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Edito : Neutralité du Net : Avons-nous bien conscience de son importance ?
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Le 26 février dernier la Commission Fédérale des Communication des Etats-Unis (FCC) a pris une décision très attendue qui va avoir des conséquences considérables sur l'avenir du Web mondial et plus largement sur l'utilisation et le développement des technologies et outils numériques sur l'ensemble de la planète. Au terme d'un long débat, l'instance de régulation des télécoms a en effet adopté un nouveau cadre réglementaire visant à assurer un Internet, fixe ou mobile, "libre, ouvert et rapide".
Concrètement, les fournisseurs d'accès à Internet ne pourront plus décider librement de favoriser, pour des raisons strictement commerciales, certains flux par rapport à d'autres et ne pourront pas non plus bloquer des contenus légaux. L'Etat et l'administration américaine devront par ailleurs investir pour concurrencer les géants des télécoms et limiter ainsi leur influence. Cette décision, qualifiée d'historique par la plupart des grands medias américains, n'a pas fait plaisir du tout, on s'en doute, aux fournisseur d'accès Internet (FAI) et opérateurs de télécoms qui parlent de "Guerre nucléaire" mais elle a le mérite de clarifier une situation juridique ambiguë et complexe qui était devenue intenable puisque toutes les mesures de la FCC visant à assurer les principes de neutralité du Net étaient régulièrement attaquées en justice par ces géants comme Verizon, Comcast, At&T ou Time Warner.
Cette décision a réjoui en revanche les gros producteurs de contenus, ainsi que les acteurs du monde des start-up, qui réclamaient avec beaucoup de force l'égalité de tous les acteurs du Net, quelle que soit leur taille. A cet égard, il est intéressant de rappeler que le géant numérique mondial Google, dont la plate-forme YouTube consomme à elle seule 15 % de la bande passante du Net, a réaffirmé en septembre dernier son attachement au principe de neutralité du Net en soulignant que "Que nous soyons grands ou petits, nos valeurs restent les mêmes : Internet doit être concurrentiel et ouvert. Si les fournisseurs d'accès à Internet peuvent bloquer des services et fournir un accès prioritaire aux contenus de certaines entreprises, cela menacerait l'innovation qui rend Internet génial ».
Les cinq membres qui composent la FCC ont considéré, par trois voix contre deux, que l’Internet américain devait désormais être considéré comme un « bien public » au même titre que le réseau téléphonique. En conséquence, la Commission se donne le pouvoir de faire appliquer la neutralité d'Internet sur le territoire américain. La Commission peut également désormais interdire aux fournisseurs d'accès à Internet de bloquer arbitrairement des contenus légaux, de ralentir ou d'accélérer les flux de données sans justification ou d’établir une « hiérarchie de priorités » pour certains contenus dont le tarif d’acheminent sur le Net serait majoré.
Cette décision de la FFC constitue une victoire incontestable pour les tenants de la neutralité, même si l’ensemble des dispositions techniques très complexe, représentant plusieurs centaines de pages de rapport, n’est pas encore rendu public. « C'est un jour historique pour l'Internet et ses utilisateurs » a notamment souligné Erik Stallman, le directeur de l'Open Internet Project, un des organismes en pointe dans ce combat pour la défense de la neutralité du Net.
Chez les grands opérateurs de télécommunications, le son de cloche est évidemment tout différent et Verizon, faisant allusion à la grande loi fédérale américaine de 1934 sur les télécommunications, a par exemple regretté que « la FCC ait approuvé, à la demande insistante du président Obama, des règles datant de l'époque de la locomotive à vapeur et du télégraphe ».
Mais que signifie concrètement ce principe de « neutralité du Net » ? C’est assez simple, cela veut dire qu’en application de cette règle, toutes les données doivent être traitées de manière identique sur le Web, quelle que soit leur destination ou leur point de départ. Selon ce principe, tous les fournisseurs d'accès à Internet sont donc tenus d’acheminer dans les mêmes conditions les données à leurs clients, qu'elles proviennent d'un géant du numérique, comme Google ou Amazon, ou d'un artisan installé au fin fond du Wyoming…
Si ce principe, véritable clé de voûte du Net, n’existait pas, les fournisseurs d'accès à Internet, qui font déjà payer leur connexion à leurs clients, pourraient en plus facturer les fournisseurs de contenus (sites Web ou vidéo...) lorsque ceux-ci empruntent leur réseau et le montant de ce "péage" serait alors proportionnel au débit et à la qualité des « autoroutes numériques » empruntées par ces FAI.
Il n’est pas nécessaire d’être polytechnicien pour comprendre que, dans un tel scénario, on aboutirait rapidement à un Internet à plusieurs vitesses : il y aurait, d’un côté, les géants du numérique, les grandes entreprises et les collectivités locales prospères qui auraient les moyens de bénéficier en toute circonstance d’un Internet extrêmement performant et rapide et, de l’autre côté, des myriades de sites beaucoup plus modestes de petites entreprises, artisans, associations et petites collectivités locales qui devraient se contenter d’un Internet basique moins fiable et bien moins rapide.
Au niveau des consommateurs, la fin de la neutralité du Net pourrait se traduire par des sites plus rapides que d'autres, des accès bloqués à certains sites Internet ou encore une facturation « à la carte », en fonction des services utilisés et des sites Web consultés. Récemment, les internautes américains abonnés à Netflix ont déjà pu avoir un aperçu des effets concrets d’un tel Internet à deux vitesses : début 2014, le fournisseur d’accès Comcast, au terme d’un long bras de fer, a réussi à faire plier Netflix qui a dû se résoudre à se passer d’un opérateur de transit et à payer directement Comcast pour pouvoir bénéficier d’un débit suffisant pour ces flux vidéo et proposer ainsi à ses clients un service d’une qualité suffisante.
Selon les opposants à la neutralité du Net, essentiellement les grandes entreprises de télécommunication, une régulation plus encadrée de l’Internet risquerait de pénaliser les lourds investissements nécessaires au développement de nouvelles infrastructures optiques et correspondant à l’explosion du nombre d’utilisateurs et des nouveaux services sur le Web.
Mais ces arguments n’ont pas convaincu le président de la Commission fédérale des communications, Tom Wheeler, qui a déclaré , au cours des débats préalables à la décision finale du 26 février dernier , « Internet est le vecteur ultime de la liberté d'expression et c’est un outil tout simplement trop important pour permettre aux fournisseurs d'accès à Internet d'être ceux qui fixent les règles ».
Si la mobilisation des différents groupes de pressions, en faveur ou contre la neutralité du net n’a pas été une surprise aux États-Unis, compte tenu de l’importance des enjeux économiques et financiers, il n’en a pas été de même pour le débat suscité et alimenté par les internautes américains. Ceux-ci ont en effet adressé plus de quatre millions de messages à la Commission pour demander le respect, voire le durcissement des règles protégeant la neutralité de l’Internet.
Ce grand débat de société a été largement relayé et amplifié par la puissance des médias américains, à tel point que certains observateurs n’hésitent pas à affirmer que le courant d’opinion démocratique très puissant et très rapide qui s’est manifesté aux États-Unis en faveur de la neutralité du Net a eu un impact déterminant sur la décision finale de la Commission.
Commentant cette décision, Mark Stanley, directeur des opérations de Demand Progress, une organisation non gouvernementale extrêmement engagée dans la lutte pour la neutralité, a d’ailleurs souligné que « Les lobbys des télécoms étaient beaucoup plus puissants, mais nous avions quelque chose qu'ils n'avaient pas : le soutien populaire. »
En Europe, cette question fondamentale de la neutralité du Net fait également l’objet d’un vif débat, tant entre les acteurs économiques concernés qu’au niveau politique et démocratique. Le moins qu’on puisse dire est qu’actuellement le principe de neutralité du Net est loin de faire l’unanimité au sein de l’Union Européenne et il y a sur cette question à peu près autant de positions différentes que d’états-membres !
Pour l’instant, rien n’est encore joué en Europe sur cette question essentielle de la neutralité de l’Internet et le Conseil européen, dans un document publié fin janvier, évoquait la possibilité que les fournisseurs d’accès à Internet puissent différencier - sous conditions -, leurs prestations en fonction des contenus qui circulent sur le Web.
Mais il semble que la décision de la Commission fédérale américaine ait fait forte impression sur les instances politiques européennes et ce même Conseil européen a publié, il y a quelques jours, un communiqué très intéressant (Voir Conseil Européen) dans lequel il prend cette fois clairement position en faveur d'une neutralité du Net. Intitulé « Protéger l'Internet ouvert », ce communiqué rappelle que le Conseil est attaché au principe du droit des utilisateurs finals à l'accès au contenu de leur choix et à sa diffusion sur Internet.
Autre point important, le Conseil européen rappelle qu'il faut "faire en sorte que les sociétés fournissant l'accès à Internet traitent le trafic d'une manière non discriminatoire". Le Conseil souhaite également que le futur cadre réglementaire européen interdise de bloquer ou de ralentir des contenus ou des applications spécifiques, prévoyant seulement un nombre limité d'exceptions permettant par exemple de contrer certaines attaques informatiques menées grâce à l’utilisation de logiciels malveillants. Le Conseil européen souhaite cependant, pour les services autres que la fourniture d'accès à Internet, que puissent être autorisés des niveaux spécifiques de qualité pour certains services mais sous réserve d’une garantie suffisante d’un service universel de qualité pour l’Internet.
En France, Axelle Lemaire, nouvelle Secrétaire d’État au Numérique, s'est récemment prononcée pour la neutralité du Net et l’ARCEP (Autorité de régulation des communications électroniques et postales) s’est également déclarée favorable à un « Internet à une seule vitesse ».
Mais bien entendu, tout le monde n’est pas de cet avis et récemment, Stéphane Richard, PDG d’Orange, a formulé de virulentes critiques contre l’éventualité d’un nouveau cadre européen garantissant davantage la neutralité du net. « Nous devons pouvoir proposer des qualités de service différenciées, avec des prix différenciés, comme ça existe dans n’importe quel autre secteur » a notamment souligné le dirigeant d’Orange.
Il reste que ce débat entre partisans et adversaires de la neutralité du Net qui, en fait, est bien plus subtil et plus complexe qu’il n’y paraît, pourrait devenir rapidement obsolète, compte tenu des évolutions technologiques fulgurantes en cours.
Certes, le principe des voies rapides payantes risque d’être exclu ou très strictement limité, au nom du respect de la neutralité du Net mais cela n’empêchera nullement les opérateurs d’imaginer et de proposer une multitude de nouveaux services liés notamment au développement exponentiel attendu de l’Internet des objets, notamment dans le secteur de la télésanté ou de la télémédecine. C’est d’ailleurs dans cette perspective qui va profondément changer la physionomie du Net que l’industrie numérique travaille actuellement à la mise au point du protocole de la 5G, prévue pour 2020, qui intègre d’office une discrimination des paquets selon leur utilité et les besoins des applications.
On sait aussi depuis quelques semaines que les jours des réseaux de communication en cuivre sont désormais comptés et que la fibre optique devrait tisser sa toile sur l’ensemble du territoire d’ici 2022. C’est en tout cas l’objectif clairement souhaité par le rapport remis au gouvernement et publié en février dernier par le président de l’Autorité de la statistique publique, Paul Champsaur.
Ce rapport propose la création d’un statut de « zone fibrée » aux territoires qui seront pourvus de la fibre selon un cahier des charges qui reste toutefois à déterminer. Cette évolution à marche forcée vers le « tout optique » a pour but d’accélérer la fin du séculaire « Réseau Téléphonique Commuté (RTC), et de basculer ses abonnés vers la fibre devenue compétitive par rapport au cuivre.
De manière cohérente avec ce scenario, ce rapport préconise également l’obligation de déployer la fibre dans les immeubles neufs, une mesure qui vient d'être inscrite dans la loi Macron et recommande la possibilité pour Orange de fermer son réseau cuivre dans des délais raccourcis. Il semble d’ailleurs qu’Orange ait reçu ce message gouvernemental 5 sur 5 puisqu’il vient d’annoncer, il y a quelques jours, qu’il allait, en dépit de son endettement conséquent, augmenter ses « investissements réseaux » de 3 à 5 milliards d’euros par an au cours des trois prochaines années…
On voit donc bien qu’aux États-Unis, comme en Europe et en France, le débat politique et juridique sur la neutralité du Net est inséparable des enjeux industriels et économiques et des révolutions technologiques en cours liés à l’avènement d’une civilisation numérique.
Mais il faut bien comprendre que, même si les ruptures technologiques en cours en matière de télécommunications et l’explosion de l’Internet vers une multitude de nouveaux usages et de nouveaux services vont relativiser d’ici quelques années la portée de ce principe de neutralité du Net, celui-ci n’en subsistera pas moins pour autant et évoluera lui aussi vers un service universel numérique (SUN).
Celui-ci devra permettre à tous les acteurs, du simple particulier au géant de l’industrie numérique, en passant par les institutions publiques, culturelles et éducatives de bénéficier, toutes choses égales par ailleurs, des mêmes potentialités d’accès à l’Internet et d’utilisation des données numériques, afin de ne pas instaurer une « iniquité numérique » dévastatrice au sein de nos économies et de nos sociétés et de favoriser au contraire l’initiative, l’innovation et la créativité, non seulement en matière technologique et économique mais également dans les domaines de l’invention de nouveaux liens sociaux et de nouvelles formes d’expression démocratique.
René TRÉGOUËT
Sénateur Honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat
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J.T.
18/09/2016Face à la montée des populismes et des extrémismes..., il faut une conduite mondiale qui régule plus les implications de ces dérives vis à vis de la vérité, souvent impulsives, compulsionnelles, irréalistes, irrationnelles, passionnelles, ne reposant sur rien et pas réfléchies...!§!
C'est grave pour l'intégralité des démocraties et leurs durabilités sur le moyen et long terme...!
Seule une direction mondiale pourra infléchir raisonnablement ces errances politiques ou autres (les inégalités sociales croissantes en étant la principale cause avec la surpopulation et l'impossibilité de loger facilement des surplus inattendus de populations...) ; tout en proposant un revenu international de base (sous condition de comportements ni asociaux ni antidémocratiques) ; afin que diminuent ces dérives inadmissibles pour un monde attendant mieux, qui a un profond désir d'évolutions justes et de connaissances croissantes, vraies et prouvées.