ce patient ne semble entraîner aucun trouble cognitif particulier. Or, d’autres travaux ont montré que les patients ayant une mutation du gène de type APOE4 présentent un risque sensiblement plus élevé de développer la maladie d’Alzheimer.
« Si nos recherches confirment bien que ce gène APOE est sans réelle utilité, réduire les taux d’APOE4 dans le cerveau ouvre une voie thérapeutique nouvelle de guérison, avec un risque réduit d’effets secondaires négatifs” précise Mary Malloy, Professeur à l’Université de Californie à San Francisco et co-auteur de l’étude.
Une autre étude publiée il y a quelques semaines, et réalisée par des scientifiques de l’Institut national pour la santé des États-Unis, a permis d’identifier 24 variants génétiques ( dont 6 nouveaux facteurs de risque génétique) pour la maladie de Parkinson.
Ces recherches se sont appuyées sur des données portant sur 13.700 cas de maladie de Parkinson et de 95.282 témoins, provenant d’études d’association pangénomique (GWAS) utilisant une méthode d’analyse des variations génétiques permettant d’identifier des différences subtiles dans les codes génétiques de grands groupes de personnes. Cette étude, qui a combiné un puissant traitement informatique d’une vaste base de données et des techniques génomiques de pointe, a montré que le risque de développer une maladie de Parkinson peut être jusqu’à trois fois plus élevé chez les sujets porteurs de ces variantes génétiques (Voir Nature genetics).
Pour confirmer leur résultat, les chercheurs ont également travaillé sur un nouvel échantillon de 5.353 patients atteints et 5.551 témoins. L’ensemble de ces données a été analysé à l’aide d’une puce, Neurox, qui contient les codes d’environ 24.000 variants génétiques déjà identifiés comme associés à un large spectre de troubles neurodégénératifs.
Fait intéressant, il semble que certains des nouveaux facteurs de risques génétiques pourraient également être impliqués dans la maladie de Gaucher mais également dans la régulation de l’inflammation ainsi que dans la signalisation de la dopamine et de l’alpha-synucléine, une protéine qui s’accumule dans le cerveau chez certains cas de la maladie de Parkinson.
Il y a quelques jours, des travaux français réalisés par les équipes de Benoit Schneider et Odile Kellermann (Unité Inserm 747 « Cellules Souches, Signalisation et Prions », Université Paris Descartes) ainsi que de Jean-Marie Launay (Unité Inserm 942 Hôpital Lariboisière et Fondation FondaMental), ont pour leur part permis de mettre en lumière le rôle central d’une enzyme, la kinase PDK1, impliquée dans l’accumulation, dans les neurones, des protéines pathologiques caractéristiques des maladies à prions et de la maladie d’Alzheimer. Ces travaux de pointe ont pu montrer que le blocage de cette enzyme exerce un effet bénéfique contre ces pathologies et qu’au contraire la suractivation de PDK1 est responsable du confinement de TACE dans les neurones malades (infectés par les prions et Alzheimer) comme dans le cerveau des patients atteints de la maladie d’Alzheimer (Voir Nature medicine).
Sur le front des pathologies psychiatriques deux études d’une ampleur sans précédent, publiées respectivement les 20 et 22 juillet dernier, marquent très probablement un tournant dans la connaissance scientifique et l’approche thérapeutique de deux des troubles psychiatriques les plus graves et les plus complexes, l’autisme et la schizophrénie (Voir Nature genetics et Nature).
Ces dernières années, plusieurs études ont mis en évidence des liens entre les troubles du spectre autistique et des mutations génétiques, en grande majorité rares et spontanées. Afin d’étudier plus globalement la part génétique dans le risque de développer ces pathologies, des chercheurs du consortium Population-Based Autism Genetics and Environment Study (PAGES) ont développé une nouvelle méthode statistique pour comparer l’ADN de 3 000 patients souffrant d’un syndrome autistique – enregistrés dans la base de données des services de santé suédois – à celui d’1,6 million de familles suédoises, en prenant en compte les liens de parenté entre ces sujets.
Cette analyse génétique d’une ampleur sans précédent a permis aux chercheurs d’établir que 52,4 % des variants susceptibles d’augmenter le risque de troubles autistiques sont transmis par les parents. Par ailleurs, contrairement à ce qui était admis jusqu’à présent, cette étude révèle qu'une large majorité de ces variants sont fréquents dans la population.
Au même moment, la revue Nature a publié la plus grande étude génétique portant sur les facteurs de prédisposition de la schizophrénie. Ce travail a permis de comparer l’ADN de 37 000 personnes malades avec celui de 113 000 personnes saines afin de déterminer quel rôle jouent les gènes. Ces recherches ont abouti à la découverte d’environ 120 mutations génétiques chez les schizophrènes, localisées sur 108 zones différentes des chromosomes.
Cette découverte marque une étape très importante dans la compréhension des bases biologiques et génétiques qui, en interaction avec l’environnement et l’éducation, explique le développement de cette grave pathologie psychiatrique. Parmi les variantes génétiques découvertes, 83 d’entre elles n’avaient auparavant jamais été identifiées comme ayant un rôle dans le déclenchement de la schizophrénie.
L’étude montre également, de manière cohérente, qu’un grand nombre de ces mutations concerne la production et le fonctionnement des neurotransmetteurs. C’est notamment le cas de plusieurs gènes intervenant dans la régulation de la dopamine. D’autres mutations ont également été identifiées sur des gènes contrôlant la glutamine, chargée de renforcer le système immunitaire contre les infections. Cette découverte confirme les observations cliniques qui montrent que les sujets ayant un risque plus grand de contracter une maladie infectieuse pendant l’enfance présentent également un risque accru de développer des symptômes schizophréniques.
Cette étude a utilisé l’« association pangénomique », une technique qui repose sur une vaste exploration du génome de nombreux individus et qui permet de localiser des variations génétiques associées à une maladie et d’identifier des mutations génétiques courantes qui ont peu d’effets lorsqu’elles sont isolées mais peuvent déclencher une pathologie lorsqu'elles sont associées.
Selon Michael O'Donovan (Université de Cardiff, Grande-Bretagne), auteur principal de cette recherche, « Cette analyse d’une ampleur sans précédent révèle les bases génétiques de cette maladie ».
Enfin, une autre étude récente réalisée par des scientifiques japonais de l’Institut des sciences du cerveau RIKEN vient de montrer le rôle important des défauts dans les protéines de liaison des acides gras (FABP) dans le déclenchement de certaines formes de schizophrénie et de troubles du spectre autistique.
Ces travaux dirigés par le Professeur Takeo Yoshikawa semblent indiquer que la perturbation de FABP participe d’un mécanisme biologique commun lors de l’apparition de certaines formes très répandues de ces deux troubles mentaux (Voir Oxford Journals). "L'identification des mutations FABP chez les humains peut nous conduire à la mise au point de thérapies sur mesure et fournir aux patients des molécules qui viendront compenser les anomalies et dysfonctionnement causées par leur mutation particulière" souligne le Professeur Yoshikawa.
L’ensemble de ces travaux récents éclaire d’une lumière nouvelle et très riche les bases biologiques et génétiques de ces maladies neurodégénératives sévères que sont Parkinson et Alzheimer mais également certains troubles graves du comportement, aux causes multiples et complexes, comme l’autisme et la schizophrénie.
Ces travaux viennent notamment confirmer d’une manière remarquable l’existence de mécanismes biologiques et génétiques communs dans l’apparition des maladies de Parkinson et d’Alzheimer. Ces recherches confirment également l’hypothèse de l’existence de facteurs génétiques communs de prédisposition à l’autisme et à la schizophrénie. Cette base commune et sous-jacente entre ces deux pathologies a notamment été confirmée en août 2013 par les recherches d’une équipe israélienne dirigée par Mark Weiser qui a mis en évidence un lien génétique entre l’autisme et la schizophrénie.
En travaillant sur plusieurs bases de données très importantes regroupant plus d’un million personnes en Israël et en Suède, l’équipe du docteur Weiser a constaté que les personnes ayant un frère ou une sœur schizophrène ont un risque multiplié par 12 de présenter des troubles autistiques (Voir MFA).
Toutes ces récentes découvertes montrent à quel point les analyses et études génétiques comparées, réalisées sur de vastes populations et s’appuyant sur une puissance de traitement informatique qui aurait été inimaginable il y a encore quelques années, sont en train de faire émerger une nouvelle approche globale de la structure de notre cerveau et des pathologies qui peuvent l'affecter.
L’enjeu de santé publique est immense quand on sait que, selon l’OMS, 450 millions de personnes souffrent de troubles mentaux et plus d’un milliard sont atteints de troubles neurologiques divers. Mais paradoxalement, loin du réductionnisme qui a pu prévaloir jusqu’à la fin du siècle dernier, ces avancées scientifiques et médicales confirment que la connaissance de l’ensemble de ces bases et facteurs biologiques et génétiques n’a de sens que dans le cadre conceptuel plus vaste et plus complexe des innombrables interactions qui s’établissent entre notre cerveau et son environnement, qu’il s’agisse de notre mode de vie, de nos relations sociales ou de notre vie culturelle ou affective.
Ces progrès décisifs dans la connaissance fondamentale de la structure biologique et des mécanismes génétiques qui sous-tendent le fonctionnement de notre cerveau vont, j’en suis convaincu, entraîner des révolutions thérapeutiques majeures dans le traitement et la prévention de l’ensemble des maladies des troubles qui peuvent affecter notre cerveau. Ces avancées scientifiques et médicales sans précédent vont également transformer de manière radicale la qualité de vie des personnes âgées et bouleverser à terme l’ensemble de notre société.
René TRÉGOUËT
Sénateur Honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat