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Edito : La mortalité globale par cancer continue à diminuer !
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La publication à quelques jours d’intervalle de plusieurs études scientifiques et épidémiologiques importantes nous amène cette semaine à revenir sur un sujet qui nous tient particulièrement à cœur : la lutte contre le cancer. Certaines idées reçues sur le cancer ont la vie dure : c’est notamment le cas pour deux d’entre elles, très répandues dans les médias, bien qu’elles ne reposent sur aucun fondement scientifique solide. La première idée reçue concerne la mortalité par cancer qui ne ferait qu’augmenter et la seconde affirme que le cancer serait essentiellement provoqué par des facteurs indépendants de notre volonté, qu’ils soient génétiques ou liés à l’environnement.
S’agissant de l’évolution de la mortalité par cancer, il faut pourtant rappeler une vérité incontestable et confirmée par toutes les études épidémiologiques sérieuses : depuis plus de 30 ans, la mortalité réelle par cancer en France diminue régulièrement, si l’on tient compte, bien sûr, de l’augmentation et du vieillissement de la population.
Dès 2010, une étude de l’Inserm avait montré que le taux de mortalité par cancer tous âges et toutes localisations confondus avait diminué dans notre Pays si l’on comparait les périodes 1983-87 et 2003-07. Le taux masculin avait ainsi baissé de 22 % passant de 208,7 à 162,6 décès pour 100 000 hommes avec une accélération de la baisse sur les dix dernières années. Le taux féminin avait pour sa part diminué également, mais à un rythme moins élevé (-14 %) passant de 92,8 à 79,9 décès pour 100 000 femmes.
Cette évolution tendancielle lourde vient d’être confirmée au début du mois de Février avec la publication de la troisième édition d’une vaste enquête réalisée par l’Institut de veille sanitaire (InVS) et l’Institut national du cancer (INCa) entre 1989 et 2010 sur plus de 535 000 cas et portant sur 53 types de cancer (Voir InVS).
Cette étude montre que, pour les trois cancers les plus fréquents, prostate, sein et côlon, la survie à cinq ans progresse sensiblement. Alors que 72 % des hommes à qui un cancer de la prostate a été diagnostiqué entre 1989 et 1993 étaient encore en vie cinq ans plus tard, cette proportion passe à 94 % pour ceux dont le diagnostic a été posé entre 2005 et 2010. Cette hausse spectaculaire de 22 points en quinze ans s’explique par une amélioration de la prise en charge thérapeutique et du dépistage de ce cancer à l’origine de 8 900 décès en 2012.
Entre ces deux mêmes périodes, le pourcentage de survie après un diagnostic de cancer du sein enregistre une hausse de 7 points. Si 80 % des femmes à qui cette tumeur a été diagnostiquée entre 1989 et 1993 étaient toujours en vie cinq ans plus tard, elles sont 87 % parmi celles diagnostiquées entre 2005 et 2010. Mais le cancer du sein reste la première cause de décès par cancer chez la femme en raison de sa fréquence. La survie au cancer du côlon-rectum progresse également, avec une hausse de 9 points (de 54 % à 63 %) de la survie à cinq ans.
Cette étude confirme pleinement une autre vaste étude, publiée en juillet 2013 par l’Institut de veille sanitaire (InVS) et l’Institut national du cancer (INCa), qui montrait que, sur la période 1980-2012, le taux standardisé de mortalité par cancer (c’est-à-dire la mortalité par cancer corrigée par l’évolution démographique) avait diminué en moyenne de 1,5 % par an chez les hommes et de 1 % en France. Cette diminution constante de la mortalité par cancer est d’autant plus remarquable que depuis 35 ans, l’incidence de cancer (c’est-à-dire l’évolution du nombre de nouveaux cas) a augmenté en moyenne d’environ 1 % par an.
Cette diminution globale de la mortalité par cancer se retrouve également, de manière logique, au niveau européen : l’étude Eurocare 5 sur la survie des malades du cancer, publiée début 2014, s’appuyant sur les données de 29 pays concernant plus de 10 millions de patients, confirme une augmentation des taux de survie à 5 ans du cancer pour l'ensemble de l'Europe.
Le projet Eurocare, créé en 1989, a pour objet le suivi de l'évolution de la survie en matière de cancer sur l'ensemble de l'Union européenne. Cette étude, la cinquième du genre, a permis de calculer l'évolution des taux de survie relative pour 46 cancers, issus des données de patients âgés de 15 ans et plus, diagnostiqués entre 2000 et 2007. Elle présente également, pour les dix cancers les plus fréquents, les évolutions de ces taux sur les périodes 1999-2001, 2002-2004 et 2005-2007.
Quels sont les principaux enseignements de cette vaste analyse ? D'abord la confirmation d'une progression générale de la survie relative à 5 ans, au niveau européen, avec des augmentations significatives entre 1999-2001 et 2005-2007, notamment pour le cancer de la prostate (de 73,4 % à 81,7 %), le lymphome non-hodgkinien (de 53,8 % à 60,4 %) et le cancer du rectum (de 52,1 % à 57,6 %). L’étude montre de manière révélatrice que pour un tiers des cancers, le taux de survie est désormais supérieur en moyenne à 80 %. Il s'agit des cancers du testicule, de la lèvre, de la thyroïde, de la prostate, le mélanome de la peau et le lymphome de Hodgkin.
Cette étude révèle également, sans surprise, que ces taux de survie sont sensiblement plus élevés dans les pays du Nord de l'Europe. S'agissant de la France, elle est très bien notée pour les cancers du sein (2ème rang avec 86,1 %), le lymphome malin non-hodgkinien (2ème rang avec 65,9 %), les cancers de la prostate (6ème rang avec 88,9 %) et du rein (5ème rang avec 64,1 %). Pour le cancer du côlon, le taux de survie à 5 ans en France est estimé à 59,7 % (57 % pour la moyenne européenne). C'est un résultat un peu inférieur à celui de l’Allemagne et l’Autriche (respectivement 62,2 et 61,2 %) mais nettement meilleur que celui de la Grande-Bretagne (51,2 %).
Cette diminution de la mortalité par cancer en Europe vient également d’être confirmée fin janvier par une autre étude publiée dans le magazine spécialisé "Annals of Oncology". Ce travail très sérieux montre qu’entre 2011 et 2016, la mortalité due au cancer a baissé de 8 % chez les hommes et de 3 % chez les femmes dans les pays de l'Union européenne (UE).
Pour le redoutable cancer du poumon, le taux de survie à cinq ans en France est estimé à 13,8 % (pour une moyenne européenne de 13 %). Là aussi, ce résultat est un peu inférieur à celui de l'Allemagne (15,6 %) mais nettement supérieur à celui de la Grande-Bretagne (9 %). Pour le cancer de la prostate, ce taux de survie à 5 ans en France est estimé à 88,9 % (pour une moyenne européenne de 90 %). L'Allemagne fait un tout petit peu mieux avec 89,4 % et le Royaume-Uni beaucoup moins bien avec 80,6 %.
Toujours au niveau européen, comme le rappelle une étude de l’Institut de recherche pharmacologique de Milan publiée fin janvier (voir Annals of Oncology), cette tendance à la baisse est particulièrement marquée chez les enfants et jeunes adultes atteints de leucémie. Selon les projections des chercheurs, entre 2009 et 2016 les taux de décès liés à une leucémie chutent de 38 % chez les garçons de 0-14 ans et de 20 % chez les filles. Entre 15 et 44 ans, ces diminutions sont de l'ordre de 26 % chez les hommes et de 22 % chez les femmes. Entre 45 et 69 ans, les taux de mortalité baissent de 19 % pour l'un et l'autre sexe.
Cette diminution historique de la mortalité par cancer, en tenant compte bien entendu de l'augmentation et du vieillissement de la population, se retrouve également aux Etats-Unis. Il y a quelques semaines, le dernier rapport de la Société américaine contre le cancer (ACS) a révélé que le risque de mourir d'un cancer aux Etats-Unis a baissé de 20 % depuis vingt ans, reflétant une meilleure prévention et des avancées dans les traitements.
Aux Etats-Unis, de 2006 à 2010, les cinq années les plus récentes pour lesquelles les statistiques sont disponibles, la fréquence du cancer a baissé de 0,6 % par an chez les hommes pour rester stable parmi les femmes. Quant au taux de mortalité résultant de cette maladie, il a reculé de 1,8 % chaque année chez les hommes et de 1,4 % pour les femmes. Le taux combiné de mortalité due au cancer a de ce fait diminué depuis ces deux dernières décennies pour passer d'un pic de 215,1 pour 100.000 en 1991 à 171,8 pour 100.000 en 2010, précise l'ACS. Cette baisse de 20 % s'est traduite par environ 1,34 million de morts évitées (952.700 parmi les hommes et 387.700 chez les femmes) pendant cette période. Grâce à cette baisse globale de la mortalité par cancer, qui a commencé il y a 25 ans outre-Atlantique, le nombre d'Américains morts du cancer est redescendu, en valeur absolue, à 584 000, son niveau de 1932, alors qu'entre-temps, la population américaine est passée de 225 à 319 millions d'habitants !
La seconde idée reçue contre laquelle je me suis à plusieurs reprises exprimé (notamment dans mon éditorial du 13 février 2015, NON, le cancer n'est pas essentiellement dû au hasard et à la malchance) concerne l’affirmation malheureusement très tenace et encore largement répandue dans les médias, selon laquelle le cancer relèverait pour une large part du hasard de la génétique et pour une part également importante de causes environnementales sur lesquelles nous aurions finalement peu de prise.
Le problème est que cette croyance, bien commode il est vrai car elle nous exonère de toute responsabilité personnelle et de nos choix de vie, ne résiste pas à une analyse scientifique et épidémiologique rigoureuse. A cet égard, la récente étude publiée le 16 décembre 2015 dans la prestigieuse revue " Nature" mérite d’être méditée. Ce remarquable travail, intitulé "La part substantielle des facteurs extrinsèques dans le développement du cancer" (Voir Nature) montre de manière très solide que ce sont bien nos choix de vie, bien plus que nos gènes et les facteurs liés à l’environnement, qui constituent les principaux facteurs de risque de cancer.
Certes, on savait déjà, grâce à une étude récente réalisée auprès de plus de 200 000 jumeaux, que la grande majorité des cancers, en particulier ceux qui touchent principalement la population des pays occidentaux (poumon, colorectal, sein et prostate), ne sont pas d’origine héréditaire. Mais cette fois, des chercheurs américains de l’Université Stony Brook ont analysé rigoureusement plusieurs études portant sur la distribution mondiale des cancers ainsi que sur certaines de leurs caractéristiques moléculaires.
Ce travail a permis d’observer que le hasard, l’hérédité ou encore le vieillissement ne suffisent pas à expliquer les différences considérables qui existent dans l’incidence de plusieurs types de cancers à l’échelle mondiale. Par exemple, comment expliquer que le cancer du sein soit jusqu’à 20 fois plus répandu en Amérique qu’en Asie ou que les Européens soient dix fois plus touchés par le cancer de la prostate que les Japonais ? Et comment expliquer, si le mode vie n’intervient qu’à la marge dans le déclenchement de ces cancers, que ces différences énormes se réduisent presque totalement à la suite de la migration des Asiatiques en Europe ou en Amérique ?
Autre enseignement très intéressant de cette étude : l’analyse de la composition moléculaire des cancers et de leurs mutations génétiques spécifiques correspond à une action provoquée par des substances cancérigènes (rayons UV, tabac, mauvaise alimentation) et non à des processus cellulaires et biologiques liés au vieillissement normal de l’organisme. A cet égard, les scientifiques soulignent que la plupart des cancers n’apparaissent qu’après une dizaine de mutations (neuf mutations pour le cancer du sein, 11 pour le cancer du côlon et 12 pour celui de la prostate) et il semble très peu probable sur un plan statistique qu’une cellule cancéreuse parvienne à acquérir uniquement par hasard toutes ces mutations au cours d’une vie humaine. En tenant compte de ces facteurs, les chercheurs responsables de cette étude estiment que 70 % des cancers sont causés par des facteurs liés au mode de vie.
Mais si l’on en croit les avancées récentes dans le domaine en plein essor de l’épigénétique, nos choix alimentaires et nos modes de vie auraient une influence déterminante sur le risque de cancer, quelle que soit la prédisposition génétique. Ainsi, le risque de développer un cancer du sein précoce (avant 50 ans) chez les femmes porteuses de gènes défectueux BRCA a triplé au cours des dernières années (24 à 67 %), une hausse attribuée à l’augmentation de l’obésité, de la mauvaise alimentation et de la diminution de l’activité physique.
Indépendamment de l’hérédité, les facteurs de risque non modifiables sont également influencés par le mode de vie : une étude récente a ainsi montré que les femmes ayant un risque plus élevé de cancers du sein en raison de certains facteurs hors de leur contrôle (historique familial, longue période de fertilité sans grossesse, grande taille) peuvent réduire ce risque. Ainsi, ces femmes à haut risque qui parviennent à contrôler leurs poids et maîtrisent leur consommation d’alcool réduisent de 25 % leurs risques de développer un cancer du sein, une protection identique à celles qui ne sont pas à haut risque.
De nombreuses études montrent de plus en plus clairement que la fréquence importante des principaux cancers observés dans les pays développés (poumon, côlon, sein, prostate) résulte largement du mode de vie occidental et qu’il est tout à fait possible de prévenir ces cancers ou d’en réduire sensiblement l’incidence et l’agressivité en adoptant quelques règles de vie simples et saines qui n’impliquent ni ascétisme ni privations insupportables. Aux Etats-Unis, plusieurs études réalisées sur des populations observant des habitudes de vie particulière pour des raisons religieuses (Mormons ou Adventistes) ont ainsi montré qu’une alimentation saine et équilibrée semblait diminuer sensiblement le risque global de cancer, indépendamment des autres facteurs de risques liés à l’environnement.
Dernier exemple en date : il y a quelques jours, une étude publiée dans la revue Pediatrics a montré que les adolescentes et jeunes femmes consommant beaucoup de fibres, notamment celles des fruits et légumes, réduisent leur risque de développer un cancer du sein à la pré-ménopause. Ce travail portant sur plus de 90.000 femmes américaines a montré une diminution du risque de cancer du sein de 12 à 19 % chez les femmes ayant consommé des fibres alimentaires lorsqu’elles étaient jeunes adultes. L’étude précise même que la consommation de chaque portion quotidienne de 10g supplémentaire consommée pendant l’adolescence diminue le risque de cancer du sein plus tard de 13 %...
Une autre étude américaine réalisée par l’Université de Californie et publiée en juillet 2013 (Voir JAMA) a par ailleurs montré que la consommation régulière d’huile d’olive et d’huile de noix permettait de réduire de 29 % les risques de cancer agressif de la prostate chez l’homme.
Alors que la lutte contre le cancer marque des points décisifs grâce aux avancées de la science, notamment dans les domaines génétiques, immunologiques et informatiques et que la mortalité par cancer ne cesse de diminuer dans tous les pays développés, il est plus que jamais nécessaire de rappeler avec force qu’en dépit des exemples individuels que nous pouvons tous avoir à l’esprit, le cancer ne relève pas d’une fatalité inexorable. Cette maladie tant redoutée peut à présent faire l’objet d’une prévention active et d’autant plus efficace qu’elle devient personnalisée et s’appuie les profils et risques génétiques singuliers de chacun d’entre nous.
Il serait très souhaitable que notre société mette en place dès la petite enfance, et tout au long de la scolarité et de la formation professionnelle, un véritable enseignement sanitaire qui permette à chacun de connaître de manière claire et précise les facteurs de risque, à présent bien identifiés, qui favorisent l’apparition des cancers et ceux qui, au contraire, permettent une protection et une prévention réelle contre cette maladie. Un tel enseignement aurait un coût minime pour un bénéfice collectif considérable à terme ; il permettrait de responsabiliser nos concitoyens en leur rappelant qu’ils sont les premiers artisans de leur santé et qu’ils peuvent à tous les âges de la vie faire des choix qui réduisent leurs risques de cancer (mais également les risques de récidives quand la maladie est malheureusement déjà là), améliorent leur qualité de vie et préservent leur autonomie.
René TRÉGOUËT
Sénateur honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat
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- Publié dans : Médecine
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