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L’inquiétante émergence d’une salmonelle multirésistante aux antibiotiques
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Dans le cadre d’une vaste étude internationale, des chercheurs de l’Institut Pasteur, de l’INRA et de l’Institut de veille sanitaire ont pisté l'émergence soudaine et préoccupante d’une salmonelle devenue résistante à presque tous les antibiotiques. L’enquête a permis de retracer l’évolution de cette bactérie au cours des 50 dernières années, et notamment de déterminer la chronologie de l’apparition des différentes résistances, d’en décrypter les mécanismes et d’identifier la volaille comme le principal vecteur de la souche.
Ces travaux, publiés dans le Journal of Infectious Diseases, soulignent l'importance d'une surveillance rapprochée de ces bactéries responsables d’infections alimentaires, et la nécessité de rationaliser l'utilisation des antibiotiques dans les filières d’élevage à l'échelle mondiale.
Les bactéries du genre Salmonella représentent une des premières causes d’infections alimentaires chez l’homme. La surveillance microbiologique des infections humaines sur le territoire français est assurée par le Centre national de référence (CNR) des Salmonella, à l’Institut Pasteur, en collaboration avec les épidémiologistes de l’Institut de veille sanitaire. Le CNR avait récemment détecté de manière très précoce l’émergence, à partir de 2002, d’un type de salmonelle, chez un petit nombre de voyageurs de retour d’Egypte, du Kenya et de Tanzanie. Cette bactérie, appelée « Salmonella Kentucky », présentait des résistances à de nombreux antibiotiques, notamment aux fluoroquinolones, actuellement l’un des traitements clés des infections sévères à Salmonella.
Pour mesurer et suivre à plus large échelle l’étendue du phénomène, l’équipe du CNR de l’Institut Pasteur, dirigée par François-Xavier Weill et Simon Le Hello, a alors entrepris une vaste étude internationale, associant une dizaine d’institutions de surveillance et de recherche en Europe, aux États-Unis et en Afrique. La collecte des données épidémiologiques a ainsi permis aux chercheurs de suivre en temps réel la spectaculaire explosion de cette bactérie à partir de 2006 : alors qu’entre 2002 et 2008 on recensait globalement 500 cas pour la France, le Royaume-Uni et le Danemark, 270 cas ont été confirmés pour la France seule entre 2009 et 2010. La zone de contamination, initialement limitée à l’Afrique du Nord-Est et de l’Est, s’est en outre progressivement élargie à l’Afrique du Nord et de l’Ouest, ainsi qu’au Moyen-Orient.
En collaboration avec une équipe de l’INRA de Tours, dirigée par Axel Cloeckaert au sein de l'unité de recherche "Infectiologie animale et santé publique", les chercheurs du CNR des Salmonella se sont également penchés sur l’étude génétique des souches bactériennes originaires de ces différentes zones géographiques et de celles conservées depuis plusieurs décennies dans les collections de l’Institut Pasteur. Ils ont ainsi décrypté les mécanismes de résistance aux antibiotiques et en ont retracé la chronologie. Au début des années 1990, un fragment d’ADN comprenant des gènes de résistance à six molécules, dont certaines étaient déjà largement utilisées à l’époque, s'est intégré dans le chromosome de Salmonella Kentucky. Au milieu des années 1990 est ensuite apparue par mutation la résistance aux quinolones, puis au début des années 2000 celle aux fluoroquinolones.
Les observations des chercheurs semblent indiquer que l’Egypte pourrait être le berceau géographique des trois étapes d’apparition des résistances aux antibiotiques : c’est dans ce pays qu’ont toutes été identifiées pour la première fois les modifications génétiques qui en sont à l’origine. Les chercheurs estiment par ailleurs probable que Salmonella Kentucky ait acquis le fragment d’ADN responsable des premières résistances par l’intermédiaire des filières aquacoles : le recours massif aux antibiotiques dans ces élevages développés en Egypte dès le début des années 1990 aurait en effet favorisé la sélection des souches bactériennes résistantes à ces antibiotiques.
L’explosion récente des cas serait quant à elle liée à la propagation de la bactérie en Afrique dans la filière volaille, grande consommatrice de fluoroquinolones. C’est le cumul de toutes les résistances sur la même souche de Salmonella Kentucky qui serait ainsi à l’origine de l’épidémie actuelle.L’émergence de cette Salmonella Kentucky inquiète les scientifiques : aujourd’hui, dans plus de 10 % des cas, les patients n’ont pas déclaré de séjour à l’étranger.
La bactérie commence donc selon toute vraisemblance à s’implanter en Europe, multipliant ainsi le risque d’une contamination de la volaille d’élevage et donc la menace d’une propagation à grande échelle. De plus, les chercheurs de l’Institut Pasteur ont très récemment montré l’existence en Afrique du Nord de quelques souches devenues résistantes aux céphalosporines de troisième génération et aux carbapénèmes. Or, ces antibiotiques constituent le dernier rempart thérapeutique contre la bactérie. La propagation de ces résistances à la souche Kentucky épidémique constituerait donc une impasse pour le traitement de ces infections.
Les résultats de cette étude soulignent l’importance d’une veille microbiologique sur le plan national et international, en particulier pour les pays du sud. Ils rappellent le risque pour la santé humaine de l’utilisation non réglementée des antibiotiques dans les élevages, qui favorise l’apparition et la propagation des gènes de résistance chez des bactéries responsables d’infections alimentaires.
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- Publié dans : Biologie & Biochimie
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