Edito
Le Laser : guide de la révolution
Imaginé par Einstein, il y a bientôt un siècle, le laser (amplification lumineuse par émissions stimulées de radiations en français) existe depuis plus d’un demi-siècle. Succédant au Maser (amplification de micro-ondes par émissions stimulées de radiations), mis au point au début des années 50, c’est en effet en 1960 que fut opérationnel le premier laser, réalisé par le physicien américain Théodore Maiman, à l’aide d'un cristal de rubis.
Dès 1965, le laser connaissait ses premières applications industrielles, dans le domaine de l’usinage de précision. En 1974 apparaissaient les premiers lecteurs-laser de codes-barres et en 1978 était mis sur le marché le compact-disc, suivi en 1995 du DVD, qui devaient bouleverser l’industrie audio-visuelle et le secteur des loisirs numériques.
Au cours des 20 dernières années, le laser n’a cessé de se diversifier et de s’améliorer et il existe à présent de très nombreux types de lasers (liquide, solide ou à gaz) travaillant dans de multiples longueurs d’onde et fréquences et pouvant remplir une multitude d’applications dans tous les domaines : physique, énergie, électronique, télécommunications, médecine, biologie ou encore défense nationale…
En matière de recherche sur la fusion thermonucléaire contrôlée, à côté de la voie du confinement magnétique, exploré à Cadarache dans le cadre du projet international ITER, le laser est devenu un outil incontournable pour tenter de maîtriser cette énergie du futur par confinement inertiel.
Cette technique consiste à bombarder de petites billes de deutérium-tritium à l’aide de faisceaux lasers extrêmement puissants, ce qui doit permettre d’enclencher un processus de fusion thermonucléaire des noyaux atomiques et de produire, in fine, une énergie colossale, supérieure à celle nécessaire pour amorcer cette réaction.
Depuis 30 ans, cette approche par laser a fait des progrès considérables et les scientifiques ne sont à présent plus très loin d’atteindre le fameux « point d’ignition » qui leur permettra d’amorcer une réaction de fusion prolongée et stable.
C’est ainsi qu’il y a quelques semaines, des scientifiques américains du laboratoire Lawrence Livermore, en pointe dans ces recherches, ont annoncé qu’ils avaient atteint, en utilisant 192 faisceaux laser simultanément, une énergie de 8 000 Joules, soit trois fois plus que l’ancien record de rendement énergétique des neutrons (Voir article).
Au cours de cette expérience, les chercheurs ont constaté que les réactions de fusion dans le plasma ont commencé à s'auto-entretenir, ce qui est très encourageant et confirme que la fusion par laser peut être réalisée et maîtrisée, d’ici quelques années.
En matière médicale, le laser est également devenu un outil absolument irremplaçable et ses indications thérapeutiques ne cessent de s’étendre. Après s’être imposé en dermatologie et en chirurgie ophtalmologique, le laser est en train de faire son entrée dans la panoplie des nouvelles techniques destinées à détruire des tumeurs cancéreuses.
En février dernier, une équipe de l’Université de Chicago a ainsi présenté une nouvelle technique chirurgicale destinée à traiter certains cancers de la prostate.
Cet outil utilise la thermothérapie laser guidée par IRM. Concrètement, le laser est introduit dans la prostate à l’aide d’une sonde et il est alors possible, grâce à un guidage par IRM, de détruire de manière extrêmement sélective les cellules cancéreuses.
Les premiers essais sur l’homme de cette technique ont donné des résultats très prometteurs puisque l’intervention à l’aide de cette méthode dure moins d’un quart d’heure et entraîne très peu d’effets secondaires.
Il faut également signaler que l’arrivée des premiers lasers à rayons X, en 2009, est en train de bouleverser la connaissance de la structure des organismes biologiques complexes. Ce type de laser permet en effet d’observer de manière extraordinairement fine, non seulement la structure mais également les processus dynamiques à l’œuvre, dans les micro-organismes, comme les virus ou les microbes.
Début 2012, des scientifiques américains ont par ailleurs réussi à obtenir pour la première fois un plasma de plus de 2 millions de degrés Celsius en bombardant une feuille d’aluminium à l’aide d’un laser à rayons X.
Ce type de plasma, appelé matière chaude dense, ne se trouve qu’à l’intérieur des étoiles et de certaines planètes gazeuses et grâce au laser à rayons X, les physiciens disposent à présent d’un outil incomparable d’analyse et de recherche sur la matière.
Dans le domaine des télécommunications à très haut débit, le satellite européen Alphasat, lancé par Ariane-5 en juillet dernier, inaugure une nouvelle ère, en expérimentant le système européen de relais de données en orbite (ou EDRS en anglais), qui va permettre d’établir des liaisons laser à très grande capacité entre les satellites en orbite basse et ceux en orbite géostationnaire.
De son côté, la NASA va également commencer à tester, dans le cadre d’une mission scientifique d’exploration lunaire, un système de communication laser qui doit permettre la transmission depuis l’espace d’images en haute définition et 3D.
Le laser s’est également imposé dans les secteurs de l’électronique et de l’informatique. En 2006, Intel, en coopération avec des chercheurs de l’Université de Santa Barbara, a mis au point le premier laser microscopique pouvant être directement intégré sur une puce en silicium. En 2010, le géant de l’électronique a réussi à créer la première liaison photonique au monde avec lasers intégrés, en recourant à un laser silicium hybride. Cette nouvelle approche optoélectronique a permis d’atteindre le débit phénoménal de 50 milliards de bits par seconde (50 Gbit/s).
Enfin en 2012, des chercheurs d’IBM ont présenté leur « puce optique à trous » qui peut communiquer avec ses homologues par impulsions lasers grâce à 48 canaux photoniques permettant un débit de 20 gigabits par seconde (Voir IBM Research). Cette puce optique pourrait être commercialisée vers 2015.
Le laser est également appelé à jouer un rôle majeur sur le plan militaire, tant sur le plan défensif qu’offensif. Aux États-Unis, les recherches dans ce domaine sont déjà très avancées et la marine américaine sera équipée, dès 2014, d’un système laser permettant de détruire les drones. À plus long terme, l’armée américaine prépare également des armes laser beaucoup plus puissantes qui pourront détruire en plein vol des missiles et des avions de combat.
Mais la grande révolution technologique et industrielle du laser est peut-être encore devant nous. Le 27 mars dernier, la prestigieuse revue scientifique américaine « Nature Photonics » publiait un article intitulé « Le futur est dans la fibre accélératrice » (Voir Nature Photonics) faisant le point sur les dernières avancées d’ICAN (Réseau International d’Amplification Cohérente), un groupe international de recherche en physique dirigé par le physicien français, Gérard Mourou, de l’Ecole Polytechnique.
Ce groupe de recherches vient de concevoir le premier prototype de laser CAN, c’est-à-dire à Réseaux Amplificateurs Cohérents. Or ce nouveau type de laser surclasse de loin tous ses homologues car il combine trois atouts décisifs : il est très puissant, possède une remarquable efficacité électrique et il peut émettre un très grand nombre d'impulsions lumineuses par seconde (de l’ordre de 10 000).
Grâce à ces trois propriétés exceptionnelles, ce laser CAN est en mesure de trouver de nombreuses applications scientifiques et industrielles et pourrait révolutionner un grand nombre de domaines. Par exemple il est envisageable, avec un tel laser, de construire des accélérateurs de particules beaucoup plus petits et bien plus puissants que tout ce qui existe aujourd’hui.
Autre application extrêmement prometteuse : celui du traitement des déchets nucléaires à très longue vie radioactive. Un tel laser pourrait réduire de façon considérable la durée pendant laquelle certaines substances restent radioactives. Par exemple, en bombardant l’iode 129 à l’aide d’un laser CAN d’une puissance suffisante, on pourrait faire passer sa période de radioactivité de 16 millions d’années à quelques minutes seulement !
En matière de santé, ce laser pourrait être utilisé pour développer la protonthérapie, une arme qui s’avère extrêmement efficace pour traiter certaines tumeurs complexes, sans toucher aux cellules saines.
Mais ces lasers CAN possèdent également, sur le plan économique, un rapport coût efficacité incomparablement meilleur que celui de tous les types de laser existant actuellement.
Il faut en effet rappeler que les lasers CPA actuels ont une efficacité électrique très médiocre. Cela signifie qu’ils ont besoin d’une très grande puissance électrique pour pouvoir délivrer leurs impulsions ultra brèves. À titre d’exemple, pour un tir d’une puissance moyenne de 50 W, il est nécessaire de disposer d’une puissance d’alimentation de 150 kW environ, c’est-à-dire 3000 fois plus élevée ! Or ce rendement énergétique extrêmement faible entraîne un coût d’utilisation prohibitif et limite considérablement les possibilités d’application des lasers pour ces raisons économiques.
Mais avec ce nouveau laser à Réseaux Amplificateurs Cohérents, on atteint un rendement électrique de plus de 50 %, ce qui fait chuter son coût d’exploitation de plusieurs ordres de grandeur.
Dans ce type de laser, l’amplificateur est constitué d’un faisceau de fibres optiques, ce qui permet une évacuation et une dissipation thermiques infiniment plus efficaces que dans les lasers conventionnels.
Cette question-clé du refroidissement étant réglée, le laser CAN n’a pratiquement plus de limites en ce qui concerne la fréquence à laquelle il peut délivrer ses impulsions.
Pour l’instant, le prototype conçu est composé de 64 fibres optiques et sa réalisation est une véritable prouesse technologique car les chercheurs ont dû réussir à synchroniser parfaitement le signal émis par chacune de ces fibres.
Mais selon Gérard Mourou, son concepteur, ce prototype ne constitue qu’une première étape et il est tout à fait possible, selon lui, d’envisager un laser CAN qui serait composé de plus de 10 000 fibres optiques ! L’article publié dans Nature Photonics précise par ailleurs qu’on peut imaginer un laser géant équipé de 100 000 fibres optiques et doté d’une puissance phénoménale de 10 GeV fonctionnant à 10 kHz, le tout pour moins de 10 millions d’euros !
On le voit, le laser, plus d’un demi-siècle après son invention, n’en finit pas de nous surprendre et de trouver de nouveaux champs d’application dans pratiquement tous les domaines d’activités humaines.
Innovation de rupture, au même titre que le transistor ou les nanotubes de carbone, le laser n’aurait jamais pu être découvert et amélioré sans s’appuyer sur le cadre théorique de la physique quantique, élaboré au cours du premier tiers du XXe siècle.
Plus qu’un simple outil technologique ou qu’un instrument de recherche scientifique, le laser matérialise un concept, celui de la profonde cohérence théorique qui relie matière et énergie, lumière et atomes.
Ce concept, qui ne cesse de se renouveler et de s’enrichir, vient nous rappeler de manière éclatante une réalité que nous avons trop souvent tendance à oublier : les grandes ruptures technologiques qui bouleversent notre civilisation et changent notre vie sont toujours intimement liées aux progrès des théories scientifiques et sont inséparables des avancées dans la connaissance fondamentale des lois de l’Univers.
René TRÉGOUËT
Sénateur Honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat