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Edito : Les nanorobots, nouvelle frontière de la médecine...
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Edito :
Les nanorobots, nouvelle frontière de la médecine...
Imaginés dès 1959 par le grand physicien Richard Feynman, et porté à l'écran en 1966 dans le célèbre film d'anticipation, « Le voyage fantastique », les nanorobots ont fait l'objet d'une première publication scientifique sérieuse en 1998, quand l'ingénieur américain Robert Freitas publia son célèbre article « Conception exploratoire en nanotechnologie médicale : un globule rouge artificiel mécanique ». Ce remarquable chercheur imaginait alors qu'il serait possible dans le futur de fabriquer des « respirocytes », à savoir des globules rouges artificiels et microscopiques, destinés à imiter la fonction de leurs homologues organiques, afin de remplacer la fonction défaillante du système respiratoire. Mais on peut considérer que l'acte de baptême de la nanorobotique eut lieu en 2004, avec la publication du célèbre article du chercheur Adriano Cavalcanti, « Les défis de la nanorobotique dans les applications biomédicales » (Voir nanorobot design).
Et depuis 20 ans, ces nanorobots sont passés de la science-fiction au laboratoire et ils seront sans nul doute, dans un avenir plus proche qu'on ne l'imagine, l'une des grandes révolutions médicales de ce siècle. C'est par exemple le cas des nanorobots développés par l'équipe de Samuel Sánchez Ordóñez, à l'Institut de bio-ingénierie de Catalogne, à Barcelone : d'après leur étude, publiée en avril dernier, ils ont réussi, chez la souris, à réduire de 90 % certaines tumeurs de la vessie en y injectant directement des nanorobots, propulsés grâce à l'urée naturellement présente dans l'urine (Voir Nature). Ces nanomachines sont constituées d'une sphère poreuse en silice et leurs surfaces intègrent plusieurs composants ayant des fonctions spécifiques. Parmi eux, on trouve l'enzyme uréase, une protéine qui va réagir avec l'urée présente dans l'urine, ce qui va propulser la nanoparticule ; autre composant, de l’iode radioactif, un radio-isotope capable de détruire les cellules malignes. « Avec une dose unique de nanorobots, nous avons observé une diminution de 90 % du volume de la tumeur de la vessie chez la souris », explique le professeur Samuel Sánchez, auteur principal de l’étude, qui ajoute, « Notre approche thérapeutique permettrait de réduire la durée de l'hospitalisation et les coûts de traitement. L'efficacité thérapeutique sans égale de ces nanorobots tient notamment à leur capacité d’autopropulsion, qui leur permet d'atteindre toutes les parois de la vessie. En outre, ces nanorobots sont capables de pénétrer dans la tumeur, ce qui va permettre d'amplifier l’action de la radiothérapie ».
Le premier grand bond en avant des nanorobots contre le cancer a été réalisé en 2018, quand une équipe sino-américaine a mis au point, après 20 ans de recherches, un nanorobot capable de réduire les tumeurs cancéreuses en bloquant leur apport en oxygène. Expérimenté sur des souris et des cochons nains, ce nanodispositif s'est avéré efficace contre plusieurs types de cancers (Voir Nature). Ce petit dispositif, 1 000 fois plus fin qu’un cheveu humain, repère, par la présence de protéines spécifiques, les cellules malignes et bloque le flux de globules rouges qui leur permet de se développer. Pour réaliser cette action, le robot libère une enzyme nommée thrombin, qui provoque la formation d’un caillot engendrant une thrombose des tissus cancéreux, ce qui se traduit, in fine, en quelques jours, par la destruction de la tumeur. Ce nanorobot a permis de doubler l’espérance de vie de tous les animaux traités. Cette percée majeure s'appuie sur le concept "d’origami ADN". Cette technique, mise au point par le Professeur Hao Yan, permet de réaliser des formes arbitraires en 3D à partir de morceaux d’ADN mis bout à bout, et ainsi de fabriquer des assemblages sur mesure qui contiennent des enzymes ou des molécules pouvant soigner le patient. Ces étonnantes structures sont capables de se replier sur elles mêmes, puis de se déplier pour libérer des molécules thérapeutiques. Le Professeur Hao Yan, co-auteur de l’étude, souligne avec enthousiasme que cette approche est « une stratégie qui peut être utilisée pour plusieurs types de cancers puisque la plupart des tumeurs qui se nourrissent des globules rouges ont essentiellement la même structure ».
En Corée du sud, l'équipe du Docteur Youngdo Jeong, du Centre de reconnaissance biomoléculaire du KIST, a mis au point il y a quelques mois une nouvelle nanomachine biochimique qui pénètre la membrane cellulaire et tue la cellule par ses mouvements moléculaires de repliement et de dépliage dans certains environnements cellulaires, tels que les cellules cancéreuses. (Voir ACS). Cette nanomachine a été conçue pour pénétrer et détruire sélectivement les cellules cancéreuses. Ces nanorobots combinent des nanoparticules d’or de 2 nm de diamètre avec des molécules qui peuvent être pliées et dépliées en fonction de l’environnement. Cette nouvelle approche tue directement les cellules cancéreuses, par une action mécanique, sans avoir recours à des médicaments anticancéreux, contrairement aux vecteurs de type capsule qui délivrent des médicaments thérapeutiques. Comme le souligne le Docteur Jeong, « La nanomachine que nous avons développée a été inspirée par des protéines qui remplissent des fonctions biologiques en changeant de forme en fonction de leur environnement. Elle peut ainsi entrer directement à l'intérieur des cellules cancéreuses pour les tuer uniquement en utilisant des mouvements moléculaires mécaniques. Cette approche pourrait permettre de surmonter les effets secondaires, souvent lourds, des chimiothérapies ».
Il y a quelques semaines, une équipe du réputé Karolinska Institutet de Stockholm (Suède) a présenté son nanorobot destiné, lui aussi, à tuer les cellules cancéreuses. L’arme du robot est logée dans une nanostructure et n’est exposée qu’une fois le robot arrivé à proximité de la tumeur, ce qui permet d’épargner les cellules saines et d’éviter les effets indésirables. Comme le souligne le professeur Björn Högberg, chercheur en biochimie et biophysique au Karolinska Institutet, « Ce sont des nanomodèles hexagonaux de peptides transformés en arme mortelle. Pour contourner le défi de l’administration ciblée, nous avons caché l’arme dans une nanostructure construite à partir d’ADN ». Ces chercheurs suédois ont également utilisé l'approche dite « Des origamis ADN », qui s’activent automatiquement, dès qu’ils se retrouvent dans l'environnement situé à l'intérieur de la tumeur. Confronté à un milieu acide à faible Ph, qui entoure généralement les cellules cancéreuses, ce nanorobot va s'actionner pour remplir sa mission de destruction. Les essais in vitro ont montré que cette arme peptidique se déclenche lorsque le pH descend à 6,5 chez la souris, que l’injection de ces nanorobots a permis d'entraîner une réduction de 70 % de la croissance tumorale. Ces scientifiques travaillent à présent également à rendre le nanorobot plus ciblé en plaçant à sa surface des protéines ou des peptides qui se lient spécifiquement à certains types de cancer (Voir Nature).
En Chine, des chercheurs de l'Institut de technologie de Harbin ont réussi à implanter des robots microscopiques dans des cortex de souris vivantes pour soigner des tumeurs cérébrales. Ces robots, après avoir été injectés dans les veines de ces animaux, sont remontés le long de l'artère carotide, avant d'être décomposés par le système immunitaire, diffusant alors les médicaments anticancéreux ainsi vectorisés. Ces chercheurs ont utilisé un champ magnétique pour déplacer à distance les robots dans l'organisme. Ces minuscules agents ont été baptisés « neutrorobots », en raison du mode d'action des petits automates, qui pénètrent le cerveau en utilisant l'enveloppe des neutrophiles, un type de globule blanc jouant un rôle essentiel dans le système immunitaire. « La plus grande difficulté a été de coordonner en essaim ces neutrorobots, afin qu'ils puissent réaliser des tâches complexes et complémentaires », souligne le docteur Wu, qui a dirigé les recherches. Il aura fallu huit ans aux chercheurs pour mettre au point la bonne approche permettant de regrouper en essaims ces robots depuis la queue de l'animal, où les robots sont injectés, jusqu'aux cellules gliales touchées par le cancer (Voir Science).
L'année dernière, des chercheurs de l’Université de Pennsylvanie ont réalisé une avancée majeure contre les infections orales fongiques à Candida albicans, à l’aide d’un nouveau système nanorobotique opérant dans la bouche par guidage magnétique. Ces travaux confirment l’efficacité de ces « microrobots nanozymes » pour éliminer les lésions fongiques sans altérer les muqueuses ou les tissus environnants (Voir Wiley). Pour parvenir à percer les biofilms résistants, qui tiennent souvent en échec les thérapies antifongiques actuelles, ces scientifiques américains ont eu l'idée d'utiliser des nanoparticules catalytiques constituées d'oxyde de fer, appelées nanozymes. Ces dernières ont été utilisées comme des "nanorobots" pilotés avec une très grande précision par des champs électromagnétiques de manière à pouvoir cibler et détruire rapidement les cellules fongiques. Grâce au double effet de leur mouvement et de leur vitesse, ces nanozymes développent une activité catalytique accrue qui va permettre de décomposer le peroxyde d'hydrogène en eau et en oxygène, ce qui va provoquer la destruction du biofilm, au niveau des tissus infectés. Cette nouvelle méthode puissante, précise et rapide, et sans effets secondaires, marque une véritable révolution dans le traitement des infections fongiques.
En France la société Robeauté, implantée à Paris, a développé un mini-robot de la taille d'un grain de riz (1,8 mm) capable de se déplacer à l'intérieur du cerveau pour y injecter un produit thérapeutique ou y implanter une électrode. Des essais précliniques sont en cours dans plusieurs hôpitaux de France. Bertrand Duplat et Joana Cartocci, les fondateurs de Robeauté, sont persuadés que leur innovation pourra révolutionner la prise en charge de certains cancers et maladies neurodégénératives, à commencer par Parkinson et Alzheimer. A l'aide de ce nanorobot, le neurochirurgien peut visionner en temps réel les images du scanner et pilote l'engin à distance grâce à des manettes de PlayStation. Ce robot est si fin qu'il peut être inséré dans le cerveau via un tout petit trou et se déplacer ensuite tel un vers en suivant les commandes du neurochirurgien, et sans altérer les tissus environnants. Ce micro-robot peut également transporter des molécules thérapeutiques ou une micro-électrode qu'il pourra implanter à un endroit précis de la boîte crânienne, notamment pour stimuler électriquement le cerveau. L’électrostimulation profonde et d'une précision sans égal, rendue possible par cette technologie robotique, pourrait agir dans des maladies telles que Parkinson, Alzheimer, l'épilepsie ou la dépression profonde résistante aux traitements. Les premiers essais sur l'homme de ce micro-robot unique au monde sont prévus pour 2025, avec un objectif de mise sur le marché dès 2030.
Je voudrais enfin évoquer la remarquable avancée, saluée au niveau mondial, réalisée il y a deux ans par des chercheurs et chercheuses de l’Inserm, du CNRS et de l’Université de Montpellier au Centre de biologie structurale de Montpellier. Ces scientifiques ont conçu et assemblé un nanorobot dont la taille est de seulement 50 nanomètres (un milliard de fois plus petit qu'une pince à épiler). Cette nanomachine est faite de 700 briques d'ADN synthétique, programmées par bio-informatique ; elle est dotée de quatre jambes qui entourent un piston dont l'extrémité est chargée de pincer et de tirer. Ce nanorobot permettra notamment de mieux comprendre les maladies comme le cancer et les maladies neurodégénératives, et de vérifier l'efficacité de thérapies (Voir Nature).
On sait depuis une dizaine d'années que les propriétés et forces mécaniques mises en œuvre au niveau cellulaire sont fortement impliquées dans de nombreuses pathologies, à commencer par le cancer, comme l'a encore montré une récente étude franco-suisse publiée en févier dernier (Voir INSERM). Mais malheureusement, ces mécanismes moléculaires impliqués au niveau cellulaire restent encore mal compris. Ces chercheurs dirigés par Gaëtan Bellot (Centre de biologie structurale (Inserm/CNRS/Université de Montpellier) ont, comme leurs homologues chinois, eu recours à la méthode des origamis d’ADN qui permet l’auto-assemblage de nanostructures en utilisant la molécule d’ADN comme bases de construction.
Les chercheurs et chercheuses sont ainsi parvenus à concevoir un « nanorobot » composé de trois origamis d’ADN et suffisant minuscule pour pouvoir entrer dans une cellule humaine. Cette nanomachine assez extraordinaire permet pour la première fois d’appliquer et de contrôler une force de l'ordre de seulement un piconewton, soit un mille-milliardième de Newton (un Newton correspondant environ à la force que nous appliquons pour actionner un interrupteur électrique). Ce nouvel outil va considérablement faciliter la recherche fondamentale et nous permettre de mieux comprendre les mécanismes moléculaires impliqués dans la production et la propagation des forces mécaniques. Les scientifiques espèrent notamment, grâce à ces nanorobots en ADN, comprendre comment des forces mécaniques peuvent déclencher, ou bloquer, de nombreux processus biologiques et pathologiques.
A l'intersection de la physique, de la chimie, de la biologie et de l'électronique, ces nanorobots, par leur prodigieuse précision, leur efficacité thérapeutique et leur large spectre d'action, vont probablement connaître une large diffusion à partir de 2030 et ne vont pas manquer de révolutionner la médecine et la santé, en permettant de nouveaux traitements contre de multiples pathologies graves, allant des cancers aux maladies neurodégénératives, en passant par les maladies cardiovasculaires et les AVC. Certains chercheurs voient même plus loin et imaginent déjà qu'en utilisant de manière adéquate ces nanomachines, il sera un jour possible de réparer les effets inévitables du vieillissement physique, cérébral et cognitif et même d'améliorer nos performances cognitives... A l'heure où notre pays va être confronté pour plusieurs années à des difficultés budgétaires très importantes, et devoir réaliser des économies dans de nombreux secteurs d’activités, comme vient de le rappeler le nouveau Premier Ministre Michel Barnier, il est plus que jamais capital de maintenir à un niveau suffisant notre effort financier en faveur de la recherche dans ce domaine absolument stratégique, car notre pays ne peut pas se permettre de passer à coté d'une rupture technologique et sociétale aussi importante que celle qui s'annonce avec ces nanorobots qui deviendront, demain, les véritables sentinelles invisibles de notre santé...
René TRÉGOUËT
Sénateur honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat
e-mail : tregouet@gmail.com
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- Publié dans : Robots médicaux
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