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La maladie d'Alzheimer est-elle une maladie à prion ?
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Se pourrait-il que la maladie d'Alzheimer soit une maladie à prion, comme la maladie de Creutzfeldt-Jakob ? L'hypothèse divise la communauté scientifique depuis plusieurs années, mais elle vient d'être sérieusement confortée par une étude réalisée par des chercheurs du CEA de Fontenay-aux-Roses.
Ce travail unique au monde s'appuie sur sept ans d'investigations méticuleuses sur un petit primate originaire de Madagascar, le microcèbe. Les maladies à prion ont été découvertes en Papouasie-Nouvelle-Guinée où, dans les années 1950, un chercheur américain, Daniel Carleton Gajdusek, décédé en 2008 (Prix Nobel 1976), s'intéressa au mal mystérieux qui frappait alors une tribu d'aborigènes, les Fore, pratiquant des rites anthropophages.
Cette maladie neurodégénérative, le kuru, frappait surtout les femmes et les enfants qui se voyaient donner à manger les viscères et autres bas-morceaux - dont le cerveau - des défunts de leur tribu (les hommes, auxquels étaient réservées les parties nobles que sont les muscles, étaient épargnés). Gajdusek comprit et prouva que le vecteur de l'infection se trouvait dans l'encéphale. Il le démontra en injectant chirurgicalement, dans le cerveau de chimpanzés, des « broyats » de cerveaux humains prélevés sur les guerriers Fore décédés. Les chimpanzés ainsi contaminés tombaient malades du kuru.
Plus tard, un autre chercheur américain, Stanley Prusiner (Prix Nobel 1997), découvre l'identité du coupable, responsable non seulement du kuru mais des différentes formes d'encéphalopathies spongiformes transmissibles (tremblante du mouton, maladie de la vache folle, maladie de Creutzfeldt-Jakob) : il pointa du doigt une protéine appelée le prion. Cette découverte fut un coup de tonnerre dans le ciel de la médecine. « Elle mettait à bas le dogme qui prévalait jusqu'ici selon lequel il était exclu qu'une simple protéine, étant dénuée d'acide nucléique (ADN ou ARN), puisse transmettre une maladie », raconte le biologiste du CEA Marc Dhenain, principal auteur de la publication sur la maladie d'Alzheimer.
Stanley Prusiner reste convaincu que la maladie d'Alzheimer est, elle aussi, une maladie à prion. Pour tester cette « hypothèse prion », de premières expériences ont été réalisées sur des souris génétiquement modifiées de telle sorte qu'elles reproduisent certaines caractéristiques pathologiques de la maladie d'Alzheimer, que les rongeurs ne développent pas naturellement.
Mais les souris transgéniques constituent des modèles animaux trop éloignés du modèle humain pour permettre d'obtenir des résultats vraiment conclusifs. « Nous nous sommes dit que la seule façon de tester sérieusement l'hypothèse prion était de le faire sur des primates non humains, dont le cerveau se rapproche beaucoup plus de celui de l'homme », raconte Marc Dhenain.
L'équipe du CEA a donc décidé de refaire entre 2012 et 2019 avec la maladie d'Alzheimer ce que Gajdusek avait fait dans les années 1950 avec celle du kuru. Les chercheurs ont, pour la première fois, injecté des broyats de cerveaux humains malades (collectés auprès de banques d'échantillons) dans ceux de primates non humains sains, pour observer ce qu'il se passait. Ils ont alors pu constater que, six mois après les injections, les microcèbes commençaient tous à être affectés par des problèmes de mémoire.
En outre, les IRM pratiquées régulièrement ont permis de mettre en évidence l'atrophie de l'hippocampe (siège de la mémoire), ce qui est l'une des signatures cérébrales de la maladie. Mieux encore : lorsque les microcèbes finissaient par être sacrifiés pour qu'on puisse disséquer leur cerveau, les observations au microscope ont révélé la présence de plaques amyloïdes à l'extérieur des neurones et de dégénérescences neurofibrillaires à l'intérieur de ceux-ci, soit les deux lésions caractéristiques de cette forme de démence !
Ces recherches montrent donc de manière très solide que la maladie d'Alzheimer, bien qu'elle ne soit pas contagieuse, est bel et bien transmissible de cerveau à cerveau. Dans les maladies à prion, c'est la configuration 3D anormale de cette protéine qui est cause de la maladie : le prion mal replié sur lui-même va en effet contaminer les prions sains et les déformer à son contact. D'où l'idée que les prions pourraient bien être impliqués, à des degrés qui restent à préciser, dans certaines maladies neurodégénératives, dont Alzheimer ou Parkinson.
Dans la maladie d'Alzheimer, les deux types de lésions observées, les plaques amyloïdes et les dégénérescences neurofibrillaires, sont dues à deux protéines, le peptide amyloïde et la protéine tau, qui, lorsqu'elles sont saines, participent du bon fonctionnement du cerveau. Mais, alors que, dans un cerveau sain, ces deux protéines se trouvent dans une certaine configuration qui les rend solubles, dans un cerveau malade, leur configuration change et elles cessent d'être dégradables ; c'est ce qui va provoquer leur accumulation dans le cerveau.
Dans le cas de la maladie d'Alzheimer, le peptide amyloïde se replie pour former une structure appelée le « feuillet bêta-plissé », forme sous laquelle il est insoluble. Sous cette forme très particulière, il provoque la formation d'autres feuillets bêta-plissés qui finissent par s'agréger les uns aux autres jusqu'à former les plaques observées dans le cerveau des malades. Ce mécanisme ressemble de manière troublante à celui mis en évidence par Stanley Prusiner dans les maladies à prion. Marc Dhenain reste toutefois prudent ; il souligne simplement que « Ces recherches montrent pour l'instant que les protéines amyloïdes et tau sont similaires à des prions », et précise que d'autres études seront nécessaires pour être certains que la maladie d'Alzheimer est bien une maladie à prion. Affaire à suivre…
Article rédigé par Georges Simmonds pour RT Flash
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