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Edito : Les lanceurs réutilisables et la propulsion ionique vont modifier la nature de la conquête spatiale

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Editorial :

Les lanceurs réutilisables et la propulsion ionique vont modifier la nature de la conquête spatiale

Le 9 juillet dernier, la fusée Ariane-6 a effectué, avec 4 ans de retard, son vol inaugural depuis le Centre spatial guyanais. Ce lancement a notamment permis la mise en orbite d’une dizaine de "cubesats", des microsatellites cubiques, destinés à la recherche scientifique. Ariane-6 pourra, comme Ariane-5, placer des satellites en orbite géostationnaire, à 36 000 kilomètres d’altitude. Mais elle pourra également, forte de son moteur rallumable Vinci, placer en orbite des constellations de satellites à quelques centaines de kilomètres de la Terre. Au cours du vol, ce moteur a été allumé avec succès à deux reprises pour amener l’étage supérieur et larguer les "cubesats". Ce vol inaugural d’Ariane-6 était capital pour l'avenir de l'Europe spatiale, car il rouvre un accès autonome à l’espace pour notre continent. Depuis la fin d'Ariane 5, l’Europe se trouvait en effet dans l'obligation de recourir au lanceur russe Soyouz.

Avec ce nouveau lanceur lourd, polyvalent et performant, l'Europe va redevenir pleinement indépendante et pourra se passer des lanceurs spatiaux américains ou chinois pour accéder à l’espace. Ariane-6 offre également aux Européens une réponse technologique crédible face au nouveau géant américain SpaceX, qui a bouleversé l'industrie spatiale depuis 2010 , grâce à ses fusées réutilisables Falcon-9, dont la dernière version peut placer une charge utile de 22,8 tonnes (métrique) en orbite basse ou de 8,3 tonnes en orbite de transfert géostationnaire. SpaceX lance environ deux Falcon-9 par semaine, alors que Ariane-6 a été conçue pour effectuer, au mieux, un vol par mois. Le premier lancement opérationnel et commercial d’Ariane-6 devrait avoir lieu en fin d’année avec le satellite d’observation militaire français CSO-3. Ensuite, Ariane 6 devra absolument confirmer ses performances et sa fiabilité, en assurant 6 vols en 2025 et huit en 2026.

L'Europe spatiale aura néanmoins fort à faire pour rester dans la course technologique mondiale effrénée qui secoue les technologies spatiales. Le 13 octobre dernier, lors d’une manœuvre aussi incroyable que spectaculaire, SpaceX a réussi à rattraper en vol le premier étage de sa mégafusée Starship pendant un vol d’essai de 9 minutes. Ce saut technologique marque un pas décisif vers la réutilisation de ce lanceur lourd. Les deux étages de cette fusée hors norme – la plus grande et la plus puissante du monde – devraient pouvoir être, à terme, récupérés et réutilisés après chaque vol. On comprend aisément que si cet objectif ambitieux est bien atteint dans les délais, c'est toute la conquête spatiale qui en sera bouleversée, car le coût de chaque lancement pourra être considérablement réduit. La NASA compte d'ailleurs sur ce nouveau concept de fusée réutilisable pour relancer les vols habités vers la Lune. Le décollage de ce cinquième vol test de Starship s’est effectué depuis la base spatiale Starbase de l’entreprise, au sud du Texas. Cette fusée est composée du premier étage Super Heavy et, au-dessus, du vaisseau Starship. Pour bien comprendre la prouesse que représente la récupération du module Super Heavy, il faut rappeler qu'il mesure 70 mètres de haut, pour un diamètre de 9 mètres et un poids au décollage de 3600 tonnes (plus de la moitié du poids de la Tour Eiffel). Au cours de chaque vol, Super Heavy se sépare du vaisseau après l’avoir propulsé à l’aide de ses 33 puissants moteurs. Jusqu'à présent, il terminait sa course dans la mer, mais SpaceX a réussi, pour la première fois, à le faire revenir sur son pas de tir, neuf minutes après le décollage. Sur une vidéo devenue virale, qui a fait le tour du monde, on peut voir cette séquence digne d'un film de science-fiction, dans laquelle des bras mécaniques installés sur la tour de lancement, surnommés « les baguettes », se referment sur Super Heavy, puis l’immobilisent, avant que l’étage Super Heavy ne puisse toucher le sol (Voir YouTube).

De son côté, le vaisseau Starship a poursuivi son vol jusqu’à amerrir dans l’océan Indien. Il avait pour la première fois réussi un amerrissage en douceur dans cet océan lors de son dernier vol, en août dernier. Pour parvenir aussi rapidement à réaliser une telle avancée, SpaceX a su innover, en enchaînant les lancements de prototypes sans cargaison, afin de pouvoir corriger rapidement les nombreux problèmes rencontrés en situation réelle de vol.

La concurrence est féroce sur ce nouveau marché des lanceurs réutilisables, qui devrait, selon Global Market Insights, passer de 4,5 à 9,5 milliards de dollars d'ici 2030. Il y a quelques jours, Blue Origin, fondé par le patron d'Amazon, Jeff Bezos, a franchi une nouvelle étape importante vers le vol inaugural de sa fusée New Glenn qui doit avoir lieu avant la fin de l’année et permettre de faire atterrir un booster réutilisable. Le premier étage de New Glenn, équipé de sept moteurs, a été transporté au complexe de lancement de Cap Canaveral pour des tests clés. D’un diamètre de sept mètres, ce lanceur lourd mesure 98 mètres de haut au total. Prévu pour au moins 25 vols, ce premier étage propulseur du lanceur doit venir se poser sur une barge au large des côtes de la Floride.

La Chine, nouveau géant spatial, n'a pas l'intention de se laisser distancer dans cette course technologique. Il y a quelques mois, la société China Aerospace Science and Technology (CASC) a annoncé avoir achevé avec succès les tests de son nouveau moteur. Capable d'embarquer 130 tonnes d'oxygène liquide et de kérosène, le réacteur doit équiper la future fusée réutilisable chinoise, la "Longue Marche" 10 (Voir Interesting Engineering). Face à SpaceX, CASC s'est fixé des objectifs ambitieux. Le réacteur chinois a été conçu pour disposer d'une précision, d'une stabilité et d'une durabilité améliorées. Dans le cadre d'une feuille de route précise, la Chine s'est donné les moyens de se doter d'uns large gamme de fusées réutilisables. Un premier vol d'essai doit intervenir en 2025 autour d'un modèle de fusée d'environ 4 mètres de diamètre. Le suivant est prévu en 2026 avec un modèle de 5 mètres de large.

En France, le Centre National d’Études Spatiales travaille lui aussi activement au développement d'un concept de lanceur réutilisable. Il s'agit du projet FROG-H, dont les tests de vol débuteront en 2025. Dévoilé en 2017 sous l’appellation "Rocket for GNC démonstration" ou FROG, ce projet a pour objectif de mettre au point et de tester des algorithmes de guidage et de contrôle développés pour des véhicules réutilisables. Ce projet FROG implique par ailleurs des partenaires universitaires (IUT de Cachan/Innovlab), industriels (Polyvionics, DroneCenter) et associatifs (Planètes Sciences). Cet ensemble de tests est aussi l’occasion de servir de banc d’essais volant pour d’autres technologies. Avec FROG, le CNES a compris la leçon administrée au monde de l'industrie spatiale par SpaceX et a voulu rompre avec les méthodes de développement traditionnelles, en testant plusieurs solutions en parallèle afin de trouver la bonne formule. Le démonstrateur FROG-H, qui mesure 3,6 mètres de hauteur, est issu d'une première version du FROG-T, testé en 2019, qui avait atteint une altitude maximale de 30 mètres grâce à un moteur à turboréacteur. Pour cette version améliorée, le CNES collabore avec l’Institut de l’aviation Łukasiewicz en Pologne, pour le développement d’un moteur-fusée monergol.

Cette collaboration au niveau européen vise à disposer le plus rapidement possible de toute une gamme de lanceurs plus abordables et réutilisables. En parallèle de FROG-H, le CNES s’associe avec ses homologues japonais et allemands, JAXA et DLR, pour un projet d’envergure : Callisto. Ce démonstrateur de fusée réutilisable, dont le lancement inaugural est prévu fin 2025 depuis le Centre Spatial Guyanais, vise à atteindre les 20 kilomètres d’altitude avant de revenir se poser sur son site de lancement. Callisto est bien plus qu'un simple prototype et vise à tester le retour maîtrisé d’un lanceur, une manœuvre complexe qui permettrait une réduction drastique des coûts liés aux vols spatiaux. Équipé d’un moteur cryotechnique à hydrogène et oxygène, Callisto peut assurer une poussée modulable entre 16 et 46 kN, ce qui permet des ajustements en vol et un redémarrage en cours de mission, une performance essentielle pour les futurs lanceurs réutilisables. Le projet, qui bénéficie du soutien d’industriels internationaux (ArianeGroup, Mitsubishi Heavy Industries…), va permettre de mieux évaluer les coûts d’exploitation pour un lanceur européen réutilisable. Le programme Callisto se déroulera sur le site Diamant (utilisé pour les premières campagnes du lanceur Diamant B dans les années 70), au sein du Centre Spatial Guyanais de Kourou.

En France, la jeune société Sirius Space, fondée en 2020, a été lauréate de l'appel à projet (AAP) "Mini et micro-lanceurs", fin 2021. Son projet a été validé par un jury composé de Bpifrance, du Centre national des études spatiales (CNES) et de plusieurs experts de haut niveau. Sirius Space propose de développer un futur micro-lanceur réutilisable pour mettre en orbite de petits satellites, seuls ou en constellations, et contribuer notamment aux systèmes de navigation. Il sera propulsé par des moteurs utilisant un mélange d'oxygène liquide et de méthane. Déjà en phase de test sur un site d'ArianeGroupe, le lanceur Sirius-1 vise la mise en orbite basse d'une charge utile de 175 kg. Par sa stratégie, Sirius Space veut offrir aux opérateurs de petits satellites les mêmes services de lancement que ceux proposés aux opérateurs de satellites lourds. La société souhaite élargir par la suite sa gamme de lanceurs en les dotant de boosters supplémentaires et ainsi faire décoller des charges utiles allant jusqu'à 800 kg. Pour parvenir à ses objectifs, Sirius Space joue la carte de l'innovation radicale dans la conception et la fabrication de son lanceur. Grâce au recours à la fabrication additive métallique, ou impression 3D, de ses moteurs, Sirius Space entend réduire le nombre de pièces et diminuer d'autant le coût de sa fusée. Son empreinte écologique sera également sensiblement diminuée par le recours à des bio-ergols, utilisant du méthane biosourcé. La combinaison de ces innovations devrait permettre à Sirius Space d'abaisser à 10 000 euros le coût du kilo de charge utile à placer en orbite. Le test de vol balistique de notre premier lanceur, le Sirius 1 (S1) se fera depuis l’Australie. Sont ensuite prévus des vols commerciaux depuis la base de Kourou en Guyane pour les lanceurs légers S1 (charge utile de 175 kg en orbite héliosynchrone), S13 (700 kg de charge utile), puis, à l'horizon 2030, le lanceur S15 capable de mettre sur orbite héliosynchrone une charge utile supérieure à une tonne.

Une autre entreprise basée en Normandie, MaiaSpace, une filiale d'ArianeGroup, s’est lancée dans le développement de son premier mini-lanceur réutilisable et éco-responsable, deux qualités devenues essentielles dans la conquête spatiale. Maia a été conçue pour pouvoir atterrir verticalement sur une barge en mer, ce qui constitue une première en Europe. Cette rupture technologique doit permettre à MaiaSpace de proposer des solutions souples et compétitives pour le déploiement de satellites. MaiaSpace veut également réduire l’impact environnemental de ses lanceurs, en utilisant un carburant composé d’oxygène et de bio-méthane liquides. Le premier lancement est prévu pour 2026 et MaiaSpace souhaite également contribuer au développement d'un véritable écosystème techno-industriel, intégrant centres de recherche et PME, susceptible de renforcer l’industrie spatiale européenne et de permettre de préserver la souveraineté technologique de l’Europe dans ce domaine stratégique pour notre avenir des technologies spatiales.

Il faut également souligner que la France et l'Europe ne limitent pas leurs efforts de recherche aux lanceurs réutilisables mais misent également sur une technologie de rupture pour donner un souffle à la conquête spatiale, le moteur à plasma. La société Safran a récemment présenté son nouveau moteur à plasma pour satellite, le PPS X00. Celui-ci présente une longévité exceptionnelle, qui lui permet de propulser les satellites pendant des années. Et surtout, il fonctionne indifféremment au xénon ou au krypton, le krypton étant un gaz bien plus économique que le xénon, plus rare et plus coûteux.

Et il est essentiel que l'Europe augmente son effort de recherche dans ce domaine de la propulsion à plasma (ou propulsion ionique) car la NASA travaille déjà, en collaboration avec la société Howe industries, au développement d'un réacteur révolutionnaire à plasma pulsé qui pourrait permettre de réduire de 18 mois à trois mois le temps nécessaire pour accomplir un aller-retour vers Mars. Or cette réduction drastique du temps de vol est capitale pour pourvoir réduire le temps d'exposition des astronautes aux dangereuses radiations cosmiques.

Face aux États-Unis, à la Chine et, demain, à l'Inde, puissance spatiale montante, il est capital que l'Europe poursuive et amplifie ses efforts de recherche et de développement industriel dans ce domaine des technologies spatiales qui seront, demain, l'un des principaux moteurs de l'indépendance stratégique et politique de notre pays et de notre continent et généreront également d'innombrables retombées économiques et technologiques dans des domaines aussi variés que la santé, l'agriculture, l'énergie, les transports ou la lutte contre le changement climatique...

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

e-mail : tregouet@gmail.com

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