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Edito : Maladie de Parkinson : des avancées décisives sont en cours
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Décrite il y a plus de deux siècles par le médecin anglais James Parkinson, la maladie de Parkinson est devenue la troisième maladie neurologique la plus fréquente dans le monde (derrière Alzheimer et l'épilepsie), avec plus de 6,5 millions de malades dans le monde et 160 000 malades en France (25 000 nouveaux cas par an). On estime que cette pathologie touche environ 1% des plus de 65 ans. Fortement liée au vieillissement de notre population, l’incidence de cette maladie a doublé en 30 ans et pourrait encore progresser de 56% d’ici 2030.
La maladie de Parkinson est causée par la mort ou dégénérescence des neurones, en particulier ceux de la "substance noire" du cerveau, qui sont localisés dans le tronc cérébral, sous les hémisphères cérébraux et en avant du cervelet. C’est dans cette région qu’on trouve les neurones dopaminergiques, ainsi dénommés car ils produisent de la dopamine, un neurotransmetteur assurant la communication entre les neurones. Cette substance joue un rôle-clé dans le bon fonctionnement des noyaux gris centraux du cerveau auxquels est connectée la substance noire. Ces zones contrôlent les mécanismes d’automaticité, sur le plan moteur (marche, déglutition, clignement des paupières…), ainsi que sur le plan intellectuel et émotionnel (réponse émotionnelle dans une situation drôle ou triste par exemple).
La maladie de Parkinson se traduit donc à la fois par des symptômes moteurs (lenteur, raideur, tremblements et perte des automatismes moteurs de la marche et de l’équilibre) et des symptômes cognitifs: troubles de l’attention, de la mémoire immédiate, anxiété, dépression, perte de la motivation…
En dépit de recherches très actives partout dans le monde, les causes exactes de cette maladie restent mal identifiées. Néanmoins, au cours de ces dernières années, les chercheurs ont réussi à mettre en lumière plusieurs mécanismes fondamentaux qui semblent impliqués dans le déclenchement et la propagation de cette maladie très invalidante et irréversible.
Grâce à ces travaux, nous savons à présent qu’il existe une grande variété de syndromes parkinsoniens qui, s’ils présentent des symptômes similaires, ont des origines différentes et doivent être traités de manière spécifique. On sait également que dans la forme la plus fréquente, le syndrome parkinsonien idiopathique (SPI), c'est la mort des neurones dans la substance noire qui entraîne le déficit en dopamine dans le cerveau.
Aujourd’hui, à la lumière des dernières découvertes fondamentales sur cette pathologie, la maladie de Parkinson est de plus en plus considérée comme une maladie progressive et évolutive affectant l’ensemble du cerveau, qui se déclare probablement dans le tractus gastro-intestinal et se propage le long des voies du système nerveux central à la manière d’une infection. Dans ce processus, il semble que la protéine alpha-synucléine joue un rôle essentiel : sous l’influence d’un mécanisme qui reste encore à élucider, cette protéïne voit sa structure tridimensionnelle se transformer, en se repliant de manière incorrecte (comme c'est le cas pour le prion), ce qui entraîne la formation d’agrégats aux propriétés neurotoxiques puissantes qui tuent les neurones touchés. Ce mécanisme était déjà connu pour les maladies comme la maladie de Creutzfeldt-Jakob ou l’ESB, mais il a fallu attendre les récents travaux de l’équipe de Gabor G. Kovacs, de l’Université de médecine de Vienne, pour établir que l’alpha-synucléine mal repliée pouvait se propager de cellule en cellule.
Actuellement, le traitement de référence reste la L-dopa combinée à des inhibiteurs de la décarboxylase (qui empêchent la dégradation de la lévodopa dans le cerveau). La médecine dispose en effet de diverses substances qui peuvent être utilisées isolément ou associées et sont administrées la plupart du temps par voie orale, ou plus rarement sous forme d’injection (apomorphine) ou de patch transdermique. En combinant judicieusement ces molécules disponibles, les médecins parviennent à contrôler de mieux en mieux les symptômes de la maladie pendant des durées de plus en plus longues. Cependant, il n’existe toujours aucun traitement curatif qui permettrait de stopper la progression de la maladie.
En 2015, le Comité des médicaments à usage humain de l’Union Européenne a donné son feu vert à l’utilisation de Xadago® (safinamide) pour le traitement des patients atteints de la maladie de Parkinson. Développé par Newron Pharmaceuticals et son partenaire Zambon, cette nouvelle molécule très attendue actionne des mécanismes pharmacologiques différents des autres médicaments utilisés pour traiter la maladie de Parkinson. Ce médicament innovant agit par un double mécanisme d’inhibition réversible et très sélective de la levodopa-monoamine-oxydase-B, ainsi que par un mécanisme qui bloque la dyskinésie induite par la levodopa (ou L-dopa). De ce fait, le safinamide est recommandé en complément à la L-dopa seule ou en combinaison avec d’autres médicaments destinés à traiter Parkinson chez les patients en stade intermédiaire ou avancé avec fluctuations motrices.
L’efficacité de ce nouveau médicament a été confirmée par deux études internationales de phase III contrôlés contre placebo ont été réalisées sur plus de 1 100 patients pendant plus de 2 ans et cette molécule offre enfin une nouvelle option thérapeutique en cas de Parkinson avancé. Autre avancée récente : la préparation à effet retard Rytary (L-dopa/carbidopa) qui a obtenu l’homologation de l’autorité américaine de surveillance des médicaments (FDA) au mois de janvier 2015 et est déjà disponible pour les malades américains.
La lutte contre cette pathologie passe aussi par l’utilisation de l’approche immunothérapique. C’est ainsi que depuis 2012, la société autrichienne Affiris teste sur des patients son « vaccin antiparkinsonien ». Baptisé PD01A, ce vaccin thérapeutique a été conçu de manière à stimuler l’organisme pour qu’il forme des anticorps spécifiques à la dégradation de l’alpha-synucléine mal repliée. L’idée est d’agir sur la cascade de dérèglements biochimiques à l’origine de la maladie de Parkinson et d’empêcher sa progression. Une première étude d’évaluation a démontré l’innocuité de la substance et sa bonne tolérance. Fait encourageant, plus de la moitié des patients vaccinés présentaient effectivement des anticorps dans leur sérum sanguin.
Parallèlement aux traitements médicamenteux s’est développée depuis une dizaine d’années l’utilisation thérapeutique d’une technique dont nous avons parlée, et qui est promise à un grand avenir, la stimulation électrique profonde. Cette méthode utilise l’implantation d’électrodes au cœur du cerveau et plusieurs études cliniques ont démontré que son efficacité peut s’avérer supérieure aux médicaments chez certains patients à un stade précoce de la maladie.
Depuis une quarantaine d’années, de nombreux chercheurs, notamment les équipes suisses de Jean Siegfried et l’équipe d’Alim-Louis Benabid et de Pierre Pollak à Grenoble, n’ont cessé d’expérimenter et de perfectionner cette technique. Aujourd’hui, la stimulation cérébrale profonde (SCP) s’est imposée comme option thérapeutique à part entière dans le traitement du Parkinson. Sans détruire les voies nerveuses, de fines électrodes sont posées en profondeur dans le cerveau. Elles sont reliées à un générateur d’impulsions implanté sous la peau dans la partie supérieure du corps, qui commande les impulsions de courant ou de tension des électrodes de manière à permettre un contrôle des symptômes.
Il faut cependant souligner que cette technique très novatrice, qui a valu à son découvreur français, le Professeur Alim-Louis Benabid, le prix Lasker 2014 (l’équivalent américain du prix Nobel de médecine), ne concerne malheureusement qu’un malade sur six et nécessite une intervention chirurgicale délicate et des réglages très précis du stimulateur cérébral.
Il faut enfin évoquer une nouvelle piste thérapeutique très prometteuse développée notamment par l’équipe du Professeur David Devos, de l'Université de Lille, la piste du fer. On sait depuis plus d’un siècle que les malades parkinsoniens ont un cerveau qui présente trois grandes caractéristiques : la dégénérescence des neurones dopaminergiques (producteurs de dopamine), se traduisant par une diminution ou une carence en dopamine, la présence de corps de Lewy (des dépôts constitués par une protéine anormalement agrégée, l’alpha-synucléine, impliquée normalement dans la libération de la dopamine), et l’existence d’une accumulation de fer au niveau de la substance noire.
La substance noire est naturellement riche en fer, car le fer est nécessaire à la fabrication de la dopamine. En outre, cette zone est très active, et requiert une grande quantité d’énergie. Or le fer intervient dans la production d’énergie par l’organisme, en permettant l’utilisation de l’oxygène. En cas de déficit en fer, le transport d’oxygène est ralenti, ce qui réduit la production d’énergie et entraîne l’anémie. Mais si le manque de fer est problématique, son excès peut également avoir de graves conséquences sur l’organisme et le système nerveux. Un surplus de fer peut être très toxique et favoriser le stress oxydant, un processus qui provoque une destruction de la structure des cellules…
Des recherches ont permis de montrer dans des modèles animaux de la maladie de Parkinson que les composés capturant le fer (les chimistes emploient le terme de chélation), ou les traitements susceptibles de réduire l’excès de fer protègent les neurones dopaminergiques. Cependant, ces traitements sont conçus pour les patients qui ont une surcharge massive en fer dans l’ensemble de leur organisme, comme dans certaines maladies du sang comme la bêta-thalassémie. Ils ne sont pas utilisables, sous peine de provoquer une grave anémie, chez les patients atteints de la maladie de Parkinson, dont la surcharge en fer est très localisée.
Pour surmonter cet obstacle, l’équipe du Pr Devos a eu recours à une technique de chélation conservatrice du fer basé sur une molécule-prototype, la déféripone. Administrée oralement, celle-ci est capable de capturer le fer en excès, mais uniquement dans la substance noire (trois molécules de défériprone se lient à une molécule de fer), puis de le rendre aux transporteurs naturels du fer (la protéine apotransferrine) qui vont alors le redistribuer dans le corps, évitant ainsi l’anémie.
Une première étude pilote destinée à valider cette approche, impliquant quarante patients atteints par la maladie de Parkinson à un stade précoce, a été menée au CHU de Lille. Les résultats montrent que leur taux de fer, mesuré par imagerie cérébrale, a diminué, ainsi que le stress oxydant cérébral et sanguin. Les chercheurs ont également observé une légère amélioration clinique des symptômes moteurs chez les patients et ceux-ci n’ont pas développé d'anémie, même après deux ans de traitement. Globalement, cet essai s'est traduit par un ralentissement de la progression de la maladie et ces résultats cliniques encourageants ont été récemment confirmés par une autre étude, britannique.
Ces résultats prometteurs ont conduit à la mise en place d’un large essai clinique européen, portant sur 368 patients. Mené sur 24 centres cliniques répartis dans huit pays (France, Allemagne, Espagne, Angleterre, Pays-Bas, Portugal, République tchèque, Autriche), cet essai est destiné à évaluer si la défériprone peut ralentir la progression de la maladie chez les patients parkinsoniens au moment du diagnostic. Cette stratégie thérapeutique est également en cours d’essai thérapeutique dans le cadre de la sclérose latérale amyotrophique (maladie de Charcot) en France et la maladie d’Alzheimer en Australie car une mauvaise distribution du fer a également été constatée dans ces pathologies.
Une seconde piste thérapeutique en lien avec le fer pourrait émerger suite à la découverte d’une nouvelle forme de mort programmée des neurones. Baptisée "ferroptose" (par analogie avec l’apoptose, qui est la mort cellulaire programmée), ce « suicide » cellulaire se caractérise par une accumulation de fer dans la cellule. Ces travaux du Pr Devos ont pu démontrer que la ferroptose était non seulement prédominante dans les modèles animaux utilisés pour étudier la maladie de Parkinson, mais aussi qu’elle était très sensible aux chélateurs de fer. L’élucidation de ces mécanismes ouvre de nouvelles voies thérapeutiques qui pourraient être combinées à l’emploi de molécules capables de chélater (capter) le fer.
Le Pr Devos est persuadé que cette voie de la chélation du fer grâce à la déféripone peut constituer une nouvelle stratégie efficace de neuroprotection, qui pourra à l’avenir être combinée à d’autres approches thérapeutiques, notamment celles modulant la dopamine, la toxicité de l’alpha-synucléine, ou la mort des neurones par ferroptose.
La recherche s’oriente également vers une meilleure compréhension de certains mécanismes génétiques communs dans plusieurs maladies neurodégénératives graves, comme Alzheimer, Parkinson ou encore la sclérose en plaques. Dès 2002, une étude réalisée par des chercheurs américains de génétique des populations et dirigée par la Professeure Margaret Pericak-Vance, avait montré, en analysant et en comparant les génomes de plus de 500 familles de patients atteints d’Alzheimer ou de Parkinson, qu’il existait une même région précise sur le chromosome 10 qui semblait impliquée dans le risque d’apparition de ces deux pathologies pourtant distinctes.
En 2010, une équipe associant des chercheurs français du Centre de recherche biochimie macromoléculaire (CNRS/Universités Montpellier 1 et 2), et du National Institute of Health (Etats-Unis) a montré que certaines protéines jouant un rôle-clé dans plusieurs maladies neurodégénératives, telles que Parkinson, Alzheimer et le syndrome d’Huntington, présentent de fortes similitudes.
Trois ans plus tard, des chercheurs de l’Université américaine de Stanford, dirigés par Alexander Stephan, ont découvert, à partir de l’analyse des tissus cérébraux de malades décédés, qu’un excès de concentration de la protéine C1q au niveau des synapses entraînait la destruction des cellules immunitaires du cerveau. Ces travaux laissent entrevoir une nouvelle piste thérapeutique qui consisterait à relancer le mécanisme de neuroprotection chez les patients atteints d’une maladie de Parkinson, en bloquant l’action de cette protéine C1q.
Une équipe canadienne (University of British Columbia) a confirmé un trait caractéristique aux deux maladies : le processus inflammatoire déclenché initialement par des structures pathologiques (comme la protéine bêta-amyloïde), puis qui évolue vers une forme chronique et provoque des dommages irréversibles aux cellules nerveuses (mort des neurones). Ces recherches ont montré que quatre facteurs de risque majeurs contribuent à la neuro-inflammation, l’alimentent en quelque sorte : la sédentarité (absence ou insuffisance d’activité physique régulière), la maladie (cardio)vasculaire, dont l’hypertension artérielle, l’obésité, et enfin le diabète (DT2).
On le voit, la maladie de Parkinson, d’une redoutable complexité, comme toutes les maladies neurodégénératives, est loin d’avoir livré tous ses secrets, et ses causes profondes restent à découvrir. Néanmoins la compréhension intime des mécanismes de cette pathologie a beaucoup progressé depuis une dizaine d’années ; de nouvelles options thérapeutiques sont apparues et sont venues améliorer sensiblement la qualité de vie des malades.
Bien qu’un long chemin reste à parcourir avant qu’on puisse entrevoir la guérison de cette maladie aux multiples formes, les chercheurs du monde entier explorent aujourd’hui de nouvelles voies de recherche très prometteuses, comme celle du fer, de l’immunothérapie, de la thérapie génique ou de la protéine CIq et il ne fait nul doute que cette maladie si redoutée sera un jour vaincue.
La confirmation de l’existence de mécanismes biologiques et bases génétiques communes aux principales maladies neurodégénératives (Alzheimer, sclérose en plaques, Parkinson) est également une découverte majeure que les scientifiques vont continuer d’exploiter et qui permettra certainement de nouvelles avancées thérapeutiques, mais également une meilleure connaissance du fonctionnement global de notre cerveau et de notre système nerveux.
Confrontée au vieillissement inéluctable de nos sociétés, la science et la médecine devront redoubler d’effort au cours des prochaines décennies pour que les progrès majeurs déjà enregistrés dans la lutte et la prévention contre le cancer et les maladies cardiovasculaires soient également au rendez-vous en ce qui concerne l’ensemble de ces pathologies dévastatrices qui touchent le cerveau, notamment chez les personnes âgées.
Sans faire preuve d’un optimisme déplacé, je reste convaincu que l’utilisation conjointe de nouveaux outils extrêmement puissants, comme l’IA, l’exploitation de routine des données massives grâce au supercalcul et la thérapie génique, permettront au cours des vingt prochaines années de réaliser de nouvelles avancées majeures menant, sinon à la guérison, du moins au contrôle et la stabilisation de ces terribles maladies qui s’attaquent au cerveau et finissent souvent par priver les malades, nous en avons tous fait la triste expérience, de leur identité.
Si nous voulons avancer plus vite dans cette exploration scientifique de l’immense et encore bien mystérieux continent qu’est notre cerveau, nous devrons, plus encore que dans d’autres domaines du savoir, mobiliser et associer toutes les disciplines des sciences du vivant mais également de la physique, de la chimie, de l’informatique et du calcul. C’est à ce prix que nous parviendrons peut-être à faire enfin reculer ces terribles maladies neurodégénératives avant le milieu de ce siècle…
René TRÉGOUËT
Sénateur Honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat
e-mail : tregouet@gmail.com
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