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Edito : L'intelligence artificielle va réinventer la médecine

Campagne de dons 2023 : Grâce à l'émouvante mobilisation des lecteurs de RT Flash ces derniers jours, nous allons atteindre notre objectif...

Il y a une semaine, nous n'étions qu'à 9.974,30 euros. Aujourd'hui, nous avons atteint 14.140,30 euros. Grace à l'émouvante mobilisation des lecteurs de RT Flash, j'ai la conviction que nous atteindrons notre objectif de 15.000 euros avant la fin de l'année.

Constatant la gravité de la situation pour l'avenir de RT Flash, je me suis permis, ces derniers jours, d'envoyer un courrier à toutes les personnes qui avaient déjà fait un don à notre Association ADIST dans ces 4 dernières années. La réaction de nos anciens donateurs m'a permis de constater que RT Flash pouvait encore avoir un bel avenir.

C'est la dernière fois de l'année que je me permets de lancer ainsi un appel aux dons. Pour le prochain numéro de RT Flash qui paraîtra le Vendredi 5 Janvier, je ne vous importunerai plus par ce préambule avant mon édito.

Aussi, je profite de cette ultime occasion pour vous souhaiter de belles fêtes de Noël et vous présenter dès maintenant mes meilleurs vœux pour 2024 qui, indubitablement, devrait être une année importante dans l'Histoire humaine. 

René Trégouët

Sénateur Honoraire

Editorial

L'intelligence artificielle va réinventer la médecine

C'est peu de dire qu'en seulement quelques mois, l'IA et ses nombreuses déclinaisons techniques sont venues complètement bouleverser les domaines de la recherche et de la pratique médicale, au point que les spécialistes considèrent qu'il s'agit sans doute de la plus grande rupture depuis l'apparition de la médecine moderne et expérimentale, sous l'égide de René Laennec et Claude Bernard, voici bientôt deux siècles.

Il y a quelques jours, l’Université de Médecine du Michigan a présenté son système révolutionnaire de dépistage rapide des tumeurs cérébrales. Baptisée DeepGlioma, cette IA s'avère capable de détecter des mutations génétiques dans les tumeurs cérébrales cancéreuses en moins de deux minutes (Voir Nature Medicine). L’efficacité de cet outil a été évaluée dans le cadre d’une étude conduite sur plus de 150 patients atteints de gliome diffus. Ce nouvel outil DeepGlioma a permis d’identifier des mutations permettant de définir des sous-groupes moléculaires de la maladie, avec une précision de plus de 90 % en moyenne. Selon Todd Hollon, neurochirurgien à l’Université du Michigan et directeur de l’étude, « cet outil basé sur l’IA a le potentiel d’améliorer l’accès et la rapidité du diagnostic et des soins pour les patients atteints de tumeurs cérébrales mortelles ». Comme il existe plusieurs types de gliomes diffus, présentant chacun des mutations génétiques différentes, il est capital de proposer à chaque malade le bon traitement, c’est-à-dire celui qui correspond à cette spécificité génétique. En donnant aux chirurgiens le pouvoir de distinguer la nature du gliome diffus pendant l’opération, cet outil ouvre la voie à une identification précise et rapide du type génétique et moléculaire de tumeur.

À Paris, l'institut Curie utilise depuis quelques mois une intelligence artificielle capable de déterminer l'origine de cancers dont on ne connaît pas le site d'apparition. Cet outil va permettre de mieux adapter les traitements et va augmenter les chances de survie de milliers de malades chaque année (Voir Institut Curie). Cette IA révolutionnaire a été développée par la Docteure Sarah Watson, oncologue et chercheuse à l'Institut Curie. Cette scientifique s'est attaquée aux “cancers de primitifs inconnus” (CPI), des cancers qui touchent environ 7000 malades par an et se manifestent à un stade métastatique, mais on ne sait pas d'où ces métastases sont issues et on ne sait donc pas les traiter efficacement.

Cette chercheuse, en partenariat avec des spécialistes de plusieurs autres centres en France, a entraîné un logiciel d'IA à reconnaître l'origine de cancers à partir de dizaines de milliers de séquences ARN de tumeurs récupérées par biopsie. Cet outil d'IA a ensuite été utilisé sur une cinquantaine de tumeurs d'origine non identifiée avec les outils standards. « Dans plus de 80 % des cas, l'IA a pu nous indiquer le tissu d'origine avec des scores de prédiction extrêmement élevés, et ces patients pour lesquels nous avons enfin pu identifier le tissu d'origine ont une durée de survie triplée par rapport aux patients dont le cancer a une origine qui reste inconnue », précise Sarah Watson. Elle travaille à présent à améliorer encore cet outil en lui fournissant davantage de données, qui soient à la fois plus diversifiées et de meilleure qualité, mais toujours avec le consentement formel des malades.

Il y a quelques semaines, en utilisant les données de dossiers de santé électronique provenant de 55 hôpitaux sur 13 années, des chercheurs du célèbre MIT de Boston ont développé un réseau neuronal (PrismNN) visant à permettre la prédiction précoce, à partir de l’âge de 40 ans, de l'adénocarcinome ductulaire pancréatique (ACDP). Cet outil d'apprentissage profond Prism a réussi à repérer 3,5 fois plus de malades, par rapport aux méthodes actuelles utilisées pour diagnostiquer ces tumeurs du pancréas (Voir The Lancet).

En septembre dernier, le Docteur Po-Ting Chen, et ses collègues de l'Université nationale de Taïwan à Taipei, ont été récompensés par le prestigieux prix annuel de la Société Américaine de Radiologie, pour avoir mis au point un nouvel outil d'IA qui va faciliter un diagnostic précoce, rapide et précis du cancer du pancréas, ce qui est capital pour augmenter les chances de guérison des malades (Voir RSNA).

Une autre équipe du MIT a présenté, en mai dernier, une méthode d'analyse des mammographies assistée par l'intelligence artificielle, permettant de détecter les premiers signes du cancer du sein. L’algorithme du MIT a été entraîné à l’aide des mammographies de 60 000 patientes de l’Hôpital général du Massachusetts (MGH). L’équipe a d’abord étudié les dossiers médicaux de ces patientes pour déterminer celles qui avaient développé un cancer du sein dans les cinq années suivant leur mammographie. L'outil développé a ensuite appris à associer ces informations et images et a réussi à reconnaître de minuscules changements dans les tissus mammaires pouvant être annonciateurs de cancers. Ce logiciel d'IA a réussi à classer un tiers des patientes comme présentant un fort risque de développer un cancer, contre seulement 18 % avec les méthodes traditionnelles d'évaluation. Les chercheurs soulignent que leur outil ouvre la voie à la personnalisation des programmes de prévention du cancer du sein, en fonction des facteurs de risque de chaque patiente.

D'autres chercheurs du MIT, qui confirme décidément son excellence mondiale dans l'application des nouveaux outils d’intelligence artificielle à la médecine et la biologie, ont mis au point récemment un nouveau système de dépistage reposant sur l'intelligence artificielle. Baptisé Sybil, il permet de prédire le développement du cancer du poumon entre 1 et 6 ans avant qu'il se déclare (Voir NIH). Ces scientifiques sont parvenus à créer un modèle d'apprentissage en profondeur en cumulant les résultats de 35 000 tomodensitogrammes à faible dose. Sybil a ainsi pu prédire l'apparition du cancer du poumon dans un délai d'un an avec des taux de fiabilité de 92 %. Cette capacité de prédiction restait encore d'au moins 75 % à 5 ans. Cet outil peut également réduire les examens inutiles sur les nodules (biopsies), en évaluant leur risque d'évolution en cancer.

En France, la jeune société I-Stem, l’un des leaders européens de la recherche innovante dans le domaine des cellules souches et des maladies rares, travaille en collaboration étroite avec la société de biotechnologie spécialisée dans le développement de médicaments par intelligence artificielle, dans le cadre du consortium de recherche européen DREAMS. L’objectif de ce projet européen est de développer une technologie innovante combinant l’IA, les cellules souches et le criblage pharmacologique pour identifier des traitements pour cinq maladies musculaires, dans les 5 ans à venir : la myopathie de Duchenne, une myopathie centronucléaire, la myopathie d’Emery-Dreifuss, la maladie de Pompe et la maladie de Danon. Les chercheurs travaillent simultanément sur deux voies : la première vise à identifier des traitements chimiques à ces 5 maladies génétiques avec le criblage pharmacologique et la seconde vise à identifier, grâce à l’intelligence artificielle, de nouvelles maladies pour lesquelles ces traitements seraient également efficaces. « Avec l’intelligence artificielle nous vivons actuellement une révolution. Nous utiliserons cette technologie pour prédire à la fois des cibles thérapeutiques, l’effet de médicaments et même de nouvelles indications thérapeutiques », souligne le Docteur Xavier Nissan, coordinateur du projet DREAMS et directeur de recherche à I-Stem.

Il y a quelques jours, le groupe pharmaceutique français Sanofi a annoncé un partenariat de recherche avec la start-up Aqemia pour concevoir de nouvelles molécules en utilisant ses algorithmes et la plateforme d’IA générative et de physique théorique. L'objectif est de générer des composés chimiques à grande échelle, présentant un réel intérêt, sur un certain nombre de cibles thérapeutiques d’intérêt pour Sanofi. Cette collaboration prévoit que Sanofi identifie la cible thérapeutique et qu'Aqemia conçoive les molécules capables d'atteindre l'effet thérapeutique souhaité. En 2022, Sanofi a également noué des partenariats avec les sociétés pharmaceutiques Insilico Medicine et Atomwise afin d'accélérer le développement de médicaments à l'aide de leurs plates-formes basées sur l'IA (Voir Business Wire).

Toutes les grandes compagnies et laboratoires pharmaceutiques utilisent à présent l'IA pour trouver plus rapidement de nouveaux traitements. « Dans cinq ans, toutes les petites molécules auront été trouvées avec des méthodes d'IA générative », estime Yann Gaston-Mathé, patron de la start-up Iktos. Créée en 2016, la start-up qui emploie environ 60 personnes est implantée en région parisienne et utilise ses outils d'IA pour concevoir deux fois plus rapidement qu’actuellement des médicaments contre le cancer, un enjeu majeur pour la recherche, quand on sait qu'il faut en moyenne 15 ans et plus de 2,5 milliards de dollars pour développer et mettre sur le marché un nouveau médicament...

Je termine ce rapide tour d'horizon sur les incroyables prouesses de l'Intelligence Artificielle en médecine en relatant les histoires extraordinaires de Pat Bennett et Ann Johnson. Ces deux femmes, américaines, qui ont en commun d’être atteintes d’une paralysie qui les empêche de parler, peuvent à nouveau, depuis l'été dernier, communiquer avec une précision et une vitesse inédites grâce à des implants cérébraux améliorés via l’intelligence artificielle. Cet exploit, réalisé par des chercheurs de l'Université de Californie San Francisco, a été rendu possible via de nouvelles interfaces cerveau-machine (ICM) qui peuvent traduire les signaux neuronaux en texte ou en mots prononcés par une voix synthétique (Voir Nature). Pour entraîner le système d’IA, ces deux patientes ont répété dans leur tête, de très nombreuses fois, différentes phrases d’un vocabulaire de 1024 mots jusqu’à ce que l’ordinateur reconnaisse le modèle d’activité cérébrale associé à chaque son. Au lieu de mots entiers, le programme d’IA a appris à reconnaître les phonèmes, 39 au total. Grâce à cela, le système a pu décoder les signaux cérébraux d’Ann Johnson en mots complets à un rythme d’environ 80 mots par minute, soit environ la moitié du rythme d’un dialogue normal de personne à personne.

On le voit, à la lumière de ces progrès fulgurants survenus en quelques mois, l'IA est en train de bouleverser bien plus vite que prévu l'ensemble de la médecine et de la biologie et, au-delà, de transformer le concept même de santé, qui entre pleinement dans l'ère de la prévision intelligente et personnalisée. Dans cette perspective, on peut se féliciter que l’Union européenne ait décidé, le 8 novembre dernier, de se doter d'un cadre législatif et juridique unique au monde, destiné à contrôler la bonne utilisation des nouveaux outils d'IA, particulièrement lorsque ces derniers sont utilisés pour générer de nouvelles images plus vraies que nature (IA générative) ou dialoguer avec des humains et répondre à leurs interrogations. Cet accord historique prévoit notamment la création d'un office européen de l'IA, qui sera chargé de vérifier la bonne application de ce nouveau cadre et de sanctionner, le cas échéant, les entreprises récalcitrantes, par de lourdes amendes pouvant atteindre 7 % du chiffre d'affaires.

Avant la fin de cette décennie, plus un médecin, un chirurgien ou un professionnel de santé ne travaillera sans utiliser quotidiennement un assistant personnel intelligent incroyablement puissant et perspicace, qui lui permettra de se concentrer sur les cas et les situations médicales les plus complexes, de décupler sa puissance de travail et surtout de proposer à ses patients les meilleurs traitements possibles, en tenant toujours le plus grand compte de l'historique du patient, mais aussi de ses souhaits et de sa personnalité. C'est ce qu'a souligné avec force Jean-Emmanuel Bibault, cancérologue à l’hôpital Georges Pompidou, à l'occasion d'un grand colloque sur l'IA, organisé le 7 décembre dernier au Sénat.

Cet éminent spécialiste a également précisé que, d'ici quelques années, les outils d'IA seront si puissants qu'ils seront en mesure, dans un grand nombre de cas, d'estimer avec précision les risques de décès par cancer pour de nombreux patients, plus de dix ans avant le diagnostic de la maladie, ce qui permettra la mise en place de thérapies préventives personnalisées très efficaces. Mais cette vision prospective pose aussi de profondes questions éthiques. Le Docteur Bibault alerte également sur le risque, non négligeable, que les médecins de 2030 ne soient plus toujours en mesure de vérifier la pertinence et le bénéfice pour le malade des prescriptions faites par ces outils d'IA. Il souligne, avec beaucoup de bon sens, que ces médecins devront utiliser le temps disponible dégagé par leurs assistants intelligents pour parfaire leur formation et leurs compétences tout au long de leur vie. Pour ma part, je suis persuadé que ces extraordinaires outils d'IA pourront contribuer, s'ils sont utilisés avec discernement, dans un cadre éthique solide, à rendre la médecine, non seulement bien plus efficace, mais également bien plus à l'écoute des besoins et souhaits des malades, et finalement plus humaine...

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

e-mail : tregouet@gmail.com

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