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Edito : Les navettes modulables et intelligentes vont révolutionner nos déplacements…et changer nos villes
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On l’ignore souvent, mais le secteur des transports, dans son ensemble, représente une part considérable de notre économie : en 2019, les dépenses totales de transports se sont ainsi élevées à 438 milliards d’euros, soit 20 % du PIB, et les ménages assurent à eux seuls la moitié de ces dépenses, ce qui en fait, de loin les premiers contributeurs de cette activité vitale pour notre pays. Rappelons que les transports représentent 14 % du budget des ménages français - 4 700 euros par an en moyenne par ménage - et qu’il s’agit du troisième poste de dépenses des ménages aux revenus modestes, derrière le logement et l'alimentation. Le plus souvent par nécessité, les trois-quarts des actifs continuent à utiliser leur voiture chaque jour pour se rendre au travail, bien que ce mode de déplacement leur coûte trois plus cher que les transports en commun (quand ils sont disponibles) et les déplacements représentent par ailleurs plus de la moitié des 16 tonnes annuelles de CO2 (émissions directes et indirectes) émises en moyenne par un ménage français.
Les dépenses publiques en faveurs des transports, assurées à 70 % par les collectivités locales, représentent pour leur part 49 milliards d’euros par an (2019), soit 1650 euros par an et par ménage français. A lui seul, le projet pharaonique du « Grand Paris Express », qui devrait compter d’ici 10 ans 200 km de voies nouvelles, 68 nouvelles gares et quatre nouvelles lignes de métro, va engloutir, selon la Cour des Comptes, 34,6 milliards d’euros d’ici 2030, le double du budget initialement prévu, soit, en moyenne, plus de 170 millions par km…
Depuis presque un siècle, le schéma d’organisation des transports publics terrestres repose sur l’articulation de quatre vecteurs complémentaires : le train, pour l’interurbain, le métro et le tramway, pour les liaisons urbaines structurantes, et le bus, dans ses différentes déclinaisons, pour la desserte finale des voyageurs. Mais voici que, depuis quelques années, l’arrivée de navettes hybrides, modulables, puis autonomes et intelligentes, à la fois bien moins coûteuses et bien plus souples que les moyens de transports conventionnels, remet en cause cet ordre séculaire et ouvre de nouvelles perspectives en matière de déplacements, tant en milieu urbain, qu’à la campagne.
En Chine, le constructeur Zhuzhou CRRC Times Electric a développé depuis cinq ans l’Autonomous Rail Rapid Transit (ART), qui arrive en phase d’exploitation commerciale. Cet engin se présente comme un hybride électrique entre le train, le bus et le tramway. Bardé de capteurs optiques et électroniques, ce véhicule peut détecter les obstacles dans son environnement et circuler en toute sécurité sur la route, sans pilote, en suivant des marques au sol, à une vitesse maximale de 70 km/h. Composé de trois voitures de 10 mètres de long, dans sa version de base, l’ART peut transporter jusqu’à 300 personnes. Mais le système peut, si besoin, doubler son nombre de voitures et sa capacité. Ses batteries en lithium–titanate lui confèrent une autonomie d’environ 40 km, mais elles peuvent se recharger très rapidement, dix minutes suffisent pour récupérer 25 km d’autonomie.
Si l’ART intéresse de nombreuses métropoles dans le monde, ce n’est pas seulement à cause de sa souplesse d’utilisation, mais c’est également à cause d’un coût de déploiement imbattable : environ deux millions d’euros par km, c’est-à-dire 5 à 10 fois moins qu’un tramway classique et 50 fois moins qu’un km de métro. Déjà déployé en 2018 à Zhuzhou, dans le sud-est de la Chine, l’ART sera prochainement utilisé à l'aéroport international de Kunming Changshui, à Kunming, capitale de la province du Yunnan (sud-ouest de la Chine). Autre avantage décisif de ce nouveau mode hydride de transports : une ligne d’ART peut être déployée en trois ans, contre six en moyenne pour une ligne de tramway et, si besoin, l’itinéraire de cette ligne est facilement modifiable pour mieux répondre aux besoins des usagers, ce qui n’est pas le cas du tramway.
Chez nos voisins espagnols, depuis le début de l’année, un bus entièrement autonome - c’est une première européenne - relie le port au centre-ville de la ville andalouse de Malaga six fois par jour sur un trajet de 8 kilomètres. Ce cyberbus, qui peut accueillir 60 passagers, est bardé de capteurs, de caméras et de lasers ; il a été conçu de manière à pouvoir interagir avec les feux de circulation, selon la société Avanza, qui fait partie du consortium public-privé responsable du projet. C’est un puissant logiciel d’intelligence artificielle qui aide ce bus à prendre les meilleures décisions, s’appuyant sur l’analyse d’une grande quantité de données enregistrées le long du trajet. La loi espagnole ne permettant pas encore de faire circuler un véhicule sans conducteur, celui-ci est présent sur son poste de conduite, mais il n’intervient qu’exceptionnellement, pour effectuer de légères corrections de trajectoire.
En France, Keolis, qui est à l’origine de la première expérimentation ouverte au public en 2016, à Lyon, dans le quartier Confluence, teste depuis 2020, avec son partenaire Navya, la première navette autonome, sans opérateur de sécurité à bord, à Châteauroux, sur le site privé du Centre national de tir sportif français. De son côté, la RATP a inauguré, le 2 mars, le prolongement dans la ville de Vincennes (Val-de-Marne) de la navette autonome du bois parisien testée depuis 2017. Dans cette nouvelle phase d’expérimentation, le but est de montrer la capacité de cette navette à évoluer dans un trafic routier urbain dense, avec un objectif de vitesse moyenne de 20 km/h. La RATP expérimente également un bus autonome d'une longueur de 12 mètres sur la ligne 193, dans le Val-de-Marne, doté pour l’instant d’une technologie chinoise, faute de solutions techniques européennes disponibles…
Dans l’expérimentation en cours du système de transport autonome du bois de Vincennes, la navette parcourt désormais une distance de 6 km, desservant huit arrêts, entre la Porte jaune et la mairie de Vincennes (Val-de-Marne). Depuis son lancement, il y a quatre ans, cette navette a déjà transporté 40 000 passagers sur 11 000 km, à une vitesse moyenne de 13km/h. La RATP et la ville de Paris veulent à présent accélérer l’intégration à grande échelle de ces véhicules autonomes dans les différentes conditions de circulation. La navette du bois de Vincennes s’inscrit dans les projets SAM (Sécurité et acceptabilité de la conduite et de la mobilité autonome), et EVAE (Expérimentation de véhicules autonomes).
Dans quelques semaines, la RATP va par ailleurs lancer une autre expérimentation, dans le but de relier trois gares (gare de Lyon, gare d’Austerlitz et gare de Bercy) entre elles par véhicule autonome. À terme, deux navettes circuleront entre la gare d’Austerlitz et la gare de Lyon, via le ministère de l’Économie et des Finances, la gare de Bercy, le quai de la Gare et la Cité de la Mode. La RATP est aussi associée à Paris2connect (qui regroupe notamment les opérateurs Orange et Nokia), dans le cadre du projet Quartier d’innovation urbaine pour Paris-Rive Gauche lancé par la Ville de Paris. Ce projet vise à évaluer la pertinence du déploiement d’un réseau numérique urbain mutualisé, utilisant par exemple des lampadaires et des feux de signalisation, dans le pilotage et le contrôle de solutions autonomes de déplacements.
Autre expérimentation intéressante, Navetty, qui a débuté il y a quelques semaines sur le site industriel d’ArianeGroup aux Mureaux, dans les Yvelines. Le projet est porté par Vedecom, ArianeGroup, Transdev Systèmes de Transport Autonome, EasyMile (et ses navettes EZ 10), et le Conseil départemental des Yvelines, principal financeur à hauteur de 2,5 millions d’euros. L’objectif de Navetty consiste à mettre en œuvre un service de mobilité avec des navettes électriques autonomes sans opérateur à bord sur un site représentatif d’une agglomération : Ce site industriel de 92 ha a été choisi, car il présente le même niveau de complexité qu’une agglomération urbaine. Le pilotage du système repose sur le logiciel de Supervision de flottes de véhicules autonomes développé par Transdev Systèmes de Transport Autonome. Dans une deuxième phase, le service Navetty s’appliquera à la desserte finale, pour relier la gare des Mureaux au site d’ArianeGroup, distant de deux kilomètres. L’expérimentation devrait ensuite être étendue, avec la mise en place d’un service de mobilité en navettes autonomes, en zone urbaine et péri-urbaine, entre le Campus des Mureaux et la gare des Mureaux.
A Toulouse, depuis quatre mois, une navette électrique autonome Easymile permet de relier le parking de l’Oncopole et l’Institut universitaire du cancer de Toulouse (IUCT). Le trajet de 500 m entre ce parking et IUCT s’effectue en 4 minutes, à l’aide du véhicule autonome sans conducteur, d’une capacité de douze passagers, fourni par la société toulousaine Easymile, associée à Alstom, spécialiste des transports (fournisseur du tram toulousain et du futur métro automatique de la 3e ligne). Le but de cette expérimentation est d’obtenir de l’Etat une certification (semblable à celui d’un métro automatique) et de délivrer à terme un service sans opérateur de sécurité à bord avec le même niveau de sûreté que s’il y en avait un.
Mais le concept de déplacement souple par navette se diffuse également inexorablement dans le monde rural, confronté au défi de plus en plus aigu des besoins en déplacements d’une population vieillissante, souvent isolée et qui ne possède pas toujours un véhicule particulier : en mai dernier, le conseil communautaire de la Communauté de communes (CDC) Cœur de Brenne a lancé son expérimentation d’une navette autonome. Il s’agit d’une première, dans le monde rural, pour ce type de transport en commun sans chauffeur. La future ligne devrait relier, à une fréquence de quatre allers-retours par jour, les communes de Mézières-en-Brenne, Paulnay, Azay-le-Ferron et Martizay.
C’est un véhicule Renault Master de sept places qui a été choisi pour faire office de navette rurale. Dans un premier temps, un opérateur sera présent pour pallier d’éventuels problèmes. À terme, l’assistance sera assurée à distance. L’expérimentation, prévue pour six mois, débutera en mars 2022. La mise en place de cette navette de nouvelle génération traduit la volonté politique forte de cette collectivité de proposer à tous ses habitants de nouvelles solutions de mobilité adaptées à la fois à leurs revenus modestes et leurs contraintes spécifiques d’isolement.
Finissons enfin ce rapide tour d’horizon de la mobilité autonome par le remarquable et innovant projet de capsule autonome Urbanloop, développé par les étudiants et chercheurs de l’École nationale supérieure d’électricité et de mécanique de Nancy. « En 2017, nous avons lancé un sujet de projets aux étudiants sur la mobilité. Ils devaient imaginer un transport écologique, économique, accessible à tous, sécurisé et réalisable avec les briques technologiques actuelles » précise Jean-Philippe Mangeot, initiateur du projet et enseignant. Urbanloop se compose de plusieurs capsules individuelles, à propulsion électrique, pouvant accueillir deux personnes dont une personne à mobilité réduite avec un accompagnant ou encore un cycliste seul avec son vélo (Voir Urbanloop).
Ces navettes utilisent des moteurs synchrones d’une puissance de 3 kW, d’une intensité de 50 ampères et d’une tension de 42-72 V DC. Elles peuvent ainsi atteindre des pointes à 75 km/heure et ont une vitesse moyenne de 60 km/h, le tout pour une dépense d'énergie de moins de cinquante centimes du km, établissant ainsi un nouveau record du monde en termes de coût de déplacement urbain ! Le système a l’ambition de devenir un service complet de déplacements à la demande. Grâce à l’intelligence artificielle, couplée à un système de communication de données utilisant la 4G, et demain la 5G, il est possible d’optimiser en permanence ces capsules Urbanloop, en anticipant les trajets des usagers, et de rechercher le meilleur trajet entre deux points. La ville de Nancy vient de manifester son intérêt pour Urbanloop en sollicitant une étude d’urbanisme qui pourrait aboutir à une mise en service en 2024. « Le coût de revient d’un tramway est de 20 millions d’euros du kilomètre quand Urbanloop coûte entre un et quatre millions du kilomètre », précise Jean-Philippe Mangeot, qui ajoute, « Avec notre système révolutionnaire Urbanloop, 150 capsules réparties sur 5 kilomètres de boucles permettraient de faire circuler, pour un coût défiant toute concurrence, et en toute sécurité 3 000 personnes par heure ».
Maillon manquant de la mobilité urbaine entre les grandes infrastructures de train, métro et tramway, et les bus, véhicules particuliers et deux roues, ces navettes urbaines modulables et intelligentes, dont j'avais imaginé l'apparition sous le nom de cybercar en 1999 dans un édito (Voir l'édito Transports urbains du futur : vers la fin des grandes infrastructures), vont rapidement jouer un rôle majeur dans nos déplacements, et cela d’autant plus que leur développement s’inscrit dans un nouveau contexte politique européen et national qui est marqué par la volonté de restreindre beaucoup plus vite que prévu l’usage des véhicules thermiques dans les villes (avec la généralisation rapide des Zones de Faibles Emissions dans toutes nos métropoles) et de sortir définitivement de la propulsion thermique et diesel d’ici 2040, et peut-être même d’ici 2035.
Ce concept de « NUMIE » (Navette Urbaine Intelligente Electrique) va s’imposer dans nos villes (mais aussi dans nos campagnes) d’autant plus vite qu’il permet de dépasser la vieille opposition entre transports publics et privés, collectifs et individuels, et peut offrir, pour un coût extrêmement compétitif et supportable par nos collectivités locales, de nouvelles solutions de déplacements à très faible empreinte carbone « à la carte » qui répondent enfin aux besoins très hétérogènes des différentes populations ; jeunes, actifs, retraités, publics fragiles…
Mais la généralisation de ce nouveau concept de déplacement aux potentialités presque infinies devrait également favoriser une profonde recomposition de nos espaces urbains, tant sur le plan structurel (répartition spéciale des logements, industries et bureaux), que fonctionnel (rééquilibrage des activités économiques, éducatives et culturelles) et contribuer à mieux maîtriser le coût du logement, qui devient un problème majeur dans notre pays et risque d’entraîner une fracture sociale, porteuse de souffrances et de violences, de plus en plus difficile à réduire.
Soulignons enfin que ce concept de navette urbaine intelligente se développera d’autant plus vite dans notre pays qu’il saura s’appuyer sur une synergie nouvelle entre les outils numériques (5G et IA notamment), les modes de production d’énergie décarbonée et les modes de propulsion électrique (et demain électromagnétique avec l'hydrogène comme vecteur d'énergie) de très grande efficience et de faible impact environnemental.
René TRÉGOUËT
Sénateur honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat
e-mail : tregouet@gmail.com
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