Edito
Les six plaies fatales qui menacent l’Humanité
Depuis le 7 avril, les représentants des 195 pays membres du Groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat (GIEC) sont réunis à Yokohama, au Japon, en vue d’adopter avant Dimanche prochain, un "résumé pour décideurs", c’est-à-dire une synthèse de quelque dizaines de pages du dernier et énorme rapport que vient de publier le GIEC.
Cette organisation internationale de recherche sur le climat a en effet adopté, le 31 mars, son 5e rapport sur les impacts du changement climatique, un document qui s’appuie sur un immense travail de lecture et de compilation de douze mille publications scientifiques (Voir IPCC-WG2).
Au-delà de leur intérêt scientifique inestimable, ces recherches ont également une finalité politique majeure puisqu’elles vont éclairer les dirigeants et responsables politiques du monde entier qui doivent absolument parvenir à conclure un accord international global et contraignant sur les réductions d'émissions de gaz à effet de serre d’ici la fin 2015, à Paris, pour prolonger et surtout amplifier les résultats réels mais insuffisants obtenus grâce au Protocole de Kyoto qui vient à expiration.
Il faut en effet rappeler qu’entre 2008 et 2010, les 37 pays soumis à cet accord signé en 1997 ont émis, en moyenne annuelle, 16,8 MtéqCO2 (millions de tonnes équivalent CO2/an), soit 10 % de moins qu'en 1990 mais 17 pays (dont 8 de l'Union européenne) n'ont pas atteint leur objectif et la concentration de CO2 dans l'atmosphère a augmenté de 10 % depuis 20 ans, notamment à cause du fait que les deux tiers des émissions proviennent à présent des pays émergents qui ne sont pas soumis à cet accord international.
Fin 2013, les émissions annuelles mondiales de CO2 (qui représentent un peu plus de 70 % de l’ensemble des gaz à effet de serre) atteignaient, selon le Global Carbon Project, 39 gigatonnes (déforestation incluse) et avaient augmenté globalement de plus de 60 % depuis 1990, année de référence pour le Protocole de Kyoto. Quant à l’ensemble des gaz à effet de serre, on estime que leurs émissions auraient atteint 53 gigatonnes en 2013, contre 29 gigatonnes en 1970, soit une hausse de 83 % en un peu plus de 40 ans… Il est toutefois intéressant de souligner que les émissions moyennes annuelles de gaz à effet de serre par terrien ont légèrement baissé depuis 1970 passant de 7,8 tonnes à 7,4 tonnes mais la population mondiale ayant pratiquement doublé au cours des 40 dernières années, les émissions globales de gaz à effet de serre ne pouvaient qu’exploser !
Si l’on se concentre à présent sur le CO2 et que l’on raisonne en termes de concentration atmosphérique, les derniers chiffres publiés il y a seulement quelques jours par l’Agence américaine océanique et atmosphérique (NOAA) nous apprennent que le seuil symbolique de 400 parties par million (ppm) a été atteint deux mois plus tôt cette année que l’an passé, ce qui confirme que la Planète continue à connaître un réchauffement climatique accéléré.
Rappelons qu’avant l’ère industrielle, à la fin du XVIIIe siècle, la concentration atmosphérique en CO2 était de l’ordre de 280 PPM et, comme le souligne James Butler, l’un des responsables de la NOAA, «Ce taux de 400 ppm nous rappelle que le CO² continue d’augmenter dans l’atmosphère, et à des niveaux toujours plus rapides. Et cette hausse coïncide avec l’augmentation des émissions provenant des énergies fossiles».
La NOAA souligne également que si la concentration en CO² de dioxyde de carbone a augmenté de 120 ppm depuis le début de l’ère industrie, les deux tiers de cette augmentation (90 ppm) ont eu lieu au cours du dernier siècle.
Cette évolution est d’autant plus alarmante que l’immense majorité des scientifiques souligne qu’il sera impossible de limiter la hausse des températures mondiales à 2°C si la concentration atmosphérique de CO² dépasse le seuil des 450 PPM en 2050.
Si l’on raisonne en valeur absolue, les précédents travaux du GIEC, s’appuyant sur des études scientifiques très solides, avaient montré que la quantité totale de carbone émise par l’homme depuis le début de l’ère industrielle ne devait pas excéder au total 790 gigatonnes si l’Humanité voulait avoir une chance raisonnable de maintenir le réchauffement climatique sous la barre des 2°C. Sachant que les activités humaines ont déjà provoqué l’émission de 550 gigatonnes de carbone dans l’atmosphère depuis la révolution industrielle, le « solde » disponible - environ 240 gigatonnes de carbone- correspond à peine à 23 ans d’émissions de CO² au rythme actuel et encore, en supposant que ces émissions restent au niveau de 2013…
S’appuyant sur ce calcul implacable, l’économiste indien Rajendra Pachauri, membre éminent du GIEC et le climatologue mondialement réputé James Hansen plaident pour leur part pour un objectif encore plus draconien visant à retrouver le niveau de 350 PPM d’ici 2050, sous peine de provoquer un emballement incontrôlable du climat mondial.
Selon Michael Mann, spécialiste du climat à l’Université de Penn State, le défi majeur que doit affronter l’Humanité est la vitesse avec laquelle les concentrations de CO² augmentent. «Il n’y a aucun précédent dans l’histoire de la Terre où on a assisté à une augmentation aussi abrupte dans les concentrations de gaz à effet de serre. Il a fallu à la nature des centaines de millions d’années pour modifier les concentrations de CO2 à travers des processus naturels, comme l’enfouissement du carbone. Et nous, nous le déterrons, mais pas sur 100 millions d’années. Nous le déterrons et le brûlons sur une échelle de 100 ans, un million de fois plus vite ».
Cette situation est d’autant plus inquiétante que plusieurs études récentes ont montré que depuis une trentaine d’années, la capacité globale des océans - qui absorbent près de la moitié de nos émissions de CO² - à stocker le carbone semble affectée par le réchauffement climatique et commence à diminuer sensiblement dans les zones subtropicales. Ce phénomène est notamment visible dans l'acidité des océans qui a progressé de 30 % depuis le début de la révolution industrielle.
C’est dans ce contexte scientifique qu’il faut mesurer la gravité et l’importance des conclusions et recommandations exprimées de manière particulièrement argumentée par ce 5ème rapport du GIEC, consacré aux conséquences du réchauffement climatique. Pour la première fois, le GIEC précise que la mutation du climat et des écosystèmes provoquée par l’activité humaine constitue une sérieuse menace pour l’approvisionnement alimentaire mondial. « Tous les aspects de la sécurité alimentaire sont potentiellement affectés », précise cette étude.
Le rapport souligne que de nombreuses cultures alimentaires absolument vitales, comme le blé, le maïs ou le riz, risquent de connaître une diminution de leur rendement de l’ordre de 2 % par décennie, alors que la demande devrait augmenter d’au moins 14 % d’ici à 2050. L’étude prévoit « Moins d’eau et de ressources alimentaires ainsi que des migrations accrues, cela va indirectement augmenter les risques de conflits violents ».
Le GIEC souligne que, dans de nombreuses régions, le changement dans les régimes de précipitations et la fonte des neiges et des glaciers ont déjà modifié les systèmes hydrauliques, « affectant les ressources en eau en quantité et en qualité et que le changement climatique a également eu un impact plus négatif que positif sur la production alimentaire ». Dans son rapport, le GIEC prévoit également une baisse globale des ressources des océans ainsi qu’une diminution sensible de la production de blé, de maïs et de riz. L’étude ajoute qu’une augmentation de « seulement » 2°C par rapport à la période préindustrielle pourrait entraîner une perte allant jusqu’à 2 % des revenus annuels mondiaux.
À partir de la deuxième moitié de ce siècle, ce dernier rapport du GIEC précise que l’Humanité, si nous restons sur le rythme actuel de réchauffement climatique, va se retrouver simultanément confrontée à six défis majeurs presque insurmontables : le premier concerne les ressources disponibles en eau qui risquent de diminuer sensiblement alors que les besoins augmenteront du fait de l’évolution démographique, des besoins agricoles et des épisodes de sécheresse de plus en plus fréquents et intenses dans de vastes régions du monde.
Le deuxième défi concerne l’impact de ce réchauffement climatique qui risque de pénaliser gravement le développement et la croissance économique et de rendre très difficile la réduction de la pauvreté au niveau mondial.
Le troisième défi concerne la montée des tensions et des conflits résultant de la raréfaction des ressources en eau et en alimentation et de l’augmentation considérable des migrations de population directement provoquées par le changement climatique. On estime en effet que ces migrations d’origine climatique pourraient être multipliées par 20 d’ici 40 ans, pour atteindre 1 milliard de « déplacés climatiques ».
Le quatrième défi a trait à la très forte augmentation prévue des inondations et de l’érosion, notamment sous l’effet accéléré de la hausse du niveau des mers qui pourrait dépasser 80 cm d’ici la fin de ce siècle, affectant gravement la vie de plusieurs centaines de millions de personnes vivant dans des régions côtières très fortement urbanisées.
Le cinquième défi concerne l’impact de ce réchauffement sur le plan sanitaire et médical avec, d’une part, une modification de la géographie des maladies dues aux changements du régime des pluies et des températures et, d’autre part, l’apparition dans les pays tempérés comme le nôtre de certaines pathologies d’origine tropicale dont l’essor sera favorisé par le réchauffement des températures.
Enfin, le sixième défi pointé par le GIEC concerne le risque d’extinction accélérée et de disparition complète de nombreuses espèces végétales et animales qui n’auront pas le temps ou la capacité de s’adapter à des modifications brutales et rapides de leur environnement. À cet égard, l’acidification à un rythme sans précédent des océans est déjà en train de menacer gravement de nombreuses espèces marines.
Il faut également préciser, pour ceux (ils sont heureusement de moins en moins nombreux) qui seraient encore sceptiques vis-à-vis des dernières conclusions alarmantes du GIEC, que d’autres organisations très sérieuses et peu suspectes de sympathie écologistes, tirent également le signal d’alarme pour alerter le monde sur les périls de très grande ampleur qui menacent l’humanité si nous n’agissons pas plus vigoureusement pour limiter les effets dévastateurs de la rupture climatique mondiale en cours.
C’est ainsi que la Banque mondiale, dans un rapport publié en juin 2013, confirme que la hausse des températures mondiales, qui pourrait atteindre 4°C dès 2060, constitue bien, dans la perspective, une menace majeure pour la santé et les moyens de subsistance des populations les plus vulnérables. Une telle situation «déclencherait une cascade de changements cataclysmiques, dont des vagues de chaleur extrême, une chute des stocks alimentaires et une montée du niveau de la mer frappant des centaines de millions de personnes», précise la Banque mondiale. Le Président de cette institution, Jim Yong Kim, souligne « qu’il est urgent d'agir, non seulement pour réduire les émissions des gaz à effet de serre, mais aussi pour aider les pays à se préparer à de graves extrêmes climatiques et météorologiques. »
Selon ce rapport de la Banque mondiale, malheureusement pleinement confirmé par les toutes dernières publications du GIEC, les sécheresses et la chaleur risquent de rendre 40 % des terres cultivées en maïs inexploitables en Afrique subsaharienne et la proportion de population sous-alimentée pourrait augmenter dans les années 2050 de 25 à 90 % par rapport à la situation actuelle.
En Asie, la perturbation du régime des moussons, va entraîner à la fois une accélération de la fréquence des inondations catastrophiques, comme celles du Pakistan en 2010, et des sécheresses extrêmes, comme celles que connaissent l’Inde et l’Australie de plus en plus régulièrement.
Ce rapport très alarmiste de la Banque mondiale ne fait lui aussi que confirmer malheureusement une précédente étude du même organisme publié en 2006 par l’éminent économiste Nicholas Stern et qui estimait à 20 % du produit annuel mondial brut (soit 5 500 milliards d’euros), le coût économique global de l’inaction contre le réchauffement climatique.
Reste que ce défi mondial du réchauffement climatique est d’autant plus redoutable qu’il faut toujours le replacer dans un double contexte : géopolitique d’une part et économique et social d’autre part. Sur le plan géopolitique, le grand basculement s’est produit en 2006 quand la Chine est devenue le principal émetteur mondial de CO² devant les États-Unis, avec plus de 20 % des émissions mondiales de carbone. Par ailleurs, l’ensemble des pays émergents sont devenus depuis 2010 les principaux émetteurs de gaz à effet de serre en valeur absolue et, même si l’on raisonne par habitant, il faut rappeler qu’un Chinois émet à présent pratiquement autant de CO² par an qu’un Français (environ 6 tonnes) et pas beaucoup moins qu’un Européen moyen (environ 8 tonnes).
Il est donc clair qu’aucun accord international ne pourra avoir un impact réel sur la diminution des émissions de gaz à effet de serre au niveau mondial s’il n’inclut pas non seulement l’Europe, les États-Unis, la Russie et Japon mais également les grandes économies émergentes que sont la Chine, l’Inde, le Brésil, l’Indonésie, l’Afrique du Sud ou encore le Mexique.
Mais une difficulté supplémentaire est liée à la grande hétérogénéité, sur le plan économique, des sources humaines d’émissions de gaz à effet de serre. Il faut en effet rappeler que, contrairement à beaucoup d’idées reçues, les activités liées à la production d’énergie ne représentent qu’un peu plus d’un tiers des émissions humaines de gaz à effet de serre. Le solde est constitué pour un quart par les activités agricoles et forestières, pour un cinquième par les activités industrielles et pour un sixième par le secteur des transports.
Se concentrer uniquement sur la transition énergétique et sur la substitution des énergies renouvelables aux énergies fossiles est donc nécessaire mais en aucun cas suffisant. C’est pourquoi la très grande majorité des scientifiques soulignent que la nécessaire réduction de moitié, d’ici 2050, des émissions globales de gaz à effet de serre d’origine humaine (ce qui suppose de diviser par trois les émissions de gaz à effet de serre dans les pays industrialisés), devra également passer par de profonds bouleversements des habitudes alimentaires et des pratiques agricoles et par un effort politique sans précédent au niveau mondial pour mettre fin à la déforestation dans les zones tropicales et accélérer parallèlement le reboisement partout où cela est possible, de manière à obtenir au final un solde à nouveau positif de croissance forestière.
Parallèlement à ces efforts, l’industrie devra utiliser pleinement les ruptures technologiques en cours pour multiplier au moins par trois son efficacité énergétique. Quant au secteur des transports, il devra également accomplir une véritable révolution en accélérant sa transition vers des carburants propres de faible niveau d’émissions de CO² et en intégrant massivement l’utilisation des technologies numériques de manière à accroître très sensiblement son efficacité et son utilité sociale sans augmenter le nombre de véhicules et la taille des infrastructures.
Mais, face à un défi d’une telle ampleur, l’ensemble de ces efforts ne suffiront pas. La décarbonisation accélérée de l’économie mondiale devra également combiner de manière beaucoup plus puissante et systématique des systèmes d’échange de quotas d’émissions (les « bourses » du carbone) et les dispositifs réglementaires et fiscaux contraignants qui pénaliseront directement, dans tous les secteurs d’activité, les émissions de gaz à effet de serre et notamment de CO² et conféreront à chaque tonne de carbone utilisé une valeur correspondant à son coût économique, social et environnemental.
À cet égard, un article très intéressant, intitulé « Réchauffement climatique : Améliorer les modèles économiques du changement climatique », a été publié il y a quelques jours dans la prestigieuse revue américaine « Nature » (Voir Nature). Après avoir rappelé les conclusions alarmantes du dernier rapport du GIEC, cet article souligne que les sciences économiques doivent se réformer profondément de manière à intégrer pleinement les coûts réels, environnementaux, sanitaires et sociaux, liés aux émissions massives de gaz à effet de serre d’origine humaine
L’article souligne que le gouvernement américain a récemment évalué la valeur économique d’une tonne de CO2 à 37 dollars (43 dollars en 2020), en y incluant le coût social des dommages évités grâce aux politiques qui réduisent ces émissions de CO2.
Mais si cet article se félicite de cette prise de conscience du coût économique et social global des émissions de gaz à effet de serre, il rappelle avec pertinence que les coûts futurs du changement climatique pourraient être encore plus élevés, pour trois raisons. Tout d'abord, l’Histoire des civilisations nous montre que les économies et les sociétés peuvent être plus vulnérables au changement climatique qu’elles ne l’imaginent, notamment à cause des effets de rupture qui peuvent se produire en matière de rendement agricole et de production alimentaire si nous franchissons un certain seuil de réchauffement global.
Deuxièmement, la plupart des modèles économiques utilisés ne tiennent pas compte des pertes sensibles en productivité du travail mais également en capitaux, notamment dans le domaine des infrastructures.
Troisièmement, la plupart de ces modèles supposent que la valeur des écosystèmes restera constante mais cela est loin d’être certain car les services rendus gratuitement par les écosystèmes sont susceptibles de diminuer à mesure que le réchauffement va les dégrader. Résultat : il est très probable que les coûts des dommages provoqués par le changement climatique sur les écosystèmes soient bien plus importants que prévu…
Cette question liée à la difficulté d’évaluer le coût économique et social global des mesures d’adaptation au changement climatique est également présente dans le rapport final du GIEC qui estime notamment que la transition inévitable vers des sources d’énergie faiblement émettrices de gaz à effet de serre (dont la part dans le mix énergétique mondial pourrait passer de 17 % en 2010 à plus de 50 % en 2050) coûtera entre deux et six pour cent du PIB mondial d’ici 2050.
À ce stade de la réflexion, il est intéressant d’évoquer les conclusions d’un travail que vient de publier le CNRS, à l’occasion de la semaine du développement durable et qui concerne le développement de technologies moins polluantes et la valorisation économique possible de gaz à effet de serre et notamment du CO².
Le texte met en avant trois principaux axes de recherche pour la valorisation du CO² : en premier lieu, le captage et le stockage du CO² qui nécessitent le développement de technologies compétitives permettant d’extraire, de purifier et de stocker le CO².
Le deuxième axe consiste à trouver le moyen de transformer le CO², de le valoriser en utilisant des procédés biotechnologiques très prometteurs. À cet égard, de récentes recherches ont montré que le CO² pouvait servir « d’aliment » à certains micro-organismes (bactéries ou levures) pour produire du méthane ou encore des composés chimiques pouvant servir à l’assemblage de produits à haute valeur ajoutée, notamment dans les domaines industriel, médical et pharmaceutique.
Troisième axe, complémentaire des deux premiers, il repose sur l’utilisation de procédés thermochimiques, tels que hydrogénation, qui permet également de produire de nombreux composés chimiques ayant de nombreux champs d’application dans l’industrie ou les transports.
Cette étude du CNRS est extrêmement intéressante car elle montre que le défi du changement climatique et l’impérieuse nécessité de réduire les émissions humaines de gaz à effet de serre, en les divisant par deux d’ici le milieu de ce siècle (Ce qui signifie, compte tenu de l’évolution démographique, que chaque habitant de la planète devra diviser en moyenne par trois ses émissions de GES), ne doivent pas seulement être envisagés sous l’angle de la destruction de valeur économique globale pour l’Humanité mais peuvent aussi, à condition que nous y mettions les moyens humains et financiers nécessaires, devenir des moteurs d’innovation scientifique et technique et de croissance économique.
Il en va de même dans le domaine de la production d’énergie décarbonée et de la nécessaire transition des énergies fossiles aux énergies renouvelables. Si l’on veut en effet que l’ensemble des énergies renouvelables (éolien, solaire, biomasse et énergies des mers) puissent couvrir la moitié de la consommation énergétique totale de la Planète à l’horizon 2050, cela suppose non seulement un saut quantitatif en termes d’équipement et de taille d’installation mais également de véritables ruptures technologiques qui permettront de multiplier par trois ou quatre l’efficacité énergétique de ces différentes sources d’énergie.
Je suis convaincu qu’un tel objectif n’est pas hors de portée, surtout si nous intégrons l’apport décisif des nanotechnologies, des biotechnologies, des nouveaux matériaux et de la puissance de calcul phénoménal dont les scientifiques disposeront avant la fin de cette décennie avec l’arrivée des machines exaflopiques. En revanche, il est certain qu’il va falloir complètement réorganiser les structures et le fonctionnement de la recherche fondamentale et appliquée de manière à pouvoir transférer plus rapidement les avancées théoriques sur le plan technique et industriel.
Mais il faut bien être conscient du fait que, face à l’ampleur du défi qui nous attend, l’ensemble de ces mesures économiques, sociales et politiques très volontaristes ne suffiront pas si elles ne sont pas accompagnées par une profonde réorganisation de nos modes de production et de distribution des biens et des services et par une mutation non moins considérable dans l’organisation et le fonctionnement politique de nos Etats et de leurs composantes territoriales.
Même si cette perspective peut aujourd’hui paraître encore utopique, je pense en effet que ce défi sans précédent que représente pour l’espèce humaine le changement climatique va entraîner l’effondrement des anciennes structures de pouvoir et l’émergence de nouveaux modes d’expression et d’action démocratique qui s’imposeront au niveau mondial, comme au niveau local, en utilisant le levier irrésistible que représente l’Internet, les réseaux sociaux et collaboratifs et l’intelligence numérique qui va devenir omniprésente.
Le Secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, vient d’appeler solennellement à la mobilisation mondiale pour prendre à bras-le-corps ce défi de civilisation du changement climatique et il a eu parfaitement raison de rappeler «qu’on ne négocie pas avec la nature ». Ban Ki-moon vient également d’appeler la Commission Européenne à amplifier l’effort déjà accompli et à réduire d’ici 2030 ses émissions de CO² de 40 % par rapport à leur niveau de 1990, à porter à au moins 27 % la part des énergies renouvelables dans le bouquet énergétique de l'UE et à réaliser 25 % d'économies d'énergie à cette échéance.
Cette « feuille de route » correspond à une réduction d’environ 2 gigatonnes de CO2 d’ici 2030, soit un peu plus de 5 % des émissions mondiales actuelles ou encore l’équivalent de 5 fois les émissions annuelles françaises. Cet objectif, même s’il peut sembler ambitieux, est tout à fait à la portée de l’Union européenne qui en a les moyens économiques, technologiques et humains et il faut souhaiter qu’il soit prochainement confirmé et mis en œuvre par les états-membres, en dépit de la réticence de certains d’entre eux qui relève d’une vision à court terme.
Il nous appartient à présent, sans succomber à un catastrophisme ou un pessimisme stérile et démobilisateur, mais en prenant pleinement conscience de notre responsabilité historique face aux générations futures, de faire face à notre destin et de construire ensemble sans plus attendre ce nouveau monde qui permettra à l’espèce humaine de poursuivre son aventure en concluant une « Nouvelle Alliance » avec notre Planète et en jetant les bases d’une nouvelle civilisation dans laquelle l’esprit, l’intelligence, la solidarité et la créativité l’emporteront sur la matière, l’ignorance, l’égoïsme et le conformisme.
René TRÉGOUËT
Sénateur Honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat