Edito
Autisme : la recherche avance
L’autisme est un trouble grave et envahissant du comportement (La Haute Autorité de Santé définit l’autisme comme un trouble neuro-développemental) qui existe partout dans le monde et toucherait à présent près de 70 millions de personnes.
Sa prévalence serait passée en 50 ans d’une naissance sur 2000 à une naissance sur 150 de nos jours, sans qu’on puisse clairement expliquer les raisons de cette très forte progression qui ne semble pas seulement liée à l’évolution des critères médicaux et scientifiques internationaux de définition de cette affection.
En France, les estimations du nombre de personnes atteintes d’autisme varient de 300 000 à 600 000 et les principales associations retiennent généralement le chiffre moyen de 440 000 personnes autistes (dont les trois-quarts sont des hommes), ce qui représente l’équivalent de la ville de Lyon.
Il existe aujourd’hui un large consensus scientifique pour considérer que l’autisme est une maladie complexe dont les causes sont multiples et font intervenir de manière intriquée des facteurs génétiques, biologiques, environnementaux, psychologiques, affectifs et familiaux.
La prise en charge de ce trouble reste très insuffisante dans notre pays mais, grâce aux efforts des médecins, des familles et des associations, les choses sont en train d’évoluer et les pouvoirs publics ont pris conscience de la gravité de ce problème et ont déclaré l’autisme « grande cause nationale 2012 ».
Un troisième plan autisme doit être annoncé dans quelques semaines et, s’appuyant sur les dernières avancées scientifiques, il va mettre l’accent sur la question capitale du dépistage précoce de cette maladie.
Il est en effet possible aujourd’hui, grâce à de nouveaux outils de dépistage, de repérer l’autisme entre 18 mois et 3 ans, ce qui permet, en utilisant l’extraordinaire plasticité du cerveau des jeunes enfants, de mettre en place des thérapies qui obtiennent de bien meilleurs résultats en terme de réinsertion sociale, éducative et relationnelle.
En matière de dépistage précoce, des chercheurs de l’Université of Pittsburgh viennent ainsi de montrer qu’il était possible, en analysant l'acoustique des cris du nourrisson à 6 mois, de repérer des nourrissons qui présentent un fort risque de trouble autistique et qui seront diagnostiqués comme autistes à l’âge de trois ans.
Il existe plusieurs approches complémentaires de l’autisme, trouble dont le polymorphisme mobilise à la fois les neuro-sciences, la biologie, la génétique, la psychologie et la psychanalyse. Ces différents « angles de vision » sont tous nécessaires pour avancer dans la compréhension de cette affection.
Si l’autisme a une base génétique indéniable (comme le montre le risque d’autisme pour les vrais jumeaux quand l’un des deux est touché, qui est de l’ordre de 70 %, contre 10 % pour les faux jumeaux), on sait aujourd’hui, grâce à de vastes études réalisées au cours de ces dernières années, qu’une multitude de gènes distribués dans des régions très différentes du génome sont impliqués à des degrés variables dans le risque d’autisme. En outre, ces prédispositions génétiques très complexes auront une expression complètement différente en fonction des nombreux facteurs environnementaux et familiaux propres à l’enfant.
Comme le montre de manière remarquable Bertrand Jordan dans son livre « L’autisme : le gène introuvable », l’approche génétique, pour indispensable qu’elle soit, ne saurait à elle seule expliquer l’autisme, sauf à tomber dans une forme de réductionnisme scientifique stérile.
Il n’en demeure pas moins vrai que les avancées dans la connaissance des mécanismes biologiques et génétiques à l’œuvre dans l’autisme sont réelles. De récentes recherches publiées en avril 2012 par trois équipes américaines (La première du Harvard-MIT Broad Institute, la seconde de l'université de Yale et la troisième de l'université de Washington) ont ainsi montré pourquoi un père âgé de plus de 40 ans avait six fois plus de risque d'avoir un enfant autiste qu'un père âgé d'une vingtaine d'années (Voir l'excellent article).
La forte augmentation de ce risque provient de l’augmentation statistique de la fréquence de certains types de mutations génétiques chez les pères plus âgés.
Mais, comme l’admettent à présent la plupart des chercheurs, une connaissance très fine des facteurs génétiques de l’autisme ne suffira pas pour mettre au point un test diagnostique infaillible et, en supposant même qu’on parvienne un jour à identifier l’ensemble des gènes, protéines et interactions génétiques impliqués dans l’autisme, on ne pourrait qu’estimer la probabilité, pour un cadre environnemental donné, de développer ce trouble.
Une autre voie de recherche encore balbutiante mérite d’être évoquée. Il s’agit des effets sur le développement cérébral de l’exposition, à certains âges de la vie, à une pollution chimique diffuse.
Des recherches chez l’animal menées par des chercheurs américains de l'Université de Davis ont montré que certaines substances chimiques présentes dans notre environnement pouvaient avoir des effets néfastes sur le développement du cerveau et perturber la capacité relationnelle et les fonctions cognitives jusqu’à aboutir à des symptômes proches de ceux de l’autisme (Voir SFARI).
Une autre équipe de recherche de l'Université de Californie du Sud dirigée par Pat Levitt, a pu montrer, pour sa part, dans une étude publiée fin 2010, qu’une exposition précoce et prolongée au benzopyrène, un composant chimique des gaz d'échappement des moteurs diesel, entraînait une perturbation de la synthèse de méthionine, une protéine indispensable à la bonne interconnexion des neurones (Voir NCBI).
Enfin, il y a quelques semaines, une nouvelle étude américaine, dirigée par la professeure Heather Volk, de l'Université de Californie du Sud, a confirmé ce lien puissant entre niveau de pollution et risque d’autisme. Selon ces travaux qui ont porté sur plus de 500 enfants, les enfants qui avaient été exposés pendant leur première année de vie à un haut niveau de pollution de l’air et dont les mères avaient elles mêmes été exposées à une forte pollution pendant leur grossesse, avaient trois fois plus de risques de développer un trouble autistique (Voir JAMA).
En matière de nouvelles perspectives thérapeutiques, certaines études récentes ont montré qu’une prise en charge médicamenteuse de l’autisme était, dans certains cas envisageable et pouvait, sans constituer une panacée ni écarter les autres formes de thérapies, déboucher sur de réels progrès pour les malades.
La première de ces pistes concerne les effets préventifs de certaines vitamines.
Plusieurs études ont en effet montré qu’une supplémentation en magnésium et vitamine B6 avait des effets positifs sur le comportement des enfants autistes.
En 1985, une étude réalisée sur 60 enfants autistes avait montré une amélioration du comportement des enfants grâce à une supplémentation associant vitamine B6 et magnésium.
En 2006, une autre étude française réalisée sur 33 enfants souffrant de troubles autistiques a confirmé que la prise régulière pendant huit mois de vitamine B6 associée au magnésium améliorait, chez 23 d’entre eux, le niveau de communication et d’interactions sociales (Voir Etude).
Une étude suédoise a également montré un lien entre le niveau de vitamine D chez la mère et le risque d’autisme chez l’enfant. Dans cette étude, les chercheurs ont constaté que des femmes immigrantes d'origine somalienne ayant eu un enfant autiste présentaient toutes des niveaux très faibles de vitamine D.
Or, on sait que l'autisme est plus fréquent dans les régions à faible ensoleillement et chez les personnes à peau sombre qui présentent plus souvent des carences sévères en vitamine. Ce lien entre vitamine D et risque d’autisme vient d’être confirmé il y a quelques jours par une nouvelle étude américaine publiée dans la revue Dermato-Endocrinology.
Ces travaux qui ont porté sur des enfants âgés de 5 à 17 ans, ont montré que les risques de développer un trouble autistique étaient divisés par deux dans les états américains où le niveau d’ensoleillement était le plus important en été. En revanche, dans les états du Nord, à faible niveau d’ensoleillement, les Américains de couleur voyaient leur risque d'autisme augmenter de 40 % (Voir Landes Bioscience).
Plus récemment, en juillet 2012, une autre étude américaine portant sur 429 mères d'enfants de 2 à 5 ans atteints d'autisme a montré qu’une supplémentation en vitamine B9 (acide folique) au début de la grossesse diminuait le risque d'autisme (Voir University of California et The American Journal of Clinical Nutrition).
Ces recherches ont montré qu’une prise journalière d’au moins 600 microgrammes d’acide folique réduisait de 38 % le risque pour les futurs enfants de développer un trouble autistique.
Mais, observation encore plus intéressante, cet effet protecteur de l’acide folique n’était pas le même pour toutes les mères et variait sensiblement en fonction de la présence ou non de certaines mutations génétiques chez la mère, ce qui confirme pleinement le rôle déterminant des interactions entre gènes et environnement dans cette affection.
La deuxième piste intéressante est celle du traitement hormonal.
Une étude remarquée, publiée en janvier 2010 et conduite par Angela Sirigu sur 13 adultes autistes atteints du syndrome d'Asperger (une forme particulière d'autisme), a montré qu’une hormone, l'ocytocine, semblait fortement impliquée dans l’intensité des symptômes autistiques (Voir article dans PNAS).
Cette étude montre que l'administration d’ocytocine permet à certains autistes de retrouver un niveau de relations affectives et sociales plus satisfaisant. L’hypothèse défendue par Madame Sirigu est que ces patients possèdent bien toutes les compétences sociales nécessaires mais ne peuvent les exprimer à cause de l’angoisse et du stress résultant de l'interaction sociale.
Enfin, la dernière piste a été révélée il y a quelques jours, le 11 décembre, par Yehezkel Ben-Ari, fondateur et directeur honoraire Inserm de l'Institut de neurobiologie de la Méditerranée et Eric Lemonnier, clinicien spécialiste de l'autisme au CHRU de Brest.
Ces deux chercheurs reconnus viennent de publier les résultats d'un essai en double aveugle portant sur les effets thérapeutiques d'un diurétique dans le traitement de l'autisme.
Dans cette étude, soixante enfants autistes de 3 à 11 ans recevaient pendant 3 mois un placebo ou un diurétique ayant pour effet de diminuer les niveaux de chlore intracellulaire (Voir article Nature).
Ces travaux ont montré que ce diurétique entraînait chez une majorité d’enfants (77 % d’entre eux) une diminution sensible des symptômes liés à l’autisme.
Ce résultat surprenant s’expliquerait par le fait que le chlore inhiberait la production du GABA (acide gamma-aminobutyrique), le principal neurotransmetteur inhibiteur du système nerveux central, ce qui aurait pour effet de réduire l’intensité des symptômes de l’autisme et d’améliorer le niveau de communication des enfants souffrant de ce trouble.
Ces recherches et découvertes multiples, surprenantes et passionnantes, montrent à quel point il est important de reconnaître l’extrême complexité de l’autisme et d’appréhender cet ensemble de troubles dans toutes leurs dimensions, sans se laisser enfermer dans une approche unique ou un paradigme réducteur.
Souhaitons que ces avancées scientifiques et médicales permettent, dans le nouveau cadre d’une meilleure reconnaissance de cette affection par notre société, de prendre en charge plus précocement et plus efficacement, en étroite coopération avec les familles et les associations, les personnes souffrant de ces troubles afin de permettre, autant que possible, leur insertion sociale, professionnelle et relationnelle, dans le respect de leur singularité existentielle et de leur dignité.
René TRÉGOUËT
Sénateur Honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat
MERCI MARK
Mark Furness qui fut pendant 18 ans mon assistant parlementaire au Sénat et qui depuis 1998 a été la cheville ouvrière de notre Lettre RT Flash a décidé de nous quitter. Je tiens à lui dire un très grand MERCI car sans les milliers d’heures qu’il a su donner bénévolement à notre Lettre depuis 14 ans et surtout sans sa grande compétence, la Lettre RT Flash n’aurait pu attirer les dizaines de milliers de lecteurs qu’elle a su intéresser.
Nous te regretterons Mark.
Sois heureux dans ta nouvelle vie.
Bien Cordialement
René TREGOUET
Sénateur Honoraire
Rédacteur en Chef de la Lettre RTFlash