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Edito : L’ordinateur peut-il devenir un cerveau artificiel ?

En octobre 1950, le génial scientifique anglais Alan Turing publiait un article historique intitulé « l’intelligence des machines à calcul », considéré aujourd’hui comme l’acte de naissance de l’intelligence artificielle. C’est dans ce fameux article que Turing évoqua pour la première fois le test qui porte son nom et qui consiste, par l’intermédiaire d’un dispositif électronique, à faire dialoguer un être humain alternativement avec deux interlocuteurs, l’un humain et l’autre informatique. Selon Turing, le jour où l’expérimentateur humain, au terme d’une conversation non préparée, sera incapable de dire s’il a affaire à un interlocuteur humain ou électronique, on pourra alors considérer que les ordinateurs seront devenus véritablement intelligents.

64 ans après cet article visionnaire, les scientifiques et ingénieurs ne sont plus très loin de décrocher ce « Graal » que constitue la première machine intelligente. Il y a trois ans, une étape décisive a été franchie lorsque l’ordinateur Watson d’IBM a gagné aux États-Unis, contre ses compétiteurs humains, la grande finale du jeu Jeopardy, un jeu faisant pourtant appel à des qualités d’associations et de raisonnement et à des connaissances en culture générale considérées comme spécifiquement humaines…

Décidée à ne pas s’arrêter en si bon chemin, IBM a continué à améliorer et à perfectionner son ordinateur Watson et celui-ci est actuellement en train de s’imposer à très grande vitesse dans des domaines complexes qui requièrent des inférences et des comparaisons hautement heuristiques et pour lesquelles la puissance brute de calcul n’est pas suffisante pour générer une « valeur ajoutée cognitive ».

Aux États-Unis, les immenses bases de données médicales sont en train de connaître une véritable révolution avec l’arrivée de Watson qui s’est imposé en quelques mois dans les plus prestigieux centres de recherche et laboratoires en cancérologie. Il y a quelques jours, la célèbre Clinique Mayo a annoncé, au cours de son colloque annuel à Rochester dans le Minnesota, que son super ordinateur Watson allait recruter les patients pour les nouveaux essais cliniques, dès l’année prochaine, des patients atteints de cancers du sein, du colon  et du poumon en fonction de l’analyse de leur dossier médical (Voir Forbes).

«La vitesse et la précision de Watson va nous permettre d’inclure un nombre beaucoup plus grand de patients dans de nouveaux essais cliniques et d’accélérer la disponibilité et l’efficacité des nouveaux traitements en cancérologie » a souligné Nicholas Larusso, responsable informatique à la clinique Mayo.

Mais le super ordinateur  Watson ne constitue lui-même qu’une étape, certes importante, vers la mise au point d’une entité informatique véritablement intelligente et pouvant rivaliser avec l’homme. Pour parvenir à relever ce défi vertigineux, IBM a présenté récemment un nouveau microprocesseur qui imite le fonctionnement du cerveau humain dans certaines de ses tâches. Cette puce comporte déjà un million de neurones artificiels  et 256 millions de synapses  sur une surface de 4,3 cm2 (Voir MIT Technology Review).

Intégrant 5,4 milliards de transistors, la puce TrueNorth dévoilée par IBM est sans doute l’un des composants électroniques les plus complexes jamais réalisés. Chacun de ces neurones artificiels est pourvu d’une mémoire et leur interconnexion est assurée par 256 millions de « synapses ». Cette première ébauche d’un ordinateur "neuromorphique", directement inspiré par la structure et le fonctionnement du cerveau humain a été mis au point dans le cadre du programme de recherche SyNAPSE (Systems of Neuromorphic Adaptive Plastic Scalable Electronics), lancé en 2008.

Ce « neuroprocesseur » qui représente une véritable rupture technologique possède en outre la remarquable propriété de consommer 1000 fois moins d’énergie qu’une puce traditionnelle de puissance équivalente. IBM a également conçu un système informatique qui associe 16 puces « TrueNorth » entre elles par groupe de quatre fois quatre, ce qui représente au total l'équivalent de 16 millions de neurones et de 4 milliards de synapses.

Contrairement à l’architecture séquentielle imaginée par Von Neumann il y a 70 ans qui constitue le cadre de fonctionnement de la plupart de nos ordinateurs, cette nouvelle puce neuromorphique se rapproche du cerveau humain puisque chaque « noyau neurosynaptique » possède sa propre mémoire (« les synapses »), son processeur (« le neurone ») et son réseau de communication (« les axones »), ces trois niveaux d’organisation étant coordonnés entre eux de manière à pouvoir résoudre des problèmes hautement complexes sur lesquels butent encore nos ordinateurs les plus puissants.

C’est peu de dire que cette puce « TrueNorth » va révolutionner l’informatique à un point difficilement imaginable aujourd’hui. Combinés aux multiples capteurs, senseurs et autres lasers miniatures qui vont envahir nos Smartphones et tablettes numériques, ces neuroprocesseurs vont permettre d’analyser en temps réel notre environnement dans toute sa complexité et ses dimensions sensorielles.

Cette nouvelle architecture est déjà capable d’effectuer 46 milliards d’opérations synaptiques par seconde et par watt, selon IBM. Comme le souligne Dharmendra Modha, l’un des responsables de ce projet, « Avec cette puce « TrueNorth, chacun disposera dans quelques années dans sa poche de la puissance d’un superordinateur actuel qui tiendra sur un composant pas plus grand qu’un timbre-poste ».

Dharmendra Modha précise que ce nouveau type de puce peut être produite au niveau industriel sans difficulté particulière mais nécessite néanmoins, pour exprimer son fantastique potentiel, de nouveaux logiciels très sophistiqués qui sont en cours de développement.

Il est vrai que la conception de logiciels et d’interfaces capables d’exploiter toute la puissance de ces « neuroprocesseurs » constitue évidemment un enjeu technologique et économique majeur. Dans ce domaine, les créateurs de SIRI, l'assistant vocal d'Apple, Dag Kittlaus, Adam Cheyer et Chris Brigham se sont lancé un nouveau défi en fondant la société Viv Labs dont l’ambition est de concevoir un programme capable de répondre à toutes les questions que vous lui posez (Voir Wired).

Par exemple, Viv devra pouvoir répondre à une question du genre « je vais manger chez mon ami Paul qui a préparé un repas chinois ; quel vin me conseilles-tu de lui apporter et dans quelle boutique puis-je le trouver sur ma route ? » (Voir entretien avec Doug Lena Business Insider). Pour qu’une machine puisse répondre de manière pertinente à une telle question, il faudra non seulement qu’elle puisse accéder très rapidement à une multitude d’informations mais encore qu'elle puisse combiner de manière intelligente l'immense masse de données à sa disposition.

Pour qu’un tel objectif  puisse être atteint, la puissance de calcul des microprocesseurs ne suffira pas et il faudra également apprendre à réorganiser selon de nouvelles logiques les bases de données et de connaissances. Tel est justement l’objectif que vise depuis 30 ans le projet Cycorp. Doug Lenat, son concepteur a récemment annoncé que son projet de recherche en intelligence artificielle, considéré comme le plus ambitieux au monde, était sur le point d’aboutir (Voir Business Insider). Sans dévoiler les technologies utilisées, Doug Lenat a précisé que son logiciel, baptisé « Cyc » était non seulement capable d’apprendre, comme un être humain, mais pourrait également appréhender une information dans toutes ses dimensions morales et ontologiques…

On le voit, les recherches dans le domaine de l’intelligence artificielle sont sur le point de déboucher sur une véritable rupture technologique et cognitive dont les effets sur nos sociétés seront immenses.

Ray Kurzweil, qui est à présent responsable de la prospective chez Google a récemment réaffirmé qu’à l’horizon 2045 les ordinateurs seront devenus aussi intelligents que les êtres humains dans tous les domaines. Ray Kurzweil se dit également persuadé que dans une trentaine d’années il deviendra possible de transférer le contenu de notre cerveau dans un ordinateur et d’accéder ainsi à une forme d’immortalité…

Ces prévisions dignes d’un roman de science-fiction sont partagées par un autre futurologue, le physicien Louis Del Monte, qui affirme dans son dernier livre intitulé « la révolution de l’intelligence artificielle » qu’à cette échéance de 2045, "l'homme ne sera plus la race dominante, mais bien les machines".

Mais avant d’en arriver à cette symbiose vertigineuse entre l’homme et la machine, nous allons disposer très rapidement dans tous les objets de notre vie quotidienne, qu’il s’agisse de nos terminaux numériques mais également de nos vêtements, de nos lunettes, de nos montres, d’une puissance de calcul et d’une intelligence réticulaire phénoménales.

Ce « saut cognitif » va non seulement radicalement transformer le fonctionnement de nos économies et de nos sociétés mais va également profondément modifier le rapport intellectuel, physique et affectif que nous entretenons avec le monde. Reste à espérer que, confrontés à ces nouveaux horizons virtuels infinis et inépuisables, nous soyons capables non seulement de préserver mais d’enrichir notre humanité et les liens de solidarité que nous entretenons avec nos semblables en utilisant pleinement nos qualités singulières et notre liberté créatrice.

René TRÉGOUËT

Sénateur Honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat 

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  • Michael

    17/11/2015

    Judgement Day est prévu pour 2045 intéressant ... Espérons qu'on arrive toujours à tirer un trait entre la machine et l'homme

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