Edito
Quel est le futur de l’aviation ?
Depuis le premier vol dirigé, réalisé en 1903 par les frères Wright, le transport aérien est passé d’une activité de pionniers à un moyen de transport rapide, sûr et de masse. Aujourd’hui, le secteur de l’aéronautique représente environ 8 % du produit mondial brut et emploie, selon l’étude intitulée "Aviation: Benefits Beyond Borders" 56,6 millions de personnes dans le monde (dont 266 000 personnes en France).
Il y avait en 2013 environ 20 000 avions de ligne en état de voler dans le monde et on estime qu’ils effectuent quelque 80.000 vols chaque jour, soit un décollage et un atterrissage chaque seconde. La croissance du trafic aérien, dopé notamment par le développement économique de l’Asie, devrait permettre de constater un triplement d’ici 2050. Concrètement, cela signifie que le nombre de passagers transportés pourrait passer de 3 à 9 milliards par an ! A plus court terme, d’ici 2030, on estime que le nombre annuel de vols pourrait passer de 30 à 50 millions et le nombre annuel de passagers transportés de 3 à 5 milliards !
Pour les vingt prochaines années, Boeing estime pour sa part que la croissance annuelle moyenne du transport aérien sera de 5 % et évalue le marché à 35 280 nouveaux avions commerciaux (transports et fret), soit 5 nouveaux avions par jour, pour une valeur totale de 4 800 milliards de dollars (Voir rapport). Selon Boeing, le marché des avions monocouloir (737 et A320) va poursuivre son essor et représentera 70 % du marché en 2050 cependant que les nouveaux appareils bi-couloir (787 et A350) sont également appelés à un fort développement et devraient représenter 22 % du marché au milieu du siècle.
Toujours selon les prévisions de Boeing, le marché mondial des avions commerciaux, boosté par la demande asiatique qui représentera au moins un tiers de la croissance du secteur, restera massivement dominé par Boeing et Airbus.
Mais ce développement massif de l’aviation commerciale civile ne sera possible qu’à cinq conditions : 1°/ : réduire drastiquement le coût d’exploitation moyen par passager transporté, 2°/ : réduire l’impact sur l’environnement et le climat et enfin, 3°/ : réduire sensiblement les nuisances pour les riverains, en dépit de l’augmentation de ce trafic aérien. La quatrième condition concerne bien entendu l’amélioration de la sécurité aérienne qui devra être poursuivie en dépit de l’accroissement du nombre de vols. A cet égard, rappelons que 2013 a été l’année la plus sûre dans le transport aérien depuis 2003, avec 224 décès, contre une moyenne de 703 entre 2003 et 2012, selon le dernier bilan de l'Agence européenne de la sécurité aérienne (AESA).
Enfin la cinquième et dernière condition concerne la préparation des ruptures technologiques qui devront permettre l’avènement, à l’horizon 2040, d’appareils commerciaux hypersoniques qui viendront effacer la régression technologique que constitue la fin des vols supersoniques civils depuis l’arrêt du Concorde en 2003.
En juin 2011, Airbus a dévoilé sa conception de l’avion du futur, prévu pour 2050. Pour ce constructeur européen, l’avion qui volera au milieu de ce siècle devra posséder une structure bionique qui pourra évoluer en fonction des conditions climatiques. La coque sera transparente de manière à permettre aux passagers de bénéficier d’une vision panoramique de l’espace extérieur. À l’intérieur de l’appareil, les passagers pourront évoluer librement entre un espace de relaxation et un espace de travail permettant la télé présence et les téléconférences virtuelles.
Bien entendu cet avion devra être beaucoup plus sobre en carburant que les avions actuels et émettre le plus faible niveau possible de gaz à effet de serre, ce qui suppose des modes de propulsion hybride associant biocarburants, ou hydrogène et propulsion électrique.
Au cours de la phase de décollage, cet avion du futur sera probablement propulsé par un circuit d’induction magnétique intégré dans le fuselage et alimenté par des pistes électromagnétiques au sol. Grâce à ce système, les avions pourront décoller plus rapidement et se stabiliser plus vite à leur altitude de croisière, tout en consommant moins d’énergie et en réduisant les nuisances sonores.
Airbus prévoit également la généralisation des systèmes de navigation 4-D qui permettront aux avions de voler en formation, comme le font les oiseaux, ce qui entraînera également une forte diminution de la consommation de carburant.
Par exemple, les vols transatlantiques au départ de Londres, Paris et Madrid convergeront au-dessus de l’Atlantique et se regrouperont en une formation qui permettra à ces avions d’exploiter l’énergie provenant des tourbillons en bout d’aile de l’avion de tête, réduisant ainsi la traînée et augmentant l’efficacité des moteurs tout en diminuant les émissions polluantes.
Bien entendu la phase d’atterrissage sera également entièrement recomposée grâce à la généralisation des systèmes prédictifs de navigation utilisant l’intelligence artificielle, qui seront capables de calculer le moment optimal pour quitter l’altitude de croisière et entamer une descente continue et progressive vers l’aéroport en réduisant au minimum la puissance des moteurs. Là encore, l’objectif est de réduire drastiquement la consommation de carburant, la pollution et les nuisances sonores.
Il est vrai qu’il y a urgence car avec plus d’un milliard de tonnes émises en 2013, l’aviation civile représente à présent plus de 3 % des émissions humaines de CO2 au niveau mondial ou encore l’équivalent de deux fois et demi les émissions annuelles de la France ! Il faut cependant rappeler que, grâce aux progrès technologiques de ces dernières décennies en matière de motorisation, de matériaux et de couloirs aériens, la consommation de carburant dans l'aviation n'a augmenté que de 3 % ces dix dernières années pour une hausse du trafic de 45 % sur cette période. Selon l'agence internationale du transport aérien (Iata), l'utilisation de biocarburants, combinée à d'autres mesures comme de nouveaux systèmes de gestion du trafic aérien, tel le programme Sesar en Europe, pourrait permettre de diminuer les émissions de CO2 de 50 % en 2050 par rapport à 2005.
Mais il va falloir aller encore beaucoup plus loin et remplacer progressivement le kérosène -principal carburant utilisé actuellement par l’aviation- par des bio et agrocarburants issus de matières végétales renouvelables ou de micro algues et présentant un bilan neutre en carbone. Pour accélérer cette transition, la Commission Européenne s'est d’ailleurs engagée à acheter aux producteurs d'agrocarburants 4 % du volume total utilisé dans l'aviation à l'horizon 2020.
En octobre 2011, un Airbus a effectué le premier vol Toulouse-Paris avec un mélange 50/50 kérosène-biocarburant. Le mélange utilisé, de kérosène classique et de bio-kérosène obtenu par hydrotraitement à partir d’huiles usagées (des huiles de friture, précise le ministère de l’Ecologie), a permis sur le vol AF6129 de réduire les émissions du vol à 54g de CO2 par passager par km, deux fois moins que sur un vol traditionnel. En avril 2013, la compagnie aérienne China Eastern Airlines a également effectué avec succès son premier vol alimenté au biocarburant, avec un Airbus A320
L’avion du futur sera donc à la fois plus sobre, plus sûr, plus propre et plus confortable que les appareils que nous empruntons aujourd’hui mais une question récurrente taraude le secteur de l’aéronautique : cet avion qui volera vers 2050 sera-t-il également plus rapide ? La réponse à cette question complexe peut se formuler ainsi : oui, il y aura sans doute des avions commerciaux hypersoniques au milieu du siècle mais ils resteront minoritaires pour des raisons économiques.
En effet, quelles que soient les technologies utilisées, la vitesse coûte très cher en aviation et la priorité des compagnies aériennes est de proposer à un maximum de clients des billets d’avion au prix le plus bas possible. Les vols hypersoniques commerciaux existeront probablement en 2050 mais ils seront encore réservés à une clientèle très aisée et donc restreinte.
Il est vrai que les défis technologiques et industriels à relever pour fabriquer des appareils hypersoniques fiables et rentables sont tout à fait considérables, ce qui n’empêche pas tous les constructeurs de préparer l’avenir et de travailler à la mise au point de ce nouveau type révolutionnaire d’appareils.
EADS a par exemple dans ses cartons un projet d’avion hypersonique pouvant emmener une centaine de passagers de New York à Tokyo en 2h30 ! Ce projet, baptisé ZEHST dans le cadre d'un partenariat associant EADS, l'ONERA, le laboratoire de recherche aérospatial français et le Japon, s’appuie sur les recherches menées par Astrium, la filiale spatiale d’EADS, dans le cadre de son programme d'appareil sub-orbital, le Space plane. Techniquement, ce futur avion hypersonique combinera trois types de propulsion : du décollage jusqu'à 5000 mètres d'altitude, cet appareil sera propulsé à l’aide d’un turbo-jet qui utilisera des biocarburants de 3e génération développés à partir de la culture d'algues.
Ensuite, pendant la montée en altitude, au-delà de 20.000 mètres à 0,8 mach, l'appareil utilisera des moteurs cryogéniques comme ceux du lanceur Ariane, alimentés par de l'hydrogène. Enfin, pour atteindre sa vitesse hypersonique de croisière (mach 4) et une très haute altitude (32.000 mètres), ZEHST utilisera des moteurs appelés Ramjets, dérivés de ceux utilisés sur les missiles de croisière. Comme sur les navettes spatiales, cet avion amorcera sa descente en planeur puis atterrira en utilisant ses moteurs classiques.
Il existe un projet européen lancé en 2005 auquel participe l’Agence spatiale européenne, baptisé LAPCAT (pour «Long-Term Advanced Propulsion Concepts and Technologies»). Ce projet vise à rallier Bruxelles à Sydney en 3 heures de vol, contre 22 heures aujourd’hui en volant à des vitesses allant de Mach 5 à Mach 8, soit 6120 km/h à 9782 km/h. Il est toutefois peu probable, compte tenu des obstacles technologiques très importants qui restent à surmonter, que ces avions hypersoniques puissent effectuer leurs premiers vols commerciaux avant au moins 20 ans.
Mais, comme nous l’avons déjà évoqué, les ruptures technologiques majeures attendues dans le transport aérien d’ici 30 ans, ne concerneront pas seulement la vitesse de déplacement des appareils mais également et même essentiellement la gestion intelligente du trafic aérien et l’évolution des modes de propulsion permettant de réaliser des avions deux ou trois fois moins gourmands en énergie et pratiquement non polluants et non émetteurs de gaz à effet de serre.
Les ingénieurs de la NASA du centre de recherche Langley ont ainsi dévoilé en 2010 un concept très novateur qui vise à assurer les livraisons urgentes et les transports rapides interurbains grâce à de petits avions électriques et entièrement automatiques d’un poids de 135 kg et d’une longueur de 3,70 m, capables d’atterrir et de décoller verticalement. Équipés de batteries au lithium, ces appareils électriques pourraient voler à 240 km/h. Bien que leur autonomie soit pour l’instant limitée à 80 km, les ingénieurs de la NASA sont persuadés qu’il sera possible de dépasser les 300 km d’autonomie à la fin de cette décennie en utilisant de nouveaux types de batteries plus performantes.
Mais en attendant l’avion tout électrique, la propulsion hybride, qui connaît un vif succès dans le domaine automobile, est également en train d’être expérimentée dans l’aviation. En 2011, EADS, Diamond Aircraft et Siemens ont construit le premier avion de série du monde équipé d’un moteur thermique et d'un moteur électrique. Ce moto-planeur est le premier à utiliser un entraînement hybride électrique, associé à une chaîne cinématique intégrée. Son hélice est entraînée par un moteur électrique de 70 kW de Siemens. L'électricité est fournie par un petit moteur Wankel d’Austro Engine, couplé à un générateur électrique qui fonctionne uniquement comme source d'alimentation électrique.
Ce système de propulsion hybride permet une très faible consommation de carburant et autorise également une grande autonomie. Siemens travaille actuellement sur un nouveau moteur électrique qui devrait être cinq fois plus léger que les moteurs conventionnels, ce qui améliorera encore les performances de cet avion.
Le 25 avril dernier, une nouvelle étape technologique a été franchie avec le premier vol du nouvel avion tout électrique développé depuis 3 ans par Airbus, le E-Fan. L'E-Fan fait partie des 34 projets de "La nouvelle France industrielle", lancé en septembre par le gouvernement. Cet avion entièrement électrique de nouvelle génération fait 6,7 m de long et 9,5 m d'envergure et peut emmener deux passagers. Il est construit en fibre de carbone et propulsé par deux moteurs de 60 kW chacun et alimentés par une série de batteries au lithium-ion polymère de 250 volts.
D’un poids à vide de 550 kilos, l’E-Fan peut voler à 160 km/h en vitesse de croisière mais il n’a, pour le moment, qu’une autonomie d’une heure trente, contre plus de quatre heures pour un avion de tourisme classique. Cet avion sera donc destiné, dans sa version actuelle, aux missions de courtes durées, à la formation des pilotes débutants et au remorquage des planeurs.
Mais Airbus compte bien améliorer suffisamment les performances de cet avion pour pouvoir commercialiser, à l'horizon 2050, un appareil régional hybride qui pourrait transporter une dizaine de passagers et disposerait d’une autonomie d’au moins quatre heures.
Mais la principale révolution qui pourrait radicalement transformer l’organisation et la nature même du transport aérien a été dévoilée en juin 2013 par l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne en Suisse. Il s’agit de l’avion modulable ! Les chercheurs et ingénieurs suisses ont en effet imaginé un système de transport intégré vraiment révolutionnaire, baptisé Clip-Air, qui permettrait aux passagers, à partir des gares ferroviaires, d'embarquer dans une capsule puis de rejoindre l'aéroport le plus proche et enfin de s'envoler en restant toujours dans le même module physique !
Dans ce concept, une aile volante abritant les moteurs, les réservoirs et les systèmes de navigation a été conçue pour emporter une, deux ou trois capsules de fret ou de passagers (150 personnes par capsule), en fonction des besoins. Loin de relever d’un roman de science-fiction, ce projet élaboré par un établissement de recherche mondialement réputé obéit à un cahier des charges très strict qui intègre l'ensemble des contraintes techniques et réglementaires. "Nous sommes convaincus que ce concept de rupture avec les types d'appareils actuels pourrait avoir un impact économique et social gigantesque, si nous parvenons à surmonter toutes les difficultés techniques", précise Claudio Leonardi, chef du projet Clip-Air (Voir EPFL).
Selon les études et simulations réalisées par les chercheurs de l'EPFL, ce nouveau concept de transport pourrait avoir une efficacité bien plus grande pour un coût d'utilisation bien moindre que n'importe quel avion actuel ou à venir, en raison d’une efficacité énergétique par passager deux fois supérieure à celle des appareils actuels mais aussi d'une flexibilité de gestion et d'utilisation sans égale.
Le gabarit et le poids de ces capsules (30 mètres de long pour 30 tonnes) seraient calqués sur ceux d’un wagon de chemin de fer et ce système de transport serait donc totalement compatible avec les infrastructures ferroviaires et aéroportuaires existantes.
Il est enfin impossible d’imaginer l’avenir de l’aviation sans évoquer la révolution représentée par l’arrivée rapide et massive des drones dans de multiples secteurs d’activité, qu’il s’agisse de la défense, de la sécurité, de l’agriculture, de l’environnement, de l’industrie ou encore du tourisme…
Ces appareils volants sans pilote, dont la taille varie de quelques centimètres à plusieurs dizaines de mètres et dont l’autonomie peut aller de quelques minutes à plusieurs semaines, sont devenus en seulement quelques années des auxiliaires absolument irremplaçables dans toutes les activités d’observation, de détection et d’analyse rapides et précises d’environnements vastes et complexes.
Bien que le grand public connaisse surtout les drones au travers de leurs spectaculaires actions dans le domaine militaire et en matière de lutte contre le terrorisme, ces appareils de plus en plus sophistiqués autonomes et intelligents ont également pris une place irremplaçable dans des secteurs comme la protection de l’environnement, la lutte contre l’incendie et l’agriculture de précision.
Il y a seulement quelques semaines, la firme senseFly a mis sur le marché l'eBee, un drone s’appuyant sur une cartographie détaillée des cultures. Pesant seulement 750 g pour environ 1 m d’envergure, ce drone est équipé d'un capteur photo multi-spectral très performant lui permettant de mesurer la quantité de lumière réfléchie par les feuilles des cultures afin d’évaluer l'état de la photosynthèse et d'estimer la quantité de biomasse ou les besoins en azote (voir senseFly).
L’eBee, qui vole à environ 80 km/h et dispose d’une autonomie de 45 minutes, peut couvrir une superficie de 10 hectares. En comparant le relevé cartographique effectué par ce drone avec les modèles élaborés par l’INRA, l’agriculteur dispose d’un outil fiable et précis qui va lui permettre d’optimiser parfaitement les différents paramètres spécifiques à ses cultures.
Mais il existe une nouvelle génération de drones encore plus étonnants, bien qu’encore à l’état expérimental, comportant notamment des engins « multicoptères », comme celui présenté il y a quelques semaines par le Centre allemand de recherche aérospatiale (DLR). Ce prototype de quadrirotor peut, en cas de besoin, se passer de GPS et trouver son chemin de manière autonome pour atteindre son objectif en utilisant une caméra stéréoscopique et des capteurs lui permettant de se repérer. Dans quelques années, ce type d’engins sera présent pour surveiller la plupart des espaces fermés, qu’il s’agisse du métro, des immeubles de bureaux, des magasins ou encore des bâtiments industriels …
À plus long terme mais sans doute plus rapidement qu’on ne l’imagine, d’autres générations de mini et de micro-drones, dont certains ne seront pas plus grands que des insectes, viendront peupler notre environnement et nous rendront une multitude de services sans même que nous remarquions leur présence…
Les frères Wright, lorsqu’ils ont effectué leur premier vol en 1903, étaient sans doute loin de s’imaginer, même dans leurs rêves les plus fous, qu’un peu plus d’un siècle plus tard, il y aurait en permanence dans le ciel plus de 500 000 personnes en train de se déplacer en avion ! Et ils pouvaient encore moins pressentir l'extraordinaire avenir de l’aviation qui se profile à l’horizon 2050 : des centaines de millions d’objets et d’engins volants de toute nature et de toute taille, évoluant en permanence dans notre environnement et allant du micro-drone de quelques millimètres, se déplaçant à la vitesse d’un insecte, à l’avion-fusée volant à Mach 6 et reliant Paris à New-York en une heure !
René TRÉGOUËT
Sénateur Honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat